Titre : L'Univers
Éditeur : L'Univers (Paris)
Date d'édition : 1897-01-07
Contributeur : Veuillot, Louis (1813-1883). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, Pierre (1859-1907). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, François (1870-1952). Rédacteur
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 07 janvier 1897 07 janvier 1897
Description : 1897/01/07 (Numéro 10582). 1897/01/07 (Numéro 10582).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse Collection numérique : Bibliographie de la presse
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
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et départements (union postale)
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UN NUMÉRO | Paris 10 cent.
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Çn s'abonpe à. Rome, plaqq du Çesù, 8
VERS
JE2T
LE MONDE
ÉDITION SEMI-QUOTIDIENNE
PARIS
et département^
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Six. mois 10 »
Trois mois:,.. . 5 »
ÉTRANGER
(UNION POSTALE)
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U'UÏÏIVERS ne répond pas des manuscrits qui lui sont adressés
ANNONCES
MM. LAGRANGE, CERF et O, 6, place de la Bourse '
P aris, ê janvier i8S7
SOMMAIRE
lia qiîestidil êëdno-
xnique au point de
vue moral E ugène T avernier.
Çà et là : L'injure en
politique. . .... F rançois V jsuillot .
Le duel et l'empe
reur allemand.... L. I.
La politique dtk
Pape. Lettre de..,. L 'abb É G at I iaud:
lie, viedmtë ifcisÔpH
de Pesquidoux... R obert II avard. "
Scènes de la vie chi
noise : Les mésar
ventures d'un An
glais en Chine.. ... U n ancien mission
naire.
Bulletin du jour.—A propos des élections
sénatoriales. — Le nonce à Montmartre.
— Le T. H. F. Joseph. — Renouvellement
du Vœu national. — Les fabriques. —»
Informations politiques et parlemen
taires. -= A travérs la prëssei — La popu
lation française. — Chronique. — Let
tres, sciences et arts. — La question
.ouvrière. —? Bibliograpie. y~ Echos de
'partout. Dépêches de L'étranger. — Les
anarchistes. — Guerre et marine. Ac
tes officiels.— Nécrologie. •*— Nouvelles
diverses. — Dernière heure. Calen
drier. -T- Bourse et bulletin financier.
LÀ QUESTION ÉCONOMIQUE
AU POINT DE VUE MORAL
Gambetta s'était imaginé" qu'on
pouvait écarter les grosses difficul
tés par quelques formules à effet,
ftissent-elles dépourvues de sens.
Ne comprenant rifeii à là ciïsê qui
frehîuë lës profondeurs de l'huma-
hitéj il, s'écriait au hasard : « Il n'y
y a des
Le tribun supposait qu'en agis
sant sur tel ou tel point particulier,
en appliquant un remède çà et là, sur
les endroits les plus atteints, on
supprimerait le désordre* Ainsi
raisonne la gàhie-mâlade qui met
de& cataplasmes .stir .un abcès; et
brp.it atoir f^it tolit,lé ,iiépêe sÈtîre ; rie
prévoyàiit pas qii'uii autre àbcês
§eut se produire un peu plus loin.
Ile ne soupçonne pas la cause du
mal ; elle n'a pas l'idée du germe
qui circule à travers le corps et qui
promène la pourriture:
^ Malgré Iëa belles Assurances de
Gambetta, il y a une question sociale;
L'Europe en est préoccupée comme
d'une affaire doat dépetta l'avenir de
chaqlie peupile; Ett Espagne, en Ita
lie, comme eri Belgitfuëj cëitirile eii
Àlleîiiâghëi âti âêih des universités
vt au milieu des foules, on discute
l'organisation de la société.
Le mois dernier, une importante
revue russe, le ViestnihEvropi, pu-
bii< une. étudë dë M. Vladimir So-
ItJViëv intitulée :«La question écono
mique au point de vue moral. »
•Nos lecteurs ont entendu parler
de cet écrivain qui possède notre
langue comme la sienne et qui a
composé) en français, un livre de
{Premier ordre sur la Russie et sur
'Eglise universelle. L'auteur est
plein defoi et d'érudition. Ilsoutient
la cause de la réunion des chrétiens
sous l'autorité légitime. 11 voit les
choses dé haut et il excelle à mon
trer les lois générales dans les faits
particuliers.
La théorie développée par M. So
lovievopposée au système qui fut appelé
longtemps « l'économie classique »,
et qui disparaît devant la science
véritable restaurée, animée celle-ci
par l'esprit chrétien,.par le senti
ment ët par la coririâisëàribë de la
justice.
L'éminent écrivain met en évi
dence l'incroyable confusion qui a
été faite par les économistes de la
Eremière moitié de ce siècle. Ils su-
ordonnaient tout .simplement, les
lois morales aux lois des phéno
mènes physiques; Et comme ces
dernières tint un caractère fatal, ils
concluaient que tous les résultats
de la concurrence illimitée, [même
affreux et abominables, ne peuvent
être modifiées par aucun procédé.
—Les vendeurs sont nombreux :les
prix baissent; beaucoup d'acheteurs
se présentent : les prix s'élèvertj;: r-*
Rien à essayer. Lâisséz faire, lais
sez passer. Telle est la loi d'airain.
Vqijà le dogme.
Mais, répond Mi Soloviev/ ; avec
non moins d'esprit que de iogiquë,
il faudrait savoir ce qu'on entend
ici en fait de loi. Est-elle inflexible,
cette loi ? Pas du tout. La preuve
c'est qu'elle fléchira chaque fois
qu s un marchand se rendra compte
qu'il ne doit pas profiter sans me
sure des circonstances favorables.
Son-voisin n'a pas de scrupules;
lui en â et tefUâe de recueillir tout le
bénéfice que l'autre a empôcrîe.
D'un seul coup nous échappons
ainsi au domaine des choses fatales^
Le sentiment de justice, qui a ins
piré cet individu peut sans doute
pénétrer dans les institutions. Et
alors lieras vQ^dns. se dessiner l'idée
que l 'autorité publique à dés de
voirs à remplir pour corriger les ex
cès de la concurrence inhumaine.
En Russie, pendant deux siècles
&t aë'îili; dît. M, 1 ftoleviev,^Jes pro
priétaires fonciers qui affranchis
saient les paysans et leur donnaient
des terres étaient dç bien rares ex
ceptions. Alors régnait la loi d'a
ides laquelle les paysans ae con-
dù nidirië tin 1© croyait' M si g ,tfnë
grande pensée de justice et d'hti-*
manité s'est emparee du souverain;
une loi a donné ta liberté aux serfs :
et rapidement l'émancipation qui
était jadis un événement exception
nel est devënUe Uri fait général;
. Là bëlle étude de M. Soloviev con
tient tpUte unë série d'aperçus
qui mériteraient d'être signalés.
Mais, il faut s.e .borner. Notons
qii'dllë e§t le dévèlo'p'pemetit d'Une
pensée élevée qui se présente avec
une forme très simple.
.« Le sentiment élémentaire de pi
tié, qui a reçu sa plus haute sanction
dans l'Evangile, dit M. Soloviev,
nous prescrit de. nçiUrrir l'affamé , et
de réenauffer celui quia froid. Nous
ne sommes pas dispensés de ce de
voir lorsque le nombre des malheu
reux se compte par millions et n'a
aucune proportion avec nos res
sources particulières. Ce que nul ne
fieut faire à lui seul, il peut et il doit
'accomplir ayee le concours des
autres. »
Je retrouve encore l'expression
des idées de M. Soloviev dans un
livre que vient de faire paraître à
Paris unpubliciste français, M. Hu-
ret, avec le titre Enquête sur la
question sociale en Europe. M. Hu-
rët à doniié à l'une des innovations
de notre temps, l'iritërtiiéx (?i une am
pleur et un caractère qui la Rendent
intéressante, même pour les lecteurs
les moins bien disposés envers le
journalisme. Il est allé interroger
tiné foule de personnages différents
les uns des àtitrëêp&r la nationalité*
par les fonctions,jpar lés lerïdàrl-
ces. Le baron de Rothschild, MM.
Guesde,Fournière,Brousse, Schnei
der, Péreire, JohnBurns, Bebel, le
comte de Mun, le prince de Liechs-
tèrtsteiri, * Mgr ïrelandj M; Solo
viev, le pasteur Stoecliër, ètc'. Nous
avons ainsi une collection d'opi
nions, ëxtrêmement variées sans
doute et souvent contradictoires,
mais qui constatent un nio'UVdntent
très puissant.
Interrogé sur les conditions es
sentielles de la société, M. Soloviev
rjéftdnd en résumé: « Laraison d'être
de la société par ràppW.t â ses mem
bres est d'assurer à dhàcUn d'eux
non seulement l'existence matérielle
mais une existence digne. Or, il est
évident que, la pauvreté au delà
d'une certaine linîitë efuand
elle devient sordide ou quand elle
oblige l'homme à sacrifier tout son
temps et toutes ses forces à un tra
vail mécanique — est contraire à la
dignité hunîâirte eft, par tant jirteompa-
tible avec la vraie morale pub lique^
La société doit donc garantir tous
ses membres contre cette pauvreté
dégradante.en assurant à chacun un
minimum de moyeris matériels. »
C'est un idéal ; mais, eii s^rfïme^
tout le monde reconnaît qu'on doit
a»ir dans ce sens. Le livre de M.
Iiuret, composé avec intelligence et
avec bonne foi (certaines pages
descriptives ont beaucoup de re
lief) rriorître l'agitation qui travaille
les esprits. QueiqUë dhose de très
important se prépare; et les gens,
qui trouvaient très bien que tout fût
fèglé par le jeu de l'offre et de la
demandé', commencent à s'aperce
voir qu'il y a d'autres lois.-
Eugène Tavernier.
— <»
BULLETIN DU JOUR
Les radicaux, peu à peu, revien
nent, comme nous l'avions prédit,
à j^ne plus juste appréciation du
scrutin de dimanche. Voici ce que
M. Alphonse Humbert, député ra
dical de la Seine, écrit dans YE-
elair î
Il arrive, 6'etié foisj ee qui arrive pres
que toujours après une bataille électo
rale où les partis se sont fortement gour
més sans parvenir à s'entamer sérieu
sement : chacun s'attribue la victoire. En
réalité, les radicaux ne peuvent pas se
dire victorieux, puisque le but de la
câffipdgrië très yivé qu'ijs ont menée n'est
pas atteint.
Ils avaient fait un gtfôâ ëffort de pro
pagande et.il n'est pas douteux qu'il ten
dait, ëiiitih h déplacer la majorité du Sé
nat, ce qui était impassible, en-une seule
opération, du .moins à y conquérir assez
de sièges pour donner l'impression d'Uii
revirement décisif du suffrage restreint
vers la politique avancée. 11 serait puéril
de hier que cette espérance a été dé-
jouéë.
Après cet aveu, M. Humbert
ajoute que les modérés n'ont pas
fîoiî plus sujet de triompher.
Sur M., Piot, le nouveau sénateur
de la Côte^d'Or, que les radicaux
cherchent à revendiquer pour un
des leurs* nous recevons au pays
même les renseignements suivants,
qui ne seront pas lus sans intérêt :
M. Piot est élu sénateur de la Côte-
d'Or à la place de M. Spuller. C'est,
ddfts la personne de M. Lévêque, un ef
fondrement de l'opportunisme sectaire.
M. Piot était soutenu par la presse so
cialiste, radicale et conservatrice. C'est
un républicain convaincu. Au point de
vue économique, M. Piot votera avec les
démocrates chrétiens ; au point de vue
religieux, ce n'est pas un prosélyte. Mais
son honnêteté et ses sympathies pour la
religion nous assurent son concours dans
la revendication de nos libertés.
Depuis vingt-cinq ans,c'est la première
fois que la Côte-d'Or envoie au Parle
ment un représentant décidé à rompre
aVec les sectaires et à s'occuper sérieu
sement de l'agriculture.
hë Journal officiel publie aujourd'hui
le rapport aâtfesiè au •président de la
République française sur le fedenàetrient
de la population française opéré te
29 mars 1896- Nous le reproduisons, en
attirant l'attention de nos lecteurs sur
tes Chiffres qui montrent le progrès
constant de la population urbaine au
détriment de la population rurale.
Les êtebtioiis sénatoriales ont donné
lieu à quelques incidents. Oui en trou
vera le détail aux Informations
M. André tebtin; ministre des colo
nies, vient d'envoyer des îfistfuctidnS
précises à M. le général Gallieni, goU*
verneur général de Madagascar, en vue
de hâter le règlement des indemnités de
guerre.
On sait que ces indemnités sOïlt fixées
par des commissions spéciales compo
sées de colons, d'industriels et de com
merçants établis à Madagascar.
Les promotions et nominations dans
l'ordre du Mérite agricole ne paraîtront
au Journal officiel qu'après le retour à
Paris de M. Méline,qui se trouve en ce
moment en villégiature sur les bords de
la Méditerranéei
Des dépêches du Caire signalent les
intrigues des Anglais qui, peu à peu,
évincent les Français des postes offi
ciels.
Çà et là
L'INJURE EN POLITIQUE
M< Gabriel d'Azàmbuja, notre colla
borateur et ami, vient de servir aux lec
teurs du Correspondant une tranche
d'histoire assez savoureuse. Il a étudié,
dans cette revue, un sujet que l'énorme
extension de la presse et sa liberté illi
mitée rendent, chaque jour, plus vaste et
plus fécond: l'injure en politique.
L'injure, en politique, a pris de nos
temps les proportions d'un genre litté
raire , — à ce détail près que le souci
littéraire y occupe une place de plus en
plus testreinte et qui ne tardera pas à
deyenir absolument nulle. Elle a, au-
jourd'hûi, 2f s journaux et ses écrivains ;
elle a ses dilettantes ët , ses profession
nels.;'chaque maître en l'art U 'j n j urier
ses adversaires politiques traîne après
lui toute une cohue d'imitateurs, qui
s'efforcent d'attrapper la manière du
chef et, généralement, n'y réussissent
point. Le leader de l'injure a de l'es
prit ; il donne à ses gros mots un certain
tour plaisant et original, qui les affine
et les fait goûter de la galerie ; les co
pistes empressés ne se haussent la plu
part du temps, qu'à la grossièreté basse
et vulgaii e. On ne saura jamais le nom
bre d'inepties dont la passion d'imiter
Rochefort, par exemple — à ne citer que
ce spécimen achevé de l'injùrieur politi
que,—a-inondé certaine presse...
Au fond, l'injure politique remonte à la
plus liante antiquité: quand Achille
adresse à Agamemnon les naïves amé
nités que M. d'Azambuja recueille dans
FIliade, c'est,en somme, un chef de parti
qui insulte un adversaire. Appeler le roi
des Grecs « homme appesanti parle vin»,
ce n'est point, de la part du fils de Pelée,
accuser son ennemi d'ivresse ; c'est tout
simplement une façon de lui faire enten
dre qu'ils ne sont point, tous les deux, de
la même opinion.
Si l'on avait publié des journaux, au
moment du siège de Troie, et que ces
journaux fussent parvenus jusqu'à nous,
nous y verrions certainement les par
tisans d'Achille et |les partisans d'Aga
memnon se traiter réciproquement avec
la même amabilité. Aujourd'hui nous
avons la presse ; et, désormais, toute-in
jure qui pages est enregistrée aussitôt
pour la postérité.
On a vu que M. d'Azambuja faisait al
lusion aux débats qui s'élevaient entre
Gfecëj sous les murs de Troie, et dont
Homère, antique et génial reporter, a
laissé le compte rendu. Mais M. d'Azam
buja n'a pas eu l'ambition de retracer les
inventions et les facéties de l'injure en
général, si de l'injure politique en parti
culier, depuis ces temps reculés jusqu'à
nos jours. Il y faudrait, dit-ilavee raison,
a de gros livres ». Il se renferme dans le
siècle ; il nous fait apprécier le style in
jurie!» des grands « ancêtres » et de
leurs successeurs, y compris, — sur
tout— les contemporains.
Son article est fort piquant, non seule
ment par les spécimens très nombreux
qu'il a recueillis et classés, mais aussi
par les réflexions, tantôt ingénieuses et
tantôt profondes, dont il encadre ou
émaille les citations. Il nous donile, avec
l'histoire de l'injure politique, un essai
fort intéressant,sage et spirituel à la fois,
de ce qu'on pourrait en nommer la philo
sophie.
De cette philosophie, nous voudrions
parler en terminant» Nous avions pensé
d'abord à cueillir une gerbe de gros
mots originaux et de plaisanteries plus
ou moins acérées, parmi l'ample mois
son dont M. d'Azambuja remplit plu
sieurs pages du Correspondant. Mais
nous préférons renvoyer le lecteur à
cette collection vraiment curieuse et re
marquable, où la fécondité de l'esprit
humain, excité par la passion politique,
apparaît aussi peu relevée dans le ton
que prodigieuse, au point de vue de la
quantité des produits. D'où sont donc
sortis tous ces adjectifs inédits, tous ces
néologismes extravagants; et ces compa
raisons biscornues et ces alliances de
mots à faire hurler le bon sens et le bon
goût? Si l'on réfléchit que M. d'Azambuja
n'a pu énumérer qu'une très petite série
des injures politiques imaginées et for
gées depuis cent ans, — car un gros vo
lume eût contenu difficilement la moitié
du total — on reste plongé dans un
effroi stupéfait devant cette inondation,
devant ce torrent débordé, qui entraîne,
à côté de quelques mots spirituels, une
si grande quantité de vulgarités gros
sières.
M.d'Azam&uja,^ cette étude,a tiré trois
leçons qui nous 8emblentci'fljH eurs en sor--
tir fort justement.En premier lieU ,CPmme
il le résume en un mot d'une vigoureuse
et expressive concision : « L'injure est le
dénominateur du blâme. » En effet, « la
multiplication de l'une n'aboutit qu'à
l'affaiblissement de-l'autre ». Et c'est jus
qu'ici l'un des plus clairs résultats de la
prépondérance accordée par certains
journaux à ce procédé de discussion. Les
mots ont perdu leur valeur : et, quand on
entend tel journaliste révolutionnaire
abreuver un personnage politique des
plus formidables grossièretés, l'accuser
de tous les forfaits, le traiter dè voleur
et d'assassin, on se dit, tout tranquille
ment, sans s'émouvoir Ah! il paraît
que ce journaliste et ce personnage diffé
rent d'opinion' sur la revision constitu
tionnelle et l'impôt progressif. » Et puis,
vienne un véritable voleur, on aura beau
le stigmatiser, l'éclabousser d'expres
sions Violentes, le public haussera les
épaules. ,
« Un autre effet de l'injure, écrit M.
d'Azambuja, c'est qu'elle assouvit trop
facilement l'indignation du lecteur et,
par là, lui donne un prétexte excellent
pour ne pas agir. » Oh ! combien la re
marque est juste ; on ne pourra jamais
calculer, assurément, le mal que l'injure
a fait à l'action ; et ce fléau sévit surtout
chez nos bons amis, les conservateurs.
Un lecteur de VIntransigeant, après,
avoir dégusté son Rochefort, n'en va pas
moins, le soir, à la réunion publique, afin
de contribuer, à coups d'interruptions ét
d'applaudissements, au succès du candi
dat révolutionnaire. Un lecteur de Y Au
torité, après avoir savouré quelques
bons rugissements contre « la gueuse »,
est satisfait; il reste, au coin du feu, ou
vaque à ses affaires. Il a" suffisamment
agi, pour un jour.
L'injure enfin « dégrade toujours plus
ou moins ». Et nous ajouterons volon
tiers : elle a dégradé surtout la presse
elle-même; Oh ! [le temps où, dans la
presse « bâillonnée », l'on connaissait
l'art précieux d'être dur, et même san
glant, sans être grossier! Aujourd'hui,
qui n'est point brutal est lâche et timi
de. On ne goûte plus les fines liqueurs,
il faut du trois-six.
François V euillot.
LE NONCE A IHONTRIARTRE
Tous les catholiques français se
ront heureux certainement de sa
voir qjxe S. Ex. le nonce aposto
lique, arrivé à Paris, hier matin,
s'est rendu hier, dans l'après-midi,
à la basilique du Sacré-Cœur.
Mgr Clari a tenu, dès le premier
jour de sa nonciature, à implorer la
protection du Sacré-Cœur ; et c'est
une bien touchante et bien délicate
attention de sa part d'avoir voulu la
demander dans l'église nationale
élevée par la France à ce Cœur très
sacré.
U IllïL II L'IHPEREDft ALLIAI
A propos de la croissante épidémie
duelliste qui sévit depuis quelque temps
au sein de l'armée allemande, tous les
adversaires de cet usage aussi sot que
barbare ont été unanimes à signaler,
comme une des principales causes du
mal, l'excessive indulgence du souverain
qui grâcie invariablement les bretteurs
condamnés par les tribunaux.
De même chacun disait que le seul re
mède serait, outre la renonciation à ces
déplorables errements, une parole nette
et claire du chef de l'Etat contre les
tenants du faux point d'honneur.
S'il n'a pas donné satisfaction com
plète à l'opinion publique,du moins l'em
pereur allemand n'a pas cru pouvoir gar
der plus longtemps le silence et il s'est
décidé à publier un ordre de cabinet que
nous apportent les journaux du pays, et
qui tend, non pas sans doute à supprimer
FEUILLETON DE L 'UNIVERS
DD 7 JANVIER 1897
SCÈNES GE LA VIE CHINOISE
.A*
les immmis m anglais
EN CHINE
Qui non ha visto Granada
Non ha vistojnada! .
« Celui qui n'a pas vu Grenade, n'a
rien vu », disent les Espagnols. Les Es
pagnols sont fiers et ils ont raison ; ils
possèdent un peu partout sur leur terri
toire des merveilles de villes et d'archi
tecture et on peut «'enorgueillir de [pa
reilles richesses ; mais les Chinois sont
fiers aussi, allez ! plus fiers même que
les Espagnols, plus entichés dé leur
gloire nationale et si entichés qu'ils mé
prisent cordialement les diables d'Occi
dent, lisez les Européen?. On m'a ra
conté à Canton que flprsquç les. Célestes
passent devant }a jolie cathédrale, édifiée
par les soins de l'évêque catholique
français, ils haussent les épaules, quand
ils regardent, ou ne regardent même pas.
Mais lorsqu'il s'agit de leurs pagode»,
de leur ya-men (tribunaux)'de leurs tom
beaux etc., cela change: has-kan, ty-
mien-ty. C'est, superbe! c'est magnifi
que ! rien de pareil au monde !
Demandez aux Se-tehouannais si leurs
capitales sont belles et luxueuses :Tchen-
tou, Tchong-kin? — Hàs-kan! ty-mien
ty!
M'avait-on rabattu les oreilles de
Tchong-kin, la capitale du Se-tchouau
oriental!
La vérité est que les rues de la ville
tant vantée sont étroites et pavées de
dalles noires et gluantes, qu'au milieu
roule un ruisseau fangeux, que . des tas
d'ordures s'étalent devant les portes et
dans tous les coins, que des boutiques et
de partout s'exhalent des odeurs nauséa
bondes et que des mendiants couverts de
crasse et d'ulcères vous coudoient sans
vergogne et sans cesse.
De monuments point, à part quelques
temples et quelques hong-kouan, (hô
tels particuliers) qu'il faudrait voir à
l'intérieur, avec leurs gentils portails en
forme de lune, leurs boiseries découpées
leurs cours remplies d'arbustss contour
nés, leurs galeries, leurs gigantesques
lanternes, leurs tablettes murales et
leurs piliers vernis.
Maintenant je ne dis pas que, par-ci,
par-là on ne jouit pas d'une Jolie vue,
soit sur les toits de la ville descendant,
remontant dans, un pittoresque désordre,
coupés par des tours, des corniches.de
pagodes, de grands mâts aux pavillons
multicolores ; soit sur la campagne, avec
ses rizières, ses tombeaux étagés et son
large fleuve couvert d'embarcations de
tous les genres.
Enfin quoi qu'il en soit les Tchong-ki-
nois sont orgueilleux de Tchong-kin ; ils
ne voient rien au-dessus de leur ville
natale et cela leur donne un esprit
gouailleur à l'excès. •
Jugez maintenant de la figure qu'un
Européen peut faire au milieu de ces
bonshommes-là. L'Européen le trouve
certainement parfois ridicule, niais aux
yeux du Chinois lui-même c'est bien da
vantage... et il n'est pas le plus fort ; il a
la foule contre lui.
Telle était la Véritable situation d'un
grand diable d'Anglais, nommé John
Vaughan, et amené à Tchong-King en
qualité de domestique par le révérend
William Smith, pasteur méthodiste qui
venait prendre la direction d'un petit
hôpital fondé par la Société des missions
protestantes de Londres.
Remarquez que John était au service
de son maître depuis un an, qu'il avait
passé cette année à Chang-hay, avec le
révérend, qu'il venait d'arriver au Se-
tchouan et surtout qu'il Se piquait de
bien parler chinois, parce qu'il avait ba
ragouiné je ne sais quelle langue baro
que sur les quais des eettlements.
Hélas ! que cette fatuité allait lui cau
ser de désagrém ents dans l'intérieur.
Le révérend William, qui s'installait,
manquait donc de beaucoup de choses ;
un jour il appela son domestique et lui
dit :
— John, va en ville et achète un seau
pour porter l'eau ; j'ai démandé à mon
lettré comment cela se dit ; on dit en
chinois: tong\ tu retiendras, hein?
John.
. — Oui, mon révérend, certainement;
tong, tong ; je n'oublierai pas, c'est très
facile; rien n'est plus commode. J'y
cours.
Il sortit. -
Le malheur c'est que la maison des
Anglais n'était pas située dans le quar
tier de la boissellerie ; c'était le quartier
affecté aux pharmaciens.
— Hé, l'homme ! cria John, ens'adres-
sant à un élégant commis qui passait,
l'éventail à la main, la tête fraîchement
rasé, avec une natte tressée selon toutes
les règles de l'art capillaire, dis donc ;
où trouve-t-on des tong.
L'autre le regarde d'un air superbe.
Les commis de magasins à Tchong-kin
sont bien plus arrogants que leurs con
génères de Londres ou de Paris et ce
n'est pas peu dire.
— Que me veut cè diable occidental ?
dit-il à haute voix. Et quelle langue em-
ploie-t-il ? Sans doute celle des mers du
couchant?
Il lorgne John derrière ses lunettes à
gros verres ronds et s'écrie :
— Quel individu bizarre ! Il a les che
veux rouges. C'est un hong-man-jers (un
Anglais ; littéralement : un homme aux
cheveux rouges). Et quel accoutrement !
Pas de robe, pas de jambières, pas de
tresse.
Il éclata de rire, le désignant aux pas
sants du bout de ses doigts aux ongles
démesurés.
Les passants se tordaient d'aise.
L'un d'eux finit par dire :
— Etranger, que veux-tu ?
—r Tong, tong, criait John.
— Ah ! il à mal, il a la colique, peut-
être,fit un autre {tong veut dire douleur),
tiens! voilà une boutiquede pharmacien;
viens,
John arrive devant la devanture du
pharmacien e.t voit qu'on se moquait de
lui. Il passe outre.
Mais la foule ne le lâchait pas.J'en ap
pelle à nos compatriotes qui ont été là-
bas ; ils savent ce que c'est qu'un attrou
pement, dans les vastes ruches ouvrières
du Céleste Empire. On se pressait, on se
bousculait autour de John. Celui-ci, un
bon Anglais, mettait son point d'honneur
à ne pas reculer d'une semelle. Et il
avançait en questionnant de temps en
temps ?
— Tong?tong?
— Qu'est-ce qu'il raconte, disait l'un :
il dit que nous sommes en hivèr ( tong
veut aussi dire hiver). Il fait assez chaud
pourtant. Ah! ya.'.
— Mais non, disait un second, il de
mande la porte de l'Ëst, la plus noble de
la ville, celle par où les étrangers pas
sent. Hé, diable, viens par ici, voici le
chemin de la porte de l'Est ( tong exprime
aussi le point Cardinal dont on parlait).
— Pas du tout, reprenait un troisième,
il veut acheter une pipe, ou une di-lien-
pen (cuvette de toilette); conduisons-1®
dans la quartier des marchands d'usten
siles en cuivre (Tong, hélas ! veut encore
dire cuivre}, Par ici, diable d'Occi
dent !
— Tong, tong, hurlait John. Il em
ployait le mot dans le sens d'imbécile !
Un mauvais coucheur qui était près de
lui crut que le malheureux Anglais le vi
sait.
— Œuf de tortue ! fit celui-là, en ma
nière de malédiction.
Cela se gâtait. On allait ramasser des
cailloux.
Un bon vieillard comme il s 'en trouve
beaucoup en Chine eut pitié de l'Euro
péen que la rage faisait éclater ; les au
tres, eux, rirent à en devenir malades.
C'était mauvais pour tout le monde.
Voyons ! Qu'est-ce que ce tong ?
pensa-t-il. ^
Un nom des cent familles ? (Il y a
quelque cent noms de famille en Chine
seulement).
Un tube ? non !
Un tuyau ? non!
Un enfant ? non !
Un homme gros et gras ? Non !
Un trou ? une caverne ?■ Non ! Pour
tant tout ceja se dit long...
Attendez donc : un baquet, peut-'
être.
—Viens, frère aimé, ajouta-t-il douce
ment.
John, calme, le /suivit ayee plus? de
confiance.
Ils ârrivèrent dans une rue où l'on ven
dait dés ustensiles en bois.
— The ! the ! C'est cela, cria l'An
glais. ■
Le vieux le faisait entrer danst une
boutique.
— Tong, tong, répétait-il.
Le marchand gracieux demanda :
— Tong trieou ?
Et il présentait un baril à vin.
— Pou-c/ie-fé (Non), dit John.
Le marchand reprit :
— Tong pan?
Et il présentait une espèce de bar
quette carrée dans laquelle on bat Je riz
dans la rizière même.
— Pou-che-té (Non).
Imperturbable le marchand montrait
un seau à couvercle servant de chaise
percée et encore un .vase de nuit en bois
en disant :
— Tong-pien ? tong-ma?
John rougit plus que ses cheveux n'é
taient rouges ; et il faillit s'arracher ces
cheveux-là !
Tout a coup son œil brille, un large
sourire éclaire sa figure carrée et il se
•précipite dans un coin d'où il enlève un
seau ordinaire, le seau désiré, rêvé, l'i
déal seau !
Tong ! cria-t-il, en jetant sur le comp
toir deux cents sapèques.
Oui, c'était bien tong, mais au 3° ton et
il avait épuisé tous les autres tons, tou
tes les intonations du mot tong, avant la
bonne.
Triomphant il revient à la maison ;
mais en cherchant la route péniblement
et il avait mis la ville en joie.
U n ancien missionnaire.
PARIS ÉTRANGER
et départements (union postale)
tJnan 40 » 51 » . ■
Six mois 21 » 26 50
Trois mois..... 11 » 14 »
Les abonnements partent dea 1" et 16 de. chaque mois
UN NUMÉRO | Paris 10 cent.
Départements..... 15 —
BUREAUX : Paris, rite Cassette, 17
Çn s'abonpe à. Rome, plaqq du Çesù, 8
VERS
JE2T
LE MONDE
ÉDITION SEMI-QUOTIDIENNE
PARIS
et département^
Un an 20 »
Six. mois 10 »
Trois mois:,.. . 5 »
ÉTRANGER
(UNION POSTALE)
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U'UÏÏIVERS ne répond pas des manuscrits qui lui sont adressés
ANNONCES
MM. LAGRANGE, CERF et O, 6, place de la Bourse '
P aris, ê janvier i8S7
SOMMAIRE
lia qiîestidil êëdno-
xnique au point de
vue moral E ugène T avernier.
Çà et là : L'injure en
politique. . .... F rançois V jsuillot .
Le duel et l'empe
reur allemand.... L. I.
La politique dtk
Pape. Lettre de..,. L 'abb É G at I iaud:
lie, viedmtë ifcisÔpH
de Pesquidoux... R obert II avard. "
Scènes de la vie chi
noise : Les mésar
ventures d'un An
glais en Chine.. ... U n ancien mission
naire.
Bulletin du jour.—A propos des élections
sénatoriales. — Le nonce à Montmartre.
— Le T. H. F. Joseph. — Renouvellement
du Vœu national. — Les fabriques. —»
Informations politiques et parlemen
taires. -= A travérs la prëssei — La popu
lation française. — Chronique. — Let
tres, sciences et arts. — La question
.ouvrière. —? Bibliograpie. y~ Echos de
'partout. Dépêches de L'étranger. — Les
anarchistes. — Guerre et marine. Ac
tes officiels.— Nécrologie. •*— Nouvelles
diverses. — Dernière heure. Calen
drier. -T- Bourse et bulletin financier.
LÀ QUESTION ÉCONOMIQUE
AU POINT DE VUE MORAL
Gambetta s'était imaginé" qu'on
pouvait écarter les grosses difficul
tés par quelques formules à effet,
ftissent-elles dépourvues de sens.
Ne comprenant rifeii à là ciïsê qui
frehîuë lës profondeurs de l'huma-
hitéj il, s'écriait au hasard : « Il n'y
y a des
Le tribun supposait qu'en agis
sant sur tel ou tel point particulier,
en appliquant un remède çà et là, sur
les endroits les plus atteints, on
supprimerait le désordre* Ainsi
raisonne la gàhie-mâlade qui met
de& cataplasmes .stir .un abcès; et
brp.it atoir f^it tolit,lé ,iiépêe sÈtîre ; rie
prévoyàiit pas qii'uii autre àbcês
§eut se produire un peu plus loin.
Ile ne soupçonne pas la cause du
mal ; elle n'a pas l'idée du germe
qui circule à travers le corps et qui
promène la pourriture:
^ Malgré Iëa belles Assurances de
Gambetta, il y a une question sociale;
L'Europe en est préoccupée comme
d'une affaire doat dépetta l'avenir de
chaqlie peupile; Ett Espagne, en Ita
lie, comme eri Belgitfuëj cëitirile eii
Àlleîiiâghëi âti âêih des universités
vt au milieu des foules, on discute
l'organisation de la société.
Le mois dernier, une importante
revue russe, le ViestnihEvropi, pu-
bii< une. étudë dë M. Vladimir So-
ItJViëv intitulée :«La question écono
mique au point de vue moral. »
•Nos lecteurs ont entendu parler
de cet écrivain qui possède notre
langue comme la sienne et qui a
composé) en français, un livre de
{Premier ordre sur la Russie et sur
'Eglise universelle. L'auteur est
plein defoi et d'érudition. Ilsoutient
la cause de la réunion des chrétiens
sous l'autorité légitime. 11 voit les
choses dé haut et il excelle à mon
trer les lois générales dans les faits
particuliers.
La théorie développée par M. So
loviev
longtemps « l'économie classique »,
et qui disparaît devant la science
véritable restaurée, animée celle-ci
par l'esprit chrétien,.par le senti
ment ët par la coririâisëàribë de la
justice.
L'éminent écrivain met en évi
dence l'incroyable confusion qui a
été faite par les économistes de la
Eremière moitié de ce siècle. Ils su-
ordonnaient tout .simplement, les
lois morales aux lois des phéno
mènes physiques; Et comme ces
dernières tint un caractère fatal, ils
concluaient que tous les résultats
de la concurrence illimitée, [même
affreux et abominables, ne peuvent
être modifiées par aucun procédé.
—Les vendeurs sont nombreux :les
prix baissent; beaucoup d'acheteurs
se présentent : les prix s'élèvertj;: r-*
Rien à essayer. Lâisséz faire, lais
sez passer. Telle est la loi d'airain.
Vqijà le dogme.
Mais, répond Mi Soloviev/ ; avec
non moins d'esprit que de iogiquë,
il faudrait savoir ce qu'on entend
ici en fait de loi. Est-elle inflexible,
cette loi ? Pas du tout. La preuve
c'est qu'elle fléchira chaque fois
qu s un marchand se rendra compte
qu'il ne doit pas profiter sans me
sure des circonstances favorables.
Son-voisin n'a pas de scrupules;
lui en â et tefUâe de recueillir tout le
bénéfice que l'autre a empôcrîe.
D'un seul coup nous échappons
ainsi au domaine des choses fatales^
Le sentiment de justice, qui a ins
piré cet individu peut sans doute
pénétrer dans les institutions. Et
alors lieras vQ^dns. se dessiner l'idée
que l 'autorité publique à dés de
voirs à remplir pour corriger les ex
cès de la concurrence inhumaine.
En Russie, pendant deux siècles
&t aë'îili; dît. M, 1 ftoleviev,^Jes pro
priétaires fonciers qui affranchis
saient les paysans et leur donnaient
des terres étaient dç bien rares ex
ceptions. Alors régnait la loi d'a
ides laquelle les paysans ae con-
dù nidirië tin 1© croyait' M si g ,tfnë
grande pensée de justice et d'hti-*
manité s'est emparee du souverain;
une loi a donné ta liberté aux serfs :
et rapidement l'émancipation qui
était jadis un événement exception
nel est devënUe Uri fait général;
. Là bëlle étude de M. Soloviev con
tient tpUte unë série d'aperçus
qui mériteraient d'être signalés.
Mais, il faut s.e .borner. Notons
qii'dllë e§t le dévèlo'p'pemetit d'Une
pensée élevée qui se présente avec
une forme très simple.
.« Le sentiment élémentaire de pi
tié, qui a reçu sa plus haute sanction
dans l'Evangile, dit M. Soloviev,
nous prescrit de. nçiUrrir l'affamé , et
de réenauffer celui quia froid. Nous
ne sommes pas dispensés de ce de
voir lorsque le nombre des malheu
reux se compte par millions et n'a
aucune proportion avec nos res
sources particulières. Ce que nul ne
fieut faire à lui seul, il peut et il doit
'accomplir ayee le concours des
autres. »
Je retrouve encore l'expression
des idées de M. Soloviev dans un
livre que vient de faire paraître à
Paris unpubliciste français, M. Hu-
ret, avec le titre Enquête sur la
question sociale en Europe. M. Hu-
rët à doniié à l'une des innovations
de notre temps, l'iritërtiiéx (?i une am
pleur et un caractère qui la Rendent
intéressante, même pour les lecteurs
les moins bien disposés envers le
journalisme. Il est allé interroger
tiné foule de personnages différents
les uns des àtitrëêp&r la nationalité*
par les fonctions,jpar lés lerïdàrl-
ces. Le baron de Rothschild, MM.
Guesde,Fournière,Brousse, Schnei
der, Péreire, JohnBurns, Bebel, le
comte de Mun, le prince de Liechs-
tèrtsteiri, * Mgr ïrelandj M; Solo
viev, le pasteur Stoecliër, ètc'. Nous
avons ainsi une collection d'opi
nions, ëxtrêmement variées sans
doute et souvent contradictoires,
mais qui constatent un nio'UVdntent
très puissant.
Interrogé sur les conditions es
sentielles de la société, M. Soloviev
rjéftdnd en résumé: « Laraison d'être
de la société par ràppW.t â ses mem
bres est d'assurer à dhàcUn d'eux
non seulement l'existence matérielle
mais une existence digne. Or, il est
évident que, la pauvreté au delà
d'une certaine linîitë efuand
elle devient sordide ou quand elle
oblige l'homme à sacrifier tout son
temps et toutes ses forces à un tra
vail mécanique — est contraire à la
dignité hunîâirte eft, par tant jirteompa-
tible avec la vraie morale pub lique^
La société doit donc garantir tous
ses membres contre cette pauvreté
dégradante.en assurant à chacun un
minimum de moyeris matériels. »
C'est un idéal ; mais, eii s^rfïme^
tout le monde reconnaît qu'on doit
a»ir dans ce sens. Le livre de M.
Iiuret, composé avec intelligence et
avec bonne foi (certaines pages
descriptives ont beaucoup de re
lief) rriorître l'agitation qui travaille
les esprits. QueiqUë dhose de très
important se prépare; et les gens,
qui trouvaient très bien que tout fût
fèglé par le jeu de l'offre et de la
demandé', commencent à s'aperce
voir qu'il y a d'autres lois.-
Eugène Tavernier.
— <»
BULLETIN DU JOUR
Les radicaux, peu à peu, revien
nent, comme nous l'avions prédit,
à j^ne plus juste appréciation du
scrutin de dimanche. Voici ce que
M. Alphonse Humbert, député ra
dical de la Seine, écrit dans YE-
elair î
Il arrive, 6'etié foisj ee qui arrive pres
que toujours après une bataille électo
rale où les partis se sont fortement gour
més sans parvenir à s'entamer sérieu
sement : chacun s'attribue la victoire. En
réalité, les radicaux ne peuvent pas se
dire victorieux, puisque le but de la
câffipdgrië très yivé qu'ijs ont menée n'est
pas atteint.
Ils avaient fait un gtfôâ ëffort de pro
pagande et.il n'est pas douteux qu'il ten
dait, ëiiitih h déplacer la majorité du Sé
nat, ce qui était impassible, en-une seule
opération, du .moins à y conquérir assez
de sièges pour donner l'impression d'Uii
revirement décisif du suffrage restreint
vers la politique avancée. 11 serait puéril
de hier que cette espérance a été dé-
jouéë.
Après cet aveu, M. Humbert
ajoute que les modérés n'ont pas
fîoiî plus sujet de triompher.
Sur M., Piot, le nouveau sénateur
de la Côte^d'Or, que les radicaux
cherchent à revendiquer pour un
des leurs* nous recevons au pays
même les renseignements suivants,
qui ne seront pas lus sans intérêt :
M. Piot est élu sénateur de la Côte-
d'Or à la place de M. Spuller. C'est,
ddfts la personne de M. Lévêque, un ef
fondrement de l'opportunisme sectaire.
M. Piot était soutenu par la presse so
cialiste, radicale et conservatrice. C'est
un républicain convaincu. Au point de
vue économique, M. Piot votera avec les
démocrates chrétiens ; au point de vue
religieux, ce n'est pas un prosélyte. Mais
son honnêteté et ses sympathies pour la
religion nous assurent son concours dans
la revendication de nos libertés.
Depuis vingt-cinq ans,c'est la première
fois que la Côte-d'Or envoie au Parle
ment un représentant décidé à rompre
aVec les sectaires et à s'occuper sérieu
sement de l'agriculture.
hë Journal officiel publie aujourd'hui
le rapport aâtfesiè au •président de la
République française sur le fedenàetrient
de la population française opéré te
29 mars 1896- Nous le reproduisons, en
attirant l'attention de nos lecteurs sur
tes Chiffres qui montrent le progrès
constant de la population urbaine au
détriment de la population rurale.
Les êtebtioiis sénatoriales ont donné
lieu à quelques incidents. Oui en trou
vera le détail aux Informations
M. André tebtin; ministre des colo
nies, vient d'envoyer des îfistfuctidnS
précises à M. le général Gallieni, goU*
verneur général de Madagascar, en vue
de hâter le règlement des indemnités de
guerre.
On sait que ces indemnités sOïlt fixées
par des commissions spéciales compo
sées de colons, d'industriels et de com
merçants établis à Madagascar.
Les promotions et nominations dans
l'ordre du Mérite agricole ne paraîtront
au Journal officiel qu'après le retour à
Paris de M. Méline,qui se trouve en ce
moment en villégiature sur les bords de
la Méditerranéei
Des dépêches du Caire signalent les
intrigues des Anglais qui, peu à peu,
évincent les Français des postes offi
ciels.
Çà et là
L'INJURE EN POLITIQUE
M< Gabriel d'Azàmbuja, notre colla
borateur et ami, vient de servir aux lec
teurs du Correspondant une tranche
d'histoire assez savoureuse. Il a étudié,
dans cette revue, un sujet que l'énorme
extension de la presse et sa liberté illi
mitée rendent, chaque jour, plus vaste et
plus fécond: l'injure en politique.
L'injure, en politique, a pris de nos
temps les proportions d'un genre litté
raire , — à ce détail près que le souci
littéraire y occupe une place de plus en
plus testreinte et qui ne tardera pas à
deyenir absolument nulle. Elle a, au-
jourd'hûi, 2f s journaux et ses écrivains ;
elle a ses dilettantes ët , ses profession
nels.;'chaque maître en l'art U 'j n j urier
ses adversaires politiques traîne après
lui toute une cohue d'imitateurs, qui
s'efforcent d'attrapper la manière du
chef et, généralement, n'y réussissent
point. Le leader de l'injure a de l'es
prit ; il donne à ses gros mots un certain
tour plaisant et original, qui les affine
et les fait goûter de la galerie ; les co
pistes empressés ne se haussent la plu
part du temps, qu'à la grossièreté basse
et vulgaii e. On ne saura jamais le nom
bre d'inepties dont la passion d'imiter
Rochefort, par exemple — à ne citer que
ce spécimen achevé de l'injùrieur politi
que,—a-inondé certaine presse...
Au fond, l'injure politique remonte à la
plus liante antiquité: quand Achille
adresse à Agamemnon les naïves amé
nités que M. d'Azambuja recueille dans
FIliade, c'est,en somme, un chef de parti
qui insulte un adversaire. Appeler le roi
des Grecs « homme appesanti parle vin»,
ce n'est point, de la part du fils de Pelée,
accuser son ennemi d'ivresse ; c'est tout
simplement une façon de lui faire enten
dre qu'ils ne sont point, tous les deux, de
la même opinion.
Si l'on avait publié des journaux, au
moment du siège de Troie, et que ces
journaux fussent parvenus jusqu'à nous,
nous y verrions certainement les par
tisans d'Achille et |les partisans d'Aga
memnon se traiter réciproquement avec
la même amabilité. Aujourd'hui nous
avons la presse ; et, désormais, toute-in
jure qui pages est enregistrée aussitôt
pour la postérité.
On a vu que M. d'Azambuja faisait al
lusion aux débats qui s'élevaient entre
Gfecëj sous les murs de Troie, et dont
Homère, antique et génial reporter, a
laissé le compte rendu. Mais M. d'Azam
buja n'a pas eu l'ambition de retracer les
inventions et les facéties de l'injure en
général, si de l'injure politique en parti
culier, depuis ces temps reculés jusqu'à
nos jours. Il y faudrait, dit-ilavee raison,
a de gros livres ». Il se renferme dans le
siècle ; il nous fait apprécier le style in
jurie!» des grands « ancêtres » et de
leurs successeurs, y compris, — sur
tout— les contemporains.
Son article est fort piquant, non seule
ment par les spécimens très nombreux
qu'il a recueillis et classés, mais aussi
par les réflexions, tantôt ingénieuses et
tantôt profondes, dont il encadre ou
émaille les citations. Il nous donile, avec
l'histoire de l'injure politique, un essai
fort intéressant,sage et spirituel à la fois,
de ce qu'on pourrait en nommer la philo
sophie.
De cette philosophie, nous voudrions
parler en terminant» Nous avions pensé
d'abord à cueillir une gerbe de gros
mots originaux et de plaisanteries plus
ou moins acérées, parmi l'ample mois
son dont M. d'Azambuja remplit plu
sieurs pages du Correspondant. Mais
nous préférons renvoyer le lecteur à
cette collection vraiment curieuse et re
marquable, où la fécondité de l'esprit
humain, excité par la passion politique,
apparaît aussi peu relevée dans le ton
que prodigieuse, au point de vue de la
quantité des produits. D'où sont donc
sortis tous ces adjectifs inédits, tous ces
néologismes extravagants; et ces compa
raisons biscornues et ces alliances de
mots à faire hurler le bon sens et le bon
goût? Si l'on réfléchit que M. d'Azambuja
n'a pu énumérer qu'une très petite série
des injures politiques imaginées et for
gées depuis cent ans, — car un gros vo
lume eût contenu difficilement la moitié
du total — on reste plongé dans un
effroi stupéfait devant cette inondation,
devant ce torrent débordé, qui entraîne,
à côté de quelques mots spirituels, une
si grande quantité de vulgarités gros
sières.
M.d'Azam&uja,^ cette étude,a tiré trois
leçons qui nous 8emblentci'fljH eurs en sor--
tir fort justement.En premier lieU ,CPmme
il le résume en un mot d'une vigoureuse
et expressive concision : « L'injure est le
dénominateur du blâme. » En effet, « la
multiplication de l'une n'aboutit qu'à
l'affaiblissement de-l'autre ». Et c'est jus
qu'ici l'un des plus clairs résultats de la
prépondérance accordée par certains
journaux à ce procédé de discussion. Les
mots ont perdu leur valeur : et, quand on
entend tel journaliste révolutionnaire
abreuver un personnage politique des
plus formidables grossièretés, l'accuser
de tous les forfaits, le traiter dè voleur
et d'assassin, on se dit, tout tranquille
ment, sans s'émouvoir Ah! il paraît
que ce journaliste et ce personnage diffé
rent d'opinion' sur la revision constitu
tionnelle et l'impôt progressif. » Et puis,
vienne un véritable voleur, on aura beau
le stigmatiser, l'éclabousser d'expres
sions Violentes, le public haussera les
épaules. ,
« Un autre effet de l'injure, écrit M.
d'Azambuja, c'est qu'elle assouvit trop
facilement l'indignation du lecteur et,
par là, lui donne un prétexte excellent
pour ne pas agir. » Oh ! combien la re
marque est juste ; on ne pourra jamais
calculer, assurément, le mal que l'injure
a fait à l'action ; et ce fléau sévit surtout
chez nos bons amis, les conservateurs.
Un lecteur de VIntransigeant, après,
avoir dégusté son Rochefort, n'en va pas
moins, le soir, à la réunion publique, afin
de contribuer, à coups d'interruptions ét
d'applaudissements, au succès du candi
dat révolutionnaire. Un lecteur de Y Au
torité, après avoir savouré quelques
bons rugissements contre « la gueuse »,
est satisfait; il reste, au coin du feu, ou
vaque à ses affaires. Il a" suffisamment
agi, pour un jour.
L'injure enfin « dégrade toujours plus
ou moins ». Et nous ajouterons volon
tiers : elle a dégradé surtout la presse
elle-même; Oh ! [le temps où, dans la
presse « bâillonnée », l'on connaissait
l'art précieux d'être dur, et même san
glant, sans être grossier! Aujourd'hui,
qui n'est point brutal est lâche et timi
de. On ne goûte plus les fines liqueurs,
il faut du trois-six.
François V euillot.
LE NONCE A IHONTRIARTRE
Tous les catholiques français se
ront heureux certainement de sa
voir qjxe S. Ex. le nonce aposto
lique, arrivé à Paris, hier matin,
s'est rendu hier, dans l'après-midi,
à la basilique du Sacré-Cœur.
Mgr Clari a tenu, dès le premier
jour de sa nonciature, à implorer la
protection du Sacré-Cœur ; et c'est
une bien touchante et bien délicate
attention de sa part d'avoir voulu la
demander dans l'église nationale
élevée par la France à ce Cœur très
sacré.
U IllïL II L'IHPEREDft ALLIAI
A propos de la croissante épidémie
duelliste qui sévit depuis quelque temps
au sein de l'armée allemande, tous les
adversaires de cet usage aussi sot que
barbare ont été unanimes à signaler,
comme une des principales causes du
mal, l'excessive indulgence du souverain
qui grâcie invariablement les bretteurs
condamnés par les tribunaux.
De même chacun disait que le seul re
mède serait, outre la renonciation à ces
déplorables errements, une parole nette
et claire du chef de l'Etat contre les
tenants du faux point d'honneur.
S'il n'a pas donné satisfaction com
plète à l'opinion publique,du moins l'em
pereur allemand n'a pas cru pouvoir gar
der plus longtemps le silence et il s'est
décidé à publier un ordre de cabinet que
nous apportent les journaux du pays, et
qui tend, non pas sans doute à supprimer
FEUILLETON DE L 'UNIVERS
DD 7 JANVIER 1897
SCÈNES GE LA VIE CHINOISE
.A*
les immmis m anglais
EN CHINE
Qui non ha visto Granada
Non ha vistojnada! .
« Celui qui n'a pas vu Grenade, n'a
rien vu », disent les Espagnols. Les Es
pagnols sont fiers et ils ont raison ; ils
possèdent un peu partout sur leur terri
toire des merveilles de villes et d'archi
tecture et on peut «'enorgueillir de [pa
reilles richesses ; mais les Chinois sont
fiers aussi, allez ! plus fiers même que
les Espagnols, plus entichés dé leur
gloire nationale et si entichés qu'ils mé
prisent cordialement les diables d'Occi
dent, lisez les Européen?. On m'a ra
conté à Canton que flprsquç les. Célestes
passent devant }a jolie cathédrale, édifiée
par les soins de l'évêque catholique
français, ils haussent les épaules, quand
ils regardent, ou ne regardent même pas.
Mais lorsqu'il s'agit de leurs pagode»,
de leur ya-men (tribunaux)'de leurs tom
beaux etc., cela change: has-kan, ty-
mien-ty. C'est, superbe! c'est magnifi
que ! rien de pareil au monde !
Demandez aux Se-tehouannais si leurs
capitales sont belles et luxueuses :Tchen-
tou, Tchong-kin? — Hàs-kan! ty-mien
ty!
M'avait-on rabattu les oreilles de
Tchong-kin, la capitale du Se-tchouau
oriental!
La vérité est que les rues de la ville
tant vantée sont étroites et pavées de
dalles noires et gluantes, qu'au milieu
roule un ruisseau fangeux, que . des tas
d'ordures s'étalent devant les portes et
dans tous les coins, que des boutiques et
de partout s'exhalent des odeurs nauséa
bondes et que des mendiants couverts de
crasse et d'ulcères vous coudoient sans
vergogne et sans cesse.
De monuments point, à part quelques
temples et quelques hong-kouan, (hô
tels particuliers) qu'il faudrait voir à
l'intérieur, avec leurs gentils portails en
forme de lune, leurs boiseries découpées
leurs cours remplies d'arbustss contour
nés, leurs galeries, leurs gigantesques
lanternes, leurs tablettes murales et
leurs piliers vernis.
Maintenant je ne dis pas que, par-ci,
par-là on ne jouit pas d'une Jolie vue,
soit sur les toits de la ville descendant,
remontant dans, un pittoresque désordre,
coupés par des tours, des corniches.de
pagodes, de grands mâts aux pavillons
multicolores ; soit sur la campagne, avec
ses rizières, ses tombeaux étagés et son
large fleuve couvert d'embarcations de
tous les genres.
Enfin quoi qu'il en soit les Tchong-ki-
nois sont orgueilleux de Tchong-kin ; ils
ne voient rien au-dessus de leur ville
natale et cela leur donne un esprit
gouailleur à l'excès. •
Jugez maintenant de la figure qu'un
Européen peut faire au milieu de ces
bonshommes-là. L'Européen le trouve
certainement parfois ridicule, niais aux
yeux du Chinois lui-même c'est bien da
vantage... et il n'est pas le plus fort ; il a
la foule contre lui.
Telle était la Véritable situation d'un
grand diable d'Anglais, nommé John
Vaughan, et amené à Tchong-King en
qualité de domestique par le révérend
William Smith, pasteur méthodiste qui
venait prendre la direction d'un petit
hôpital fondé par la Société des missions
protestantes de Londres.
Remarquez que John était au service
de son maître depuis un an, qu'il avait
passé cette année à Chang-hay, avec le
révérend, qu'il venait d'arriver au Se-
tchouan et surtout qu'il Se piquait de
bien parler chinois, parce qu'il avait ba
ragouiné je ne sais quelle langue baro
que sur les quais des eettlements.
Hélas ! que cette fatuité allait lui cau
ser de désagrém ents dans l'intérieur.
Le révérend William, qui s'installait,
manquait donc de beaucoup de choses ;
un jour il appela son domestique et lui
dit :
— John, va en ville et achète un seau
pour porter l'eau ; j'ai démandé à mon
lettré comment cela se dit ; on dit en
chinois: tong\ tu retiendras, hein?
John.
. — Oui, mon révérend, certainement;
tong, tong ; je n'oublierai pas, c'est très
facile; rien n'est plus commode. J'y
cours.
Il sortit. -
Le malheur c'est que la maison des
Anglais n'était pas située dans le quar
tier de la boissellerie ; c'était le quartier
affecté aux pharmaciens.
— Hé, l'homme ! cria John, ens'adres-
sant à un élégant commis qui passait,
l'éventail à la main, la tête fraîchement
rasé, avec une natte tressée selon toutes
les règles de l'art capillaire, dis donc ;
où trouve-t-on des tong.
L'autre le regarde d'un air superbe.
Les commis de magasins à Tchong-kin
sont bien plus arrogants que leurs con
génères de Londres ou de Paris et ce
n'est pas peu dire.
— Que me veut cè diable occidental ?
dit-il à haute voix. Et quelle langue em-
ploie-t-il ? Sans doute celle des mers du
couchant?
Il lorgne John derrière ses lunettes à
gros verres ronds et s'écrie :
— Quel individu bizarre ! Il a les che
veux rouges. C'est un hong-man-jers (un
Anglais ; littéralement : un homme aux
cheveux rouges). Et quel accoutrement !
Pas de robe, pas de jambières, pas de
tresse.
Il éclata de rire, le désignant aux pas
sants du bout de ses doigts aux ongles
démesurés.
Les passants se tordaient d'aise.
L'un d'eux finit par dire :
— Etranger, que veux-tu ?
—r Tong, tong, criait John.
— Ah ! il à mal, il a la colique, peut-
être,fit un autre {tong veut dire douleur),
tiens! voilà une boutiquede pharmacien;
viens,
John arrive devant la devanture du
pharmacien e.t voit qu'on se moquait de
lui. Il passe outre.
Mais la foule ne le lâchait pas.J'en ap
pelle à nos compatriotes qui ont été là-
bas ; ils savent ce que c'est qu'un attrou
pement, dans les vastes ruches ouvrières
du Céleste Empire. On se pressait, on se
bousculait autour de John. Celui-ci, un
bon Anglais, mettait son point d'honneur
à ne pas reculer d'une semelle. Et il
avançait en questionnant de temps en
temps ?
— Tong?tong?
— Qu'est-ce qu'il raconte, disait l'un :
il dit que nous sommes en hivèr ( tong
veut aussi dire hiver). Il fait assez chaud
pourtant. Ah! ya.'.
— Mais non, disait un second, il de
mande la porte de l'Ëst, la plus noble de
la ville, celle par où les étrangers pas
sent. Hé, diable, viens par ici, voici le
chemin de la porte de l'Est ( tong exprime
aussi le point Cardinal dont on parlait).
— Pas du tout, reprenait un troisième,
il veut acheter une pipe, ou une di-lien-
pen (cuvette de toilette); conduisons-1®
dans la quartier des marchands d'usten
siles en cuivre (Tong, hélas ! veut encore
dire cuivre}, Par ici, diable d'Occi
dent !
— Tong, tong, hurlait John. Il em
ployait le mot dans le sens d'imbécile !
Un mauvais coucheur qui était près de
lui crut que le malheureux Anglais le vi
sait.
— Œuf de tortue ! fit celui-là, en ma
nière de malédiction.
Cela se gâtait. On allait ramasser des
cailloux.
Un bon vieillard comme il s 'en trouve
beaucoup en Chine eut pitié de l'Euro
péen que la rage faisait éclater ; les au
tres, eux, rirent à en devenir malades.
C'était mauvais pour tout le monde.
Voyons ! Qu'est-ce que ce tong ?
pensa-t-il. ^
Un nom des cent familles ? (Il y a
quelque cent noms de famille en Chine
seulement).
Un tube ? non !
Un tuyau ? non!
Un enfant ? non !
Un homme gros et gras ? Non !
Un trou ? une caverne ?■ Non ! Pour
tant tout ceja se dit long...
Attendez donc : un baquet, peut-'
être.
—Viens, frère aimé, ajouta-t-il douce
ment.
John, calme, le /suivit ayee plus? de
confiance.
Ils ârrivèrent dans une rue où l'on ven
dait dés ustensiles en bois.
— The ! the ! C'est cela, cria l'An
glais. ■
Le vieux le faisait entrer danst une
boutique.
— Tong, tong, répétait-il.
Le marchand gracieux demanda :
— Tong trieou ?
Et il présentait un baril à vin.
— Pou-c/ie-fé (Non), dit John.
Le marchand reprit :
— Tong pan?
Et il présentait une espèce de bar
quette carrée dans laquelle on bat Je riz
dans la rizière même.
— Pou-che-té (Non).
Imperturbable le marchand montrait
un seau à couvercle servant de chaise
percée et encore un .vase de nuit en bois
en disant :
— Tong-pien ? tong-ma?
John rougit plus que ses cheveux n'é
taient rouges ; et il faillit s'arracher ces
cheveux-là !
Tout a coup son œil brille, un large
sourire éclaire sa figure carrée et il se
•précipite dans un coin d'où il enlève un
seau ordinaire, le seau désiré, rêvé, l'i
déal seau !
Tong ! cria-t-il, en jetant sur le comp
toir deux cents sapèques.
Oui, c'était bien tong, mais au 3° ton et
il avait épuisé tous les autres tons, tou
tes les intonations du mot tong, avant la
bonne.
Triomphant il revient à la maison ;
mais en cherchant la route péniblement
et il avait mis la ville en joie.
U n ancien missionnaire.
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