Titre : L'Univers
Éditeur : L'Univers (Paris)
Date d'édition : 1889-12-16
Contributeur : Veuillot, Louis (1813-1883). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, Pierre (1859-1907). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, François (1870-1952). Rédacteur
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 16 décembre 1889 16 décembre 1889
Description : 1889/12/16 (Numéro 8018). 1889/12/16 (Numéro 8018).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
imdi la Décembre 1889
N' 8018 — Edition quotidienne
Lundi 16 Décembre 1889
ÉDITION QUOTIDIENNE
fjn an. « »
Six moï?. .
Trois mois.
PARIS
■T DÉPjLBTEUENT»
. . 55 »
. . 23 50
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^■bonnement» partent des i« et (8 de chaque mol*
UN NUMÉRO { Départements! lo *
BUREAUX : Paris, 10, rue des Saints-Pères
On s'abonne à Rome, place du Gesiu 8
ÉDITION BEM I -QPO XIPlEKWa
PARIS ÉTRANGER :
tl BÊPARIElffiNT* (DNIOM POSIALÏ)
Un an. . 30 * 36 a
Six mo.j. ... 16 » 19 i
Trois mois. . . 8 50 10 ».
Le* abonnements partent des 1" et 43 de chaque awi(
L'UNIVERS ne répond pas des manuscrits qui loi sont adressés
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et C la , 6, place de la Bourse
MlMMWanIMIliuiMI I mil l'IlMIUlWtir '
FRANCE
PARIS, 15 DECEMBRE 1S89
Le ministère est-il consolidé par la
victoire de M. Constans hier ? On le
dit, et on salue des ministres mainte
nant certains de gagner l'année pro
chaine. Il est vrai que cela ne les mè
nerait pas bien loin, puisque, consti-
tuellementj les deux Chambres doi
vent revenir le 14 janvier.
Du reste,
A vaincre sans pêriil, on triomphe sans gloire,
et M. Constans n'a jamais couru le
moindre péril à l'occasion des fonds
secrets. Il le savait d'avance, et c'est
peut-être pour cela qu'il a si carré
ment posé, dès le début de la discus
sion, la question de confiance. Les at
taques n'ont pas été bien vives ; deux
amendements de MM. le comte de
Lanjuinais et de Ramel ont été écar
tés. Au vote d'ensemble, la loi a été
votée par 288 voix contre 181, avec
6-1 abstentions. Les républicains qui,
fidèles aux principes, n'ont pas voulu
voter les fonds secrets, sont peu nom
breux.
À la fin de la séance, on a invalidé
M. Goussot, député boulangiste de la
première circonscription de Saint-
Denis, qui s'est fort bien défendu,
mais le siège de la majorité était lait.
M. Goussot a déjà adressé aux élec
teurs un appel qu'on trouvera plus
loin.
On annonce pour le 21 le départ
des deux Chambres ; les députés ne
termineraient même pas l'examen des
élections qui restent à valider ; ils en
renverraient un certain nombre au
mois de janvier, ce qui est peu respec
tueux du suffrage universel, et vote
raient seulement quelques lois ur
gentes.
Nous comprenons que M. Constans,
qui a maintenant ses fonds secrets,
soit pressé de voir partir députés
et sénateurs.
Après bien des hésitations, M. Rou-
vier s'est décidé à déposer sa demande
de crédit pour le monopole des allu
mettes; il faudra que les Chambres
tranchent cette question avant leur
départ, et cela pourra ne pas aller tout
seul. M? Rouvier n'a pas, comme M.
Constans, l'oreille d'une majorité re
connaissante.
Nous avons publié hier la dépêche
indignée du Times, auquel font écho
la plupart des journaux anglais, sur
les usurpations du major portugais
Serpa Pinto, qui se serait de mar
cher dans les plates-bandes anglaises.
Ce matin, le Siècle , dans une note que
nous reproduisons plus loin, donne
de l'action du major portugais, une
interprétation toute différente et plus
vraie. C'est l'Angleterre qui avait en
vahi les plates-bandes portugaises, et
le major Serpa Pinto s'est borné à
faire respecter les droits de son pays.
Cela indigne les journaux anglais,
qui, suivant une vieille tradition de
leur pays, spéculaient sur la faiblesse
du Portugal. Se défendre contre le
léopard anglais, quand on est faible,
comprend-on cette audace?
Les fonds secrets ont été_voté3 rapi
dement et sans diminution. La dé
monstration de l'extrême gauche, la
fameuse déclaration qui chaque année
était portée solennellement à la tri
bune, s'est réduite à une protestation
d'un inconnu, M. Couturier. Le minis
tre de l'intérieur s'est hâté de poser
la question [de confiance. De ce ton
éternellement tranquille et goguenard
qui fait les délices de la majorité, M.
Constans a exposé des. arguments dé
risoires : — les fonds secrets ne servent
pas à subventionner la presse roya
liste ou boulangiste ; non plus la pres
se républicaine à grand tirage ; quant
aux petits journaux qui vivotent pé
niblement, les subventionner serait
de la naïveté.—Voilà le raisonnement.
La gauche, qui sait ce qu'il vaut, a
fait semblant de le trouver péremp-
toire. De même pour les frais électo
raux, des candidats ministériels :
comment avec les pauvres 1,600,000
francs qu'on lui donne et que parfois
on lui fait attendre, le ministre pour
rait-il contribuer sérieusement à des
dépenses qui, sur chaque circonscrip
tion, varient de 6,000 à 15,000 francs ?
Alors, on ne sait plus à qui ou bien
à quoi peuvent servir les fonds secrets.
Il n'y a plus personne de subven
tionné. M. Constans a dit sans broncher
que la surveillance des menées bou-
langistes absorbe les 1,600,000 fr. La
majorité s'est déclarée satisfaite et
même enchantée : on la voyait em
pressée à prendre à son compte tou
tes les plaisanteries du ministre ; elle
criait : — Donne moi vite les raisons
absurdes que je connais comme telles
et que je suis prête à trouver excellen
tes 1 — M. Ernest Roche, boulangiste,
soutenu par M. Chiché, a rappelé les
anéiennes doctrines 'de l'extrême-gau
che, celles qui flétrissaient les dépen
ses secrètes comme immorales. Un
M. Gacon a lu quelques feuillet? pour
féliciter le ministère d'avoir sauvé la
république. Avec ce refrain on met la
majorité en délire. A l'avenir, chaque
fois qu'il faudra enlever un vote, ce
n'est plus du 16 Mai qu'on parlera :
c'est du boulangisme. M. de Lanjuinais
a demandé en vain la suppression des
dépenses pour des agents politiques.
M. Cornuaet a déposé pour la retirer
tout de suite une proposition tendant
à faire contrôler la gestion par le mi
nistère entier. M. de Ramel a réclamé
une commission de contrôle comme
celle qui existait en 1848. On n'a rien
accepté de ce qui était contraire aux
désirs de M. Constans ; on lui a donné
tout ce qu'il voulait. Il est le maître.
M. Letellier a demandé que des piè
ces contenues dans son dossier électo
ral et qui concernent des faits qui
donnent lieu à des poursuites judi
ciaires soient communiquées au pro
cureur d'Alger. Pas d'observations.
M. Goussot, boulangiste, élu dans
la première circonscription de Saint-
Denis, a défendu son élection. Il a
montré de la vigueur et du talent. On
lui reprochait d'avoir payé à boire et
provoqué des violences. Le rappor
teur, M. Delmas, a raconté avec un
luxe inouï de détails, les incidents de
la lutte ; il a eu l'inconscience de don
ner lecture d'un rapport rédigé par le
commissaire de police et dans lequel
M. Goussot est représenté avec un
cortège d'escarpes et de souteneurs
« hommes en blouse ». Ce dernier mot
a fait se tourner les regards vers
le citoyen Thivrier, qui ne suppor
terait pas longtemps, sans doute,
qu'on le qualifiât ainsi à cause de sa,
blouse. Le fait insolite de l'interven
tion d'un commissaire dans une véri
fication de pouvoirs a été stigmatisé
comme il convenait. M. Le Provost de
Launay a protesté avec une éloquente
indignation ; il a fait plus ; il a donné
une leçon qui rendra sans doute la
majorité plus réservée dans ses pro
cédés ; il a rappelé qu'un ministre a
été l'objet d'accusations terribles, sur
la foi d'agents de police et il a conclu
que l'imprudence est grande à invo
quer de pareils témoignages. M. Rou
vier a paru fort ému de l'évocation
de ce souvenir. On a voté l'invali
dation de M. Goussot; parce que, pour
le moment,c'est la police qui gouver
ne. Charger les préfets de choisir les
candidats, ce n'était pas assez, paraît-
il ; il fallait que les commissaires fus
sent investis de la mission de corri
ger le scrutin ! M, Goussot a carré
ment réclamé lui-même l'invalidation
en annonçant son prochain retour,
pour lequel il a en effet des chances.
Eugène Tavernier.
Persécution religieuse
Certaines municipalités suivent
l'exemple du gouvernement. Elles
entrent dans la voie de la persécution
pécuniaire.
Comme le conseil municipal de
Mende, celui d'AIbi vient de suppri
mer le traitement de 500 francs qu'il
faisait annuellement à chacun des
vicaires des paroisses de la ville.
La suppression du traitement mu
nicipal, ce serait la suppression des
vicaires eux-mêmes, qui ne reçoivent
rien de l'Etat, et la suppression en
grande partie du culte et du ministère
iiaroissial. A Albi comme à Mende,
es fabriques n'ont pas les ressources
suffisantes pour subvenir à l'alloca
tion des vicaires. Là aussi, il faudra
recourir à la charité des fidèles.
Les charges des catholiques aug
mentent partout d'année en année.
Avec leurs écoîes et le culte, ils vont
avoir encore à payeç leurs prêtres in
justement privés par l'Etat ou les vil
les des moyens de subsistance. C'est
une situation intolérable que leur crée
la république. Et l'on parle d'apaise
ment et de conciliation ! Nous voyons,
au contraire, la guerre religieuseVag-
graver de toutes manières.Que sera-ce
avec la loi militaire qui va décimer le
clergé, déconsidérer le prêtre, trou
bler et désorganiser le culte ?
Bordeaux possède un adjoint du
nom de Cousteau, qui vient de se si
gnaler par un scandale d'un genre
particulier. Il faut savoir qu'une dame
veuve Pommerais, par une disposition
qui donne la mesure de ses facultés
mentales, a fait construire dans le ci
metière dit de la Chartreuse un mo
nument funéraire destiné à recevoir
les libre penseurs « morts dans leur
foi ». La foi de libre-penseurs, voilà
qui est étrange ! mais passons.
Le monument achevé, on voulut en
faire l'inauguration solennelle et M.
l'adjoint Cousteau y parut en écharpe.
Or, ledit adjoint s'est avisé dans son
discours, de placer cette phrase :
C'est revêtu de l'écharpe communale, da
l'écharpe aux trois couleurs,dont l'avenir ne
conservera plus qu'une seule, la pourpre
nationale, que j'ai tenu à venir au milieu
de vous 1
Comme bien on pense, un pareil
propos fît rumeur, et au conseil muni
cipal même, il en fut question. Voici
le compte-rendu que le journal Bor-
fifeaw# publie de l'incident :
M. Gaden demande & l'administration
d'exprimer son avis sur les paroles de M.
Cousteau. Un adjoint au maire peut-il
ceindre l'écharpe des cérémonies officielles
et exprimer publiquement l'espoir qua,
bientôt, viendra le règne du drapeau rouge?
L'administration tout entière manifeste
sa désappprobation. Alors, M. Cousteau se
tâche tout rouge. Il demande qu'on lui vote
un blâme. Ce vote lui est refusé.
« Mais, s'écrie-t-il, je veux ce vote ; si
je suis indigne de porter mon écharpe,
qu'on me l'arrache; osez donc me l'arra
cher I »
La situation devient difficile. L'adminis-
traion veut bien montrer son mécontente
ment, mais elle ne veut pas l'affirmer par
un vote. Elle ne veut pas arracher l'écharpe
à M. Cousteau, c'est lui donner la couronne
du martyre, le droit de dire partout : « Vous
voyez, j'ai sacrifié mes rêves de gloire à
mes .convictions : adjoint au service du ba-
laiement, j'ai poussé le zèle jusqu'à me faire
balayer moi-môme, et tout cela pour la li
bre-pensée. »
M. Cousteau, vivement combattu par la
fraction opportuniste du conseil, faiblement
défendu par la fraction radicale, est réduit
à se défendre lui-même. Il crie, on crie plus
fort que lui ; M. Darriet a beau déclarer
l'incident clos, ou n'en continue pas moins.
Cependant, les esprits se calment peu &
peu, et, sur l'invitation de M. Jouffre, on
aborde l'ordre du jour.
L'ir.cident est clos. On ne sait quel sera
la décision de M. Cousteau ; l'avis général
est qu'il ne démissionnera pas.
Il est certain que l'incident appelle
autre chose qu'une protestation plato
nique comme celle qui a paru suffi
sante au conseil municipal da Bor
deaux. On remarquera, d'ailleurs, que
ledit conseil s'en tient, dans ses pro
testations^ blâmer la phrase en l'hon
neur du drapeau rouge. Certes, nous
ne la défendons pas, mais ce qui
est autrement grave et scandaleux,
c'est que l'adjoint, qui ne remplissait
à l'inauguration du monument funé
raire aucune délégation officielle,
ait déployé l'écharpe municipale
comme pour donner un caractère
officiel à ses paroles. Or, il s'agis
sait, dans l'espèce, de faire hon
neur à la libre-pensée, ce qui cons
tituait un outrage officiel à tous
les catholiques. C'est là un grief au
moins aussi grave que l'apothéose de
la loque rouge et, dans les représenta
tions faites à l'adjoint Cousteau, il
semble que cet outrage n'eût point
dû passer inaperçu.
Auguste Roussel.
tre les empiétements continuels de l'Angle
terre sur les plates-bandes d'autrui.
Le cardinal Ganglbauer
Voici la note du Siècle à laquelle il
est fait allusion plus haut :
Lorsqu'il y a un mois nous avons an
noncé que le Portugal se réveillait et allait
faire valoir énergiquement ses droits sur lo
Zimbèze et le Nyassa, les journaux anglais
n'ont pas caché leur pitié pour d'aussi auda
cieuses prétentions. Le Portugal résister à
l'Angleterre, la lutte du pot de terre contre
le pot de fer !
Tous ces décrets du cabinet de Lisbonne
affirmant la souveraineté portugaise sur les
territoires concédés par charte royale à une
compagnie anglaise devaient rester lettre
mdrte ; le Portugal n'essayerait môaie pas
de les appliquer, la crainte de l'Angleterre
étant le commencement de la sagesse.
Or, nous apprenons aujourd'hui, par le
Times lui même, que le major Serpa-Pinto,
commandant les forces portugaises à Mo
zambique, a fait reconnaître le protectorat
portugais dans toute la région du Nyassa,
et n'a pas hésité à enlever quelques dra
peaux anglais qu'il a trouvés hissés sur les
cases de certains chefs indigènes.
^ L'histoire de ces drapeaux vaut la peine
d'être racontée. Il y a quelques mois, M.
Johnston, consul anglais à Mozambique,
partait pour rejoindre son poste. Sur sa
route, il s'arrêta à Lisbonne, vit le ministre
des affaires étrangères, et en faisant montre
de sentiments sympathiques au Portugal, il
obtint de hautes recommandations pour les
autorités portugaises de Mozambique.
Arrivé en Afrique, ces recommandations
lui valurent de pouvoir pénétrer tranquil
lement dans les régions du Nyassa; là,
trompant ses amis portugais, il se mit à
distribuer, au nom de la reine, des dra
peaux britanniques, et & planter sur les
cases des pavillons apportés au lond de ses
bagages. Puis il écrivit & lord Salisbury
que tous les indigènes du Nyassa deman
daient le protectorat anglais !
L'action de Serpa-Pinto met fin & cette
comédie. Nous en félicitons le Portugal :
il a donné là un excellent exemple, et nous
espérons que d'autres sauront le suivre, le
cas échéant, pour faire respecter les sph.è
re3 d'influeice de chacun et ne pas permet-
L'Eglise d'Autriche et le siège le
plus important de l'épiscopat de la
monarchie autrichienne, viennent de
faire une perte sensible.
S. Em. le cardinal Célestin (Gangl
bauer, prince archevêque de Vienne,
a succombé à la maladie dont il était
atteint depuis une quinzaine de jours.
Né en 1817, le 20 août, à Thans-
tetten,dans le diocèse de Linz, il était
entré, de bonne heure, dans le collège
d'une des nombreuses abbayes béné
dictines de l'Autricheallemande.Après
avoir terminé ses études théologiques,
il fut à l'abbaye bénédictine de Krems-
Munster, où ses frères le choirent pour
abbé en 1876.
Le 4 août 1881, le Pape XIII, heu
reusement régnant, le préconisa ar
chevêque de Vienne.. Sur ce siège,
comme dans son abbaye, le nouvel
archevêque montra de grandes quali
tés d'administrateur, mais surtout une
grande activité et un tact exquis.
Dans le consistoire du 10 novem
bre 1884, le Souverain Pontife, vou
lant reconnaître ses talents, sa scien
ce et ses servicès, l'appela dans le
Sacré-Collège, où îF'occupait, dans
l'ordre des cardinaux-prêtres le 25*
rang par ordre de proclamation, avec
le titre cardinalice de saint Eusèbe à
l'Esquilin. Il faisait partie de la Sa
crée-Congrégation des évêques et ré
guliers, et de celles des Rites du céré
monial et des études.
Durant son épiscopat relativement
court de neuf années, le cardinal
Ganglbauer, a administré son diocèse
avec un soin paternel ; il a stimulé la
vie religieuse, introduit diverses ré?
formes utiles, coupé court à certains
abus, qui s'étaient introduits dans
quelques églises au point de vue du
chant et des solennités religieuses. 11
lui a été également donné de voir
augmenter d'une façon édifiante le
nombre des maisons religieuses et des
congrégations existantes. Au prin
temps dernier, il prenait une part très
active au congrès catholique de
Vienne, à la réussite duquel il n'a pas
peu contribué. Après le congrès, Son
Eminence s'était retirée à la maison
de campagne archiépiscopale deSankt
Veit, derrière le parc de Schoen-
brunn, où elle fut frappée une pre
mière fois d'une attaque d'apoplexie.
Le prélat s'en remit bientôt, mais
le mal devait revenir. Après avoir
présidé, il y a quelques semaines
encore, une réunion générale de
l'épiscopat autrichien, l'ancien mal
reprit avec une intensité qui de
vait amener le dénouement fatal. Du
rant sa maladie le prélat a reçu de
l'empereur, des princes et princesses
de la maison archiducale et de tout
son diocèse, les marques les plus tou
chantes d'un attachement vraiment
filial.
Ses travaux de bénédictin consacrés
pendant tant d'années au bien de
l'Eglise, ses labeurs comme archevê
que de Vienne, sa modestie prover
biale et son zèle pour le triomphe et
l'exaltation de notre sainte mère
l'Eglise, sont pour la mémoire du car
dinal Ganglbauer autant de glorieux
titres qui lui survivront.
H. G. F ROMM.
Notes d'un observateur
LITTÉRATURE MALPROPRE
;i Nous avons beaucoup de lois en France.'
$ q crois bien que,si l'on étendait sur le sol
le papief officiel qui les enregistre, le ter
ritoire tout entier en serait couvert. ..C'est
admirable comme en notre pays on règle*
mente, arrête, décrète, édicté et promul
gué. Et la consommation est insatiable
puisque la fabrication ne chôme pas. i
Malgré cela, cependant, je ne vois pas
trop que cette activité légiférante endigua
l'abus ou le mal. Au contraire I De ce qui
se passe autour de nous, il appert que plus
on fait de lois, plus les abus se multiplient*
plus le mal empire. Serait-ce que ces lois
n'ont point le nerf nécessaire pour mater
le délinquant,et qu'à des infractions graves
elles n'opposent qu'une répression déri
soire ? Peut-être bien.
Voyez, par exemple, la législation qui
régit le commerce de la librairie. Elle édicté
des mesures contre la publication d'ouvra»
ges contraires à la morale publique, elle
entend nous protéger contre l'immoralité
imprimée, et jamais, à aucune époque, la
profusion du livre malpropre n'a atteint
l'intensité qu'elle a aujourd'hui! Cette belle
législation s'aperçoit-elle que ses justicia-
ples se moquent d'elle au point de se ser
vir de ses condamnations comme de la
meilleure réclame ? Sait-elle qu'en se prê
tant ainsi aux combinaisons de ces indus
triels, elle contribue pour une grosse part
au détraquement des mœurs contempo
raines ?
A Paris, l'étalage du livre est en quelque
sorte la jauge de « l'état d'âme » du plus
grand nombre, comme disait en son jargon
spécieux un moraliste de la nouvelle école.
Sur la couverture du volume frais éclos
éclate, je devrais dire fulgure le titre, car
le mercantilisme courant s'est emparé éga
lement de ce lucratif détail.. Le titre est
devenu quelque chose d'accrochant, une
synthèse dessinée de la matière écrite, ré
vélant par la figure ou la disposition gra
phique l'esprit, l'essence du sujet traité, le
tout très voyant, violemment coloré, d'as
pect ultra-fantaisiste, avec des extrava
gances habilement calculées pour arrêter
le regard et allumer l'acheteur. Un étalage
moderne offrant en vente les livres « à la
mode » ressemble ainsi bien plus à un
kaléidoscope forain qu'à une librairie pro
prement dite. Je reviendrai tout à l'heure
sur ces dessins de couverture.
A celui qui, ignorant des a progrès»
que la littérature française a faits depuis
quelques années, arrive & Paris et s'arrête
devant ces exhibitions de nouveautés ba
riolées, les titres apprennent tout de suite
où nous en sommes pour le moment. Ce
qui domine, triomphe, écrase le reste, c'est
l'élucubrationobscène. Avoir les innomy
brebles volumes qui, chacun pour s a. part, 1
annoncent un roman, une étude quelcon
que ou une poignée de nouvelles groupées,
célébrant à qui mieux mieux les faits et ges
tes de la corruption et de la bestialité hu
maines, on s'imagine un Paris dépassant
Sodome et Gomorrhe...
Hâtons-nous de dire qu'il serait excessif
de généraliser. Mais, cette réserve faite, la
vérité est que si le Paris de la noce a pré
sentement la réputation d'un mauvais lieu,
il ne l'a pas volée. Sous cette troisième ré
publique, la préconisation de la morale in
dépendante a poussé au saraigu le relâche
ment des mœurs, et il est indéniable qu'une
bonne partie de la population parisienne
est aujourd'hui embourbée dans le maté
rialisme et ses fangeuses jouissances. L'ef
froyable extension des affaires dites d'ar
gent et l'incessant raffinement de la vie
animale qui en est la conséquence natu
relle, ont déchaîné toutes sortes d'appétits
monstrueux de luxe et d'orgiaques plaisirs
dans le * monde où l'on s'amuse». Ce
monde d'oisifs est devenu une société de
libertinage mutuel. qu'agitent des désirs
et des fièvres innomables. Toutefois la
FEUILLETON DE L 'UNIVERS
du 16 décembre : 1889
AVENTURES
D'un Gentilhomme Poitevin (i)
M. Jean Grange, l'auteur des Aventures
d'un gentilhomme poitevin, que connaissent
bien les lecteurs de l'Univers, n'appartient
pas à l'école de l'art pour l'art. Quoiqu'il
raconte avec beaucoup de charme, il ne
daignerait pas raconter pour raconter. Ce
qu'il veut, c'est que de ses récits se déga
gent d'utiles et parfois très hautes leçons. Il
se garde bien de prêcher, il raconte, et les
leçons ressortent des événements. Parfois
une courte réflexion pleine d'humour, sans
couper le récit, vient graver la leçon plus
profondément dans l'esprit du lecteur char
mé. Ne demandez pas au spirituel conteur
ides péripéties multipliées, des coups de
théâtre amenés aux dépens de la vraisem
blance, de grands mouvements de passion:
il se tient dans une note plus simple, et ses
récits n'offrent pas moins d'intérêt, au
contraire, grâce au talent de l'écrivain.
Nous pourrions rappeler ici bien des vo
lumes auxquels-le public chrétien a fait un
accueil mérité; mais il nous suffit de celui
dont nous nous occupanset où l'on retrouve
toutes les qualités de M. Jean Grange.
(1) Paris, Haton..
Les Aventures d'un gentilhomme poitevin,
quoi de plus sobre que ce titre, et nôus
pouvons ajouter: quoi de plus sobre et de
plus intéressant que ce charmant récit ?
M. Baudin de la Baudinière a manqué son
instruction ; il en accuse son père, qui,
pour le faire mieux instruire, l'a mis dans
un des grands lycées de Paris, où élève
médiocrement doué et peu travailleur il
s'est perdu dans la queue d'une classe trop
nombreuse. Il y a bien quelques vérités
dans les plaintes du gentilhomme poitevin,
et dès ces premières pages, M. Jean Grange
signale une dec plaies de l'instruction uni
versitaire à Paris. Comment un professeur,
si zélé soit-il, et beaucoup ne le sont guère,
pourrait-il suivré sérieusement les travaux
de 50, 60 élèves? Il s'occupe des plus bril
lamment doués qui peuvent lui faire une
réclame, et il abandonne les autres & leur
paresse. Nous pouvons ici évoquer un sou
venir personnel. Pendant un an nous avons
suivi un cours de physique,sans que le pro
fesseur ait eu l'occasion de nous interroger
une seule fois. Et cependant c'était un sa
vant consciencieux, dont la place était mar
qué à l'Institut, où il est arrivé. Pouvait-il
faire mieux avec 150 élèves et deux classes
par semaine?
Donc, M. de la Baudinière a gardé de
justes préventions contre les classes trop
nombreuses; aU3si ,quand il lui faut faire ins
truire son unique héritier Simplice, veut-il
lui donner un professeur pour lui seul. C'est
tomber dans l'excès contraire, et l'enfant
ainsi instruit ne fait pas toujours merveille.
Cela réussit cependant pour Simplice ; qui
est bien doué et qui ne craint pas trop le
travail. Mais l'instruction n'est pas tout; il
y a l'éducation, la formation de l'homme et
do chrétien, et à ce point de vue, non
moins important que l'autre, le père n'a
pas eu la main heureuse.
N'ayant pu décrocher aucun diplôme, M.
de la Baudinière admire fort ceux qui en
ont, et il jaugerait volontiers les hommes
au nombre et à l'importance de leurs titres
universitaires ; il a donc pris dans l'univer
sité, pour lui confier son fils, un Dubois
fort diplômé, sans se demander si ce per
sonnage réunissait les conditions néces
saires. Hélas 1 c'était un adepte convaincu,
farouche de la « tolérance », entendue au
sens maçonnique.
Voici comment M. Jean Grange nous
présente le « professeur de Simplice » :
Pourquoi M. Durand, à la recherche d'une
thèse pour son doctorat ès lettres, avait-il choisi
la tolérance, un sujet plus philosophique que
littéraire? Il serait difficile de le dire. Une chose
est certaine : à partir de la soutenance de la
thèse qui lui valut les palmes du doctorat, la
tolérance devint, ch.z le professeur de l'Uni
versité, une doues manie. Le monde des idées
se partagea à ses yeux en deux hémisphères :
la libartê de penser et le principe de l'autorité
doctrinale. Il ne vit dans les hommes que des
libre-penseurs et des non libre-penseurs, des
tolérants et des intolérants, des philosophes et
des fanatiques.
Il va sans dira qu'il appelait intolérant et fa
natique tout ce qui était chrétien et surtout ca
tholique. La guerre des Albigeois, l'Inquisition,
la Saint-Barthélémy, la révocation de l'édit de
de ses méditations, de ses réflexions et de ses
déclamations. Non content d'étudier ces événe
ments dans, les pamphlets de l'époque, dans
les chroniqueurs partiaux et systématiques,
dans les historiens les plus éloignés des faits
et les plus suspects à cause de leur haine pour
la religion, il employait cette lunette grossis»
santé qu'on appelle une imagination surchauf
fée, et Dieu sait ce que la lunette lui montrait.
C'était de la meilleure foi du monde qu'il
rattachait aux croisades les difficultés, de la
question d'Orient,et ît l'émigration de quelques
ouvriers protestants sous Louis XIV les souf
frances actuelles de l'industrie et du commerce.
Quant au sang versé dans les persécutions, de
Néron à Dioctétien, c'était une bagatelle et une
quantité négligeable, eu comparaison de celui
qu'avait fait couler le seul inquisiteur Torque-
mada.
Sans s'en rendre compte, sans y penser,avec
une inconscience qui était presque une inno
cence, ce maniaque avait propagé ses idées
dans le collège où il professait. Il n'y avait pas
un texte grec, latin ou français qui ne lui ser
vit de prétexte et de matière à déclamation
contre l'intolérance et le fanatisme des catho
liques (on ne disait pas encore des cléricaux).
Quelques parents,avertis par leurs fils, se plai
gnirent au proviseur du lycée, qui adressa une
réprimande au délinquant. Parmi ces plaignants
se trouvait un monsieur qui avait, sou îrère
prêtre: il n'en fallut pas davantage pour que le
tolérant docteur se crût et se dît victime de
l'intolérance sacerdotale.
Tel était Je galant homme auquel M. Louis
Baudin de la Baudinière confiait son fils uni
que. Lui qui n'aurait pas pris un cuisinier, un
cocher, un berger sans certificat, acceptait, les
yeux fermés, un précepteur ; après cela, il se
peut que je me trompe et que le gentilhomme
poitevin regardât comme un certificat, et un
certificat excellent,, les diplômes de docteur
ès lettros et docteur ès sciences. C'est une bé
vue que de plus fins que lui ont commise et
commettent encore tous les jours.
Simplice était en bonnes mains, et son
éducation fut ce qu'elle devait être, d'au
tant que son .père, fort indifférent, sinon
hostile en matière religieuse, n'avait ni la
volonté ni la capacité nécessaire pour in
tervenir. Il conquit son premier diplôme
avec d'autant plus de facilité qu'il avait été
élevé dans les doctrines courantes, mais il
était le digne élève de son « tolérant » pro
fesseur.
Mais que ferait-on du brillant diplômé, si
bien élevé dans les doctrines de la « tolé
rance » maçonnique ? M. de le Baudinière,
et nous ne l'en blâmerons pas, répugne aux
carrières gouvernementales, dont, grâce à
sa fortune, il peut dispenser son fils. Il ne
veut pas qu'il soit, comme son père, un sim
ple gentilhomme campagnard; à quoi lui
servirait son diplôme et l'instruction que lui
a si libéralement donnée l'illustre docteur
Dubois?
Après réflexions, le père et le professeur
décident que Simplice sera un « homme
politique » ; il débutera par le conseil gé
néral,pour arriver à la Chambre et devenir
ministre. Tant d'autres l'ont été et le sont
qui ne le valent pas I Seulement, le futur
homme politique est encore trop jeune pour
poser une candidature. Que faire en atten
dant ? Pour se former, il parcourra la
France et les pays étrangers, ayant pour
mentor son professeur Dubois.
Certainement celui-ci, en proposant ce
plan, ne se doutait pas des rudes coups
qu'il allait porter à son œuvre ; il ne prévo
yait que Simplice,qui avait conservé du bon
sens et de la droiture malgré la plus fausse
des éducations, pourrait s'éclairer en voyant
à l'œuvre la tolérance maçonnique. C'est
en effet ce qui arriva, non pas du premier
coup, les leçons du précepteur étaient trop
profondément enracinées, mais peu à peu ;
et M. Jean Grange nous raconte, avec une
verve pleine d'humour, comment la vérité
se montre peu à peu au jeune voyageur.
Un des principaux incidents de cette
conversion, — car c'en est une, — se passe
à Lyon. Sa hante sagesse n'empêche pas
le professeur Dubois de nourrir certains
péchés mignons, parmi lesquels figure la
gourmandise. De trop bons repas lui ont
donné une légère attaque de goutte, qui
l'oblige à suivre un régime. Mais à son ar
rivée à Lyon, il est invité à un banquet
maçonnique donné en son honneur. La va
nité et la gourmandise s'unissent pour-lui
faire accepter une invitation dangereuse,
malgré les observations de Simplice, un
peu étonné de cette faiblesse :
Simplice, étant survenu au moment où son
gouverneur s'habillait, lui demanda où il vou
lait ailer.
— Où ie devoir m'appelle, fat il répondu, à
la leg a la.Sublime sagesse. Les frères me de
mandent de. leur rompre 1? pain de la parole ; je
ne puis .leur refuser cet office.
— Ja crains, dit Simplice, que vous ne com
mettiez une imprudence. Il y aura un banquet
& la fin de la réunion, et vous savez, par expé
rience, qu'il sufût, certaines circonstances, de
santé étant données, du plus léger excès pour
voua donner un accès de goutte,
—• Soyez tranquille, je serai sobre, très so
bre. C'eBt pour m'édifier et édifier mes frères,
et non pour ingurgiter des viandes et des vins,
que je m» rends à la réunion maçonnique.
Le docteur était gourmand et gourmet ; il vi
vait de privations depuis trois jours ; le dîaer
était exquis : que celui qui n'eût pas cédé à la
tentation lui jette la première pierre! Nous nous
sentons d'autant moins le courage de le blâmer
qu'il tut puni très sévèrement (et très utilement
t our Sunpiice) de son péché. Le malheureux fut
rapporté à l'hôtel par ses frères, qui suaient et
ployaient sous le fardeau. a une longue et pé
nible iadigestion succéda un accès de goutta
terrible.
Soigner cette goulte dans un hôtel était
difficile, quelque dévouement que pût y
apporter Simplice. Le gouverneur le com
prit, et il se fit transporter, non dans un
établissement laïque, mais chez les frères
de Saint-Jean de Dieu, au grand éfonne-
ment de son élève.
— Il existe à Lyon un hospice tenu par les frè
res de Saint-Jean de Dieu, je désire y être trans
porté et soigné tant que durera ma maladie.
Simplice crut avoir .mal compris.
— Vous dites, cher maître, de voua conduire .
à l'hôpital tenu par les frères de Saint-Jean de
Dieu.
N' 8018 — Edition quotidienne
Lundi 16 Décembre 1889
ÉDITION QUOTIDIENNE
fjn an. « »
Six moï?. .
Trois mois.
PARIS
■T DÉPjLBTEUENT»
. . 55 »
. . 23 50
, 15 »
ÉTRAK5ER
{dnios POSTAis)
66 •
34 a
19 »
^■bonnement» partent des i« et (8 de chaque mol*
UN NUMÉRO { Départements! lo *
BUREAUX : Paris, 10, rue des Saints-Pères
On s'abonne à Rome, place du Gesiu 8
ÉDITION BEM I -QPO XIPlEKWa
PARIS ÉTRANGER :
tl BÊPARIElffiNT* (DNIOM POSIALÏ)
Un an. . 30 * 36 a
Six mo.j. ... 16 » 19 i
Trois mois. . . 8 50 10 ».
Le* abonnements partent des 1" et 43 de chaque awi(
L'UNIVERS ne répond pas des manuscrits qui loi sont adressés
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et C la , 6, place de la Bourse
MlMMWanIMIliuiMI I mil l'IlMIUlWtir '
FRANCE
PARIS, 15 DECEMBRE 1S89
Le ministère est-il consolidé par la
victoire de M. Constans hier ? On le
dit, et on salue des ministres mainte
nant certains de gagner l'année pro
chaine. Il est vrai que cela ne les mè
nerait pas bien loin, puisque, consti-
tuellementj les deux Chambres doi
vent revenir le 14 janvier.
Du reste,
A vaincre sans pêriil, on triomphe sans gloire,
et M. Constans n'a jamais couru le
moindre péril à l'occasion des fonds
secrets. Il le savait d'avance, et c'est
peut-être pour cela qu'il a si carré
ment posé, dès le début de la discus
sion, la question de confiance. Les at
taques n'ont pas été bien vives ; deux
amendements de MM. le comte de
Lanjuinais et de Ramel ont été écar
tés. Au vote d'ensemble, la loi a été
votée par 288 voix contre 181, avec
6-1 abstentions. Les républicains qui,
fidèles aux principes, n'ont pas voulu
voter les fonds secrets, sont peu nom
breux.
À la fin de la séance, on a invalidé
M. Goussot, député boulangiste de la
première circonscription de Saint-
Denis, qui s'est fort bien défendu,
mais le siège de la majorité était lait.
M. Goussot a déjà adressé aux élec
teurs un appel qu'on trouvera plus
loin.
On annonce pour le 21 le départ
des deux Chambres ; les députés ne
termineraient même pas l'examen des
élections qui restent à valider ; ils en
renverraient un certain nombre au
mois de janvier, ce qui est peu respec
tueux du suffrage universel, et vote
raient seulement quelques lois ur
gentes.
Nous comprenons que M. Constans,
qui a maintenant ses fonds secrets,
soit pressé de voir partir députés
et sénateurs.
Après bien des hésitations, M. Rou-
vier s'est décidé à déposer sa demande
de crédit pour le monopole des allu
mettes; il faudra que les Chambres
tranchent cette question avant leur
départ, et cela pourra ne pas aller tout
seul. M? Rouvier n'a pas, comme M.
Constans, l'oreille d'une majorité re
connaissante.
Nous avons publié hier la dépêche
indignée du Times, auquel font écho
la plupart des journaux anglais, sur
les usurpations du major portugais
Serpa Pinto, qui se serait de mar
cher dans les plates-bandes anglaises.
Ce matin, le Siècle , dans une note que
nous reproduisons plus loin, donne
de l'action du major portugais, une
interprétation toute différente et plus
vraie. C'est l'Angleterre qui avait en
vahi les plates-bandes portugaises, et
le major Serpa Pinto s'est borné à
faire respecter les droits de son pays.
Cela indigne les journaux anglais,
qui, suivant une vieille tradition de
leur pays, spéculaient sur la faiblesse
du Portugal. Se défendre contre le
léopard anglais, quand on est faible,
comprend-on cette audace?
Les fonds secrets ont été_voté3 rapi
dement et sans diminution. La dé
monstration de l'extrême gauche, la
fameuse déclaration qui chaque année
était portée solennellement à la tri
bune, s'est réduite à une protestation
d'un inconnu, M. Couturier. Le minis
tre de l'intérieur s'est hâté de poser
la question [de confiance. De ce ton
éternellement tranquille et goguenard
qui fait les délices de la majorité, M.
Constans a exposé des. arguments dé
risoires : — les fonds secrets ne servent
pas à subventionner la presse roya
liste ou boulangiste ; non plus la pres
se républicaine à grand tirage ; quant
aux petits journaux qui vivotent pé
niblement, les subventionner serait
de la naïveté.—Voilà le raisonnement.
La gauche, qui sait ce qu'il vaut, a
fait semblant de le trouver péremp-
toire. De même pour les frais électo
raux, des candidats ministériels :
comment avec les pauvres 1,600,000
francs qu'on lui donne et que parfois
on lui fait attendre, le ministre pour
rait-il contribuer sérieusement à des
dépenses qui, sur chaque circonscrip
tion, varient de 6,000 à 15,000 francs ?
Alors, on ne sait plus à qui ou bien
à quoi peuvent servir les fonds secrets.
Il n'y a plus personne de subven
tionné. M. Constans a dit sans broncher
que la surveillance des menées bou-
langistes absorbe les 1,600,000 fr. La
majorité s'est déclarée satisfaite et
même enchantée : on la voyait em
pressée à prendre à son compte tou
tes les plaisanteries du ministre ; elle
criait : — Donne moi vite les raisons
absurdes que je connais comme telles
et que je suis prête à trouver excellen
tes 1 — M. Ernest Roche, boulangiste,
soutenu par M. Chiché, a rappelé les
anéiennes doctrines 'de l'extrême-gau
che, celles qui flétrissaient les dépen
ses secrètes comme immorales. Un
M. Gacon a lu quelques feuillet? pour
féliciter le ministère d'avoir sauvé la
république. Avec ce refrain on met la
majorité en délire. A l'avenir, chaque
fois qu'il faudra enlever un vote, ce
n'est plus du 16 Mai qu'on parlera :
c'est du boulangisme. M. de Lanjuinais
a demandé en vain la suppression des
dépenses pour des agents politiques.
M. Cornuaet a déposé pour la retirer
tout de suite une proposition tendant
à faire contrôler la gestion par le mi
nistère entier. M. de Ramel a réclamé
une commission de contrôle comme
celle qui existait en 1848. On n'a rien
accepté de ce qui était contraire aux
désirs de M. Constans ; on lui a donné
tout ce qu'il voulait. Il est le maître.
M. Letellier a demandé que des piè
ces contenues dans son dossier électo
ral et qui concernent des faits qui
donnent lieu à des poursuites judi
ciaires soient communiquées au pro
cureur d'Alger. Pas d'observations.
M. Goussot, boulangiste, élu dans
la première circonscription de Saint-
Denis, a défendu son élection. Il a
montré de la vigueur et du talent. On
lui reprochait d'avoir payé à boire et
provoqué des violences. Le rappor
teur, M. Delmas, a raconté avec un
luxe inouï de détails, les incidents de
la lutte ; il a eu l'inconscience de don
ner lecture d'un rapport rédigé par le
commissaire de police et dans lequel
M. Goussot est représenté avec un
cortège d'escarpes et de souteneurs
« hommes en blouse ». Ce dernier mot
a fait se tourner les regards vers
le citoyen Thivrier, qui ne suppor
terait pas longtemps, sans doute,
qu'on le qualifiât ainsi à cause de sa,
blouse. Le fait insolite de l'interven
tion d'un commissaire dans une véri
fication de pouvoirs a été stigmatisé
comme il convenait. M. Le Provost de
Launay a protesté avec une éloquente
indignation ; il a fait plus ; il a donné
une leçon qui rendra sans doute la
majorité plus réservée dans ses pro
cédés ; il a rappelé qu'un ministre a
été l'objet d'accusations terribles, sur
la foi d'agents de police et il a conclu
que l'imprudence est grande à invo
quer de pareils témoignages. M. Rou
vier a paru fort ému de l'évocation
de ce souvenir. On a voté l'invali
dation de M. Goussot; parce que, pour
le moment,c'est la police qui gouver
ne. Charger les préfets de choisir les
candidats, ce n'était pas assez, paraît-
il ; il fallait que les commissaires fus
sent investis de la mission de corri
ger le scrutin ! M, Goussot a carré
ment réclamé lui-même l'invalidation
en annonçant son prochain retour,
pour lequel il a en effet des chances.
Eugène Tavernier.
Persécution religieuse
Certaines municipalités suivent
l'exemple du gouvernement. Elles
entrent dans la voie de la persécution
pécuniaire.
Comme le conseil municipal de
Mende, celui d'AIbi vient de suppri
mer le traitement de 500 francs qu'il
faisait annuellement à chacun des
vicaires des paroisses de la ville.
La suppression du traitement mu
nicipal, ce serait la suppression des
vicaires eux-mêmes, qui ne reçoivent
rien de l'Etat, et la suppression en
grande partie du culte et du ministère
iiaroissial. A Albi comme à Mende,
es fabriques n'ont pas les ressources
suffisantes pour subvenir à l'alloca
tion des vicaires. Là aussi, il faudra
recourir à la charité des fidèles.
Les charges des catholiques aug
mentent partout d'année en année.
Avec leurs écoîes et le culte, ils vont
avoir encore à payeç leurs prêtres in
justement privés par l'Etat ou les vil
les des moyens de subsistance. C'est
une situation intolérable que leur crée
la république. Et l'on parle d'apaise
ment et de conciliation ! Nous voyons,
au contraire, la guerre religieuseVag-
graver de toutes manières.Que sera-ce
avec la loi militaire qui va décimer le
clergé, déconsidérer le prêtre, trou
bler et désorganiser le culte ?
Bordeaux possède un adjoint du
nom de Cousteau, qui vient de se si
gnaler par un scandale d'un genre
particulier. Il faut savoir qu'une dame
veuve Pommerais, par une disposition
qui donne la mesure de ses facultés
mentales, a fait construire dans le ci
metière dit de la Chartreuse un mo
nument funéraire destiné à recevoir
les libre penseurs « morts dans leur
foi ». La foi de libre-penseurs, voilà
qui est étrange ! mais passons.
Le monument achevé, on voulut en
faire l'inauguration solennelle et M.
l'adjoint Cousteau y parut en écharpe.
Or, ledit adjoint s'est avisé dans son
discours, de placer cette phrase :
C'est revêtu de l'écharpe communale, da
l'écharpe aux trois couleurs,dont l'avenir ne
conservera plus qu'une seule, la pourpre
nationale, que j'ai tenu à venir au milieu
de vous 1
Comme bien on pense, un pareil
propos fît rumeur, et au conseil muni
cipal même, il en fut question. Voici
le compte-rendu que le journal Bor-
fifeaw# publie de l'incident :
M. Gaden demande & l'administration
d'exprimer son avis sur les paroles de M.
Cousteau. Un adjoint au maire peut-il
ceindre l'écharpe des cérémonies officielles
et exprimer publiquement l'espoir qua,
bientôt, viendra le règne du drapeau rouge?
L'administration tout entière manifeste
sa désappprobation. Alors, M. Cousteau se
tâche tout rouge. Il demande qu'on lui vote
un blâme. Ce vote lui est refusé.
« Mais, s'écrie-t-il, je veux ce vote ; si
je suis indigne de porter mon écharpe,
qu'on me l'arrache; osez donc me l'arra
cher I »
La situation devient difficile. L'adminis-
traion veut bien montrer son mécontente
ment, mais elle ne veut pas l'affirmer par
un vote. Elle ne veut pas arracher l'écharpe
à M. Cousteau, c'est lui donner la couronne
du martyre, le droit de dire partout : « Vous
voyez, j'ai sacrifié mes rêves de gloire à
mes .convictions : adjoint au service du ba-
laiement, j'ai poussé le zèle jusqu'à me faire
balayer moi-môme, et tout cela pour la li
bre-pensée. »
M. Cousteau, vivement combattu par la
fraction opportuniste du conseil, faiblement
défendu par la fraction radicale, est réduit
à se défendre lui-même. Il crie, on crie plus
fort que lui ; M. Darriet a beau déclarer
l'incident clos, ou n'en continue pas moins.
Cependant, les esprits se calment peu &
peu, et, sur l'invitation de M. Jouffre, on
aborde l'ordre du jour.
L'ir.cident est clos. On ne sait quel sera
la décision de M. Cousteau ; l'avis général
est qu'il ne démissionnera pas.
Il est certain que l'incident appelle
autre chose qu'une protestation plato
nique comme celle qui a paru suffi
sante au conseil municipal da Bor
deaux. On remarquera, d'ailleurs, que
ledit conseil s'en tient, dans ses pro
testations^ blâmer la phrase en l'hon
neur du drapeau rouge. Certes, nous
ne la défendons pas, mais ce qui
est autrement grave et scandaleux,
c'est que l'adjoint, qui ne remplissait
à l'inauguration du monument funé
raire aucune délégation officielle,
ait déployé l'écharpe municipale
comme pour donner un caractère
officiel à ses paroles. Or, il s'agis
sait, dans l'espèce, de faire hon
neur à la libre-pensée, ce qui cons
tituait un outrage officiel à tous
les catholiques. C'est là un grief au
moins aussi grave que l'apothéose de
la loque rouge et, dans les représenta
tions faites à l'adjoint Cousteau, il
semble que cet outrage n'eût point
dû passer inaperçu.
Auguste Roussel.
tre les empiétements continuels de l'Angle
terre sur les plates-bandes d'autrui.
Le cardinal Ganglbauer
Voici la note du Siècle à laquelle il
est fait allusion plus haut :
Lorsqu'il y a un mois nous avons an
noncé que le Portugal se réveillait et allait
faire valoir énergiquement ses droits sur lo
Zimbèze et le Nyassa, les journaux anglais
n'ont pas caché leur pitié pour d'aussi auda
cieuses prétentions. Le Portugal résister à
l'Angleterre, la lutte du pot de terre contre
le pot de fer !
Tous ces décrets du cabinet de Lisbonne
affirmant la souveraineté portugaise sur les
territoires concédés par charte royale à une
compagnie anglaise devaient rester lettre
mdrte ; le Portugal n'essayerait môaie pas
de les appliquer, la crainte de l'Angleterre
étant le commencement de la sagesse.
Or, nous apprenons aujourd'hui, par le
Times lui même, que le major Serpa-Pinto,
commandant les forces portugaises à Mo
zambique, a fait reconnaître le protectorat
portugais dans toute la région du Nyassa,
et n'a pas hésité à enlever quelques dra
peaux anglais qu'il a trouvés hissés sur les
cases de certains chefs indigènes.
^ L'histoire de ces drapeaux vaut la peine
d'être racontée. Il y a quelques mois, M.
Johnston, consul anglais à Mozambique,
partait pour rejoindre son poste. Sur sa
route, il s'arrêta à Lisbonne, vit le ministre
des affaires étrangères, et en faisant montre
de sentiments sympathiques au Portugal, il
obtint de hautes recommandations pour les
autorités portugaises de Mozambique.
Arrivé en Afrique, ces recommandations
lui valurent de pouvoir pénétrer tranquil
lement dans les régions du Nyassa; là,
trompant ses amis portugais, il se mit à
distribuer, au nom de la reine, des dra
peaux britanniques, et & planter sur les
cases des pavillons apportés au lond de ses
bagages. Puis il écrivit & lord Salisbury
que tous les indigènes du Nyassa deman
daient le protectorat anglais !
L'action de Serpa-Pinto met fin & cette
comédie. Nous en félicitons le Portugal :
il a donné là un excellent exemple, et nous
espérons que d'autres sauront le suivre, le
cas échéant, pour faire respecter les sph.è
re3 d'influeice de chacun et ne pas permet-
L'Eglise d'Autriche et le siège le
plus important de l'épiscopat de la
monarchie autrichienne, viennent de
faire une perte sensible.
S. Em. le cardinal Célestin (Gangl
bauer, prince archevêque de Vienne,
a succombé à la maladie dont il était
atteint depuis une quinzaine de jours.
Né en 1817, le 20 août, à Thans-
tetten,dans le diocèse de Linz, il était
entré, de bonne heure, dans le collège
d'une des nombreuses abbayes béné
dictines de l'Autricheallemande.Après
avoir terminé ses études théologiques,
il fut à l'abbaye bénédictine de Krems-
Munster, où ses frères le choirent pour
abbé en 1876.
Le 4 août 1881, le Pape XIII, heu
reusement régnant, le préconisa ar
chevêque de Vienne.. Sur ce siège,
comme dans son abbaye, le nouvel
archevêque montra de grandes quali
tés d'administrateur, mais surtout une
grande activité et un tact exquis.
Dans le consistoire du 10 novem
bre 1884, le Souverain Pontife, vou
lant reconnaître ses talents, sa scien
ce et ses servicès, l'appela dans le
Sacré-Collège, où îF'occupait, dans
l'ordre des cardinaux-prêtres le 25*
rang par ordre de proclamation, avec
le titre cardinalice de saint Eusèbe à
l'Esquilin. Il faisait partie de la Sa
crée-Congrégation des évêques et ré
guliers, et de celles des Rites du céré
monial et des études.
Durant son épiscopat relativement
court de neuf années, le cardinal
Ganglbauer, a administré son diocèse
avec un soin paternel ; il a stimulé la
vie religieuse, introduit diverses ré?
formes utiles, coupé court à certains
abus, qui s'étaient introduits dans
quelques églises au point de vue du
chant et des solennités religieuses. 11
lui a été également donné de voir
augmenter d'une façon édifiante le
nombre des maisons religieuses et des
congrégations existantes. Au prin
temps dernier, il prenait une part très
active au congrès catholique de
Vienne, à la réussite duquel il n'a pas
peu contribué. Après le congrès, Son
Eminence s'était retirée à la maison
de campagne archiépiscopale deSankt
Veit, derrière le parc de Schoen-
brunn, où elle fut frappée une pre
mière fois d'une attaque d'apoplexie.
Le prélat s'en remit bientôt, mais
le mal devait revenir. Après avoir
présidé, il y a quelques semaines
encore, une réunion générale de
l'épiscopat autrichien, l'ancien mal
reprit avec une intensité qui de
vait amener le dénouement fatal. Du
rant sa maladie le prélat a reçu de
l'empereur, des princes et princesses
de la maison archiducale et de tout
son diocèse, les marques les plus tou
chantes d'un attachement vraiment
filial.
Ses travaux de bénédictin consacrés
pendant tant d'années au bien de
l'Eglise, ses labeurs comme archevê
que de Vienne, sa modestie prover
biale et son zèle pour le triomphe et
l'exaltation de notre sainte mère
l'Eglise, sont pour la mémoire du car
dinal Ganglbauer autant de glorieux
titres qui lui survivront.
H. G. F ROMM.
Notes d'un observateur
LITTÉRATURE MALPROPRE
;i Nous avons beaucoup de lois en France.'
$ q crois bien que,si l'on étendait sur le sol
le papief officiel qui les enregistre, le ter
ritoire tout entier en serait couvert. ..C'est
admirable comme en notre pays on règle*
mente, arrête, décrète, édicté et promul
gué. Et la consommation est insatiable
puisque la fabrication ne chôme pas. i
Malgré cela, cependant, je ne vois pas
trop que cette activité légiférante endigua
l'abus ou le mal. Au contraire I De ce qui
se passe autour de nous, il appert que plus
on fait de lois, plus les abus se multiplient*
plus le mal empire. Serait-ce que ces lois
n'ont point le nerf nécessaire pour mater
le délinquant,et qu'à des infractions graves
elles n'opposent qu'une répression déri
soire ? Peut-être bien.
Voyez, par exemple, la législation qui
régit le commerce de la librairie. Elle édicté
des mesures contre la publication d'ouvra»
ges contraires à la morale publique, elle
entend nous protéger contre l'immoralité
imprimée, et jamais, à aucune époque, la
profusion du livre malpropre n'a atteint
l'intensité qu'elle a aujourd'hui! Cette belle
législation s'aperçoit-elle que ses justicia-
ples se moquent d'elle au point de se ser
vir de ses condamnations comme de la
meilleure réclame ? Sait-elle qu'en se prê
tant ainsi aux combinaisons de ces indus
triels, elle contribue pour une grosse part
au détraquement des mœurs contempo
raines ?
A Paris, l'étalage du livre est en quelque
sorte la jauge de « l'état d'âme » du plus
grand nombre, comme disait en son jargon
spécieux un moraliste de la nouvelle école.
Sur la couverture du volume frais éclos
éclate, je devrais dire fulgure le titre, car
le mercantilisme courant s'est emparé éga
lement de ce lucratif détail.. Le titre est
devenu quelque chose d'accrochant, une
synthèse dessinée de la matière écrite, ré
vélant par la figure ou la disposition gra
phique l'esprit, l'essence du sujet traité, le
tout très voyant, violemment coloré, d'as
pect ultra-fantaisiste, avec des extrava
gances habilement calculées pour arrêter
le regard et allumer l'acheteur. Un étalage
moderne offrant en vente les livres « à la
mode » ressemble ainsi bien plus à un
kaléidoscope forain qu'à une librairie pro
prement dite. Je reviendrai tout à l'heure
sur ces dessins de couverture.
A celui qui, ignorant des a progrès»
que la littérature française a faits depuis
quelques années, arrive & Paris et s'arrête
devant ces exhibitions de nouveautés ba
riolées, les titres apprennent tout de suite
où nous en sommes pour le moment. Ce
qui domine, triomphe, écrase le reste, c'est
l'élucubrationobscène. Avoir les innomy
brebles volumes qui, chacun pour s a. part, 1
annoncent un roman, une étude quelcon
que ou une poignée de nouvelles groupées,
célébrant à qui mieux mieux les faits et ges
tes de la corruption et de la bestialité hu
maines, on s'imagine un Paris dépassant
Sodome et Gomorrhe...
Hâtons-nous de dire qu'il serait excessif
de généraliser. Mais, cette réserve faite, la
vérité est que si le Paris de la noce a pré
sentement la réputation d'un mauvais lieu,
il ne l'a pas volée. Sous cette troisième ré
publique, la préconisation de la morale in
dépendante a poussé au saraigu le relâche
ment des mœurs, et il est indéniable qu'une
bonne partie de la population parisienne
est aujourd'hui embourbée dans le maté
rialisme et ses fangeuses jouissances. L'ef
froyable extension des affaires dites d'ar
gent et l'incessant raffinement de la vie
animale qui en est la conséquence natu
relle, ont déchaîné toutes sortes d'appétits
monstrueux de luxe et d'orgiaques plaisirs
dans le * monde où l'on s'amuse». Ce
monde d'oisifs est devenu une société de
libertinage mutuel. qu'agitent des désirs
et des fièvres innomables. Toutefois la
FEUILLETON DE L 'UNIVERS
du 16 décembre : 1889
AVENTURES
D'un Gentilhomme Poitevin (i)
M. Jean Grange, l'auteur des Aventures
d'un gentilhomme poitevin, que connaissent
bien les lecteurs de l'Univers, n'appartient
pas à l'école de l'art pour l'art. Quoiqu'il
raconte avec beaucoup de charme, il ne
daignerait pas raconter pour raconter. Ce
qu'il veut, c'est que de ses récits se déga
gent d'utiles et parfois très hautes leçons. Il
se garde bien de prêcher, il raconte, et les
leçons ressortent des événements. Parfois
une courte réflexion pleine d'humour, sans
couper le récit, vient graver la leçon plus
profondément dans l'esprit du lecteur char
mé. Ne demandez pas au spirituel conteur
ides péripéties multipliées, des coups de
théâtre amenés aux dépens de la vraisem
blance, de grands mouvements de passion:
il se tient dans une note plus simple, et ses
récits n'offrent pas moins d'intérêt, au
contraire, grâce au talent de l'écrivain.
Nous pourrions rappeler ici bien des vo
lumes auxquels-le public chrétien a fait un
accueil mérité; mais il nous suffit de celui
dont nous nous occupanset où l'on retrouve
toutes les qualités de M. Jean Grange.
(1) Paris, Haton..
Les Aventures d'un gentilhomme poitevin,
quoi de plus sobre que ce titre, et nôus
pouvons ajouter: quoi de plus sobre et de
plus intéressant que ce charmant récit ?
M. Baudin de la Baudinière a manqué son
instruction ; il en accuse son père, qui,
pour le faire mieux instruire, l'a mis dans
un des grands lycées de Paris, où élève
médiocrement doué et peu travailleur il
s'est perdu dans la queue d'une classe trop
nombreuse. Il y a bien quelques vérités
dans les plaintes du gentilhomme poitevin,
et dès ces premières pages, M. Jean Grange
signale une dec plaies de l'instruction uni
versitaire à Paris. Comment un professeur,
si zélé soit-il, et beaucoup ne le sont guère,
pourrait-il suivré sérieusement les travaux
de 50, 60 élèves? Il s'occupe des plus bril
lamment doués qui peuvent lui faire une
réclame, et il abandonne les autres & leur
paresse. Nous pouvons ici évoquer un sou
venir personnel. Pendant un an nous avons
suivi un cours de physique,sans que le pro
fesseur ait eu l'occasion de nous interroger
une seule fois. Et cependant c'était un sa
vant consciencieux, dont la place était mar
qué à l'Institut, où il est arrivé. Pouvait-il
faire mieux avec 150 élèves et deux classes
par semaine?
Donc, M. de la Baudinière a gardé de
justes préventions contre les classes trop
nombreuses; aU3si ,quand il lui faut faire ins
truire son unique héritier Simplice, veut-il
lui donner un professeur pour lui seul. C'est
tomber dans l'excès contraire, et l'enfant
ainsi instruit ne fait pas toujours merveille.
Cela réussit cependant pour Simplice ; qui
est bien doué et qui ne craint pas trop le
travail. Mais l'instruction n'est pas tout; il
y a l'éducation, la formation de l'homme et
do chrétien, et à ce point de vue, non
moins important que l'autre, le père n'a
pas eu la main heureuse.
N'ayant pu décrocher aucun diplôme, M.
de la Baudinière admire fort ceux qui en
ont, et il jaugerait volontiers les hommes
au nombre et à l'importance de leurs titres
universitaires ; il a donc pris dans l'univer
sité, pour lui confier son fils, un Dubois
fort diplômé, sans se demander si ce per
sonnage réunissait les conditions néces
saires. Hélas 1 c'était un adepte convaincu,
farouche de la « tolérance », entendue au
sens maçonnique.
Voici comment M. Jean Grange nous
présente le « professeur de Simplice » :
Pourquoi M. Durand, à la recherche d'une
thèse pour son doctorat ès lettres, avait-il choisi
la tolérance, un sujet plus philosophique que
littéraire? Il serait difficile de le dire. Une chose
est certaine : à partir de la soutenance de la
thèse qui lui valut les palmes du doctorat, la
tolérance devint, ch.z le professeur de l'Uni
versité, une doues manie. Le monde des idées
se partagea à ses yeux en deux hémisphères :
la libartê de penser et le principe de l'autorité
doctrinale. Il ne vit dans les hommes que des
libre-penseurs et des non libre-penseurs, des
tolérants et des intolérants, des philosophes et
des fanatiques.
Il va sans dira qu'il appelait intolérant et fa
natique tout ce qui était chrétien et surtout ca
tholique. La guerre des Albigeois, l'Inquisition,
la Saint-Barthélémy, la révocation de l'édit de
de ses méditations, de ses réflexions et de ses
déclamations. Non content d'étudier ces événe
ments dans, les pamphlets de l'époque, dans
les chroniqueurs partiaux et systématiques,
dans les historiens les plus éloignés des faits
et les plus suspects à cause de leur haine pour
la religion, il employait cette lunette grossis»
santé qu'on appelle une imagination surchauf
fée, et Dieu sait ce que la lunette lui montrait.
C'était de la meilleure foi du monde qu'il
rattachait aux croisades les difficultés, de la
question d'Orient,et ît l'émigration de quelques
ouvriers protestants sous Louis XIV les souf
frances actuelles de l'industrie et du commerce.
Quant au sang versé dans les persécutions, de
Néron à Dioctétien, c'était une bagatelle et une
quantité négligeable, eu comparaison de celui
qu'avait fait couler le seul inquisiteur Torque-
mada.
Sans s'en rendre compte, sans y penser,avec
une inconscience qui était presque une inno
cence, ce maniaque avait propagé ses idées
dans le collège où il professait. Il n'y avait pas
un texte grec, latin ou français qui ne lui ser
vit de prétexte et de matière à déclamation
contre l'intolérance et le fanatisme des catho
liques (on ne disait pas encore des cléricaux).
Quelques parents,avertis par leurs fils, se plai
gnirent au proviseur du lycée, qui adressa une
réprimande au délinquant. Parmi ces plaignants
se trouvait un monsieur qui avait, sou îrère
prêtre: il n'en fallut pas davantage pour que le
tolérant docteur se crût et se dît victime de
l'intolérance sacerdotale.
Tel était Je galant homme auquel M. Louis
Baudin de la Baudinière confiait son fils uni
que. Lui qui n'aurait pas pris un cuisinier, un
cocher, un berger sans certificat, acceptait, les
yeux fermés, un précepteur ; après cela, il se
peut que je me trompe et que le gentilhomme
poitevin regardât comme un certificat, et un
certificat excellent,, les diplômes de docteur
ès lettros et docteur ès sciences. C'est une bé
vue que de plus fins que lui ont commise et
commettent encore tous les jours.
Simplice était en bonnes mains, et son
éducation fut ce qu'elle devait être, d'au
tant que son .père, fort indifférent, sinon
hostile en matière religieuse, n'avait ni la
volonté ni la capacité nécessaire pour in
tervenir. Il conquit son premier diplôme
avec d'autant plus de facilité qu'il avait été
élevé dans les doctrines courantes, mais il
était le digne élève de son « tolérant » pro
fesseur.
Mais que ferait-on du brillant diplômé, si
bien élevé dans les doctrines de la « tolé
rance » maçonnique ? M. de le Baudinière,
et nous ne l'en blâmerons pas, répugne aux
carrières gouvernementales, dont, grâce à
sa fortune, il peut dispenser son fils. Il ne
veut pas qu'il soit, comme son père, un sim
ple gentilhomme campagnard; à quoi lui
servirait son diplôme et l'instruction que lui
a si libéralement donnée l'illustre docteur
Dubois?
Après réflexions, le père et le professeur
décident que Simplice sera un « homme
politique » ; il débutera par le conseil gé
néral,pour arriver à la Chambre et devenir
ministre. Tant d'autres l'ont été et le sont
qui ne le valent pas I Seulement, le futur
homme politique est encore trop jeune pour
poser une candidature. Que faire en atten
dant ? Pour se former, il parcourra la
France et les pays étrangers, ayant pour
mentor son professeur Dubois.
Certainement celui-ci, en proposant ce
plan, ne se doutait pas des rudes coups
qu'il allait porter à son œuvre ; il ne prévo
yait que Simplice,qui avait conservé du bon
sens et de la droiture malgré la plus fausse
des éducations, pourrait s'éclairer en voyant
à l'œuvre la tolérance maçonnique. C'est
en effet ce qui arriva, non pas du premier
coup, les leçons du précepteur étaient trop
profondément enracinées, mais peu à peu ;
et M. Jean Grange nous raconte, avec une
verve pleine d'humour, comment la vérité
se montre peu à peu au jeune voyageur.
Un des principaux incidents de cette
conversion, — car c'en est une, — se passe
à Lyon. Sa hante sagesse n'empêche pas
le professeur Dubois de nourrir certains
péchés mignons, parmi lesquels figure la
gourmandise. De trop bons repas lui ont
donné une légère attaque de goutte, qui
l'oblige à suivre un régime. Mais à son ar
rivée à Lyon, il est invité à un banquet
maçonnique donné en son honneur. La va
nité et la gourmandise s'unissent pour-lui
faire accepter une invitation dangereuse,
malgré les observations de Simplice, un
peu étonné de cette faiblesse :
Simplice, étant survenu au moment où son
gouverneur s'habillait, lui demanda où il vou
lait ailer.
— Où ie devoir m'appelle, fat il répondu, à
la leg a la.Sublime sagesse. Les frères me de
mandent de. leur rompre 1? pain de la parole ; je
ne puis .leur refuser cet office.
— Ja crains, dit Simplice, que vous ne com
mettiez une imprudence. Il y aura un banquet
& la fin de la réunion, et vous savez, par expé
rience, qu'il sufût, certaines circonstances, de
santé étant données, du plus léger excès pour
voua donner un accès de goutte,
—• Soyez tranquille, je serai sobre, très so
bre. C'eBt pour m'édifier et édifier mes frères,
et non pour ingurgiter des viandes et des vins,
que je m» rends à la réunion maçonnique.
Le docteur était gourmand et gourmet ; il vi
vait de privations depuis trois jours ; le dîaer
était exquis : que celui qui n'eût pas cédé à la
tentation lui jette la première pierre! Nous nous
sentons d'autant moins le courage de le blâmer
qu'il tut puni très sévèrement (et très utilement
t our Sunpiice) de son péché. Le malheureux fut
rapporté à l'hôtel par ses frères, qui suaient et
ployaient sous le fardeau. a une longue et pé
nible iadigestion succéda un accès de goutta
terrible.
Soigner cette goulte dans un hôtel était
difficile, quelque dévouement que pût y
apporter Simplice. Le gouverneur le com
prit, et il se fit transporter, non dans un
établissement laïque, mais chez les frères
de Saint-Jean de Dieu, au grand éfonne-
ment de son élève.
— Il existe à Lyon un hospice tenu par les frè
res de Saint-Jean de Dieu, je désire y être trans
porté et soigné tant que durera ma maladie.
Simplice crut avoir .mal compris.
— Vous dites, cher maître, de voua conduire .
à l'hôpital tenu par les frères de Saint-Jean de
Dieu.
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