Titre : L'Univers
Éditeur : L'Univers (Paris)
Date d'édition : 1889-12-12
Contributeur : Veuillot, Louis (1813-1883). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, Pierre (1859-1907). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, François (1870-1952). Rédacteur
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 12 décembre 1889 12 décembre 1889
Description : 1889/12/12 (Numéro 8014). 1889/12/12 (Numéro 8014).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse Collection numérique : Bibliographie de la presse
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
Jeudi 12 Décembre 1889
ÉDITION QUOTIDIENNE
PARIS ÉTRAK5EB
_ El dépabtemihï» (union fostall)
Un an. T ? . . 55 » 63 »
Six moi*. . . . 28 50 34 »
Trois mois. ..15» 18 »
^afcoBBeMcntjï partent dos Cet 16de chaque mol*
UN NUMÉRO { g^^emente! Il 0 - 1 "
BUREAUX : Paris, 10, rue des Saints-Pères
On s'abonne & Rome, f lace dn Gesù, S
N* 8014 — Edition quotidienne
Jeudi il Décembre 1889'
ÉDITION EEMI-QUOTIDIENNB
paris
rr départements
Un an. - S , . 30 »
Sixmo_ D '. ... 16 »
Trois mois. ... ... 8 50
ÉTRANGER .
(toron postâlh)
36 »
19 a
10 »
Les abonnements partent des l u et 16 de chaque bk V
L 'CNIYEES ne répond pas des mannscrits qnî loi sont adressés
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et C>°, 6, place de la Bourse
FRANCE
PARIS, Il DÉCEMBRE .1889
grois va prendre ses vacances; ce sera
un moment de répit pour le ministre
Tisza, que ses adversaires coalisés con
tre lui n'auront pas pu renverser cette
fois. La lutte reprendra-t-elle aussi
vive à la rentrée ? -
Après avoir, contre tout droit, va
lidé le citoyen Joffrin, non élu, la ma
jorité, si elle avait eu la moindre ver
gogne, aurait dù valider sans discus
sion toutes les élections contestées de
députés conservateurs : ou bonlan-
gistes ; elle n'a eu garde de le faire ;
l'élection de M. Léouzon-Leduc, à Ro-
chechouart, a été invalidée par 268
voix contre 239. Par contre,l'élection
de M. du Breuil de SainkGermauij.à
Langres, a été validée ; sa réélection
était certaine.
Un député de la majorité, M. Bour
geois, du Jura, voulait interpeller M.
Spuller au sujet de la convention mo
nétaire avec l'Espagne, l'Italie et la
Grèce ; on l 'a renvoyé à un mois. C'é
tait rendre l'interpellation inutile. M.
Bourgeois a dû se trouver bien froissé
d'être ainsi traiter comme un simple
conservateur. Pourquoi se permettait-
il, sous prétexte d'intérêt national,
d'ennuyer un grave personnage
comme M. le ministre des affaires
étrangères?
Le Sénat a voté d'urgence un projet
de loi relatif aux réquisitions militai
res et terminé la discussion en pre
mière lecture d'un projet de loi sur la
colonisation en Aïgérie. Que de lois
déjà faites sur ce sujet, sans que la
colonisation progresse autant qu'on
f>ourrait le désirer ! La multiplicité des
ois et des systèmes n'a peut-être pas
été sans exercer une fâcheuse in
fluence.
Vacances jusqu'à mardi prochain.
Il se confirme que, par suite des
concessions faites par les administra
tions minières de la région du Rhin,
concessions dues à l'action de l'ad
ministration, la grève générale an
noncée pour le district de Dort-
mund n'aura pas lieu. On se félicite
d'autant pl as de cette perspective ras
surante qu'on avait des craintes très
sérieuses ; les ouvriers déclaraient que
leurs mesures étaient prises pour sou
tenir la lutte et qu'ils ne reculeraient
pas.
Après la loi de spoliation des œuvres
pies dont le vote marche vite, le Par
lement italien s'occupera de l'abroga
tion des tarifs différentiels ; là aussi
on ira vite. L'Italie est pressée de
sortir de la situation dans laquelle l'a
mise la politique de provocation de
M. Grispi. On essaye vainement de
l'autre côté des Alpes de couvrir la
retraite, en soutenant que l'application
des tarifs différentiels « n'était qu'un
acte de défense nécessaire » et que ce
n'est pas l'Italie qui a commencé la
lutte. Gela ne change pas les faits, et
il reste évident que c'est sous le coup
d'une urgente nécessité que M. Grispi
et ses collègues modifient leur politi
que économique.
On commente fort dans la presse
française une déclaration prêtée au
prince Louis, le deuxième fils du
prince Napoléon, qui vient d'entrer
dans l'armée russe ; le prince aurait
dit qu'il avait quitté l'armée italienne
par ce.qu'il était devenu évident pour
lui que M* Grispi préparait une cam
pagne contre la France. Le propos
a-t-il été tenu ? Vrai ou faux, il sem
ble justifié par la situation, et il y a
longtemps qu'on s'étonnait en France
de voir un prince français rester dans
l 'année italienne.
On annonce que le Parlement hon
^ 0 n reparle de l'enquête sur la situation
économique de la France, annoncée
dans la Déclaration ministérielle. Une
telle annonce était faite pour étonner:
une enquête après l'Exposition ! Mais
n'a-t-on pas dit pendant six mois, sur
tous les tons,que cette « merveilleuse»
exhibition des produits de l'art et du
travail national était la preuve de la
vitalité et de la richesse de la France?
Tous les représentants des pouvoirs
publics, tous les orateurs officiels
n'ont-ils. pas déclaré à l'envi que la
France avait trouvé dans la Révolu
tion une source inépuisable de biens
et de félicités ? N'ont-ils pas exalté les
bienfaits de la république et montré
toutes les nations envieuses de la
prospérité française ?
Ce sera, certainement, un sujet de
stupéfaction pour les visiteurs émer
veillés de l'Exposition d'apprendre que
le gouvernement va sérieusement di
riger une enquête sur la situation éco
nomique de là France. Quel soufflet à
la tour Eiffel et à la galerie des ma
chines ! Quel démenti à tous les beaux
discours prononcés pour la célébration
du centenaire ! -
L'enquête suppose que la situation
financière et industrielle du pays n'est
pas favorable. A quoi bon une enquête
si tout va bien? On veut se rendre
compte des conditions du travail et de
la richesse en France, en vue du re
nouvellement des traités de commerce.
Libre-échange ou protection : ce sont
les deux termes de la situation. La
France en est encore à ne pas savoir à
quel régime on la mettra. Elle est la
proie des systèmes. Depuiï soixante
ans on ne fait que des expériences à
ses dépens. Ce n'est pas une preuve de
prospérité qu'il faille encore chercher
la meilleure condition commerciale et
industrielle pour le pays.
Au moins si ceux qui parlent au
nom du gouvernement étaient hum
bles ! S'ils reconnaissaient que la si
tuation économique du pays laisse
beaucoup à désirer; s'ils convenaient
que des expériences fâcheuses ont été
faites et des fautes commises; s'ils
avouaient que les révolutions, les faus
ses doctrines, les utopies politiques et
sociales sont funestes à un peuple;
s'ils répudiaient toutes les causes d'er
reurs et de troubles qui ont mis la
France dans un état si précaire, ils
auraient raison, de vouloir s'éclairer
sur les faits, d'examiner de près la
situation, de rechercher le remède au
mal. Mais, non ! six mois durant, les
hommes du pouvoir ont étalé le plus
grossier charlatanisme ; ils ont impu
demment célébré le régime révolution
naire, vanté des progrès factices, pris
le monde à témoin d'une prospérité
chimérique. Ils ont trompé le pays
par le mirage de l'Exposition. Et c'est
après cela qu'ils sont forcés de recou
rir à une enquête, pour constater des
souffrances qui ne sont que trop réelles
et s'occuper d'améliorer les condi
tions de l'agriculture et du commerce.
Mais celte enquête, comment la
fera-t-on ? A quoi aboutira-t-elle ?
Combien n'en avons-nous pas vu d'en
quêtes depuis un demi-siècle ! Pour le
moment, on discute si l'enquête sera
gouvernementale ou parlementaire.
Qu'elle soit l'une ou l'autre, le résultat
n'en sera pas très différent. Veut-on
réellement remédier à la situation ?
Alors il faut changer les lois, les ins
titutions qui en sont, en grande partie,
la cause. Sous ce rapport, l'enquête
est faite. 11 y a longtemps que les éco
nomistes et les publicistes antirévolu
tionnaires ont signalé les causes réel
les, certaines, de la crise économique
de la France; il y a longtemps qu'ils ont
prouvéque le régime succesoral actuel,
la loi des partages, la centralisation,
le libre-échange, le travail du diman
che ontproduit lemalaise actuel. Veut-
on le reconnaître? Veut-on réformer
ces lois et ces pratiques mauvaises ?
Sinon, à quoi bon des enquêtes, qui
n'iront pas au fond des choses, qui ne
feront que constater des faits particu
liers, qui se borneront aux apparen
ces, aux résultats sensibles, mais qui
ne remédieront à rien?
Tout au plus fourniront-elles quel
ques indications pour la modifica
tion des tarifs. Peut-être permettront-
elles de renouveler en 1892 les traités
de commerce dans des conditions
moins désavantageuses que celles qui
ont été imposées à la France par le
.traité de Francfort. Ce ne sont là que
des atténuations partielles. La crise
agricole et commerciale tient à des
causes générales,qu'on ne veut même
pas examiner, parce qu'il faudrait re
connaître que la Révolution n'a été
qu'un principe de désorganisation et
d'appauvrissement. Ce serait tout le
contraire des discours consacrés à la
glorification du centenaire de 1789.
Arthur Loth.
Où en sommes-nous ?
Un mois s'est écoulé depuis que la
nouvelle Chambre a pris possession
du Palais-Bourbon; Qu'a-t-elle fait?
Quelles indications a-t-elle données
sur la politique qu'elle entend suivre?
A-t-on vu se manifester dans ses
rangs cet esprit de conciliation qui
devait, au dire du Temps et du Journal
des Débats, produire tout de suite une
détente et amener bièntôt la pacifica
tion générale ? Semble-t-il enfin, d'a
près ses débuts, que la législature de
1889 doive beaucoup différer de la
précédente ? Les gauches promettent-
elles d'avoir une autre attitude ? La
droite paraît-elle songer sérieusement
à modifier son système d'opposition
au jour le jour ? Voilà bien des ques
tions. II serait facile d'en poser encore
une dizaine, dans le même goût. Mais
répondre ne serait, pas si aisé.
La Chambre, sauf quelques incidents
qui n'ont point jeté sur ses vues grande
lumière, s'est occupée jusqu'ici de la
vérification des pouvoirs. Deux voies,
deux politiques s'offraient à elle : la
politique d'invalidation, c'est-à-dire
de guerre ; la politique de validation,
c'est-à-dire d'apaisement. Chacune de
ces deux politiques avait ses prôneurs
dans la majorité républicaine. La ma
jorité républicaine n'a suivi ni l'une
ni l'autre. On ne peut pas soutenir
qu'elle ait invalidé avec rage ; on peut
encore moins prétendre qu'elle ait eu
la validation facile. Ce qui paraît l'a
voir guidée depuis le commencement,
ce n'est pas une politique d'ensemble,
ce n'est surtout point l'esprit de jus
tice. Hormis de très rares exceptions,
elle a simplement considéré l'écart des
voix obtenues par les concurrents. Si
l'élu conservateur ou boulangiste avait
distancé de loin le candidat opportu
niste ou radical : validé. -Si l'élu bou
langiste ou conservateur avait dis
tancé de peu le candidat radical ou
opportuniste : invalidé. Voilà tout le
système. Cherchez là-dedans une in
dication de politique générale.
D'autre part, la droite a luit, jus
qu'ici, exactement ce qu'elle avait
fait au début de toutes les précédentes
législatures, et qui ne lui a jamais pro
fité. Pour ne pas irriter lès gauches et
dans l'espoir, un peu naïf, d'éviter
ainsi quelques invalidations, elle s'est
abstenue avec soin de dénoncer, contre
un seul membre de la majorité répu
blicaine, le plus petit fait de pression
officielle.. . Nous nous trompons : M.
le comte de Lanjuinais a eu ce cou
rage à propos de l'élection du triste
Boissy d'Anglas. Encore n'a-t-il pas
insisté ; et il n'y est point revenu, ni
lui, ni aucun autre député conserva
teur; les sages de la droite ayant
déclaré sans doute cela fort impru
dent.
Le résultat de cette mansuétude
craintive, c'est de permettre aux par
tisans du régime actuel de soutenir,
avec un surcroît d'impudence, en pre
nant à témoin l'attitude des réaction
naires, que le gouvernement a laissé
la plus entière liberté au suffrage uni
versel. Evidemment cela ne trompe
personne à la Chambre ; mais dans le
pays!
Quant à concevoir la moindre veil-
léité de reconnaissance envers la
droite, dont ils comprennent d'ailleurs
parfaitement le mobile intéressé, les
républicains n'y songeront point un
instant, pas plus cette fois qu'en 1885
et 1881. La minorité conservatrice aura
donc abandonné une de ses meilleures
armes, sans avoir le moins du monde
désarmé, ni même adouci ses adver
saires.
L'accueil glacial fait par la majorité
aux tentatives conciliatrices, verbales,
de M. Léon Say, comme aux avances,
écrites, de M. Hély d'Oissel, semble
montrer qu'au centre et à gauche on
ne désire point l'apaisement; les dé
bats relatifs à la vérification des pou
voirs paraissent indiquer qu'à droite,
au centre et à gauche, on préfère tou
jours la politique des expédients à
celle des principes. Telle est la situa
tion. Elle ne promet rien de nouveau ;
rien de bon par conséquent. Entre
cette majorité républicaine animée
des intentions les plus mauvaises,
et cette minorité conservatrice, pa
vée des intentions les meilleures,
mais toutes deux ne sachant trop que
faire, n'y a-t-il pas une position nette
et ferme à prendre, et saura-t-on la
prendre enfin ?
Pierre Veuillot.
La Chambre, fatiguée de la séance
de la veille, n'a pas fait beaucoup de
besogne. Elle a pourtant trouvé le
moyen de commettre une injustice.
Elle a invalidé M. Léouzon-Leduc,
coupable d'être révisionniste. Croirait-
on que le principal grief dirigé contre
lui est d'avoir dit que les impôts vont
augmenter? Et pourtant tout le monde
sait bién qu'en effet on a besoin de
nouvelles ressources. Les journaux
républicains importants le disent tout
haut ; ils discutent même les moyens
auxquels on doit recourir. M. Léouzon-
Leduc s'est défendu aussi sur les au
tres points. Il avait des agents électo
raux : assurément, est-ce que les
républicains n'en avaient pas? On lui
a bien reproché d'être jeune et de
n'avoir pas de notoriété, ce qui, pa
raît-il, lui interdisait de se faire élire.
C'est M. Mesureur qui a soutenu cette
accusation intelligente. Si M. Léouzon-
Leduc avait eu la bonne idée de com
mencer sa carrière politique en dé
baptisant les rues de Rochechouart,
M. Mesureur lui aurait reconnu des
droits électoraux.
C'est toute la séance, car avant d'in
valider, on s'est borné à écarter une
interpellation de M. Bourgeois rela
tive à la convention monétaire. M.
Bourgeois a vainement assuré que, par
suite des conditions de rembourse
ment, nous sommes exposés à voir, au
moment de la liquidation, cent mil
lions de pièces italiennes rester dans
les caisses françaises; d'où résultera
une perte de 25 0^0. MM. Spuller et
Rouvier ont répondu qu'on pourra tou
jours dénoncer la convention assez de
temps à l'avance pour que le stock des
monnaies étrangères soit écoulé.
Jeudi on discutera l'élection de la
Cochinchine.
E.T.
La proposition de loi que le Sénat a
votée hier touche à une question du
plus haut intérêt : le peuplement de
l'Algérie par des Français. Deux cho
ses frappent particulièrement le voya-
géur en Algérie : d'une part, l'étendue
relativement resserrée des terrains
cultivés, eu égard à l'immensité des
champs incultes que possèdent les tri
bus indigènes et à l'étendue considé
rable de bois rabougris et de brous-,
sailles clairsemées que l'Etat, décore
du nom de forêts domaniales ; d'autre
part, le nombre trop restreint des Fran
çais qui habitent la colonie; à part les
fonctionnaires, les soldats et les em
ployés des administrations ou des che
mins de fer (tout ce monde renfer
mant déjà une partie notable d'indi
gènes), il n'y a guère plus de Français
en Algérie que d'Espagnols, d'Italiens
et de Maltais réunis. On sait, du reste,
et la récente crise monétaire d'Oran a
appelé l'attention sur ce sujet, que les
Espagnols se considèrent absolument
comme chez eux dans la province
d'Oran,où ils sont en plus grand nom
bre que les Français. Un journal d'Al
ger, l' Union africaine , disait même
dernièrement que beaucoup de colons 1
algériens avaient quitté la belle pro
vince de Gonstantine pour ... la
Plata. .
D'une situation aussi critique, de
nature à compromettre [absolument
l'avenir de notre colonie, est né le
projet que le Sénat a discuté durant
deux séances : peupler l'Algérie de
Français en livrant deux cent mille
hectares de ressources domaniales à
la colonisation. Gomment cela peut-il
peupler l'Algérie de Français, puis
qu'une bande noire de ces bons juifs
qui pullulent en Algérie pourraient
faire une raffle de ces deux cent mille
hectares et en trafiquer ensuite à leur
corps défendant ? Le projet de loi pare
à cette objection au moyen d'une com
binaison discutable, puisqu'elle a été
discutée hier, mais ingénieuse et, de
certains côtés, excellente : les terrains
domaniaux à céder à la colonisation
seront partagés en lots de village de
vingt hectares, à vendre à prix fixe, et
en lots de ferme à vendre aux enchè
res, mais chaque acquéreur devra
être Français d'origine européenne,
et ne pourra posséder plus d'un lot.
C'est sur cette dernière condition
que roule la discussion depuis deux
jours. Les uns, avec MM. Boulanger,
Jacques, Etienne, Lenoël, la trouvent
essentielle; d'autres, avec MM. de Cès-
Caupenne, Buffet, Labiche, y voient la
substance d'une loi agraire, aussi mau
vaise en Algérie qu'elle le serait en
France. Aux admirateurs de la colo
nisation américaine qui, avec M. Buf
fet, invoquaient l'exemple du- Far-
West, M. Boulanger a exposé la diffé
rence des situations, le Far-West of
frant des champs illimités à l'activité
des colons, tandis que l'Algérie man
que de terrains ; il n'y a plus ou pres
que plus d'indigènes aux Etats-Unis,
tandis qu'en Algérie les tribus possè
dent, sans les cultiver, la majeure
partie du sol, et n'ont rien à craindre
de leurs conquérants. Toutes ces rai
sons ont fini par convaincre le Sénat,
qui ne voit d'ailleurs pas d'autre moyen
de diriger sur l'Algérie le courant d'é
migration française, et le projet de loi
a été voté en première délibération, à
l'exception de quelques dispositions
qui ont été réservées.
Joseph Mollet.
Voici ce que porte une note com
muniquée aux journaux :
Hier, sur mandat de M. Couturier, juge
d'instruction, spécialement commis à cet
effet par M. Banaston, procureur de la
République, les commissaires aux déléga
tions judiciaires se sont rendus chez les
principaux éditeurs dê Paris et y ont saisi
toutes les couvertures de livres dont les
dessins offraient un car&Gtère d'immora
lité.
Nous souhaitons vivement que la.
mesure dont il s'agit ait été pratiquée
sérieusement; mais il nous reste quel
que doute à ce sujet, tant est grand le
nombre des publications qui devraient
tomber sous le coup de cete mesuré.
Et que dire des affiches qui s'étalent
librement, non plus derrière une vi
trine, chez les libraires, mais sur tou
tes les murailles, colonnes et édifices ?
Sous prétexte de réclames commer
ciales, on voit maintenant s'afficher de
la sorte, en nombre incalculable, de
véritables produits pornographiques
qui sont autant d'outrages publics à
la décence. Il serait temps, vraiment,
qu'un vigoureux coup de balai donné
dans ces ordures les poussât à l'égout,
leur destination naturelle. Le parquet
et le préfet de police montrent pour
certains ; délits, par exemple le vaga
bondage, des sévérités assurément
moins méritées que le seraient celles
qui mettraient quelque frein à une si
honteuse exploitationi
Auquste Roussel.
Une revue des Etats-Unis, le Forum,
publie sur la question du divorce un
article qui fait justement beaucoup de
bruit dans le nouveau monde.
Il y a déjà quelque temps, d'ailleurs,
que cette discussion sur le divorce
passionne le public américain. Les dé
fenseurs les plus enragés de cette loi
de dissolution sociale en Amérique ne
songent guère à en contester les per
nicieuses et honteuses conséquences.
Leur thèse est à peu près celle-ci : « Le
divorce est un mal nécessaire. Il faut
se borner à trouver le moyen de s'en
servir raisonnablement ». On cher
chera longtemps. Les lois de désagré
gation désagrègent parce qu'elles sont
faites pour désagréger. Et on peut rap
peler, à propos de ce qui se passe pour
le divorce, ce que Tocqueville lui-
même disait à propos du partage égal.
Le législateur, sa loi lancée, peut se
croiser les bras. Au bout de cent ans,
le niveau égalitaire aura passé sur les
générations. Nous citons la pensée de
mémoire n'ayant pas le texte sous les
yeux.
Mais la loi du partage égal,qui a tant
contribué à dépeupler la France et à
tarir les canaux de la colonisation, ne
devait être pour lés générations de ce
siècle que le niveau de l'instabilité ma
térielle et politique. — La loi du di
vorce tend non plus seulement à di
minuer la famille,mais à la supprimer
en la frappant dans sa source. — Et le
général Boulanger n'a point compris
cela quand il a choisi M. Naquet, le
père du divorce en France,pour un de
ses princiqaux lieutenants.
Quant à l'article du Forum , il a
pour auteur M. Phelps, l'ex-ministre
des Etats-Unis à Londres. M. Phelps
est protestant, et il n'hésite pas à for
muler cette conclusion : « Je m'aven
ture à suggérer — à la suite d'une
longue observation des procès de ce
genre (en divorce) —qu'on ne trouvera
d'autre remède contre ces procès
que l'abolition du divorce qui permet
aux conjoints ou à l'un des conjoints
de se remarier. »
Notons bien qu'il s'agit d'une con
troverse entre protestants. Nous y re
viendrons.
L. N. G.
Les Jésuites au Canada
A la suite du règlement, parle pre
mier ministre Mercier, de l'affaire des
biens des jésuites au Canada, de
perfides polémiques ont été soulevées
naasa
FEUILLETON DE VUNIVERS
bu 12 décembre
PROPOS DIVERS
Champfleury est-mort. Cette nonvelle a
surpris beaucoup de gens qui depuis long
temps déjà le croyaient enterré. Au fait,
enterré,ill'étaitsous une triple couche d'in
différence et d'oubli. Son dernier ouvrage
avait paru vers 1875 sans grand tapa
ge, malgré des réclames d'éditeurs savam
ment organisées. Le public regardait d'un
8utre côté ; il ne vit pas ce dernier-né d'un
écrivain jadis célèbre, et le volume ne con
nut pas les gloires, banales aujourd'hui, de
la deuxième édition. Champfleury ne se
le fit pas dire deux fois. Bien qu'il se sen
tît encore dans la force de l'âge, il com
prit que la mode avait tourné, et n'attendit
pas pour quitter la scène qu'on lui lançât
des pommes cuites.Bel exemple à proposer
aux vieux comédiens, aux vieux poètes et
aux vieux politiques. "Mais l'exemple ja
mais n'a corrigé personne, et l'archevêque
de Grenade longtemps encore composera
des homélies.
Champfleury, d'ailleurs, avait de quoi
égayer ses vieux jours, et la retraite devait
lui peser bien moins qu'à beaucoup d'au
tres. Vous connaissez le mot de Talleyrand
à un jeune homme qui confessait ne pas
savoir le whist :
— « Vous vous préparez, Monsieur, »
lui dit le prince, « une triste vieillesse. »
J'ignore si Champfleury cultivait le
whist, mais il avait de nombreux talismans
pour conjurer l'ennui. Il était musicien,
bibliophile, fureteur et collectionneur. Dès
son jeune âge, il s'était épris de vieilles
peintures, de vieilles images, de vieux bou
quins et surtout de vieilles faïences. C'est
lui qui, le premier, fit la chasse aux assiet
tes, aux saladiers, aux plats à barbe de la
période révolutionnaire.
Avec le temps, qui en matière de collec
tions est un instrument plus efficace que
l'argent, il avait fini par constituer une
réunion unique au monde, qui, classée
dans un bel ordre chronologique, constitue
une véritable histoire céramique de la Ré
volution française. Cette histoire,d'ailleurs,
Chanipfleury l'a écrite, et elle restera un
guidé nécessaire pour les collectionneurs
de l'avenir.
Le métier de collectionneur en effet n'est
pas toujours facile.
On a beaucoup contrefait depuis quel
ques années, et tel tesson qu'on a payé au
poids de l'or, le croyant centenaire, se fa
brique tout bonnement par grosses dans
un atelier de Vaugirard dont je pourrais
donner l'adresse.
Un touriste explore, dans la saison des
bains, qaelque recoin perdu de la Breta
gne ou de l'Auvergne. La chaleur est acca
blante, il entre dans une chaumière pour
demander à boire. On le sert avec empres
sement ; mais comme il va porter le verre
d'eau à ses lèvres, il fait un soubresaut. Il
a vu dans la main de la paysanne une as
siette de faïence ornée-d'un coq ou d'an
drapeau ou même d'une guillotine.
Pas de doute possible, il est en présence
d'une pièce admirable,et dont l'authenticité
ne laisse rien h désirer. Comment suppo
ser que sous cë toit de chaume, parmi ces
populations ingénues se soient introduites
les roueries ingénieuses, merveilleux tru
quages du brocantage parisien? Néan
moins, il faut s'éclairer, et le touriste com
mence son enquête :
— Tiens, dit-il, vous avez là une jolie
assiette.
• — Monsieur veut rire, répond la villa
geoise, riant elle-même à belles dents.
— Non, je parle sérieusement. Cètte as
siette me plaît.
— Bah ! une vieillerie I
— Eh bien ! j'aime les vieilleries, moi.
C'est un goût comme un autre, et si vous
le voulez, j'achète votre assiette.
— Allons donc I
— C'est comme ça. Combien en voulez-
vous? Je la paie et je l'emporte...
• La paysanne devient sérieuse.
— Dame, dit-elle, moi je ne demanderais
pas mieux, mais mon mari tient à ses as
siettes.....
— Vous en avez donc,d'autres ?
— Oui, monsieur, nous avons aussi des
plats et une soupière... mais mon mari ne
voudrait peut-être pas s'en séparer. Ça lui
vient de son grand-père, du temps de la
grande Révolution, et alors vous com
prenez...
Le collectionneur, comme bien vous pen
sez, ne comprend plus qu'une chose, c'est
qu'il lui faut ces faïences. Il les paiera ce
qu'on voudra, mais il ne rentrera pas à
Paris sans elles. Le feu sacré s'est emparé
de lui. Il se sent au cœur
Ce je ne pais quel dieu qui veut qu'on soit
[vainqueur.
Je vous fais grâce de l'entrée en scène du
mari, de ses hésitations, de ses scrupules,
levés par l'appât d'une somme ronde et la
promesse d'un service complet en fine por
celaine pour remplacer les faïences démo
dées du grand-père. L'affaire est conclue,
et le premier courrier emporte à Paris deux
lettres conçues à peu près en ces termes :
Monsieur Durand, emballeur,
avenue de FOpéra,
Paris.
Monsieur,
Veuillez m'expédier par le premier tra'.n votre
plus habile ouvrier. Il s'agit d'emballer une col
lection de faïences du plus grand prix : une
trouvaille inestimable que j'ai faite par hasard,
et que j'ai eue pour un morceau de pain.
Recevez, eto.
Vicomte D'A nbrézy.
En vilégiature à Quimperoaradec..
(Finistère).
Monsieur Tabareau, fabricant de faïences,
Avenue de Montsouris, 175.
Paris.
Monsieur, la présente est pour vous dire que
j'ai assez bien vendu les dernières faïences que
vous m'avez expédiées et pour vous prier de
m'en envoyer d'autres le plus tût possible.
. Votre très humble serviteur,
Y von L e F loch
à Plouernach, par Quimperlé,
(Finistère).
Qu'on ne m'accuse pas d'imaginer celte
historiette pour les besoins de ma chroni
que. Il est avéré que plusieurs fabricants
de Paris pratiquent couramment cette in
dustrie. Ils ont des commis-voyageurs qui
courent les campagnes les plus inexplorées
et déposent chez lés paysans des assorti
ments de faïences contrefaites. Le déposi
taire a pour consigne de se servir journel
lement de ces faïences. Si quelqu'une vient
à s'ébrécher ou à se fêler, cet accident
aide à la vraisemblance et peut jouer un
rôle décisif dans la comédie finale dont j'ai
tout à l'heure esquissé le scénario. Le dé
positaire s'engage, en outre, en cas de
vente, à rembourser au fabricant une
somme déterminée d'avance, moyennant
quoi on lui fera une seconde livraison.
Ces conventions s'exécutent de part et
d'autre avec la plus rigide probité, chacun
y trouvant son compte. Quant au collection
neur floué, il étale ses merveilles, il triom
phe, il fait des envieux, il est incontestable
ment le plus heureux des trois, jusqu'au
jour où, par grand hasard, il découvre le
pot-aux-roses. Mais alors la peur du ridi
cule le fait taire, comme jadis ce membre
de l'Institut & qui un faussaire, encore plus
facétieux qu'habile, avait vendu un auto
graphe de Ponce-Pilate. Et Tabareau, et
Le Floch, l'un à Paris, l'autre à Quimper
oaradec, continuent d'approvisionner de
faïences antiques les touristes naïfs qui
croient encore à la Bretagne.
Ne voilà-t-il pas une digression bien
longae? J'ose croire pourtant que Champ
fleury me l'eût volontiers pardonnée, car
elle touche à l'objet de ses prédilections.
Ce n'est pas à lui, par exemple, qu'on en
eût fait accroire. Il avait cette vieille expé
rience qui déjoue tous les pièges, et ce
flair subtil qui ne se trompe pas. Rendons
justice au gouvernement de la République.
Je ne sais pas bien en quelle année ni dans
quel cabinet il se rencontra un ministre
assez intelligent pour nommer Champfleury
conservateur du musée céramique de Sè
vres. Pour une fois, l'épigramme éternel
lement vraie de Figaro reçut un démenti
officiel, et pour cet emploi qui demandait
des connaissances céramiques, on n'alla
pas chercher un danseur.
C'est à Sèvres,
Dans ce palais de porcelaines fines,
comme dit l'idylle chinoise de Théophile
Gautier, que Champfleury est mort tran
quille, oublié — peut-être heureux. Ce
dernier point cependant est moins sûr. Ce
n'est pas, pour l'ordinaire, sans quelque
douleur cachée, et d'autant plus cuisante,
qu'un homme de lettres habitué, sinon à la
gloire, du moins au bruit, se voit immatri
culé de son vivant dans ce bataillon des
Oubliés et des Dédaignés dont Monselet a
retracé l'histoire. Relisez dans les Libres
Penseurs le poignant récit des dernières
années de Delatouche.
Il n'y a pas à le nier, Champfleury, il y
a quelque trente temps, était un chef d'é
cole. Il occupait dans les lettres une place
égale à celle qae son ami Courbet occupait
dans les arts.
Dès 1846, Champfleury, rendant compte
du Salon dans je ne sais quelle feuille,avait
annoncé au monde la gloire future de Cour
bet. Courbet ne fut pas insensible ïi l'en
thousiasme de son prophète. Il le lut et
ÉDITION QUOTIDIENNE
PARIS ÉTRAK5EB
_ El dépabtemihï» (union fostall)
Un an. T ? . . 55 » 63 »
Six moi*. . . . 28 50 34 »
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^afcoBBeMcntjï partent dos Cet 16de chaque mol*
UN NUMÉRO { g^^emente! Il 0 - 1 "
BUREAUX : Paris, 10, rue des Saints-Pères
On s'abonne & Rome, f lace dn Gesù, S
N* 8014 — Edition quotidienne
Jeudi il Décembre 1889'
ÉDITION EEMI-QUOTIDIENNB
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ÉTRANGER .
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Les abonnements partent des l u et 16 de chaque bk V
L 'CNIYEES ne répond pas des mannscrits qnî loi sont adressés
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et C>°, 6, place de la Bourse
FRANCE
PARIS, Il DÉCEMBRE .1889
grois va prendre ses vacances; ce sera
un moment de répit pour le ministre
Tisza, que ses adversaires coalisés con
tre lui n'auront pas pu renverser cette
fois. La lutte reprendra-t-elle aussi
vive à la rentrée ? -
Après avoir, contre tout droit, va
lidé le citoyen Joffrin, non élu, la ma
jorité, si elle avait eu la moindre ver
gogne, aurait dù valider sans discus
sion toutes les élections contestées de
députés conservateurs : ou bonlan-
gistes ; elle n'a eu garde de le faire ;
l'élection de M. Léouzon-Leduc, à Ro-
chechouart, a été invalidée par 268
voix contre 239. Par contre,l'élection
de M. du Breuil de SainkGermauij.à
Langres, a été validée ; sa réélection
était certaine.
Un député de la majorité, M. Bour
geois, du Jura, voulait interpeller M.
Spuller au sujet de la convention mo
nétaire avec l'Espagne, l'Italie et la
Grèce ; on l 'a renvoyé à un mois. C'é
tait rendre l'interpellation inutile. M.
Bourgeois a dû se trouver bien froissé
d'être ainsi traiter comme un simple
conservateur. Pourquoi se permettait-
il, sous prétexte d'intérêt national,
d'ennuyer un grave personnage
comme M. le ministre des affaires
étrangères?
Le Sénat a voté d'urgence un projet
de loi relatif aux réquisitions militai
res et terminé la discussion en pre
mière lecture d'un projet de loi sur la
colonisation en Aïgérie. Que de lois
déjà faites sur ce sujet, sans que la
colonisation progresse autant qu'on
f>ourrait le désirer ! La multiplicité des
ois et des systèmes n'a peut-être pas
été sans exercer une fâcheuse in
fluence.
Vacances jusqu'à mardi prochain.
Il se confirme que, par suite des
concessions faites par les administra
tions minières de la région du Rhin,
concessions dues à l'action de l'ad
ministration, la grève générale an
noncée pour le district de Dort-
mund n'aura pas lieu. On se félicite
d'autant pl as de cette perspective ras
surante qu'on avait des craintes très
sérieuses ; les ouvriers déclaraient que
leurs mesures étaient prises pour sou
tenir la lutte et qu'ils ne reculeraient
pas.
Après la loi de spoliation des œuvres
pies dont le vote marche vite, le Par
lement italien s'occupera de l'abroga
tion des tarifs différentiels ; là aussi
on ira vite. L'Italie est pressée de
sortir de la situation dans laquelle l'a
mise la politique de provocation de
M. Grispi. On essaye vainement de
l'autre côté des Alpes de couvrir la
retraite, en soutenant que l'application
des tarifs différentiels « n'était qu'un
acte de défense nécessaire » et que ce
n'est pas l'Italie qui a commencé la
lutte. Gela ne change pas les faits, et
il reste évident que c'est sous le coup
d'une urgente nécessité que M. Grispi
et ses collègues modifient leur politi
que économique.
On commente fort dans la presse
française une déclaration prêtée au
prince Louis, le deuxième fils du
prince Napoléon, qui vient d'entrer
dans l'armée russe ; le prince aurait
dit qu'il avait quitté l'armée italienne
par ce.qu'il était devenu évident pour
lui que M* Grispi préparait une cam
pagne contre la France. Le propos
a-t-il été tenu ? Vrai ou faux, il sem
ble justifié par la situation, et il y a
longtemps qu'on s'étonnait en France
de voir un prince français rester dans
l 'année italienne.
On annonce que le Parlement hon
^ 0 n reparle de l'enquête sur la situation
économique de la France, annoncée
dans la Déclaration ministérielle. Une
telle annonce était faite pour étonner:
une enquête après l'Exposition ! Mais
n'a-t-on pas dit pendant six mois, sur
tous les tons,que cette « merveilleuse»
exhibition des produits de l'art et du
travail national était la preuve de la
vitalité et de la richesse de la France?
Tous les représentants des pouvoirs
publics, tous les orateurs officiels
n'ont-ils. pas déclaré à l'envi que la
France avait trouvé dans la Révolu
tion une source inépuisable de biens
et de félicités ? N'ont-ils pas exalté les
bienfaits de la république et montré
toutes les nations envieuses de la
prospérité française ?
Ce sera, certainement, un sujet de
stupéfaction pour les visiteurs émer
veillés de l'Exposition d'apprendre que
le gouvernement va sérieusement di
riger une enquête sur la situation éco
nomique de là France. Quel soufflet à
la tour Eiffel et à la galerie des ma
chines ! Quel démenti à tous les beaux
discours prononcés pour la célébration
du centenaire ! -
L'enquête suppose que la situation
financière et industrielle du pays n'est
pas favorable. A quoi bon une enquête
si tout va bien? On veut se rendre
compte des conditions du travail et de
la richesse en France, en vue du re
nouvellement des traités de commerce.
Libre-échange ou protection : ce sont
les deux termes de la situation. La
France en est encore à ne pas savoir à
quel régime on la mettra. Elle est la
proie des systèmes. Depuiï soixante
ans on ne fait que des expériences à
ses dépens. Ce n'est pas une preuve de
prospérité qu'il faille encore chercher
la meilleure condition commerciale et
industrielle pour le pays.
Au moins si ceux qui parlent au
nom du gouvernement étaient hum
bles ! S'ils reconnaissaient que la si
tuation économique du pays laisse
beaucoup à désirer; s'ils convenaient
que des expériences fâcheuses ont été
faites et des fautes commises; s'ils
avouaient que les révolutions, les faus
ses doctrines, les utopies politiques et
sociales sont funestes à un peuple;
s'ils répudiaient toutes les causes d'er
reurs et de troubles qui ont mis la
France dans un état si précaire, ils
auraient raison, de vouloir s'éclairer
sur les faits, d'examiner de près la
situation, de rechercher le remède au
mal. Mais, non ! six mois durant, les
hommes du pouvoir ont étalé le plus
grossier charlatanisme ; ils ont impu
demment célébré le régime révolution
naire, vanté des progrès factices, pris
le monde à témoin d'une prospérité
chimérique. Ils ont trompé le pays
par le mirage de l'Exposition. Et c'est
après cela qu'ils sont forcés de recou
rir à une enquête, pour constater des
souffrances qui ne sont que trop réelles
et s'occuper d'améliorer les condi
tions de l'agriculture et du commerce.
Mais celte enquête, comment la
fera-t-on ? A quoi aboutira-t-elle ?
Combien n'en avons-nous pas vu d'en
quêtes depuis un demi-siècle ! Pour le
moment, on discute si l'enquête sera
gouvernementale ou parlementaire.
Qu'elle soit l'une ou l'autre, le résultat
n'en sera pas très différent. Veut-on
réellement remédier à la situation ?
Alors il faut changer les lois, les ins
titutions qui en sont, en grande partie,
la cause. Sous ce rapport, l'enquête
est faite. 11 y a longtemps que les éco
nomistes et les publicistes antirévolu
tionnaires ont signalé les causes réel
les, certaines, de la crise économique
de la France; il y a longtemps qu'ils ont
prouvéque le régime succesoral actuel,
la loi des partages, la centralisation,
le libre-échange, le travail du diman
che ontproduit lemalaise actuel. Veut-
on le reconnaître? Veut-on réformer
ces lois et ces pratiques mauvaises ?
Sinon, à quoi bon des enquêtes, qui
n'iront pas au fond des choses, qui ne
feront que constater des faits particu
liers, qui se borneront aux apparen
ces, aux résultats sensibles, mais qui
ne remédieront à rien?
Tout au plus fourniront-elles quel
ques indications pour la modifica
tion des tarifs. Peut-être permettront-
elles de renouveler en 1892 les traités
de commerce dans des conditions
moins désavantageuses que celles qui
ont été imposées à la France par le
.traité de Francfort. Ce ne sont là que
des atténuations partielles. La crise
agricole et commerciale tient à des
causes générales,qu'on ne veut même
pas examiner, parce qu'il faudrait re
connaître que la Révolution n'a été
qu'un principe de désorganisation et
d'appauvrissement. Ce serait tout le
contraire des discours consacrés à la
glorification du centenaire de 1789.
Arthur Loth.
Où en sommes-nous ?
Un mois s'est écoulé depuis que la
nouvelle Chambre a pris possession
du Palais-Bourbon; Qu'a-t-elle fait?
Quelles indications a-t-elle données
sur la politique qu'elle entend suivre?
A-t-on vu se manifester dans ses
rangs cet esprit de conciliation qui
devait, au dire du Temps et du Journal
des Débats, produire tout de suite une
détente et amener bièntôt la pacifica
tion générale ? Semble-t-il enfin, d'a
près ses débuts, que la législature de
1889 doive beaucoup différer de la
précédente ? Les gauches promettent-
elles d'avoir une autre attitude ? La
droite paraît-elle songer sérieusement
à modifier son système d'opposition
au jour le jour ? Voilà bien des ques
tions. II serait facile d'en poser encore
une dizaine, dans le même goût. Mais
répondre ne serait, pas si aisé.
La Chambre, sauf quelques incidents
qui n'ont point jeté sur ses vues grande
lumière, s'est occupée jusqu'ici de la
vérification des pouvoirs. Deux voies,
deux politiques s'offraient à elle : la
politique d'invalidation, c'est-à-dire
de guerre ; la politique de validation,
c'est-à-dire d'apaisement. Chacune de
ces deux politiques avait ses prôneurs
dans la majorité républicaine. La ma
jorité républicaine n'a suivi ni l'une
ni l'autre. On ne peut pas soutenir
qu'elle ait invalidé avec rage ; on peut
encore moins prétendre qu'elle ait eu
la validation facile. Ce qui paraît l'a
voir guidée depuis le commencement,
ce n'est pas une politique d'ensemble,
ce n'est surtout point l'esprit de jus
tice. Hormis de très rares exceptions,
elle a simplement considéré l'écart des
voix obtenues par les concurrents. Si
l'élu conservateur ou boulangiste avait
distancé de loin le candidat opportu
niste ou radical : validé. -Si l'élu bou
langiste ou conservateur avait dis
tancé de peu le candidat radical ou
opportuniste : invalidé. Voilà tout le
système. Cherchez là-dedans une in
dication de politique générale.
D'autre part, la droite a luit, jus
qu'ici, exactement ce qu'elle avait
fait au début de toutes les précédentes
législatures, et qui ne lui a jamais pro
fité. Pour ne pas irriter lès gauches et
dans l'espoir, un peu naïf, d'éviter
ainsi quelques invalidations, elle s'est
abstenue avec soin de dénoncer, contre
un seul membre de la majorité répu
blicaine, le plus petit fait de pression
officielle.. . Nous nous trompons : M.
le comte de Lanjuinais a eu ce cou
rage à propos de l'élection du triste
Boissy d'Anglas. Encore n'a-t-il pas
insisté ; et il n'y est point revenu, ni
lui, ni aucun autre député conserva
teur; les sages de la droite ayant
déclaré sans doute cela fort impru
dent.
Le résultat de cette mansuétude
craintive, c'est de permettre aux par
tisans du régime actuel de soutenir,
avec un surcroît d'impudence, en pre
nant à témoin l'attitude des réaction
naires, que le gouvernement a laissé
la plus entière liberté au suffrage uni
versel. Evidemment cela ne trompe
personne à la Chambre ; mais dans le
pays!
Quant à concevoir la moindre veil-
léité de reconnaissance envers la
droite, dont ils comprennent d'ailleurs
parfaitement le mobile intéressé, les
républicains n'y songeront point un
instant, pas plus cette fois qu'en 1885
et 1881. La minorité conservatrice aura
donc abandonné une de ses meilleures
armes, sans avoir le moins du monde
désarmé, ni même adouci ses adver
saires.
L'accueil glacial fait par la majorité
aux tentatives conciliatrices, verbales,
de M. Léon Say, comme aux avances,
écrites, de M. Hély d'Oissel, semble
montrer qu'au centre et à gauche on
ne désire point l'apaisement; les dé
bats relatifs à la vérification des pou
voirs paraissent indiquer qu'à droite,
au centre et à gauche, on préfère tou
jours la politique des expédients à
celle des principes. Telle est la situa
tion. Elle ne promet rien de nouveau ;
rien de bon par conséquent. Entre
cette majorité républicaine animée
des intentions les plus mauvaises,
et cette minorité conservatrice, pa
vée des intentions les meilleures,
mais toutes deux ne sachant trop que
faire, n'y a-t-il pas une position nette
et ferme à prendre, et saura-t-on la
prendre enfin ?
Pierre Veuillot.
La Chambre, fatiguée de la séance
de la veille, n'a pas fait beaucoup de
besogne. Elle a pourtant trouvé le
moyen de commettre une injustice.
Elle a invalidé M. Léouzon-Leduc,
coupable d'être révisionniste. Croirait-
on que le principal grief dirigé contre
lui est d'avoir dit que les impôts vont
augmenter? Et pourtant tout le monde
sait bién qu'en effet on a besoin de
nouvelles ressources. Les journaux
républicains importants le disent tout
haut ; ils discutent même les moyens
auxquels on doit recourir. M. Léouzon-
Leduc s'est défendu aussi sur les au
tres points. Il avait des agents électo
raux : assurément, est-ce que les
républicains n'en avaient pas? On lui
a bien reproché d'être jeune et de
n'avoir pas de notoriété, ce qui, pa
raît-il, lui interdisait de se faire élire.
C'est M. Mesureur qui a soutenu cette
accusation intelligente. Si M. Léouzon-
Leduc avait eu la bonne idée de com
mencer sa carrière politique en dé
baptisant les rues de Rochechouart,
M. Mesureur lui aurait reconnu des
droits électoraux.
C'est toute la séance, car avant d'in
valider, on s'est borné à écarter une
interpellation de M. Bourgeois rela
tive à la convention monétaire. M.
Bourgeois a vainement assuré que, par
suite des conditions de rembourse
ment, nous sommes exposés à voir, au
moment de la liquidation, cent mil
lions de pièces italiennes rester dans
les caisses françaises; d'où résultera
une perte de 25 0^0. MM. Spuller et
Rouvier ont répondu qu'on pourra tou
jours dénoncer la convention assez de
temps à l'avance pour que le stock des
monnaies étrangères soit écoulé.
Jeudi on discutera l'élection de la
Cochinchine.
E.T.
La proposition de loi que le Sénat a
votée hier touche à une question du
plus haut intérêt : le peuplement de
l'Algérie par des Français. Deux cho
ses frappent particulièrement le voya-
géur en Algérie : d'une part, l'étendue
relativement resserrée des terrains
cultivés, eu égard à l'immensité des
champs incultes que possèdent les tri
bus indigènes et à l'étendue considé
rable de bois rabougris et de brous-,
sailles clairsemées que l'Etat, décore
du nom de forêts domaniales ; d'autre
part, le nombre trop restreint des Fran
çais qui habitent la colonie; à part les
fonctionnaires, les soldats et les em
ployés des administrations ou des che
mins de fer (tout ce monde renfer
mant déjà une partie notable d'indi
gènes), il n'y a guère plus de Français
en Algérie que d'Espagnols, d'Italiens
et de Maltais réunis. On sait, du reste,
et la récente crise monétaire d'Oran a
appelé l'attention sur ce sujet, que les
Espagnols se considèrent absolument
comme chez eux dans la province
d'Oran,où ils sont en plus grand nom
bre que les Français. Un journal d'Al
ger, l' Union africaine , disait même
dernièrement que beaucoup de colons 1
algériens avaient quitté la belle pro
vince de Gonstantine pour ... la
Plata. .
D'une situation aussi critique, de
nature à compromettre [absolument
l'avenir de notre colonie, est né le
projet que le Sénat a discuté durant
deux séances : peupler l'Algérie de
Français en livrant deux cent mille
hectares de ressources domaniales à
la colonisation. Gomment cela peut-il
peupler l'Algérie de Français, puis
qu'une bande noire de ces bons juifs
qui pullulent en Algérie pourraient
faire une raffle de ces deux cent mille
hectares et en trafiquer ensuite à leur
corps défendant ? Le projet de loi pare
à cette objection au moyen d'une com
binaison discutable, puisqu'elle a été
discutée hier, mais ingénieuse et, de
certains côtés, excellente : les terrains
domaniaux à céder à la colonisation
seront partagés en lots de village de
vingt hectares, à vendre à prix fixe, et
en lots de ferme à vendre aux enchè
res, mais chaque acquéreur devra
être Français d'origine européenne,
et ne pourra posséder plus d'un lot.
C'est sur cette dernière condition
que roule la discussion depuis deux
jours. Les uns, avec MM. Boulanger,
Jacques, Etienne, Lenoël, la trouvent
essentielle; d'autres, avec MM. de Cès-
Caupenne, Buffet, Labiche, y voient la
substance d'une loi agraire, aussi mau
vaise en Algérie qu'elle le serait en
France. Aux admirateurs de la colo
nisation américaine qui, avec M. Buf
fet, invoquaient l'exemple du- Far-
West, M. Boulanger a exposé la diffé
rence des situations, le Far-West of
frant des champs illimités à l'activité
des colons, tandis que l'Algérie man
que de terrains ; il n'y a plus ou pres
que plus d'indigènes aux Etats-Unis,
tandis qu'en Algérie les tribus possè
dent, sans les cultiver, la majeure
partie du sol, et n'ont rien à craindre
de leurs conquérants. Toutes ces rai
sons ont fini par convaincre le Sénat,
qui ne voit d'ailleurs pas d'autre moyen
de diriger sur l'Algérie le courant d'é
migration française, et le projet de loi
a été voté en première délibération, à
l'exception de quelques dispositions
qui ont été réservées.
Joseph Mollet.
Voici ce que porte une note com
muniquée aux journaux :
Hier, sur mandat de M. Couturier, juge
d'instruction, spécialement commis à cet
effet par M. Banaston, procureur de la
République, les commissaires aux déléga
tions judiciaires se sont rendus chez les
principaux éditeurs dê Paris et y ont saisi
toutes les couvertures de livres dont les
dessins offraient un car&Gtère d'immora
lité.
Nous souhaitons vivement que la.
mesure dont il s'agit ait été pratiquée
sérieusement; mais il nous reste quel
que doute à ce sujet, tant est grand le
nombre des publications qui devraient
tomber sous le coup de cete mesuré.
Et que dire des affiches qui s'étalent
librement, non plus derrière une vi
trine, chez les libraires, mais sur tou
tes les murailles, colonnes et édifices ?
Sous prétexte de réclames commer
ciales, on voit maintenant s'afficher de
la sorte, en nombre incalculable, de
véritables produits pornographiques
qui sont autant d'outrages publics à
la décence. Il serait temps, vraiment,
qu'un vigoureux coup de balai donné
dans ces ordures les poussât à l'égout,
leur destination naturelle. Le parquet
et le préfet de police montrent pour
certains ; délits, par exemple le vaga
bondage, des sévérités assurément
moins méritées que le seraient celles
qui mettraient quelque frein à une si
honteuse exploitationi
Auquste Roussel.
Une revue des Etats-Unis, le Forum,
publie sur la question du divorce un
article qui fait justement beaucoup de
bruit dans le nouveau monde.
Il y a déjà quelque temps, d'ailleurs,
que cette discussion sur le divorce
passionne le public américain. Les dé
fenseurs les plus enragés de cette loi
de dissolution sociale en Amérique ne
songent guère à en contester les per
nicieuses et honteuses conséquences.
Leur thèse est à peu près celle-ci : « Le
divorce est un mal nécessaire. Il faut
se borner à trouver le moyen de s'en
servir raisonnablement ». On cher
chera longtemps. Les lois de désagré
gation désagrègent parce qu'elles sont
faites pour désagréger. Et on peut rap
peler, à propos de ce qui se passe pour
le divorce, ce que Tocqueville lui-
même disait à propos du partage égal.
Le législateur, sa loi lancée, peut se
croiser les bras. Au bout de cent ans,
le niveau égalitaire aura passé sur les
générations. Nous citons la pensée de
mémoire n'ayant pas le texte sous les
yeux.
Mais la loi du partage égal,qui a tant
contribué à dépeupler la France et à
tarir les canaux de la colonisation, ne
devait être pour lés générations de ce
siècle que le niveau de l'instabilité ma
térielle et politique. — La loi du di
vorce tend non plus seulement à di
minuer la famille,mais à la supprimer
en la frappant dans sa source. — Et le
général Boulanger n'a point compris
cela quand il a choisi M. Naquet, le
père du divorce en France,pour un de
ses princiqaux lieutenants.
Quant à l'article du Forum , il a
pour auteur M. Phelps, l'ex-ministre
des Etats-Unis à Londres. M. Phelps
est protestant, et il n'hésite pas à for
muler cette conclusion : « Je m'aven
ture à suggérer — à la suite d'une
longue observation des procès de ce
genre (en divorce) —qu'on ne trouvera
d'autre remède contre ces procès
que l'abolition du divorce qui permet
aux conjoints ou à l'un des conjoints
de se remarier. »
Notons bien qu'il s'agit d'une con
troverse entre protestants. Nous y re
viendrons.
L. N. G.
Les Jésuites au Canada
A la suite du règlement, parle pre
mier ministre Mercier, de l'affaire des
biens des jésuites au Canada, de
perfides polémiques ont été soulevées
naasa
FEUILLETON DE VUNIVERS
bu 12 décembre
PROPOS DIVERS
Champfleury est-mort. Cette nonvelle a
surpris beaucoup de gens qui depuis long
temps déjà le croyaient enterré. Au fait,
enterré,ill'étaitsous une triple couche d'in
différence et d'oubli. Son dernier ouvrage
avait paru vers 1875 sans grand tapa
ge, malgré des réclames d'éditeurs savam
ment organisées. Le public regardait d'un
8utre côté ; il ne vit pas ce dernier-né d'un
écrivain jadis célèbre, et le volume ne con
nut pas les gloires, banales aujourd'hui, de
la deuxième édition. Champfleury ne se
le fit pas dire deux fois. Bien qu'il se sen
tît encore dans la force de l'âge, il com
prit que la mode avait tourné, et n'attendit
pas pour quitter la scène qu'on lui lançât
des pommes cuites.Bel exemple à proposer
aux vieux comédiens, aux vieux poètes et
aux vieux politiques. "Mais l'exemple ja
mais n'a corrigé personne, et l'archevêque
de Grenade longtemps encore composera
des homélies.
Champfleury, d'ailleurs, avait de quoi
égayer ses vieux jours, et la retraite devait
lui peser bien moins qu'à beaucoup d'au
tres. Vous connaissez le mot de Talleyrand
à un jeune homme qui confessait ne pas
savoir le whist :
— « Vous vous préparez, Monsieur, »
lui dit le prince, « une triste vieillesse. »
J'ignore si Champfleury cultivait le
whist, mais il avait de nombreux talismans
pour conjurer l'ennui. Il était musicien,
bibliophile, fureteur et collectionneur. Dès
son jeune âge, il s'était épris de vieilles
peintures, de vieilles images, de vieux bou
quins et surtout de vieilles faïences. C'est
lui qui, le premier, fit la chasse aux assiet
tes, aux saladiers, aux plats à barbe de la
période révolutionnaire.
Avec le temps, qui en matière de collec
tions est un instrument plus efficace que
l'argent, il avait fini par constituer une
réunion unique au monde, qui, classée
dans un bel ordre chronologique, constitue
une véritable histoire céramique de la Ré
volution française. Cette histoire,d'ailleurs,
Chanipfleury l'a écrite, et elle restera un
guidé nécessaire pour les collectionneurs
de l'avenir.
Le métier de collectionneur en effet n'est
pas toujours facile.
On a beaucoup contrefait depuis quel
ques années, et tel tesson qu'on a payé au
poids de l'or, le croyant centenaire, se fa
brique tout bonnement par grosses dans
un atelier de Vaugirard dont je pourrais
donner l'adresse.
Un touriste explore, dans la saison des
bains, qaelque recoin perdu de la Breta
gne ou de l'Auvergne. La chaleur est acca
blante, il entre dans une chaumière pour
demander à boire. On le sert avec empres
sement ; mais comme il va porter le verre
d'eau à ses lèvres, il fait un soubresaut. Il
a vu dans la main de la paysanne une as
siette de faïence ornée-d'un coq ou d'an
drapeau ou même d'une guillotine.
Pas de doute possible, il est en présence
d'une pièce admirable,et dont l'authenticité
ne laisse rien h désirer. Comment suppo
ser que sous cë toit de chaume, parmi ces
populations ingénues se soient introduites
les roueries ingénieuses, merveilleux tru
quages du brocantage parisien? Néan
moins, il faut s'éclairer, et le touriste com
mence son enquête :
— Tiens, dit-il, vous avez là une jolie
assiette.
• — Monsieur veut rire, répond la villa
geoise, riant elle-même à belles dents.
— Non, je parle sérieusement. Cètte as
siette me plaît.
— Bah ! une vieillerie I
— Eh bien ! j'aime les vieilleries, moi.
C'est un goût comme un autre, et si vous
le voulez, j'achète votre assiette.
— Allons donc I
— C'est comme ça. Combien en voulez-
vous? Je la paie et je l'emporte...
• La paysanne devient sérieuse.
— Dame, dit-elle, moi je ne demanderais
pas mieux, mais mon mari tient à ses as
siettes.....
— Vous en avez donc,d'autres ?
— Oui, monsieur, nous avons aussi des
plats et une soupière... mais mon mari ne
voudrait peut-être pas s'en séparer. Ça lui
vient de son grand-père, du temps de la
grande Révolution, et alors vous com
prenez...
Le collectionneur, comme bien vous pen
sez, ne comprend plus qu'une chose, c'est
qu'il lui faut ces faïences. Il les paiera ce
qu'on voudra, mais il ne rentrera pas à
Paris sans elles. Le feu sacré s'est emparé
de lui. Il se sent au cœur
Ce je ne pais quel dieu qui veut qu'on soit
[vainqueur.
Je vous fais grâce de l'entrée en scène du
mari, de ses hésitations, de ses scrupules,
levés par l'appât d'une somme ronde et la
promesse d'un service complet en fine por
celaine pour remplacer les faïences démo
dées du grand-père. L'affaire est conclue,
et le premier courrier emporte à Paris deux
lettres conçues à peu près en ces termes :
Monsieur Durand, emballeur,
avenue de FOpéra,
Paris.
Monsieur,
Veuillez m'expédier par le premier tra'.n votre
plus habile ouvrier. Il s'agit d'emballer une col
lection de faïences du plus grand prix : une
trouvaille inestimable que j'ai faite par hasard,
et que j'ai eue pour un morceau de pain.
Recevez, eto.
Vicomte D'A nbrézy.
En vilégiature à Quimperoaradec..
(Finistère).
Monsieur Tabareau, fabricant de faïences,
Avenue de Montsouris, 175.
Paris.
Monsieur, la présente est pour vous dire que
j'ai assez bien vendu les dernières faïences que
vous m'avez expédiées et pour vous prier de
m'en envoyer d'autres le plus tût possible.
. Votre très humble serviteur,
Y von L e F loch
à Plouernach, par Quimperlé,
(Finistère).
Qu'on ne m'accuse pas d'imaginer celte
historiette pour les besoins de ma chroni
que. Il est avéré que plusieurs fabricants
de Paris pratiquent couramment cette in
dustrie. Ils ont des commis-voyageurs qui
courent les campagnes les plus inexplorées
et déposent chez lés paysans des assorti
ments de faïences contrefaites. Le déposi
taire a pour consigne de se servir journel
lement de ces faïences. Si quelqu'une vient
à s'ébrécher ou à se fêler, cet accident
aide à la vraisemblance et peut jouer un
rôle décisif dans la comédie finale dont j'ai
tout à l'heure esquissé le scénario. Le dé
positaire s'engage, en outre, en cas de
vente, à rembourser au fabricant une
somme déterminée d'avance, moyennant
quoi on lui fera une seconde livraison.
Ces conventions s'exécutent de part et
d'autre avec la plus rigide probité, chacun
y trouvant son compte. Quant au collection
neur floué, il étale ses merveilles, il triom
phe, il fait des envieux, il est incontestable
ment le plus heureux des trois, jusqu'au
jour où, par grand hasard, il découvre le
pot-aux-roses. Mais alors la peur du ridi
cule le fait taire, comme jadis ce membre
de l'Institut & qui un faussaire, encore plus
facétieux qu'habile, avait vendu un auto
graphe de Ponce-Pilate. Et Tabareau, et
Le Floch, l'un à Paris, l'autre à Quimper
oaradec, continuent d'approvisionner de
faïences antiques les touristes naïfs qui
croient encore à la Bretagne.
Ne voilà-t-il pas une digression bien
longae? J'ose croire pourtant que Champ
fleury me l'eût volontiers pardonnée, car
elle touche à l'objet de ses prédilections.
Ce n'est pas à lui, par exemple, qu'on en
eût fait accroire. Il avait cette vieille expé
rience qui déjoue tous les pièges, et ce
flair subtil qui ne se trompe pas. Rendons
justice au gouvernement de la République.
Je ne sais pas bien en quelle année ni dans
quel cabinet il se rencontra un ministre
assez intelligent pour nommer Champfleury
conservateur du musée céramique de Sè
vres. Pour une fois, l'épigramme éternel
lement vraie de Figaro reçut un démenti
officiel, et pour cet emploi qui demandait
des connaissances céramiques, on n'alla
pas chercher un danseur.
C'est à Sèvres,
Dans ce palais de porcelaines fines,
comme dit l'idylle chinoise de Théophile
Gautier, que Champfleury est mort tran
quille, oublié — peut-être heureux. Ce
dernier point cependant est moins sûr. Ce
n'est pas, pour l'ordinaire, sans quelque
douleur cachée, et d'autant plus cuisante,
qu'un homme de lettres habitué, sinon à la
gloire, du moins au bruit, se voit immatri
culé de son vivant dans ce bataillon des
Oubliés et des Dédaignés dont Monselet a
retracé l'histoire. Relisez dans les Libres
Penseurs le poignant récit des dernières
années de Delatouche.
Il n'y a pas à le nier, Champfleury, il y
a quelque trente temps, était un chef d'é
cole. Il occupait dans les lettres une place
égale à celle qae son ami Courbet occupait
dans les arts.
Dès 1846, Champfleury, rendant compte
du Salon dans je ne sais quelle feuille,avait
annoncé au monde la gloire future de Cour
bet. Courbet ne fut pas insensible ïi l'en
thousiasme de son prophète. Il le lut et
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