Titre : L'Univers
Éditeur : L'Univers (Paris)
Date d'édition : 1892-09-23
Contributeur : Veuillot, Louis (1813-1883). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, Pierre (1859-1907). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, François (1870-1952). Rédacteur
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 23 septembre 1892 23 septembre 1892
Description : 1892/09/23 (Numéro 8910). 1892/09/23 (Numéro 8910).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse Collection numérique : Bibliographie de la presse
Description : Collection numérique : BIPFPIG44 Collection numérique : BIPFPIG44
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
Vendredi £3 Septembre 1892
N* 8910. — Edition quotidienne
Vendredi 23 Septembre 1892
ÉDITION
paris
■T I>£PAftTBUKft?|
ud &q & 5 ij)
Six mois 28 50
Trois mois. ... 15 »
QUOTID IENNE
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UN NUMÉRO I £^ ri ® * ; * 15 OWfc.
I D éparté ménts ... 80
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On «'abonne A Rome, plaça du Gesù, 8
9 q
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Trois mois.
paris
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VDNIYIRS ta répond pas dts maaascrits qui lu sont adressé*
, ANNONCE8
» LAGRANGE, CERF et G'°, 6, plaoe di la Bourse
FRANCK
PARIS, 22 SEPTEMBRE 1892
A cause de là « fêtej nationale », lés
heures du service postal sônt modi
fiées., et nous sommes obligés de faire
paraître le journal beaucoup plus tôt.
À, l'heufe où nous mettons sous presse,
la fête, quoique favorisée parle temps,
ne. s'annonce ni bien brillante, ni
bien animée. Gela viendra peut-être,
mais actuellement nous ne constatons
aucun enthousiasme.
Nous avons donné hier le mani
feste des délégués belges et français,
dont on attribue généralement la pa
ternité au citoyen Basly. Ledit mani-r
feste ne rencontre pas partout le
même accueil. Si les mineurs de Lens
sont satisfaits, les administrateurs des
t&ines protestent, et l 'Etoile Belge
blâme form©H enaen t délégués bel
ges qui s» sont laissé jouer par
M. Basly.
On annonce un. arbitrage à Car-
maux : d'après les uns, le gouverne
ment l'imposerait d'autorité ; d'après
les autres, il se bornerait à faire ses
efforts pour amener tes mineurs et les
administrateurs à s'entendre pour un
arbitrage. Cette dernière version nous
parait plus, exacte.
Si la prince Victor n'a voulu qu'ap
peler l'attention sur sa personne, il a
pleinement réussi. Tous les journaux
s'occupent de son, manifeste, qui est
naturellement fort discuté. Mais qu'en
résultera-t-il pour lui et pour son
parti ? Généralement on ne croit pas
qu'il y gagne beaucoup.
La défense du paya
II
Nous avons exposé (1) que l'a dé
fense de la France n'est pas assuréô ;
que, si le corps de l'armée, est bon, la
tête lui manque; que de ce^ défaut ré
sultent un péril évident et "une. cause
manifeste d'infériorité.
Reprenons l'examen de cette grave
question. >
Elle est posée depuis longtemps. Le
colonel Stôffel signalait, dé Berlin, le
28 avril 1868, l'organisation, là com
position, les attributions du grand
état-major prussien comme un élé
ment incontestable de supériorité.
La. guerre de 1870 prouva la puis
sance de cet élément, auquel nous
n'opposions aucune force motrice: ana
logue.
Depuis ving 1 ! ans des pubticistes,,
des officiers supérieurs, des généraux;
un ancien ministre républicain ont
réclamé une organisation similaire ;
leurs efforts ont échoué.
Dans la presse le général Lewal,les
chefs d'escadrons Jung et Derréca-
gaix, des revues militaires, l'auteur
anonyme dé Y Armée sans tête ont
plaidé cette cause ; au Parlement, le
marquis d'Rarcourt, le général Billot,
le général Pourcet, le député de Mahy
ont déposé dans le même but des
rapports ou des projets de loi.
Le général Billot disait, en 1875,
dana son rapport, que les causes; prin-
/ . « v . -i ,••••.' - i • •- ■'
(i) La 20 août 1892.
cipales de la supériorité de l'armée
prussienne étaient la {composition de
son état-major, « le meilleur de l'Eu
rope », et de son corps d'officiers gé
néraux, presque tous anciens élèves de
l'académie de guerre, et dont les troi3
quarts provenaient de l'état-major.
Dans son rapport du 6 mars 1878,
M. de Freycinet semblait partager
cette opinion, car il écrivait : « L'état-
major général ne doit pas être seule
ment l'organe de la préparation à la
guerre; il doit pouvoir, le moment
venu, fournir au commandant en
chef, ainsi qu'aux diverses armées,
les éléments nécessaires pour assurer
la direction de3 opérations élaborées
pendant la paix ».
Or, le même M. de Freycinet a pro
mulgué le décret du 5 janvier 1891,
qui maintient la défectueuse organi
sation de notre état-major, et le rend
incapable d'accomplir en temps de
guerre la mission que M. de Freyci
net, rapporteur, savait bien définir.
Les avertissements et les réclama
tions auraient dû, cependant, l'éclai
rer, le convaincre, le décider. Ainsi
quand un ancien ministre républi-*
cain, M. de Mahy, déposa en 1889 sa
proposition de loi, tendant à créer un
grand état-major permanent et des
états-majors d'armée, il l'appuya par
un exposé des motifs qui contenait
de graves et in contestables vérités.
Voici, en résumé, les considéra
tions qu'il développait i
L'armée actuelle est la nation ar
mée, trois millions de soldats au jour
du danger.
Mais le moteur indispensable, le
grand état-major, manque à cette
masse énorme ; privée de ce rouage,
elle est vouée d'avance à la confusion^
et au désordre en cas de guerre; plus
nombreuse elle sera, plus embarras
sante elle deviendra.
Cet organisme directeur manquait à
notre armée en 1870; de là provin
rent en partie nos désastres. Cette
cause d'affaiblissement subsiste et de
vient plus grave, en raison des diffi
cultés que présentent les mouvements
de masses immenses.
Il existe seulement chez nous.au
ministère de la guerre, un état-major
général, composé de quatre bureaux,
dirigés par un chef; mais leurs oç-'
cupations diffèrent absolument du
service stratégique en campagne q.ui
fonctionne chez les Allemands.
La fonction spéciale de ce rouage,
en Allemagne, c'est l'emploi, la di
rection de la force créée et payée par
le ministère de la guerre ; cet état-
major s'occupe constamment de la
tactique et de la stratégie en temps de
paix.
Nous n'avons rien de semblable en
France, ni notre généralissime ni nos
commandants d'armée n'ont cet ins
trument nécessaire pour la conduite
des opérations.
Un personnel improvisé ne peut
remplir ce rôle; des officiers d'élite
doivent s'y préparer par des études
persévérantes. « Notre ministre de la
guerre dût-il être, comme en Allema
gne, en Angleterre, en Amérique, ré
duit aux fonctions administratives et
budgétaires, ai la création d'un grand
état-major était à ce prix, il n'y aurait
pas à hésiter, c'est pour ce dernier
parti qu'il faudrait opter. »
Mais on peut maintenir les attribu
tions actuelles du ministre, et adjoin
dre au généralissime le chef de l'état-
major, entouré d'un personnel forte
ment préparé.
Dans l'état actuel, si la guerre éclate,
le généralissime et les commandants
d'armée verront pour la première fois
leurs chefs d'état-major, venus du
ministère et d'un peu partout, sans
avoir été préparés en rien à leur fonc
tion spécialè de guerre. « N'est-ce
pas le comble de l'imprévoyance?...
C'est le désordre organisé, l'art de n'être
•pas prêt, d'être pris au dépourvu.y> Telle
était la conclusion de M. de Mahy.
Ce'cri d'alarme n'aurait-il pas dû,
enfin, comme un coup de tocsin, dis
siper la torpeur du gouvernement et
de la majorité? Une assemblée intelli
gente, soucieuse des intérêts natio
naux, aurait, voté d'urgence l'examen
de la question. — Depuis trois ans
la proposition de Mahy reste enfouie
dans les catacombes parlementaires,
et son auteur, quoique vice-président
de la commission de l'armée, sachant
son projet combattu par M. de Freyci
net, n'a pas osé protester.
Il avait, cependant, maintenu autant
que possible les prérogatives excessi
ves du ministre de la guerre; et, tout
en émettant le vœu que les généraux
désignés pour commander des armées
reçussent, avant la guerre, le titre de
leur fonction, il n'avait pas inscrit
cette disposition dans son projet de
loi.
S'il avait signalé des périls imagi
naires suscités par le cléricalisme, la
Chambre l'eût écouté, applaudi, dis
cuté : il montrait une dangereuse Su
périorité dans l'organisme militaire
des, Allemands : on a refusé de l'en
tendre.
Troisans .se sont écoulés ; on ,a dé
pensé énormément pour l'armée ;
mais la routine prévaut; l'aveugle
ment persiste ; et nous voyons encore
subsister Je n'être pas prêt, d'être pris au dé
pourvu. »
A Berlin, au contraire, dana un
vaste palais indépendant du ministère,
de la guerre, fonctionne le grand
état-major, sous les ordres uniques
de l'empereur ; là le chef du corps
est entouré d'officiers d'élite, sortis de
l'académie de guerrev Ce personnel
perfectionne sans cesse la préparation
de l'attaque et de la défense ; il accé
lère la mobilisation, les mouvements
des masses immenses, par les voies
de l'Allemagne et des pays voisins. Il
se renseigne sans cesse sur les forces
et lés ressources de ces pays, sur les
modifications de, leur viabilité. Des
officiers de ce corps sont adjoints en
permanence aux commandants des
armées qui stationnent sur les fron
tières. Si la. guerre éclate, le major
général suivra l'empereur généralis
sime et dirigera les opérations.
En Allemagne, le ministre de la
guerre n'est qu'une sorte d'intendant
général, qui établit le budget et sub
vient à l'entretien des troupes.
Une organisation analogue a été
adoptée en Angleterre et en Autriche.
Les Prussiens possédaient déjà en
1870 cet art d'être prêt, de n'être pas
pris au dépourvu. On s'illusionnait
alors dans notre armée, victorieuse
depuis un demi-siècle, malgré ses im-r
perfections.
Depuis nos malheurs , l'impré
voyance est inexcusable. C'est une
coupable erreur de s'obstiner dans la
routine, de condamner notre major
général à n'être, en temps de paix,
que le premier commis des ministres
qui se succèdent, d'abrutir dans les
paperasses ses subordonnés, qui de
vraient s'occuper constamment de
préparations stratégiques.
Nous avons, dit-on, un généralis
sime désigné ; mais, simple comman
dant de corps, il n'est pas préparé à
son commandement suprême.
Nous avons, probablement, des gé
néraux d'armée désignés ; mais ils ne
sont ni investis de leur titre, ni entou
rés de leur état-major permanent, ni
préparés à leurs hautes et difficiles
fonctions.
Ainsi la hiérarchie manque, la dis
cipline n'est pas assurée, la prépara
tion reste défectueuse à la tête de nos
armées.
Je parlais avec inquiétude, le 20 juin
1870, an maréchal Le Bœuf, de l'or
ganisation supérieure de la Prusse : il
me répondit : « Je sais qu'ils sont
merveilleusement préparés ; mais
nous sommes improvisateurs, nous
saurons nous débrouiller. »
On se débrouilla si peu que l'on ne
put même concentrer promptement
nos 350.000 hommes par les voies pa
rallèles que notre état-major, ne cen-
naissait pas ; les Prussiens les utili
sèrent.
Il s'agira désormais de rassembler
aussi vite que l'ennemi deux mil
lions de soldats vers nos frontières de
l'Est et du Sud-Est; serait-ce possible
avec des chefs d'armée improvisés, et
un état-major presque annulé, sou
mis à la direction du ministre ? Ca se
rait une cause certaine de lenteur, de
de désordre, d'infériorité.
La patrie sera donc en danger aussi
longtemps qu'on laissera l'armée sans
tête, c'est-à-dire sans grand état-major
et sans grands commandements orga
nisés.
G. de, L a T our.
Le Vaterland devienne, le grand or-:
gane conservateur autrichien, qui suit
avec attention le mouvement politique
et social en France, dit ce gui suit à
propos des pétitions organisées par
les catholiques de France contre les
lois scolaires :
Nous ne croyons pas faire fausse
route en voyant dans cette démarche un
premier pas vers l'exécution des instructions
données parle Saint-Père aux Français, de
se rallier, sur là base de la forme de gou
vernement existante', pour la défense des
droits imprescriptibles des catholiques.
Nous ne pouvons qu'envoyer nos souhaits
cordiaux à, ces vaillants défenseurs de là
oause sainte.
Vous serez des renégats, ou vous
n'aurez pas de pain. Vous mettrez vos
enfants à l'école laïque, ou bien l'on
vous coupera les vivres.
On sait que tel est le langage de
nombreux bureaux de bienfaisance.On
sait que ces moyens de pression exer
cés sur les pauvres gens, comme ceux
dont on ose à l'égard des fonctionnai
res, servent aux la'icisateurs pour
peupler leurs écoles, où sans cela le
vide se ferait autour des maîtres libre-
penseurs.
Ces procédés ne sont d'ailleurs em
ployés par les démocrates que contre
les humbles. Quand il s'agit d'un
bourgeois, le proviseur du lycée lui
demande poliment s'il désire que
l'instruction religieuse soit donnée 4
son fils. C'est ce qu'on appelle un
régime populaire et égalitaire 1
Pourtant , jusqu'ici, c'était dans
l'ombre que se pratiquaient ces petites
vilenies à l'égard des indigents, et il
n'était venu à l'esprit d'aucun sec
taire de les ériger en théorie.
Un conseiller municipal de Saint-
André-lez-Lille, qui d'ailleurs a pris
soin de cacher son nom, a cru bien
faire de sortir de cette réserve, et
voici ce qu'il vient d'écrire au Progrès
du Nord ;
Les conservateurs de Saint-André qui, à
l'exemple des réactionnaires des autres en
droits, s'intitulent « républicains indépen
dants »,ont vraiment un fier toupet. La mu
nicipalité républicaine organise un carrous-
sel le 25 courant, au profit des pauvres du
bureau de bienfaisance, c'est-à-dire au pro
fit des pauvres républicains de la commune.
Aussitôt nos bons républicains crient au
scandale. «Quoi, s'écrient-ils, et nos pau
vres n'auront rien I ne méritent-ils pas autant
que les pauvres républicainsj? >» Que vous
êtes bons apôtres,(gens d'église et au risque
de vous déplaire, nous vous disons : « Non».
— Le bureau de bienfaisance n'est pas
obligé de procurer des secours â ceux qui
luttent continuellement contre la République
de concert avec les ohefs du parti conser
vateur. — Tel est notre avis, à nous répu
blicains de Saint-André.
L'aveu est clair. Il est surtout à re
tenir. Les catholiques qui donnent si
libéralement et si simplement aux bu
reaux de bienfaisance sont prévenus.
C'est contre eux que l'on emploiera
l'argent qu'on leur demande ! S'ils
veulent que les pauvres chrétiens
soient secourus, qu'ils prennent leurs
précautions.
Parmi les individus qui, à l'occasion
de la fête nationale du 22 septembre,
bénéficient de la clémence présiden
tielle, figurent le sieur Culine, con
damné à six ans de prison après les
événements de Fourmies ; et le sieur
Fouroux, ancien maire de Toulon,
condamné à cinq ans de prison comme
complice du crime d'avortement. Tous
deux profiteront de la libération con
ditionnelle, c'est-à-dire que, s'ils ne
commettent pas de nouveau délit, ils
se trouveront avoir bénéficié d'une
remise de peine, l'un de quatre ans
et neuf mois ; l'autre, de trois ans et
trois mois.
On avait annoncé que, ce soir, l'é
glise du Sacré-Cœur serait illuminée
et que la grande croix qui a paru le
14 juillet resplendirait encore.
Cette nouvelle est démentie. Aucun
des préparatifs nécessaires pour l'ins
tallation de la croix et du matériel
d'éclairage éleetrique n'ai d'ailleurs
été fait.
Cialdini
On a dernièrement et en très grande
pompe enterré le général Cialdini.
C'était un des fondateurs du royaume
italien. Et l'Italie officielle du roi Hum-
bert ne pouvait manquer de, lui décer
ner une apothéose. « Comme on con
naît ses saints », dit le proverbe popu
laire," on les honore », et dans l'occur
rence le glorifié était digne des glori-
ficateurs.
Mais il nous a paru tout à fait cho
quant que des journalistes, que des
écrivains français se mêlent à cette
apothéose de Cialdini.. Le héros ne
gagnait rien à être connu de près.
Un jour, dans une inspiration mal
heureuse, son gouvernement eut l'i
dée de l'envoyer représenter à Paris
la monarchie italienne. Cialdini vint
à Paris, prit un peu l'air des boule-
yards, et se dépêcha de demander son
rappel. L'air des boulevards parisiens,
ne lui était pas bon.
Certes, dans notre monde officiel do
la République on n'est pas très papa-
lin, mais il paraît qu'on y manqua
d'admiration pour le héros qui, apr$$
avoir surpris et écrasé par le nombre
les zouaves pontificaux, expédia à la
noble femme du chevaleresque Pimo-,
dan le cercueil de son mari, où il
avait cloué sa carte avec le mot Sui
vant : « Le général Cialdini à? la mar
quise de Pimodan »,et cette sentence
brutale qui visait à la délicatesse: « Leg
colères ne vont pas au delà du tom-,
beau ». Malgré l'admiration de Loc-'
kroy et de certains hugotistes, Cial-
diai sentit qu'il « ne marquait pas
bien » et, comme nous l'avons dit, il
s'en alla.
S'il avait eu au moindre degré la
sentiment des convenances, il ne se
rait pas venu. Il ne pouvait pas douter
des sentiments qu'il devait inspirer k
ce qu'il y a, grâoe à Dieu, de plua no
ble et de plus vivant en France, à l'ar
mée. Lequel de nos officiers ne sait
au'après avoir figuré à Sébastopol
ans les armées alliées, Cialdini de-i
venu soldat de l'Italie-ane n'avait pas
craint d'outra ger grossièrement comiuft
des mercenaires, comme des « ivro
gnes », tous les nobles enfants de
France accourus à l'appel du Saint-
Père pour défendre son patrimoine ?
Et les zouaves pontificaux avaient êt,
leur tête un vrai héros, le brave La-
moricière, dont la fortune pouvait
trahir le courage, mais dont le monde
entier connaissait la vaillance. Ce gé
néral, ce héros, Cialdini ne craignit
pas de l'outrager, dans une proclama
tion fanfaronne où il se vantait de
l'avoir fait fuir. Par exemple, il reçut
tout de suite une leçon dont il né se,
vanta point ; cela lui parvint sous'
forme d'une lettre du maréchal Pélis-
sier, qui était ainsi conçue :
Vous dites, dans votre deuxième procla-^
mation, que vous avez fait fuir, un général
français. Vous connaissant comme je vous
connais, je vous sais parfaitement incapa
ble de pareille "chose ; mais votre mensonge
acquiert d'autant plus de gravité et de ridi-
oule qu'il s'adresse à un général qui est la
bravoure môme. Je ne veux pas achever
cette rectification ici ; je me réserve seule
ment de le faire aveo le bout de ma botte,
si jamais je'vous rencontre comme en Gri
mée.
- Maréchal P élissier,
duc de Malakoff.
La lettre est vive assurément. Mai»
qui ne comprendrait l'indignation du
vainqueur de Sébastopol devant l'our-
trage fanfaron infligé par Cialdini à
Lamoricière, un frère d'armes de Pé"
lissier, un héros dont l'armée fran
çaise chérissait la fière figure?
Il va sans dire que Cialdini ne pu
blia point la lettre ; le maréchal Pélis
sier non plus. Mais la Gazette de
France , où nous la retrouvons aujom*-,
d'hui, rappelle que sous l'Empire
courut tous les salons de Paris. Et cela
explique pourquoi Cialdini fit si tri&tfc
figure en FraBcé. Les pierres munies
devaient lui crier le souvenir desno-^
bles enfants de France, surpris parle*
nombre, écrasés sans pitié et outragési
dans leur glorieuse défaite. Nous ima
ginons aussi que l'uniforme françaii
devait lui causer une certaine gêne.
Do*ic les journalistes anticléricaux
auraient mieux fait de laisser les
frères et amis d'Italie enterrer à eux
tout seuls leur grand| homme. Mais-
on sait quel furieux besoin ils ont,
FEUILLETON DE L'UNIVERS,
DU 23 8eptbmbrh 1893
ENFANTS DE PARIS
Esquisses d'après nature
L'Hôpital
Permettez-moi de vous présenter mon
jeune ami Albério, grand et beau garçon de
dix-neuf ans, à la tournure svelte, à la phy
sionomie fine et distinguée; excellent sujet,
chrétien fervent, très estimé de ses pa
trons, et n'ayant gardé de ses anciennes
fonctions de gamin de Paris qu'un accent
un peu traînard et une forte propension i
découvrir ét mettre en lumière les petits
ridicules des gens. La transformation ne,
s'est pas faite en un jour, et certes, comme
vous l'allez voir, celui-lâ n'a pas trouvé
dans son beroeau, dans les douceurs du
foyer paternel, dans les* leçons et les ten
dresses d'une mère, les qualités qui 1»
rendent aimable, les vertus qui le font res
pecter.
Orphelin de bonne heure, laiesé, après
trois ou quatre ans d'éoole laïque, sans di
rection, sans, surveillance, sans affection,
étranger À l'église, où nul exemple, nul
conseil ne l'avait poussé, il avait grandi
dans l'abandon, livré à lui-môme, enfant
des rues dans toute l'acception du mot. Il
y avait trouvé la société qu'on y trouve, les
habitudes de vagabondage, d'oisiveté, qui
y poussent comme de mauvais champignons
sur le fumier ; et à voir traîner sur les quais
ce long et maigre adolescent, à l'aspect ma
ladif, tendant la main aux passants, pour
suivant les braves gens de ses importuni-
tés lamentables, on l'eût pris pour un de ces
apprentis du vioe qui prépare au crime, de
la chiperie qui prélude au vol et qui parfois
mène à l'assassinat.
L'œil attentif d'un observateur aurait pu
cependant découvrir dans la physionomie,
d'Albéric une mélancolie de bon augure,une
sorte de dégoût mal dissimulé de la vie qu'il
menait et des drôles qu'il fréquentait. Le
pauvre enfant n'avait pris que leurs habitu
des extérieures, et visiblement il ne se sen
tait pas ohez lui comme eux dans la boue
des rues et l'ombre des dessous de pont.
Il le prouva en saisissant aveo joie la
première ocoasion qui s'offrit d'en sortir.
Un entrepreneur de je ne sais quoi, un de
ces exploiteurs de la misère des pauvres et
de la bôtise des riches, l'embaucha pour
une besogne pénible, incessante, au-dessus
de ses forces, sans autre rétribution que le
vivre et le couvert : et quel vivre, grand
Dieu ! quel couvert 1 Des mets, dé men-,
diants, une paillasse de rebut aous un esca
lier. Mais c'était un travail avouable^ un»
croûte de pain honnêtement gagnée, la fin
du vagabondage et de la honte, et le pauvre
garçon s'y lança à plein cœur..
Deux mois après, il était hors de combat,
exténué, poussif, toussant à rendre l'âme,
endolori des pieds à la tête. Il fallut le por
ter à l'hôpital, si ravagé par la fièvre, ai déi
fait, qu'il semb'ait déjà bon pour l'amphi
théâtre. En entrant dans celieil de douleur,
d'où la laïcisation venait d'expulser le» an- 1
ges, il éprouva cependant un moment d#
bien-être : c'était la première fois depuis si
longtemps qu'il couchait dans un vrai lit I
Hélas! ce lit lui devint bientôt intolérable Y
la fièvre le dévorait,la souffrance s'aiguisait,
et elle fiait par se concentrer en un point :
une tumeur s'était formée dans le ventre, et
déjà les infirmiers prononçaientle motd'opén
ration. Uaeaemaiae se passa dans da cruel
les angoisses, et,un matin, le chirurgien en
chef, croyant le pauvre enfant endormi, dit
aux internes oette parole, qu'il entendit et
qui le perça d'avance comme un fer acéré :
« Le pauvre diable est perdu, il ae pourra
supporter l'opération : je la tenterai cepen
dant après-demain ; c'est une exp.érienoe $
faire, qui sait ? »
Pour le ooup, l'infortuné sentit l'amertu
me envahir son âme comme une marée mon
tante. Tout l'abandonnait, jusqu'à l'espoir
de vivre, qui fait tout supporter. Ainsi, il
était condamné sans sursis, sans recours en
grâce : le maître avait prononcé, et ses ar
rêts étaient toujours irrévocables. Il lui
fallait mourir, et mourir de l'opération, à
jour fixe, dans quarante-huit heures.
Et pas une consolation du dehors, pas un
pareat, pas un ami pour venir lui serrer la
main, laisser tomber sur lui une parole de
sympathie, verser dans ce pauvre cœur de
quinze ans une goutte d'amour I Ses cama
rades, ils pensaient bien à lui ! Ils couraient
les rues, riaient, gobelotaient dans quelque
bouge. Et d'ailleurs, nul d'entre eux ne le
savait seulement i l'hôpital. C'était.l'isoler
ment total, l'abandon absolu de toute créa
ture. Il ne lui restait rien... rien que le
Créateur, c 'est-à -dire tout. La bonne Pro
vidence attendait ce moment suprême pour
intervenir.
Le pauvre enfant n'avait pas prié depuis
des années : les mots de Dieu, d'âme, de
prière, lui étaient devenus une langue étranr
gère...,et voilà que,lout à ooup, des profon
deurs de cet abîme où il agonisait, un sou
venir lointain s'éveille ; un nom monte à ses
lèvres, ét il murmure presque inconsciam-
çoeut ces dpux mots : Ave Maria.
Ave Maria ! parole rédemptrice ! Il avait
invoqué Marie, il était sauvé. A peine l' a_
t-il prononcé, qu'il se revoit petit enfant
sur les genoux de sa mère, qu'il se sent car
ressé par elle, qu'il l'entend lui parler d'une
voix douce et tendre,et qu'il se met à répé
ter phrase par phrase après elle la Saluta
tion angélique tout entière. Et depuis ce
moment, sans s'arrêter, sans reprendre
haleine, soulevé par une force inconnue, il
dit et redit incessamment la divine prière ;
sans la bien comprendre enoore, il y trouve
des douceurs infinies, et toute la soirée de
ce jour comnaeççé dans le désespoir, toute
la auit suivante, l'Ave Maria necessejas
un instant de remplir son âme et d'agiter
ses lèvres.
Le lendemain à midi, c'était un jeudi,
jour de visites, il récitait pour la millième
fois peut-être la prière rédemptrice, quand
il voit un jeune homme entrer dans la salle
et se diriger vers son lit. Un visiteur? Pour
lui ? C'est impossible... Soudain, son visage
s'illumine, il tend les bras, s'écrie : Alexis I
et ses yeux se mouillent de larmes. — Al-
béric ! mon pauvre Albério I répond le vi-
siteu r qui se penche vers lui et l'embrasse
longuement.
Alexis, o'était un de ses anciens campa-
gnons, qui le protégeait contre les autres;
Longtemps avant lui, il avait abandonné le
vagabondage pour une existence régulière,
et le pauvre enfant se souvenait maintenant
. que c'était le seul de tous qu'il avait aimé
et dont .il avait pleuré le départ. Le hasard
avait voulu.. qu'Alexis rencontrât la veille
un de leurs tristes camarades., qui avait su,
par hasard aussi, l'entrée d'Albéric ^ l'hô
pital, et voilà oomment les deux anciens
amis se retrouvaient dans les bras l'ua de
l'autre.
Telle fut la première réponse de la
Vierge Marie à la prière du pauvre petit
abandonné. Elle eût aufil à le oombler
de joie, et cette pensée de reconnaissance
le saisit tellement, qu'avant toute autre pa
role il dit à son ami : « Je voudrais te con
fier quelque chose, mais je crains que tu ne
te moques de moi ? — N'aie pas peur, et
dis toujours. — Eh bien, je ne sais pour
quoi ni comment, mais depuis vingt-quatre
heures je ne cesse pas de prier la Vierge
Marie. Et il regardait Alexis aveo anxiété
pour, lire dans ses yeux ce qu'il en pensait-.
Alexis, ému, l'embrassa de nouveau, lui
raoonta sa conversion, son bonheur pré
sent, sa foi ardente, et finit en lui disant
que c'était surtout pour lui parler de Dieu
et sauver son âme qu'il était accouru à son
chevet d'hôpital. Puis il demanda au pauvre
petit de lui dire pon histoire, et quand ce-
lui-oi l'eut terminée, quand il lui eut ra
conté sa situation désespérée, l'opération
fixée au lendemain, l'arrêt de mort tombé
de la bouche du médecin, Alexis lui dit
avec un aocent de oonviotion qui réveilla
l'espérance de son âme : « La sainte Vierge
qui m'a envoyé à toi si providentiellement
ne s'arrêtera pas en chemin et achèvera son
œuvre de délivrance. Je ne sais comment
oela se fera ; mais, soit par l'opération, soit
autrement, je suis sûr que tu t'en tireras.
Continue à prier avec la même ferveur, et
tu verras que tout ira bien. » *
Ille quitta sur cette bonne parole, et lui
serrant la main : « Je ne te dis pas' adieu,
mais au revoir ». Et il partit, le laissan*
presque rasséréné.
Le lendemain matin, jour fatal où l'opé
ration devait avoir lieu, un bruit étrange se
répandît dans l'hôpital et fit tressaillir le
pauvre Albério jusqu'au fond de, ses en
trailles. Le chirurgien- qui devait L'opérer
était mort subitement dans la nuit. Inter
nes. infirmiers, malades, s'exclamaient, s'a
gitaient à qui mieux mieux : on eût dit une
fourmillière sur laquelle on a marché. Si je
vous disais qu'Albério joignit ses lamenta
tions à celles des élèves et des protégés du
docteur, vous ne me croiriez pas, et vous
auriez raison. Ce ooup de foudre, c'était
pou» lui un sursis, plus enoore peutcêtre. Il
ne songea donc qu'à rendre grâces à Dieu
et, joignant ses mains amaigries sous ses
draps, il dit du fondr du coeur -: « Sainte
Vierge Mariej je vous remeroie ». Le: bien
fait divin dépassa tout ce qu'il pouvait rê
ver. Le nouveau chirurgien, ayant examiné
la tumeur, déclara l'opération impossible,
et s'en remit à la nature d'achever le ma
lade. Or, la nature, aidée par la grâce, au
lieu de 'l'achever, le guérit. Peu à peu, on
ne sait commenti, la tumeur incurable s'at
tendrit, s'affaissa* disparut, et un mois plus
tard, Albério sortait de l'hôpital complète
ment guéri. La mort du médeoin avait sau
vé le malade,
L'heureux petit ressuscité vit dans cette
suite d'événements inespérés la main de la'
sainte Vierge, et il lui voua de ce jour un«
tendresse, une reconnaissance et une con
fiance sans limites.
Alexis poursuivit envers son ami sor,j
œuvre de consolation et de salut. A foi cj
de démarohes, il parvint à le faire admettrai
dans l'établissement de M. l'abbé Rou^sc-t h
Auteuil, où on refit toute son éducation rt<-
ligieuse aveo son instruction primaire., et
d'où il sortit un an plus? tard, établi soli le -
ment dans la foi et la charité de Jésua-
Christ par une première communion par
faite. L'estime et l'affection de ses maîtres,
son heureuse physionomie, sa spirituelle
gaieté, fui propurèrent une place avanta
geuse dans une maison chrétienne, qu'il n'a
pas quittée depuis et qu'il ne quittera que
pour le service militaire. — Sa piété s est
maintenue et virilisée aveo l'âge. Sa grati
tude pour tous ceux qui ont contribué à son
sauvetage témoigne de l'élévation de son
cœur. Il va sans dire que c'est la sainte
Vierge Marie* qui tient toujours la première
place dans son ftme régénérée. Ses rapports
aveo cette divine Mère sont touchants. —
C'est drôle, me disait-il un jour avec son air
et son accent toujours reconnaissables de
l'anoien gamin de>Paris, elle fait toutce que
je veux, la sainte Vierge. C'est pis qu'une
mère. Quand j'ai besoin d'un conseil, d'une
grâoe, je m'adresse à elle : elle m'écoute
toujours et ne me refuse jamais. Je n'ai
qu'à parler, et l'affaire, est faite».
Cette confidence naïve suffirait à prauver
la piété et la droiture de oet enfant préféré
de Marie, car celui-là seul obtient du Ciel
tou t oe qu'il demande, dont lés désirs et les
prières tendent à la. gloire de Dieu et aù
salut des âmes.
A. de S égur.
N* 8910. — Edition quotidienne
Vendredi 23 Septembre 1892
ÉDITION
paris
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QUOTID IENNE
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VDNIYIRS ta répond pas dts maaascrits qui lu sont adressé*
, ANNONCE8
» LAGRANGE, CERF et G'°, 6, plaoe di la Bourse
FRANCK
PARIS, 22 SEPTEMBRE 1892
A cause de là « fêtej nationale », lés
heures du service postal sônt modi
fiées., et nous sommes obligés de faire
paraître le journal beaucoup plus tôt.
À, l'heufe où nous mettons sous presse,
la fête, quoique favorisée parle temps,
ne. s'annonce ni bien brillante, ni
bien animée. Gela viendra peut-être,
mais actuellement nous ne constatons
aucun enthousiasme.
Nous avons donné hier le mani
feste des délégués belges et français,
dont on attribue généralement la pa
ternité au citoyen Basly. Ledit mani-r
feste ne rencontre pas partout le
même accueil. Si les mineurs de Lens
sont satisfaits, les administrateurs des
t&ines protestent, et l 'Etoile Belge
blâme form©H enaen t délégués bel
ges qui s» sont laissé jouer par
M. Basly.
On annonce un. arbitrage à Car-
maux : d'après les uns, le gouverne
ment l'imposerait d'autorité ; d'après
les autres, il se bornerait à faire ses
efforts pour amener tes mineurs et les
administrateurs à s'entendre pour un
arbitrage. Cette dernière version nous
parait plus, exacte.
Si la prince Victor n'a voulu qu'ap
peler l'attention sur sa personne, il a
pleinement réussi. Tous les journaux
s'occupent de son, manifeste, qui est
naturellement fort discuté. Mais qu'en
résultera-t-il pour lui et pour son
parti ? Généralement on ne croit pas
qu'il y gagne beaucoup.
La défense du paya
II
Nous avons exposé (1) que l'a dé
fense de la France n'est pas assuréô ;
que, si le corps de l'armée, est bon, la
tête lui manque; que de ce^ défaut ré
sultent un péril évident et "une. cause
manifeste d'infériorité.
Reprenons l'examen de cette grave
question. >
Elle est posée depuis longtemps. Le
colonel Stôffel signalait, dé Berlin, le
28 avril 1868, l'organisation, là com
position, les attributions du grand
état-major prussien comme un élé
ment incontestable de supériorité.
La. guerre de 1870 prouva la puis
sance de cet élément, auquel nous
n'opposions aucune force motrice: ana
logue.
Depuis ving 1 ! ans des pubticistes,,
des officiers supérieurs, des généraux;
un ancien ministre républicain ont
réclamé une organisation similaire ;
leurs efforts ont échoué.
Dans la presse le général Lewal,les
chefs d'escadrons Jung et Derréca-
gaix, des revues militaires, l'auteur
anonyme dé Y Armée sans tête ont
plaidé cette cause ; au Parlement, le
marquis d'Rarcourt, le général Billot,
le général Pourcet, le député de Mahy
ont déposé dans le même but des
rapports ou des projets de loi.
Le général Billot disait, en 1875,
dana son rapport, que les causes; prin-
/ . « v . -i ,••••.' - i • •- ■'
(i) La 20 août 1892.
cipales de la supériorité de l'armée
prussienne étaient la {composition de
son état-major, « le meilleur de l'Eu
rope », et de son corps d'officiers gé
néraux, presque tous anciens élèves de
l'académie de guerre, et dont les troi3
quarts provenaient de l'état-major.
Dans son rapport du 6 mars 1878,
M. de Freycinet semblait partager
cette opinion, car il écrivait : « L'état-
major général ne doit pas être seule
ment l'organe de la préparation à la
guerre; il doit pouvoir, le moment
venu, fournir au commandant en
chef, ainsi qu'aux diverses armées,
les éléments nécessaires pour assurer
la direction de3 opérations élaborées
pendant la paix ».
Or, le même M. de Freycinet a pro
mulgué le décret du 5 janvier 1891,
qui maintient la défectueuse organi
sation de notre état-major, et le rend
incapable d'accomplir en temps de
guerre la mission que M. de Freyci
net, rapporteur, savait bien définir.
Les avertissements et les réclama
tions auraient dû, cependant, l'éclai
rer, le convaincre, le décider. Ainsi
quand un ancien ministre républi-*
cain, M. de Mahy, déposa en 1889 sa
proposition de loi, tendant à créer un
grand état-major permanent et des
états-majors d'armée, il l'appuya par
un exposé des motifs qui contenait
de graves et in contestables vérités.
Voici, en résumé, les considéra
tions qu'il développait i
L'armée actuelle est la nation ar
mée, trois millions de soldats au jour
du danger.
Mais le moteur indispensable, le
grand état-major, manque à cette
masse énorme ; privée de ce rouage,
elle est vouée d'avance à la confusion^
et au désordre en cas de guerre; plus
nombreuse elle sera, plus embarras
sante elle deviendra.
Cet organisme directeur manquait à
notre armée en 1870; de là provin
rent en partie nos désastres. Cette
cause d'affaiblissement subsiste et de
vient plus grave, en raison des diffi
cultés que présentent les mouvements
de masses immenses.
Il existe seulement chez nous.au
ministère de la guerre, un état-major
général, composé de quatre bureaux,
dirigés par un chef; mais leurs oç-'
cupations diffèrent absolument du
service stratégique en campagne q.ui
fonctionne chez les Allemands.
La fonction spéciale de ce rouage,
en Allemagne, c'est l'emploi, la di
rection de la force créée et payée par
le ministère de la guerre ; cet état-
major s'occupe constamment de la
tactique et de la stratégie en temps de
paix.
Nous n'avons rien de semblable en
France, ni notre généralissime ni nos
commandants d'armée n'ont cet ins
trument nécessaire pour la conduite
des opérations.
Un personnel improvisé ne peut
remplir ce rôle; des officiers d'élite
doivent s'y préparer par des études
persévérantes. « Notre ministre de la
guerre dût-il être, comme en Allema
gne, en Angleterre, en Amérique, ré
duit aux fonctions administratives et
budgétaires, ai la création d'un grand
état-major était à ce prix, il n'y aurait
pas à hésiter, c'est pour ce dernier
parti qu'il faudrait opter. »
Mais on peut maintenir les attribu
tions actuelles du ministre, et adjoin
dre au généralissime le chef de l'état-
major, entouré d'un personnel forte
ment préparé.
Dans l'état actuel, si la guerre éclate,
le généralissime et les commandants
d'armée verront pour la première fois
leurs chefs d'état-major, venus du
ministère et d'un peu partout, sans
avoir été préparés en rien à leur fonc
tion spécialè de guerre. « N'est-ce
pas le comble de l'imprévoyance?...
C'est le désordre organisé, l'art de n'être
•pas prêt, d'être pris au dépourvu.y> Telle
était la conclusion de M. de Mahy.
Ce'cri d'alarme n'aurait-il pas dû,
enfin, comme un coup de tocsin, dis
siper la torpeur du gouvernement et
de la majorité? Une assemblée intelli
gente, soucieuse des intérêts natio
naux, aurait, voté d'urgence l'examen
de la question. — Depuis trois ans
la proposition de Mahy reste enfouie
dans les catacombes parlementaires,
et son auteur, quoique vice-président
de la commission de l'armée, sachant
son projet combattu par M. de Freyci
net, n'a pas osé protester.
Il avait, cependant, maintenu autant
que possible les prérogatives excessi
ves du ministre de la guerre; et, tout
en émettant le vœu que les généraux
désignés pour commander des armées
reçussent, avant la guerre, le titre de
leur fonction, il n'avait pas inscrit
cette disposition dans son projet de
loi.
S'il avait signalé des périls imagi
naires suscités par le cléricalisme, la
Chambre l'eût écouté, applaudi, dis
cuté : il montrait une dangereuse Su
périorité dans l'organisme militaire
des, Allemands : on a refusé de l'en
tendre.
Troisans .se sont écoulés ; on ,a dé
pensé énormément pour l'armée ;
mais la routine prévaut; l'aveugle
ment persiste ; et nous voyons encore
subsister
pourvu. »
A Berlin, au contraire, dana un
vaste palais indépendant du ministère,
de la guerre, fonctionne le grand
état-major, sous les ordres uniques
de l'empereur ; là le chef du corps
est entouré d'officiers d'élite, sortis de
l'académie de guerrev Ce personnel
perfectionne sans cesse la préparation
de l'attaque et de la défense ; il accé
lère la mobilisation, les mouvements
des masses immenses, par les voies
de l'Allemagne et des pays voisins. Il
se renseigne sans cesse sur les forces
et lés ressources de ces pays, sur les
modifications de, leur viabilité. Des
officiers de ce corps sont adjoints en
permanence aux commandants des
armées qui stationnent sur les fron
tières. Si la. guerre éclate, le major
général suivra l'empereur généralis
sime et dirigera les opérations.
En Allemagne, le ministre de la
guerre n'est qu'une sorte d'intendant
général, qui établit le budget et sub
vient à l'entretien des troupes.
Une organisation analogue a été
adoptée en Angleterre et en Autriche.
Les Prussiens possédaient déjà en
1870 cet art d'être prêt, de n'être pas
pris au dépourvu. On s'illusionnait
alors dans notre armée, victorieuse
depuis un demi-siècle, malgré ses im-r
perfections.
Depuis nos malheurs , l'impré
voyance est inexcusable. C'est une
coupable erreur de s'obstiner dans la
routine, de condamner notre major
général à n'être, en temps de paix,
que le premier commis des ministres
qui se succèdent, d'abrutir dans les
paperasses ses subordonnés, qui de
vraient s'occuper constamment de
préparations stratégiques.
Nous avons, dit-on, un généralis
sime désigné ; mais, simple comman
dant de corps, il n'est pas préparé à
son commandement suprême.
Nous avons, probablement, des gé
néraux d'armée désignés ; mais ils ne
sont ni investis de leur titre, ni entou
rés de leur état-major permanent, ni
préparés à leurs hautes et difficiles
fonctions.
Ainsi la hiérarchie manque, la dis
cipline n'est pas assurée, la prépara
tion reste défectueuse à la tête de nos
armées.
Je parlais avec inquiétude, le 20 juin
1870, an maréchal Le Bœuf, de l'or
ganisation supérieure de la Prusse : il
me répondit : « Je sais qu'ils sont
merveilleusement préparés ; mais
nous sommes improvisateurs, nous
saurons nous débrouiller. »
On se débrouilla si peu que l'on ne
put même concentrer promptement
nos 350.000 hommes par les voies pa
rallèles que notre état-major, ne cen-
naissait pas ; les Prussiens les utili
sèrent.
Il s'agira désormais de rassembler
aussi vite que l'ennemi deux mil
lions de soldats vers nos frontières de
l'Est et du Sud-Est; serait-ce possible
avec des chefs d'armée improvisés, et
un état-major presque annulé, sou
mis à la direction du ministre ? Ca se
rait une cause certaine de lenteur, de
de désordre, d'infériorité.
La patrie sera donc en danger aussi
longtemps qu'on laissera l'armée sans
tête, c'est-à-dire sans grand état-major
et sans grands commandements orga
nisés.
G. de, L a T our.
Le Vaterland devienne, le grand or-:
gane conservateur autrichien, qui suit
avec attention le mouvement politique
et social en France, dit ce gui suit à
propos des pétitions organisées par
les catholiques de France contre les
lois scolaires :
Nous ne croyons pas faire fausse
route en voyant dans cette démarche un
premier pas vers l'exécution des instructions
données parle Saint-Père aux Français, de
se rallier, sur là base de la forme de gou
vernement existante', pour la défense des
droits imprescriptibles des catholiques.
Nous ne pouvons qu'envoyer nos souhaits
cordiaux à, ces vaillants défenseurs de là
oause sainte.
Vous serez des renégats, ou vous
n'aurez pas de pain. Vous mettrez vos
enfants à l'école laïque, ou bien l'on
vous coupera les vivres.
On sait que tel est le langage de
nombreux bureaux de bienfaisance.On
sait que ces moyens de pression exer
cés sur les pauvres gens, comme ceux
dont on ose à l'égard des fonctionnai
res, servent aux la'icisateurs pour
peupler leurs écoles, où sans cela le
vide se ferait autour des maîtres libre-
penseurs.
Ces procédés ne sont d'ailleurs em
ployés par les démocrates que contre
les humbles. Quand il s'agit d'un
bourgeois, le proviseur du lycée lui
demande poliment s'il désire que
l'instruction religieuse soit donnée 4
son fils. C'est ce qu'on appelle un
régime populaire et égalitaire 1
Pourtant , jusqu'ici, c'était dans
l'ombre que se pratiquaient ces petites
vilenies à l'égard des indigents, et il
n'était venu à l'esprit d'aucun sec
taire de les ériger en théorie.
Un conseiller municipal de Saint-
André-lez-Lille, qui d'ailleurs a pris
soin de cacher son nom, a cru bien
faire de sortir de cette réserve, et
voici ce qu'il vient d'écrire au Progrès
du Nord ;
Les conservateurs de Saint-André qui, à
l'exemple des réactionnaires des autres en
droits, s'intitulent « républicains indépen
dants »,ont vraiment un fier toupet. La mu
nicipalité républicaine organise un carrous-
sel le 25 courant, au profit des pauvres du
bureau de bienfaisance, c'est-à-dire au pro
fit des pauvres républicains de la commune.
Aussitôt nos bons républicains crient au
scandale. «Quoi, s'écrient-ils, et nos pau
vres n'auront rien I ne méritent-ils pas autant
que les pauvres républicainsj? >» Que vous
êtes bons apôtres,(gens d'église et au risque
de vous déplaire, nous vous disons : « Non».
— Le bureau de bienfaisance n'est pas
obligé de procurer des secours â ceux qui
luttent continuellement contre la République
de concert avec les ohefs du parti conser
vateur. — Tel est notre avis, à nous répu
blicains de Saint-André.
L'aveu est clair. Il est surtout à re
tenir. Les catholiques qui donnent si
libéralement et si simplement aux bu
reaux de bienfaisance sont prévenus.
C'est contre eux que l'on emploiera
l'argent qu'on leur demande ! S'ils
veulent que les pauvres chrétiens
soient secourus, qu'ils prennent leurs
précautions.
Parmi les individus qui, à l'occasion
de la fête nationale du 22 septembre,
bénéficient de la clémence présiden
tielle, figurent le sieur Culine, con
damné à six ans de prison après les
événements de Fourmies ; et le sieur
Fouroux, ancien maire de Toulon,
condamné à cinq ans de prison comme
complice du crime d'avortement. Tous
deux profiteront de la libération con
ditionnelle, c'est-à-dire que, s'ils ne
commettent pas de nouveau délit, ils
se trouveront avoir bénéficié d'une
remise de peine, l'un de quatre ans
et neuf mois ; l'autre, de trois ans et
trois mois.
On avait annoncé que, ce soir, l'é
glise du Sacré-Cœur serait illuminée
et que la grande croix qui a paru le
14 juillet resplendirait encore.
Cette nouvelle est démentie. Aucun
des préparatifs nécessaires pour l'ins
tallation de la croix et du matériel
d'éclairage éleetrique n'ai d'ailleurs
été fait.
Cialdini
On a dernièrement et en très grande
pompe enterré le général Cialdini.
C'était un des fondateurs du royaume
italien. Et l'Italie officielle du roi Hum-
bert ne pouvait manquer de, lui décer
ner une apothéose. « Comme on con
naît ses saints », dit le proverbe popu
laire," on les honore », et dans l'occur
rence le glorifié était digne des glori-
ficateurs.
Mais il nous a paru tout à fait cho
quant que des journalistes, que des
écrivains français se mêlent à cette
apothéose de Cialdini.. Le héros ne
gagnait rien à être connu de près.
Un jour, dans une inspiration mal
heureuse, son gouvernement eut l'i
dée de l'envoyer représenter à Paris
la monarchie italienne. Cialdini vint
à Paris, prit un peu l'air des boule-
yards, et se dépêcha de demander son
rappel. L'air des boulevards parisiens,
ne lui était pas bon.
Certes, dans notre monde officiel do
la République on n'est pas très papa-
lin, mais il paraît qu'on y manqua
d'admiration pour le héros qui, apr$$
avoir surpris et écrasé par le nombre
les zouaves pontificaux, expédia à la
noble femme du chevaleresque Pimo-,
dan le cercueil de son mari, où il
avait cloué sa carte avec le mot Sui
vant : « Le général Cialdini à? la mar
quise de Pimodan »,et cette sentence
brutale qui visait à la délicatesse: « Leg
colères ne vont pas au delà du tom-,
beau ». Malgré l'admiration de Loc-'
kroy et de certains hugotistes, Cial-
diai sentit qu'il « ne marquait pas
bien » et, comme nous l'avons dit, il
s'en alla.
S'il avait eu au moindre degré la
sentiment des convenances, il ne se
rait pas venu. Il ne pouvait pas douter
des sentiments qu'il devait inspirer k
ce qu'il y a, grâoe à Dieu, de plua no
ble et de plus vivant en France, à l'ar
mée. Lequel de nos officiers ne sait
au'après avoir figuré à Sébastopol
ans les armées alliées, Cialdini de-i
venu soldat de l'Italie-ane n'avait pas
craint d'outra ger grossièrement comiuft
des mercenaires, comme des « ivro
gnes », tous les nobles enfants de
France accourus à l'appel du Saint-
Père pour défendre son patrimoine ?
Et les zouaves pontificaux avaient êt,
leur tête un vrai héros, le brave La-
moricière, dont la fortune pouvait
trahir le courage, mais dont le monde
entier connaissait la vaillance. Ce gé
néral, ce héros, Cialdini ne craignit
pas de l'outrager, dans une proclama
tion fanfaronne où il se vantait de
l'avoir fait fuir. Par exemple, il reçut
tout de suite une leçon dont il né se,
vanta point ; cela lui parvint sous'
forme d'une lettre du maréchal Pélis-
sier, qui était ainsi conçue :
Vous dites, dans votre deuxième procla-^
mation, que vous avez fait fuir, un général
français. Vous connaissant comme je vous
connais, je vous sais parfaitement incapa
ble de pareille "chose ; mais votre mensonge
acquiert d'autant plus de gravité et de ridi-
oule qu'il s'adresse à un général qui est la
bravoure môme. Je ne veux pas achever
cette rectification ici ; je me réserve seule
ment de le faire aveo le bout de ma botte,
si jamais je'vous rencontre comme en Gri
mée.
- Maréchal P élissier,
duc de Malakoff.
La lettre est vive assurément. Mai»
qui ne comprendrait l'indignation du
vainqueur de Sébastopol devant l'our-
trage fanfaron infligé par Cialdini à
Lamoricière, un frère d'armes de Pé"
lissier, un héros dont l'armée fran
çaise chérissait la fière figure?
Il va sans dire que Cialdini ne pu
blia point la lettre ; le maréchal Pélis
sier non plus. Mais la Gazette de
France , où nous la retrouvons aujom*-,
d'hui, rappelle que sous l'Empire
courut tous les salons de Paris. Et cela
explique pourquoi Cialdini fit si tri&tfc
figure en FraBcé. Les pierres munies
devaient lui crier le souvenir desno-^
bles enfants de France, surpris parle*
nombre, écrasés sans pitié et outragési
dans leur glorieuse défaite. Nous ima
ginons aussi que l'uniforme françaii
devait lui causer une certaine gêne.
Do*ic les journalistes anticléricaux
auraient mieux fait de laisser les
frères et amis d'Italie enterrer à eux
tout seuls leur grand| homme. Mais-
on sait quel furieux besoin ils ont,
FEUILLETON DE L'UNIVERS,
DU 23 8eptbmbrh 1893
ENFANTS DE PARIS
Esquisses d'après nature
L'Hôpital
Permettez-moi de vous présenter mon
jeune ami Albério, grand et beau garçon de
dix-neuf ans, à la tournure svelte, à la phy
sionomie fine et distinguée; excellent sujet,
chrétien fervent, très estimé de ses pa
trons, et n'ayant gardé de ses anciennes
fonctions de gamin de Paris qu'un accent
un peu traînard et une forte propension i
découvrir ét mettre en lumière les petits
ridicules des gens. La transformation ne,
s'est pas faite en un jour, et certes, comme
vous l'allez voir, celui-lâ n'a pas trouvé
dans son beroeau, dans les douceurs du
foyer paternel, dans les* leçons et les ten
dresses d'une mère, les qualités qui 1»
rendent aimable, les vertus qui le font res
pecter.
Orphelin de bonne heure, laiesé, après
trois ou quatre ans d'éoole laïque, sans di
rection, sans, surveillance, sans affection,
étranger À l'église, où nul exemple, nul
conseil ne l'avait poussé, il avait grandi
dans l'abandon, livré à lui-môme, enfant
des rues dans toute l'acception du mot. Il
y avait trouvé la société qu'on y trouve, les
habitudes de vagabondage, d'oisiveté, qui
y poussent comme de mauvais champignons
sur le fumier ; et à voir traîner sur les quais
ce long et maigre adolescent, à l'aspect ma
ladif, tendant la main aux passants, pour
suivant les braves gens de ses importuni-
tés lamentables, on l'eût pris pour un de ces
apprentis du vioe qui prépare au crime, de
la chiperie qui prélude au vol et qui parfois
mène à l'assassinat.
L'œil attentif d'un observateur aurait pu
cependant découvrir dans la physionomie,
d'Albéric une mélancolie de bon augure,une
sorte de dégoût mal dissimulé de la vie qu'il
menait et des drôles qu'il fréquentait. Le
pauvre enfant n'avait pris que leurs habitu
des extérieures, et visiblement il ne se sen
tait pas ohez lui comme eux dans la boue
des rues et l'ombre des dessous de pont.
Il le prouva en saisissant aveo joie la
première ocoasion qui s'offrit d'en sortir.
Un entrepreneur de je ne sais quoi, un de
ces exploiteurs de la misère des pauvres et
de la bôtise des riches, l'embaucha pour
une besogne pénible, incessante, au-dessus
de ses forces, sans autre rétribution que le
vivre et le couvert : et quel vivre, grand
Dieu ! quel couvert 1 Des mets, dé men-,
diants, une paillasse de rebut aous un esca
lier. Mais c'était un travail avouable^ un»
croûte de pain honnêtement gagnée, la fin
du vagabondage et de la honte, et le pauvre
garçon s'y lança à plein cœur..
Deux mois après, il était hors de combat,
exténué, poussif, toussant à rendre l'âme,
endolori des pieds à la tête. Il fallut le por
ter à l'hôpital, si ravagé par la fièvre, ai déi
fait, qu'il semb'ait déjà bon pour l'amphi
théâtre. En entrant dans celieil de douleur,
d'où la laïcisation venait d'expulser le» an- 1
ges, il éprouva cependant un moment d#
bien-être : c'était la première fois depuis si
longtemps qu'il couchait dans un vrai lit I
Hélas! ce lit lui devint bientôt intolérable Y
la fièvre le dévorait,la souffrance s'aiguisait,
et elle fiait par se concentrer en un point :
une tumeur s'était formée dans le ventre, et
déjà les infirmiers prononçaientle motd'opén
ration. Uaeaemaiae se passa dans da cruel
les angoisses, et,un matin, le chirurgien en
chef, croyant le pauvre enfant endormi, dit
aux internes oette parole, qu'il entendit et
qui le perça d'avance comme un fer acéré :
« Le pauvre diable est perdu, il ae pourra
supporter l'opération : je la tenterai cepen
dant après-demain ; c'est une exp.érienoe $
faire, qui sait ? »
Pour le ooup, l'infortuné sentit l'amertu
me envahir son âme comme une marée mon
tante. Tout l'abandonnait, jusqu'à l'espoir
de vivre, qui fait tout supporter. Ainsi, il
était condamné sans sursis, sans recours en
grâce : le maître avait prononcé, et ses ar
rêts étaient toujours irrévocables. Il lui
fallait mourir, et mourir de l'opération, à
jour fixe, dans quarante-huit heures.
Et pas une consolation du dehors, pas un
pareat, pas un ami pour venir lui serrer la
main, laisser tomber sur lui une parole de
sympathie, verser dans ce pauvre cœur de
quinze ans une goutte d'amour I Ses cama
rades, ils pensaient bien à lui ! Ils couraient
les rues, riaient, gobelotaient dans quelque
bouge. Et d'ailleurs, nul d'entre eux ne le
savait seulement i l'hôpital. C'était.l'isoler
ment total, l'abandon absolu de toute créa
ture. Il ne lui restait rien... rien que le
Créateur, c 'est-à -dire tout. La bonne Pro
vidence attendait ce moment suprême pour
intervenir.
Le pauvre enfant n'avait pas prié depuis
des années : les mots de Dieu, d'âme, de
prière, lui étaient devenus une langue étranr
gère...,et voilà que,lout à ooup, des profon
deurs de cet abîme où il agonisait, un sou
venir lointain s'éveille ; un nom monte à ses
lèvres, ét il murmure presque inconsciam-
çoeut ces dpux mots : Ave Maria.
Ave Maria ! parole rédemptrice ! Il avait
invoqué Marie, il était sauvé. A peine l' a_
t-il prononcé, qu'il se revoit petit enfant
sur les genoux de sa mère, qu'il se sent car
ressé par elle, qu'il l'entend lui parler d'une
voix douce et tendre,et qu'il se met à répé
ter phrase par phrase après elle la Saluta
tion angélique tout entière. Et depuis ce
moment, sans s'arrêter, sans reprendre
haleine, soulevé par une force inconnue, il
dit et redit incessamment la divine prière ;
sans la bien comprendre enoore, il y trouve
des douceurs infinies, et toute la soirée de
ce jour comnaeççé dans le désespoir, toute
la auit suivante, l'Ave Maria necessejas
un instant de remplir son âme et d'agiter
ses lèvres.
Le lendemain à midi, c'était un jeudi,
jour de visites, il récitait pour la millième
fois peut-être la prière rédemptrice, quand
il voit un jeune homme entrer dans la salle
et se diriger vers son lit. Un visiteur? Pour
lui ? C'est impossible... Soudain, son visage
s'illumine, il tend les bras, s'écrie : Alexis I
et ses yeux se mouillent de larmes. — Al-
béric ! mon pauvre Albério I répond le vi-
siteu r qui se penche vers lui et l'embrasse
longuement.
Alexis, o'était un de ses anciens campa-
gnons, qui le protégeait contre les autres;
Longtemps avant lui, il avait abandonné le
vagabondage pour une existence régulière,
et le pauvre enfant se souvenait maintenant
. que c'était le seul de tous qu'il avait aimé
et dont .il avait pleuré le départ. Le hasard
avait voulu.. qu'Alexis rencontrât la veille
un de leurs tristes camarades., qui avait su,
par hasard aussi, l'entrée d'Albéric ^ l'hô
pital, et voilà oomment les deux anciens
amis se retrouvaient dans les bras l'ua de
l'autre.
Telle fut la première réponse de la
Vierge Marie à la prière du pauvre petit
abandonné. Elle eût aufil à le oombler
de joie, et cette pensée de reconnaissance
le saisit tellement, qu'avant toute autre pa
role il dit à son ami : « Je voudrais te con
fier quelque chose, mais je crains que tu ne
te moques de moi ? — N'aie pas peur, et
dis toujours. — Eh bien, je ne sais pour
quoi ni comment, mais depuis vingt-quatre
heures je ne cesse pas de prier la Vierge
Marie. Et il regardait Alexis aveo anxiété
pour, lire dans ses yeux ce qu'il en pensait-.
Alexis, ému, l'embrassa de nouveau, lui
raoonta sa conversion, son bonheur pré
sent, sa foi ardente, et finit en lui disant
que c'était surtout pour lui parler de Dieu
et sauver son âme qu'il était accouru à son
chevet d'hôpital. Puis il demanda au pauvre
petit de lui dire pon histoire, et quand ce-
lui-oi l'eut terminée, quand il lui eut ra
conté sa situation désespérée, l'opération
fixée au lendemain, l'arrêt de mort tombé
de la bouche du médecin, Alexis lui dit
avec un aocent de oonviotion qui réveilla
l'espérance de son âme : « La sainte Vierge
qui m'a envoyé à toi si providentiellement
ne s'arrêtera pas en chemin et achèvera son
œuvre de délivrance. Je ne sais comment
oela se fera ; mais, soit par l'opération, soit
autrement, je suis sûr que tu t'en tireras.
Continue à prier avec la même ferveur, et
tu verras que tout ira bien. » *
Ille quitta sur cette bonne parole, et lui
serrant la main : « Je ne te dis pas' adieu,
mais au revoir ». Et il partit, le laissan*
presque rasséréné.
Le lendemain matin, jour fatal où l'opé
ration devait avoir lieu, un bruit étrange se
répandît dans l'hôpital et fit tressaillir le
pauvre Albério jusqu'au fond de, ses en
trailles. Le chirurgien- qui devait L'opérer
était mort subitement dans la nuit. Inter
nes. infirmiers, malades, s'exclamaient, s'a
gitaient à qui mieux mieux : on eût dit une
fourmillière sur laquelle on a marché. Si je
vous disais qu'Albério joignit ses lamenta
tions à celles des élèves et des protégés du
docteur, vous ne me croiriez pas, et vous
auriez raison. Ce ooup de foudre, c'était
pou» lui un sursis, plus enoore peutcêtre. Il
ne songea donc qu'à rendre grâces à Dieu
et, joignant ses mains amaigries sous ses
draps, il dit du fondr du coeur -: « Sainte
Vierge Mariej je vous remeroie ». Le: bien
fait divin dépassa tout ce qu'il pouvait rê
ver. Le nouveau chirurgien, ayant examiné
la tumeur, déclara l'opération impossible,
et s'en remit à la nature d'achever le ma
lade. Or, la nature, aidée par la grâce, au
lieu de 'l'achever, le guérit. Peu à peu, on
ne sait commenti, la tumeur incurable s'at
tendrit, s'affaissa* disparut, et un mois plus
tard, Albério sortait de l'hôpital complète
ment guéri. La mort du médeoin avait sau
vé le malade,
L'heureux petit ressuscité vit dans cette
suite d'événements inespérés la main de la'
sainte Vierge, et il lui voua de ce jour un«
tendresse, une reconnaissance et une con
fiance sans limites.
Alexis poursuivit envers son ami sor,j
œuvre de consolation et de salut. A foi cj
de démarohes, il parvint à le faire admettrai
dans l'établissement de M. l'abbé Rou^sc-t h
Auteuil, où on refit toute son éducation rt<-
ligieuse aveo son instruction primaire., et
d'où il sortit un an plus? tard, établi soli le -
ment dans la foi et la charité de Jésua-
Christ par une première communion par
faite. L'estime et l'affection de ses maîtres,
son heureuse physionomie, sa spirituelle
gaieté, fui propurèrent une place avanta
geuse dans une maison chrétienne, qu'il n'a
pas quittée depuis et qu'il ne quittera que
pour le service militaire. — Sa piété s est
maintenue et virilisée aveo l'âge. Sa grati
tude pour tous ceux qui ont contribué à son
sauvetage témoigne de l'élévation de son
cœur. Il va sans dire que c'est la sainte
Vierge Marie* qui tient toujours la première
place dans son ftme régénérée. Ses rapports
aveo cette divine Mère sont touchants. —
C'est drôle, me disait-il un jour avec son air
et son accent toujours reconnaissables de
l'anoien gamin de>Paris, elle fait toutce que
je veux, la sainte Vierge. C'est pis qu'une
mère. Quand j'ai besoin d'un conseil, d'une
grâoe, je m'adresse à elle : elle m'écoute
toujours et ne me refuse jamais. Je n'ai
qu'à parler, et l'affaire, est faite».
Cette confidence naïve suffirait à prauver
la piété et la droiture de oet enfant préféré
de Marie, car celui-là seul obtient du Ciel
tou t oe qu'il demande, dont lés désirs et les
prières tendent à la. gloire de Dieu et aù
salut des âmes.
A. de S égur.
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