Titre : L'Univers
Éditeur : L'Univers (Paris)
Date d'édition : 1889-09-07
Contributeur : Veuillot, Louis (1813-1883). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, Pierre (1859-1907). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, François (1870-1952). Rédacteur
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 07 septembre 1889 07 septembre 1889
Description : 1889/09/07 (Numéro 7919). 1889/09/07 (Numéro 7919).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse Collection numérique : Bibliographie de la presse
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Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
Samedi 7 Septembre 1SSS
N' 7919 — édition quotidienne
Samedi 7 Septembre 1889
mm
«
ËSITXON QUOÏIDIENNB
ÉDITION BEMI-atJOTEDIENNB
On an. . .
Six mois. .
Trois mois.
PARIS
El DÉPARTEMENTS
. . 55 »
. . 23 50
. . 15 »
ÉlKttî'vtrjR
{UNION rûSTALï)
66 »
34 »
18 i
^taboniiementa portent de« i" et 13 de chaque mois
UN NUMÉRO { cé^t'emenis". II-
BUREAUX : Paris, 10, rue des Saints-Pères
PARIS
CT DÉPARTEMENTS
Un an 30 »
Six mois. -. . . 16 »
Trais mois. . . 8 50
ÉTRANGER
{union fostau)
36 »
19 »
10 »
On s'abonne & Rome, place du Gesù, 8
Les abonnement* partent des i« et ta do chaque maM
L'UNIVERS ne répond pas des manuscrits qui lui sont adressés
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et C lc , 6, place de la Bourse
«ma*
FRANCS
PARIS, 6 SEPTEMBRE 1839
La nouvelle du jour, c'est la lettre
que le général Boulanger vient d a-
dresser à M. Tirard, président du con
seil, pour demander d'être traduit
devant un conseil de guerre ou devant
une cour d'appel. « Manœuvre électo
rale I » s'écrie le Voltaire. Soit, mais la
manœuvre ne manque pas d^habileté,
d'autant plus qu'en ces derniers jours
le Radical , par exemple, et plusieurs
autres feuilles gouvernementales ^ de
même couleur menaçaient le général
Boulanger de la convocation d'un con
seil de guerre. Or, aujourd'hui c'est le
général Boulanger qui prend l'initia
tive d'aller au devant de cette menace,
et ce sont les journaux susdits qui re
culent. Le public constatera tout natu
rellement la chose, et ce n'est pas à
coup sûr le gouvernement qui en bé
néficiera.
Sur un. autre point, le gouverne
ment ne fait pas plus brillante figure.
On sait la piteuse distinction inventée
par le ministère de l'intérieur pour
donner à l'administration le droit, vis-
à-vis les seuls condamnés de la cour,
de refuser leur déclaration de candida
ture pour motif d'inéligibilité spéciale.
La thèse était si étrange qu'elle n'a
pas tenu devant la réprobation géné
raient aujourd'hui une note du Temps
nous fait savoir que le gouvernement
n'insistera pas sur cette interdiction.
Peut-être aussi l'attitude de la « Fédé
ration » de Montmartre a-t-elle ouvert
les yeux à M. Constans.
On parle, d'ailleurs, de querelles
intestines qui auraient surgi dans le
conseil des ministres entre M. Gons
tans et M. Tirard, celui-ci revendi
quant, comme président du conseil,
la direction générale de la politique
intérieure, dont M. Gonstans doit être,
à son avis, l'exécuteur et non l'initia
teur. Saisi du différend, le conseil des
ministres se serait presque partagé
par moitié et à la suite d'une discus
sion orageuse, on aurait, de part et
d'autre, décidé de s'en remettre à l'ar
bitrage de M. Garnot. A vrai dire,
nous ne croyons pas beaucoup à ces
bruits, M. Tirard étant très capable
d'être le complice de M. Gonstans, dont
il a défendu « l'honneur » à la tri
bune quand le principal intéressé ne
bougeait pas et ne soufflait mot. Quant
à M. Garnot, il a donné sa mesure de
puis qu'il a si gaillardement fait en
trer les Thévenet et les Gonstans dans
son entourage.
Toute la presse allemande s'occupe
des observations de la Gazette_ de l'Al
lemagne du Nord sur la question des
passeportsen Alsace-Lorraine,et géné
ralement elle se montre peu favorable
à l'attitude prise par l'organe du
chancelier. Le Journal d!Alsace fait re
marquer qu'on doit attendre, pour être
définitivement fixé, k réponse del'em-
pereur à la requête écrite que lui a
fait parvenir la délégation d'Alsace-
Lorraine.
A Dresde,où viennent d'arriver l'em
pereur et l'impératrice, le maire a pro
noncé un discours assez belliqueux,
offrant par avance le concours dévoué
de la Saxe contre les ennemis de l'em
pire si ceux-ci rendaient impossible
le maintien de la paix. C'est peut-être
d'un autre côté qu'il faudrait regar
der, si l'on voulait s'adresser à ceux
dont l'attitude menace véritablement
le maintien de la paix.
Un fait considérable vient de se
passer en Chine. L'empereur a rendu
un décret approuvant la construction
d'un chemin de fer entre Pékin et
Ilankon; les travaux, qui doivent com
mencer dé suite, seront inaugurés si
multanément aux deux extrémités de
la ligne.
L'empereur a ordonné en même
temps aux vice-rois des provinces de
lancer des proclamations explicatives
destinées à détruire les préj ugés des
populations contre les chemins de fer.
Il est de règle, avant la bataille, de
montrer une confiance absolue dans
la victoire : c'est l'usage des deux
partis. Républicains et boulangistes
témoignent en ce moment d'une
même assurance pour l'issue de la
lutte électorale ; dans chacun des deux
camps on se proclamé vainqueur d'a
vance. Nous remarquons surtout l'air
de triomphe République Française :
« Aucun doute, s'écrie-t-elle, sur le
résultat final. Le 22 septembre, anni
versaire de la date immortelle où la
République fut proclamée pour la
première fois, verra le suffrage uni
versel consacrer avec un magnifique
éclat la République et faire une fois
de plus des conquêtes de la Révolu
tion une réalité. »
Est-ce pure tactique de la part des
journaux opportunistes d'afficher une
si belle certitude? N'auraient-ils pas
plus de raisons que nous ne voudrions
de croire au succès? Avec un minis
tère décidé à tout pour réussir,avec un
personnel de fonctionnaires qui jouent
leur sort, avec les fascinations ac
tuelles de l'Exposition, avec la loi mi
litaire, avec la complicité de toutes les
mauvaises passions de jouissance et
d'égalité et le déchaînement des hai
nes contre la religion, les républicains
ont plus de chances de leur côté que
les honnêtes gens. Et les torts du gou
vernement, si graves , si nombreux
qu'ils soient, suffiront-ils à faire con
tre-poids à tous ces éléments de suc
cès?
On a peut-être trop compté, pour
battre en brèche la république gou
vernementale, sur l'effet des accusa-
sations portées contre ses principaux
chefs. Que peuvent faire après tout, à
une quantité d'individus qui ont leurs
raisons particulières de vouloir le
maintien du régime actuel, tout ce
qu'on a pu dire contre M. Grévy et son
gendre, ou contre M. Constans et M.
Thévenet, et M. Rouvier et les autres ?
Sommes-nous dans le siècle de l'hon
nêteté et la république est-elle le ré
gime de la vertu ? Quand les Danton
et les Marat sont publiquement glori
fiés, quand un Garnot reçoit les hon
neurs officiels du Panthéon, quand les
Robespierre, les Fouquier-Tinville, les
ColIot-d'Herbois, les Saint-Just, sont
salués partout, en cette année du cen
tenaire de la Révolution, comme les
glorieux ancêtres de la patrie moder
ne et les premiers fondateurs de la
république, peut-on attendre de
bien moindres forfaits qu'ils inspi
rent de l'horreur à l'opinion? M.
Rouvier eût-il commis les malversa
tions dont on l'accuse, sans compter
l'odieux attentat pour lequel il dut
passer en police correctionnelle; M.
Thévenet eût-il bénéficié, comme on
le prétend, de ses relations avec un
escroc de Bourse; M. Gonstans lui-
même eût-il fait empoisonner l'infor
tuné Richaud, après avoir extorqué la
ceinture à dimants du roi Norodom,
qu'est-ce que tout cela auprès des
actes des hommes de 92 et de 93 dont
on fait aujourd'hui des héros ?
Ce serait avoir trop bonne idée du
suffrage universel que de le croire ab
solument sensible à des méfaits tels
que les indélicatesses de celui-ci, ou
les tripotages de celui-là. Tout passe,
tout s'oublie. M. Wilson lui-même
n'a-t-il pas pu se représenter devant les
électeurs ? Les honnêtes gens sont
trop portés à se prendre pour les au
tres et à croire que ceux-ci pensent et
sentent comme eux. Quels que soient
les griefs des hommes d'ordre et de
bien, de travail et de paix, contre le
régime actuel, rien n'est moins assuré
pour eux que le succès aux prochaines
élections.
Ce qui doit pourtant déterminer
tous les conservateurs, et les catholi
ques surtout, à fai^e les plus vigou
reux efforts dans la lutte électorale,
c'est l'importance du résultat. Il y a
quelque chose jie particulièrement
inquiétant dans l'approbation et l'es
time données si chaleureusement au
ministère actuel par les républicains,
qui ne cessaient de réclamer un gou
vernement fort. La République Française
exulte en disant qu'on a un ministère
qui est enfin un gouvernement, un
gouvernement qu'elle qualifie de bien
faisant et de réparateur.
Qu'est-ce que cela signifie ? En quoi
ce ministère-ci est-il plutôt un gou
vernement que les autres ? Pourquoi
les Gonstans et les Thévenet valent-ils
mieux que leurs prédécesseurs ?
Qu'ont-ils fait de plus que les autres,
ceux-là ? Une seule chose. Ils ont mon
tré qu'ils pouvaient passer outre au
droit pour arriver à leurs fins ; ils ont
prouvé qu'ils étaient hommes à mettre
de côté la loi, à violenter la justice, à
frauder la vérité pour défendre la ré
publique. Ils ont fait le procès Bou
langer, ils l'ont fait au mépris de
la Constitution, avec un tribunal
d'exception, à l'aide de faux témoi
gnages.
Ainsi la République a trouvé son
gouvernement, parce qu'elle a rencon
tré des hommes capables de rempla
cer le droit par la violence.
Le procès Boulanger, dont tous les
républicains ont triomphé avec le
ministère, est un avertissement au
pays sur le caractère du futur régime.
Si le ministère a bien mérité par la
condamnation du~ général Boulanger,
quel gré ne lui saura-t-on pas du
succès des élections ? Le triomphe des
républicains au scrutin du 22 sep
tembre, c'est la consolidation et le
maintien à perpétuité du ministère
Gonstans-Thévenet.
Mais que fera ensuite le parti vain
queur, que fera le ministère ? Il faudra
bien qu'on aille de l'avant. Le triom
phe aura été le prix de la coalition, et
il y aura à satisfaire tous les partis,
tous les programmes. Ira-t-on au so
cialisme ? Ce n'est pas encore le mo
ment ; mais on franchira la dernière
étape de la persécution religieuse.
Pour donner une satisfaction com
mune à tous ceux qu'aura unis la vic
toire, on reprendra la guerre au clergé
et à la religion avec un nouvel achar
nement.
Avant de passer aux réformes socia
les que réclament les radicaux et les
ultra-révolutionnaires, mais qui ef
frayent encore les opportunistes, on
voudra achever l'œuvre commencée de
la sécularisation. Là-dessus l'entente
s'établira facilement, et, s'il le faut,
les plus modérés feront aux intransi
geants toutes les concessions que l'in
térêt de l'union et la discipline du
parti exigeront.
On fera d'abord l'application au
clergé de la loi militaire,et il n'en fau
dra pas plus pour dépeupler les sémi
naires, épuiser les congrégations reli
gieuses, désorganiser le service par
roissial. On en viendra ensuite à la
suppression du budget des cultes, à
l'abrogation du Concordat. M. Thé
venet ne l'a-t-il pas déjà annoncé?
Depuis vingt ans, on a tant de fois
inscrit ces mesures de persécution au
nombre des réformes capitales récla
mées par l'intérêt républicain, qu'un
grand nombre d'électeurs, de ceux
surtout qui sont attachés à la répu
blique par haine de la religion, croi
ront qu il est d'une importance consi
dérable de les obtenir, et le gouverne
ment paraîtra avoir beaucoup fait aux
yeux de son parti, s'il exécute cette
vieille clause des programmes républi-
cains.On ne lui en demandera pas da
vantage, et, pour y arriver, il n'hési
tera ni à manquer à l'obligation con
tractée envers le clergé au nom de la
nation française par la Constituante
de 1789, ni à forfaire à la signature de
la France apposée à perpétuité au
Concordat. Là non plus, ce n'est ni le
droit ni la justice qui l'arrêteront.
Si donc les candidats du ministère
l'emportent aux élections,la prochaine
législature se passera, on peut le pré
dire, à compléter l'œuvre de la laïcisa
tion par les dernières mesures d'exé
cution contre le clergé et les ordres
religieux; elle consommera la rupture
avec l'Eglise. Et après, ce sera la per
sécution.
C'est donc du clergé, de la religion,
de l'Eglise, qu'il s'agit avant tout aux
prochaines élections.
Les catholiques qui veulent le main
tien de l'Eglise, les conservateurs qui
désirent la paix religieuse, compren
dront-ils la nécessité absolue, immé
diate, urgente d'agir, de se concerter,
de faire tous les efforts pour que la
cause de la religion ne succombe pas
au scrutin du 22 septembre avec le
triomphe de la république gouverne
mentale ? Et si le clergé, directement
intéressé à la lutte, s'en mêle, n'aura-
t-il pas fait son devoir et suivi le
conseil que les voix les plus autorisées
des pasteurs lui ont déjà données ?
Arthur Loth.
On trouvera plus loin, à titre docu
mentaire, le texte du manifeste de la
Ligue anti-sémitique de France. Com
me il sera facile de le remarquer, ce
manifeste n'est que la condensation,
pour ainsi dire, des idées formulées
dans les derniers écrits de M. Edouard
Drumont, en partant de son fameux
livre : La France Juive. C'est dire
qu'à côté d'indignations saines, Vi
goureuses, éloquentes, contre un mal
réel dont la France n'est pas seule à
souffrir, il y a des violences regretta
bles et des exagérations évidentes. Il
convient, en un mot, d'a.ppliquer au
manifeste qui nous occupe 1 apprécia
tion bienveillante, mais accompagnée
de réserves nécessaires, qui a été don
née dans l'Univers, de l'ouvrage qui a
bruyamment inauguré la campagne
dont le manifeste est un nouvel inci
dent.
Nous le répétons, cette campagne
est faite à bonne intention, mais nous
craignons qu'elle ne soit compromise
par les excès mêmes de ceux qui s'y
donnent avec toute l'ardeur de mis
sionnaires allant au loin combattre
pour la foi. Il est nécessaire de dire
que la causa n'est pas la même, et
qu'on risquerait de dénaturer une en
treprise, dont tout bon Français doit
souhaiter le succès, si on la présente
comme une guerre d'extermination
faite à une race, à une nation sans
frontières, disséminée à l'état indivi
duel parmi toutes les autres, mais qui
néanmoins garde providentiellement
son unité morale et sa physionomie
propre.
A n'en pas douter, ce qu'on nomme
la juiverie est un fléau, dont les juifs
sont en France, comme partout, les
auteurs principaux. On ne saurait
donc être surpris que les révoltes po
pulaires à l'encontre de ce fléau re
doutable aient surtout les juifs pour
objectif. Mais que de complices n'ont-
ils pas, auxquels on ne songe peut-
être pas assez! En définitive, qu'est-ce
qui permet aux juifs d'asseoir par l'ar
gent leur domination matérielle à peu
près dans toute l'Europe? N'est-ce pas
l'amour général du plaisir et des jouis
sances qui, grâce à un enseignement
démoralisateur et à une presse déver
gondée, a fini par envahir jusqu'aux
travailleurs? Le mal à guérir n'est
donc pas seulement en haut, il est
partout. Qu'il puisse être diminué par
certaines mesures légales, nous le
voulons bien; mais ce ne sont pas
les cours de justice dont parle le ma
nifeste qui, même si elles opéraient
avec toute la sereine impartialité des
juges, y pourraient, suffire. C'est la
réforme générale des mœurs qui est
indispensable, et c'est l'Eglise seule
qui a les moyens de la faire. Qu'on lui
ramène donc les peuples, et l'on con
naîtra un état pareil à celui que main
tenaient les Papes souverains à Rome,
quand les juifs, protégés au Ghetto
contre la haine des foules, étaient
pourtant empêchés de pressurer igno
blement le peuple chrétien.
Auguste Roussel.
Nous recevons de Saint-Flour la
dépêche suivante :
Saint-Flour, 5 septembre, 5. h. 10 soir.
Hier a eu lieu à Murât la plantation de
la croix de Jérusalem.
La solennité a été splendide.
Cinq prélats étaient présents et l'on a
compté près de dix mille pèlerins,dont l'ar
deur s'est traduite par des manifestations
enthousiastes.
De beaux arcs de triomphe avaient été
dressés sur le passage du cortège en
l'honneur de la croix : toutes les rues étaient
pavoisées. Le soir, toute la ville était illu
minée.
Voici 'la lettré que le général Bou
langer vient d'adresser à M. Tirard,
président du conseil :
Londres, le 4 septembre 1889.
Monsieur le président du conseil,
Au moment même où je fus décrété d'ac
cusation et traduit devant la Haute-Cour, je
déclarais que je refusais de m'incliner de
vant une mesure que je trouvais inique, et
que je ne reconnaissais pas la compétence
d'un tribunal d'exception qui avait demandé
lui-môme qu'on me livrât à lui, et dont les
membres, étant mes ennemis, ne po'uvaient
être mes juges.
Mais je déclarai, en môme temps, que si
on me donnait des juges de droit commun,
c'est-à-dire un conseil de guerre, ou la pre
mière chambre de la cour d'appel, dont je
suis justiciable en ma qualité de grand-ofd-
cier de la Légion d'honneur, je considére
rais comme un devoir de répondre au ren
dez-vous.
Après le réquisitoire de M. le procureur
général, après que ce dernier a affirmé des
faits qui, s'ils étaient établis, entacheraient
mon honneur, faits que la Haute-Cour n'a
môme pas eu à apprécier et sur lesquels
elle s'est bornée à voter des réserves pour
permettre que je fasse traduit devant une
juridiction compétente, je ne me contente
pas de déclarer que je me rendrais devant
cette juridiction si j'étais traduit devant
elle, je demande énergiquement à y être
traduit; je demande le [tribunal impartial
auquel a droit tout citoyen.
Vous êtes le chef responsable du gou
vernement : à ce titre, c'est à vous que je
m'adresse pour vous prier d'obtenir, soit
de M. le ministre de la guerre, qu'il me
déféra à un tribunal militaire, soit, si ce
dernier s'y refusait, du ministre de la jus
tice, qu'il me traduise devant la première
chambre de la cour d'appel de Paris.
Et je prends l'engagement formel de me
rendre à l'appel qui me sera fait par l'un
ou par l'autre de ces tribunaux.
Si vous refusiez d'obtempérer à ma de
mande, il deviendrait évident, aux yeux de
tous, qu'on craint en haut lieu les tribu
naux impartiaux et que l'on ne se fie, pour
me juger, qu'à mes ennemis déclarés.
Dans ce cas, la lumière étant faite, il ne
me resterait qu'à remettre ma cause entre
les mains du juge suprême qui, avant trois
semaines, aura prononcé en dernier réas
sort. ■
Veuillez agréer, monsieur le président
du conseil, l'expression de mes sentiments
distingués,
Général Boulanger.
La Presse accompagne cette pubîi-
cation du commentaire que voici :
Ce défi, basé sur la légalité et le droite
est bien dans la théorie de notre parti, et
le général nous permettra de lui envoyer,
de notre part et de la part d9 tous nos
amis, l'expression de notre sincère admi
ration pour cet acte si politique, si digne et
si fier. i
Cette lettre produira, par son allure mô- ;
me, sur le pays une grande et profonde
impression.
Ce langage n'est point celui de la polé
mique et de l'irritation (que l'exil légitime
rait cependant, hélas!) c'est l'appel fait au
gouvernement de son pays par un Français
qu'on a voulu atteindre dans son patrio
tisme et dans son honneur.
Si le gouvernement reste muet à une pa
reille objurgation, la môme pensée viendra
à l'esprit de tous les Français, et on dira
de lui :
Il a peur !
Combien faut-il que notre caase soit
bonne et gagnée d'avance, pour que la
seule parole d'un honnête homme, pronon
cée de si loin, fasse trembler les miséra
bles qui ont entrepris de falsifier le sufiraga
universel I
Veut-on apprécier une fois de plus
de quel ton et avec quel mépris des
convenances religieuses les gens du
Figaro parlent de certaines questions
intéressant les catholiques ?
Voici ce que publie gravement au
jourd'hui ledit journal :
D'après les nouvelles qui nous arrivent
de Rome des sources les plus autorisées,
le départ du Pape de la Ville Eternelle est;
en principe, chose tout à fait arrêtée dans
l'esprit de Léon XIII.
Seulement, d'après un nouveau projet
que nous communique un de nos corres
pondants, l'absence du Saint-Père de la
Ville Eternelle pourrait bien n'avoir qu'une
durée assez courte et se bornerait proba
blement à une simple excursion dans les
pays catholiques du-continent : Autriche,
Belgique, Espagne, etc.
La France serait naturellement comprise
dans l'itinéraire pontifical. Mais la visite
de Léon XIII à Paris et à l'Exposition uni
verselle serait, d'après le même correspon
dant, subordonnée à la situation politique
et au résultat des élections.
Le Pape se réserverait, dans celte com
binaison, de garder ou non l'incognito com
me les autres souverains, soit à sa sortie
de Rome, soit à sa rentrée sur le sol ita
lien, soit au cours do son voyage, selon les
circonstances et ses convenances person
nelles.
Ainsi le Figaro n'a pas reculé devant
cette inconvenance de montrer le Pape
venant incognito visiter l'Exposition
du centenaire de la Révolution !
C'est bien là le journal qui, l'autre
jour, constatant la multiplication des
cas de divorce, en tirait argument en
faveur de la nécessité de la loi qui
s'est attaquée à l'indissolubilité du
mariage. « Les divorces se multiplient,
disait-il. On voit combien la loi qui
les autorise était nécessaire !»
La Vérité
SUR
LÀ QUESTION ROMAINE
III (1)
La nécessité du pouvoir temporel aux
yeux des catholiques, eu égard à l'en
seignement de F Eglise: tel est le titre
du troisième chapitre de la brochure
romaine que nous analysons. L'au
teur, pour justifier ce titre, dit que si
' (1) Voir YUnivers du 5 septembre.
FEUILLETON DE h'UNIVERS
DU 4 SEPTEMBRE 1889
L'EXPOSITION SMIMllE
LK PAVILLON BES FORÊTS
Nos grands corps constitués ont chacun
leur physionomie propre, en dépit de la
diversité des caractères chez les gens bro
dés qui les composent. Ainsi l'ingénieur
des mines, que hante la terrible pensée du
grisou, do l'incendie ou de l'inondation, est
grave, mélancolique, pas da tout bavard ;
il porte sa casquette enfoncée sur les yeux.
L'ingénieur des ponts et chaussées, qui
travaille au grand air, est sérieux sans tris
tesse ; l'habitude qu'il a des inaugurations
et des banquets y annexés, imprime & ses
allures un je ne sais quoi de folâtra qui le
porte à faire des calembours et & relever
sa visière sur le sinciput.
Tous ces ingénieurs ont en communia dé
marche raide, saccadée, qui imprime à la
partie molle de la casquette de petits sou
bresauts caractéristiques. Tous les chefs de
gare et quelques s®us-chefs ont emprunté
ce soubresaut réjouissant aux ingénieurs
de la voie. Voyez-les se promener sur le
quai, au départ des trains.
Da toutes les administrations que l'Ea-
rope nous envie peut être encore — qui
sait ? — la plu.3 charmante, la plus ave
nante, la plus dégourdie, la plus joyeuse,
la plus laborieuse, la plus modeste, c'est
certainement l'administration des forêts.
Est-ce parce qu'elle ressemble à l'armée,
avec son personnel inférieur recruté dans
les régiments,armés de vrais fusils, soumis
à une discipline presque militaire ?
Peut être aussi que je m'abuse un peu ;
car enfin je suis du premier département
forestier de France, et j'ai de si bons pa
rents ou amis parmi les Fagotsl Ah ! si les
Vosges, mes chères Vosges ne produisaient
que des forêts et des forestiers !
Ou commence à se dire dans le public des
visiteurs de l'Exposition : « Allons au Tro-
cadéro voir le pavillon des Forêts. » Ou y
va un peu inquiet — c'est si loin mainte
nant le Trocadéro — et l'on revient en
chanté.
Les forestiers qui voyaient pousser la
tour, s'allonger la galerie des machines,
s'arrondir le dôme central et tant d'autres
dômes, débarquer des tas d'or, d'argent,
de marbre, de stucs, de sculpteurs, de
peintres et d'architectes, les forestiers,
dont le budget est maigre, durent être un
moment embarrassés. Puis ils se dirent
que la richesse ne fait pas le bonheur, que
la vue d'une chaumière repose du specta
cle des palais, et que de beaux rondins ce-
lorés et parfumés par la boane nature va
lent mieux souvent que ces astralgales
auxquelles nous devons le plus sot vers de
la littérature classique. Et ils se mirent
bravement à l'œuvre.
Leur pavillon, assez vaste, est tout en
tier coastruit en troncs d'arbres et en
grosses branches, revêtus de leur écorce.
De beaux arbres, des jardins l'entourent
et lui donnent i distance un petit air
d'oasis mystérieuse au milieu de ce désert
très brûlé du soleil qui est le Trocadéro.
On entre, et tout d'abord on est charmé
par l'odeur fraîche et balsamique du bois
coupé ! Quarante colonnes décorent le pour
tour et la salle ; ce sont des troncs de chêne,
de peuplier grisaille, de hêtre, de robinier,
de charme, de sorbier, de pin, de cerisier,
d'orme, d'épicéa, de bouleau, etc., etc.,
nos plus belles essences françaises. D'au
tres troncs, coupés par le milieu dans leur
longueur, forment pilastres contre les murs;
et, entre les pilastres, des trophées élégants
faits des mille objets que fabrique l'art ou
l'industrie forestière. Au centre, deux
scieries mécaniques, dont je dirai un mot
tout à l'heure.
Deux escaliers de cinq marches me con
duisent à une première galerie où s'ouvrent
trois panoramas. Le plus vaste et le plus
important représente le grand barrage du
Riou-Bourdeux.
Ce torrent, affluent de droite de l'Ubaye
a son confluent à 3 kilomètres en aval de
Barcelonnette ; son bassin occupe la pres
que totalité de la commune da Saint-Pons.
On se fera une idée de la déclivité de son
lit quand on saura qu'entre sa source et
son confluent avec l'Ubaye, deux pointa dis
tants l'un de l'autre de six kilomètres au
plus, la différence de niveau est de près de
1,800 mètres. A droite et à gauche, sur ce
petit parcours, il reçoit de nombreux tor
rents, tous redoutables quand, après la
fonte des neiges ou un orage, ils coulent à
pleins bords ; ils arrachent à leurs flancs
d'énormes masses de terres et de pierres ;
des roches sont entrainées,et un irrésistible
fleuve de boue envahit la vallée, renverse
les maisons, déracine les arbres et ensevelit
les cultures sous une couche épaisse de
limon.
C'est ce terrible torrent que nos forestiers
ont résolu d'endiguer, et ils y sont parve
nus. Le panorama du milieu représente la
digue principale aujourd'hui terminée.
D'autres travaux ont été exécutés en aval
de la digue; il ne reste plus qu'à régulari
ser le cours inférieur du torrent, ce qui sera
fait l'an prochain. Dès à présent, tout péril
est conjuré ; des centaines d'hectares sont
rendus à l'agriculture, et une population
nombreuse est enfin assurée de jouir des
fruits de son labeur.
La formation de ces terrents dévastateurs
est la conséquence de la nudité des monta
gnes, qu'elles soient privées naturellement
de toute végétation forestière, ou que l'igno
rance et la cupidité les aient dépouillées. Il
est donc urgent de leur rendre leur verte
couronne de forêts ; c'est & quoi s'appli
quent nos forestiers, qui se sont imposé
cette tâche vraiment patriotique depuis
nombre d'années déjà. Les endiguements
permettent aux arbres de prendre racine;
ceux-ci, à leur tour, retiendront les eaux,
fortifieront le sol avec leurs racines puissan
tes, et ainsi les deux travaux se compléte
ront l'un par l'autre.
La douce et pure clarté qui donne aux
trois panoramas du pavillon l'aspect un
peu féerique d'un décor de ballet, peut
charmer les yeux du public, mais ne lui
donne qu'une idée imparfaite, fort inexacte
même, des conditions du travail forestier
dans les Alpes. 11 est possible qu'à certains
jours le ciel ait eu cette pureté, l'atmos
phère cette transparence, les pentes abrup
tes cette teinta dorée et que les crêtes ro?
eheuses aient ainsi répercuté les flèches
enflammées du Phœbus alpin; mais le plus
souvent nos forestiers et leurs hommes ont
travaillé sous la pluie, sous la neige, sous
les morsures du vent glacé des gorges,
dans la morne et froide opacité des brouil
lards. Campés à des hauteurs vertigineuses,
loin de toute habitation, ils ont passé de
longs mois au milieu de cotte nature al
pestre, si grandiose pour le touriste qui
n'y hasarde qu'un pied, si cruelle pour ceux
qui y ensevelissent leur vie. Mais ils fai
saient belle et bonne besogne, et quand ils
quitteront le Riou-Bourdoux enfin dompté
à jamais, j'ai quelque idée qne leur con
science sera plus tranquille que celle de
nos honorables à la fin de la dernière
session.
C'est, je crois, par le Riou-Bourdoux que
nos forestiers ont inauguré leurs travaux
d'endiguement dans les Alpes. D'autres
équipes se sont attaquées à d'autres torrents
redoutés, comme celui de Bourgct, par
exemple, dont le confluent avec l'Ubaye
est à 4 kilomètres en avant de Barcelonnette
et qui représeate un des trois panoramas
du pavillon.
~ Deux larges escaliers conduisent le visi
teur à une galerie supérieure d'où l'on do
mine la vaste salle du rez-de-chaussée. Je
n'aurais pas parlé de cette galerie,qui res
semble à toutes celles des autres pavillons,
si je n'y avais admiré un superbe assem
blage de la carte d'état-major au 320,000',
où figurent, par des teintes conventionnel
les, les forêts domaniales, départementa
les et cemmunales, ainsi que les vignes, les
douces vignes de notre cher pays de
Franse. Jem'étonne que cette carte et quel
ques autres de même origine n'aient pas
figuré au procès de la Haute-Cour, sous
l'inculpation d'attentat contre la carte de
môssieu le ministre de l'intérieur, copiée,
d'ailleurs, sur elles.
LES gGIEfUES
J'ai dit plus haut que le pavillon des fo
rêts possédait deux scieries ; elles sont
mues par une machine à gaz et sortent des
ateliers de M. Arbey.
J'ignore si M. Arbey est le seul ou le
plus important des fabricants de scieries
mécaniques. J'ai vu ces machines aux fo
rêts; j'ai donc voulu les étudier dans je ne
sais plus quelle galerie du bord de l'eau.
Je m'y suis rendu par le chemin de fer
Decauville.
Très curieux ce petit chemin de fer, avec
ses petites rails rapprochés à 60 centimè-
très, ses petits wagons à petites roues, sa
petite locomotive et ses gros, très gro3 bé
néfices. Il file gentiment entre les beaux
arbres, entre les murs des déblais os des
constructions, sous les petits tunnels ta
sous les ponts couverts de foule.
Tout le long des murs sont collées des af-
fiches en toutes langues, disant toutes la
même chose en chinois, en persan, en an
glais, en suédois, en espagnol, etc. Il y a
même une de ces affiches multipliées qui
est en latin; la voici, pour indiquer ce que
disent les autres :
0 cives, cavete
Ne caput neve crura
Véhicula exseratis, ne quis
Arborum occursu deleatur
LATIN.
Voilà donc tous les peuples de l'univers
prévenus; le latin, je pense, est pour les
Allemands,dontla langue ne figure pas dans
N' 7919 — édition quotidienne
Samedi 7 Septembre 1889
mm
«
ËSITXON QUOÏIDIENNB
ÉDITION BEMI-atJOTEDIENNB
On an. . .
Six mois. .
Trois mois.
PARIS
El DÉPARTEMENTS
. . 55 »
. . 23 50
. . 15 »
ÉlKttî'vtrjR
{UNION rûSTALï)
66 »
34 »
18 i
^taboniiementa portent de« i" et 13 de chaque mois
UN NUMÉRO { cé^t'emenis". II-
BUREAUX : Paris, 10, rue des Saints-Pères
PARIS
CT DÉPARTEMENTS
Un an 30 »
Six mois. -. . . 16 »
Trais mois. . . 8 50
ÉTRANGER
{union fostau)
36 »
19 »
10 »
On s'abonne & Rome, place du Gesù, 8
Les abonnement* partent des i« et ta do chaque maM
L'UNIVERS ne répond pas des manuscrits qui lui sont adressés
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et C lc , 6, place de la Bourse
«ma*
FRANCS
PARIS, 6 SEPTEMBRE 1839
La nouvelle du jour, c'est la lettre
que le général Boulanger vient d a-
dresser à M. Tirard, président du con
seil, pour demander d'être traduit
devant un conseil de guerre ou devant
une cour d'appel. « Manœuvre électo
rale I » s'écrie le Voltaire. Soit, mais la
manœuvre ne manque pas d^habileté,
d'autant plus qu'en ces derniers jours
le Radical , par exemple, et plusieurs
autres feuilles gouvernementales ^ de
même couleur menaçaient le général
Boulanger de la convocation d'un con
seil de guerre. Or, aujourd'hui c'est le
général Boulanger qui prend l'initia
tive d'aller au devant de cette menace,
et ce sont les journaux susdits qui re
culent. Le public constatera tout natu
rellement la chose, et ce n'est pas à
coup sûr le gouvernement qui en bé
néficiera.
Sur un. autre point, le gouverne
ment ne fait pas plus brillante figure.
On sait la piteuse distinction inventée
par le ministère de l'intérieur pour
donner à l'administration le droit, vis-
à-vis les seuls condamnés de la cour,
de refuser leur déclaration de candida
ture pour motif d'inéligibilité spéciale.
La thèse était si étrange qu'elle n'a
pas tenu devant la réprobation géné
raient aujourd'hui une note du Temps
nous fait savoir que le gouvernement
n'insistera pas sur cette interdiction.
Peut-être aussi l'attitude de la « Fédé
ration » de Montmartre a-t-elle ouvert
les yeux à M. Constans.
On parle, d'ailleurs, de querelles
intestines qui auraient surgi dans le
conseil des ministres entre M. Gons
tans et M. Tirard, celui-ci revendi
quant, comme président du conseil,
la direction générale de la politique
intérieure, dont M. Gonstans doit être,
à son avis, l'exécuteur et non l'initia
teur. Saisi du différend, le conseil des
ministres se serait presque partagé
par moitié et à la suite d'une discus
sion orageuse, on aurait, de part et
d'autre, décidé de s'en remettre à l'ar
bitrage de M. Garnot. A vrai dire,
nous ne croyons pas beaucoup à ces
bruits, M. Tirard étant très capable
d'être le complice de M. Gonstans, dont
il a défendu « l'honneur » à la tri
bune quand le principal intéressé ne
bougeait pas et ne soufflait mot. Quant
à M. Garnot, il a donné sa mesure de
puis qu'il a si gaillardement fait en
trer les Thévenet et les Gonstans dans
son entourage.
Toute la presse allemande s'occupe
des observations de la Gazette_ de l'Al
lemagne du Nord sur la question des
passeportsen Alsace-Lorraine,et géné
ralement elle se montre peu favorable
à l'attitude prise par l'organe du
chancelier. Le Journal d!Alsace fait re
marquer qu'on doit attendre, pour être
définitivement fixé, k réponse del'em-
pereur à la requête écrite que lui a
fait parvenir la délégation d'Alsace-
Lorraine.
A Dresde,où viennent d'arriver l'em
pereur et l'impératrice, le maire a pro
noncé un discours assez belliqueux,
offrant par avance le concours dévoué
de la Saxe contre les ennemis de l'em
pire si ceux-ci rendaient impossible
le maintien de la paix. C'est peut-être
d'un autre côté qu'il faudrait regar
der, si l'on voulait s'adresser à ceux
dont l'attitude menace véritablement
le maintien de la paix.
Un fait considérable vient de se
passer en Chine. L'empereur a rendu
un décret approuvant la construction
d'un chemin de fer entre Pékin et
Ilankon; les travaux, qui doivent com
mencer dé suite, seront inaugurés si
multanément aux deux extrémités de
la ligne.
L'empereur a ordonné en même
temps aux vice-rois des provinces de
lancer des proclamations explicatives
destinées à détruire les préj ugés des
populations contre les chemins de fer.
Il est de règle, avant la bataille, de
montrer une confiance absolue dans
la victoire : c'est l'usage des deux
partis. Républicains et boulangistes
témoignent en ce moment d'une
même assurance pour l'issue de la
lutte électorale ; dans chacun des deux
camps on se proclamé vainqueur d'a
vance. Nous remarquons surtout l'air
de triomphe République Française :
« Aucun doute, s'écrie-t-elle, sur le
résultat final. Le 22 septembre, anni
versaire de la date immortelle où la
République fut proclamée pour la
première fois, verra le suffrage uni
versel consacrer avec un magnifique
éclat la République et faire une fois
de plus des conquêtes de la Révolu
tion une réalité. »
Est-ce pure tactique de la part des
journaux opportunistes d'afficher une
si belle certitude? N'auraient-ils pas
plus de raisons que nous ne voudrions
de croire au succès? Avec un minis
tère décidé à tout pour réussir,avec un
personnel de fonctionnaires qui jouent
leur sort, avec les fascinations ac
tuelles de l'Exposition, avec la loi mi
litaire, avec la complicité de toutes les
mauvaises passions de jouissance et
d'égalité et le déchaînement des hai
nes contre la religion, les républicains
ont plus de chances de leur côté que
les honnêtes gens. Et les torts du gou
vernement, si graves , si nombreux
qu'ils soient, suffiront-ils à faire con
tre-poids à tous ces éléments de suc
cès?
On a peut-être trop compté, pour
battre en brèche la république gou
vernementale, sur l'effet des accusa-
sations portées contre ses principaux
chefs. Que peuvent faire après tout, à
une quantité d'individus qui ont leurs
raisons particulières de vouloir le
maintien du régime actuel, tout ce
qu'on a pu dire contre M. Grévy et son
gendre, ou contre M. Constans et M.
Thévenet, et M. Rouvier et les autres ?
Sommes-nous dans le siècle de l'hon
nêteté et la république est-elle le ré
gime de la vertu ? Quand les Danton
et les Marat sont publiquement glori
fiés, quand un Garnot reçoit les hon
neurs officiels du Panthéon, quand les
Robespierre, les Fouquier-Tinville, les
ColIot-d'Herbois, les Saint-Just, sont
salués partout, en cette année du cen
tenaire de la Révolution, comme les
glorieux ancêtres de la patrie moder
ne et les premiers fondateurs de la
république, peut-on attendre de
bien moindres forfaits qu'ils inspi
rent de l'horreur à l'opinion? M.
Rouvier eût-il commis les malversa
tions dont on l'accuse, sans compter
l'odieux attentat pour lequel il dut
passer en police correctionnelle; M.
Thévenet eût-il bénéficié, comme on
le prétend, de ses relations avec un
escroc de Bourse; M. Gonstans lui-
même eût-il fait empoisonner l'infor
tuné Richaud, après avoir extorqué la
ceinture à dimants du roi Norodom,
qu'est-ce que tout cela auprès des
actes des hommes de 92 et de 93 dont
on fait aujourd'hui des héros ?
Ce serait avoir trop bonne idée du
suffrage universel que de le croire ab
solument sensible à des méfaits tels
que les indélicatesses de celui-ci, ou
les tripotages de celui-là. Tout passe,
tout s'oublie. M. Wilson lui-même
n'a-t-il pas pu se représenter devant les
électeurs ? Les honnêtes gens sont
trop portés à se prendre pour les au
tres et à croire que ceux-ci pensent et
sentent comme eux. Quels que soient
les griefs des hommes d'ordre et de
bien, de travail et de paix, contre le
régime actuel, rien n'est moins assuré
pour eux que le succès aux prochaines
élections.
Ce qui doit pourtant déterminer
tous les conservateurs, et les catholi
ques surtout, à fai^e les plus vigou
reux efforts dans la lutte électorale,
c'est l'importance du résultat. Il y a
quelque chose jie particulièrement
inquiétant dans l'approbation et l'es
time données si chaleureusement au
ministère actuel par les républicains,
qui ne cessaient de réclamer un gou
vernement fort. La République Française
exulte en disant qu'on a un ministère
qui est enfin un gouvernement, un
gouvernement qu'elle qualifie de bien
faisant et de réparateur.
Qu'est-ce que cela signifie ? En quoi
ce ministère-ci est-il plutôt un gou
vernement que les autres ? Pourquoi
les Gonstans et les Thévenet valent-ils
mieux que leurs prédécesseurs ?
Qu'ont-ils fait de plus que les autres,
ceux-là ? Une seule chose. Ils ont mon
tré qu'ils pouvaient passer outre au
droit pour arriver à leurs fins ; ils ont
prouvé qu'ils étaient hommes à mettre
de côté la loi, à violenter la justice, à
frauder la vérité pour défendre la ré
publique. Ils ont fait le procès Bou
langer, ils l'ont fait au mépris de
la Constitution, avec un tribunal
d'exception, à l'aide de faux témoi
gnages.
Ainsi la République a trouvé son
gouvernement, parce qu'elle a rencon
tré des hommes capables de rempla
cer le droit par la violence.
Le procès Boulanger, dont tous les
républicains ont triomphé avec le
ministère, est un avertissement au
pays sur le caractère du futur régime.
Si le ministère a bien mérité par la
condamnation du~ général Boulanger,
quel gré ne lui saura-t-on pas du
succès des élections ? Le triomphe des
républicains au scrutin du 22 sep
tembre, c'est la consolidation et le
maintien à perpétuité du ministère
Gonstans-Thévenet.
Mais que fera ensuite le parti vain
queur, que fera le ministère ? Il faudra
bien qu'on aille de l'avant. Le triom
phe aura été le prix de la coalition, et
il y aura à satisfaire tous les partis,
tous les programmes. Ira-t-on au so
cialisme ? Ce n'est pas encore le mo
ment ; mais on franchira la dernière
étape de la persécution religieuse.
Pour donner une satisfaction com
mune à tous ceux qu'aura unis la vic
toire, on reprendra la guerre au clergé
et à la religion avec un nouvel achar
nement.
Avant de passer aux réformes socia
les que réclament les radicaux et les
ultra-révolutionnaires, mais qui ef
frayent encore les opportunistes, on
voudra achever l'œuvre commencée de
la sécularisation. Là-dessus l'entente
s'établira facilement, et, s'il le faut,
les plus modérés feront aux intransi
geants toutes les concessions que l'in
térêt de l'union et la discipline du
parti exigeront.
On fera d'abord l'application au
clergé de la loi militaire,et il n'en fau
dra pas plus pour dépeupler les sémi
naires, épuiser les congrégations reli
gieuses, désorganiser le service par
roissial. On en viendra ensuite à la
suppression du budget des cultes, à
l'abrogation du Concordat. M. Thé
venet ne l'a-t-il pas déjà annoncé?
Depuis vingt ans, on a tant de fois
inscrit ces mesures de persécution au
nombre des réformes capitales récla
mées par l'intérêt républicain, qu'un
grand nombre d'électeurs, de ceux
surtout qui sont attachés à la répu
blique par haine de la religion, croi
ront qu il est d'une importance consi
dérable de les obtenir, et le gouverne
ment paraîtra avoir beaucoup fait aux
yeux de son parti, s'il exécute cette
vieille clause des programmes républi-
cains.On ne lui en demandera pas da
vantage, et, pour y arriver, il n'hési
tera ni à manquer à l'obligation con
tractée envers le clergé au nom de la
nation française par la Constituante
de 1789, ni à forfaire à la signature de
la France apposée à perpétuité au
Concordat. Là non plus, ce n'est ni le
droit ni la justice qui l'arrêteront.
Si donc les candidats du ministère
l'emportent aux élections,la prochaine
législature se passera, on peut le pré
dire, à compléter l'œuvre de la laïcisa
tion par les dernières mesures d'exé
cution contre le clergé et les ordres
religieux; elle consommera la rupture
avec l'Eglise. Et après, ce sera la per
sécution.
C'est donc du clergé, de la religion,
de l'Eglise, qu'il s'agit avant tout aux
prochaines élections.
Les catholiques qui veulent le main
tien de l'Eglise, les conservateurs qui
désirent la paix religieuse, compren
dront-ils la nécessité absolue, immé
diate, urgente d'agir, de se concerter,
de faire tous les efforts pour que la
cause de la religion ne succombe pas
au scrutin du 22 septembre avec le
triomphe de la république gouverne
mentale ? Et si le clergé, directement
intéressé à la lutte, s'en mêle, n'aura-
t-il pas fait son devoir et suivi le
conseil que les voix les plus autorisées
des pasteurs lui ont déjà données ?
Arthur Loth.
On trouvera plus loin, à titre docu
mentaire, le texte du manifeste de la
Ligue anti-sémitique de France. Com
me il sera facile de le remarquer, ce
manifeste n'est que la condensation,
pour ainsi dire, des idées formulées
dans les derniers écrits de M. Edouard
Drumont, en partant de son fameux
livre : La France Juive. C'est dire
qu'à côté d'indignations saines, Vi
goureuses, éloquentes, contre un mal
réel dont la France n'est pas seule à
souffrir, il y a des violences regretta
bles et des exagérations évidentes. Il
convient, en un mot, d'a.ppliquer au
manifeste qui nous occupe 1 apprécia
tion bienveillante, mais accompagnée
de réserves nécessaires, qui a été don
née dans l'Univers, de l'ouvrage qui a
bruyamment inauguré la campagne
dont le manifeste est un nouvel inci
dent.
Nous le répétons, cette campagne
est faite à bonne intention, mais nous
craignons qu'elle ne soit compromise
par les excès mêmes de ceux qui s'y
donnent avec toute l'ardeur de mis
sionnaires allant au loin combattre
pour la foi. Il est nécessaire de dire
que la causa n'est pas la même, et
qu'on risquerait de dénaturer une en
treprise, dont tout bon Français doit
souhaiter le succès, si on la présente
comme une guerre d'extermination
faite à une race, à une nation sans
frontières, disséminée à l'état indivi
duel parmi toutes les autres, mais qui
néanmoins garde providentiellement
son unité morale et sa physionomie
propre.
A n'en pas douter, ce qu'on nomme
la juiverie est un fléau, dont les juifs
sont en France, comme partout, les
auteurs principaux. On ne saurait
donc être surpris que les révoltes po
pulaires à l'encontre de ce fléau re
doutable aient surtout les juifs pour
objectif. Mais que de complices n'ont-
ils pas, auxquels on ne songe peut-
être pas assez! En définitive, qu'est-ce
qui permet aux juifs d'asseoir par l'ar
gent leur domination matérielle à peu
près dans toute l'Europe? N'est-ce pas
l'amour général du plaisir et des jouis
sances qui, grâce à un enseignement
démoralisateur et à une presse déver
gondée, a fini par envahir jusqu'aux
travailleurs? Le mal à guérir n'est
donc pas seulement en haut, il est
partout. Qu'il puisse être diminué par
certaines mesures légales, nous le
voulons bien; mais ce ne sont pas
les cours de justice dont parle le ma
nifeste qui, même si elles opéraient
avec toute la sereine impartialité des
juges, y pourraient, suffire. C'est la
réforme générale des mœurs qui est
indispensable, et c'est l'Eglise seule
qui a les moyens de la faire. Qu'on lui
ramène donc les peuples, et l'on con
naîtra un état pareil à celui que main
tenaient les Papes souverains à Rome,
quand les juifs, protégés au Ghetto
contre la haine des foules, étaient
pourtant empêchés de pressurer igno
blement le peuple chrétien.
Auguste Roussel.
Nous recevons de Saint-Flour la
dépêche suivante :
Saint-Flour, 5 septembre, 5. h. 10 soir.
Hier a eu lieu à Murât la plantation de
la croix de Jérusalem.
La solennité a été splendide.
Cinq prélats étaient présents et l'on a
compté près de dix mille pèlerins,dont l'ar
deur s'est traduite par des manifestations
enthousiastes.
De beaux arcs de triomphe avaient été
dressés sur le passage du cortège en
l'honneur de la croix : toutes les rues étaient
pavoisées. Le soir, toute la ville était illu
minée.
Voici 'la lettré que le général Bou
langer vient d'adresser à M. Tirard,
président du conseil :
Londres, le 4 septembre 1889.
Monsieur le président du conseil,
Au moment même où je fus décrété d'ac
cusation et traduit devant la Haute-Cour, je
déclarais que je refusais de m'incliner de
vant une mesure que je trouvais inique, et
que je ne reconnaissais pas la compétence
d'un tribunal d'exception qui avait demandé
lui-môme qu'on me livrât à lui, et dont les
membres, étant mes ennemis, ne po'uvaient
être mes juges.
Mais je déclarai, en môme temps, que si
on me donnait des juges de droit commun,
c'est-à-dire un conseil de guerre, ou la pre
mière chambre de la cour d'appel, dont je
suis justiciable en ma qualité de grand-ofd-
cier de la Légion d'honneur, je considére
rais comme un devoir de répondre au ren
dez-vous.
Après le réquisitoire de M. le procureur
général, après que ce dernier a affirmé des
faits qui, s'ils étaient établis, entacheraient
mon honneur, faits que la Haute-Cour n'a
môme pas eu à apprécier et sur lesquels
elle s'est bornée à voter des réserves pour
permettre que je fasse traduit devant une
juridiction compétente, je ne me contente
pas de déclarer que je me rendrais devant
cette juridiction si j'étais traduit devant
elle, je demande énergiquement à y être
traduit; je demande le [tribunal impartial
auquel a droit tout citoyen.
Vous êtes le chef responsable du gou
vernement : à ce titre, c'est à vous que je
m'adresse pour vous prier d'obtenir, soit
de M. le ministre de la guerre, qu'il me
déféra à un tribunal militaire, soit, si ce
dernier s'y refusait, du ministre de la jus
tice, qu'il me traduise devant la première
chambre de la cour d'appel de Paris.
Et je prends l'engagement formel de me
rendre à l'appel qui me sera fait par l'un
ou par l'autre de ces tribunaux.
Si vous refusiez d'obtempérer à ma de
mande, il deviendrait évident, aux yeux de
tous, qu'on craint en haut lieu les tribu
naux impartiaux et que l'on ne se fie, pour
me juger, qu'à mes ennemis déclarés.
Dans ce cas, la lumière étant faite, il ne
me resterait qu'à remettre ma cause entre
les mains du juge suprême qui, avant trois
semaines, aura prononcé en dernier réas
sort. ■
Veuillez agréer, monsieur le président
du conseil, l'expression de mes sentiments
distingués,
Général Boulanger.
La Presse accompagne cette pubîi-
cation du commentaire que voici :
Ce défi, basé sur la légalité et le droite
est bien dans la théorie de notre parti, et
le général nous permettra de lui envoyer,
de notre part et de la part d9 tous nos
amis, l'expression de notre sincère admi
ration pour cet acte si politique, si digne et
si fier. i
Cette lettre produira, par son allure mô- ;
me, sur le pays une grande et profonde
impression.
Ce langage n'est point celui de la polé
mique et de l'irritation (que l'exil légitime
rait cependant, hélas!) c'est l'appel fait au
gouvernement de son pays par un Français
qu'on a voulu atteindre dans son patrio
tisme et dans son honneur.
Si le gouvernement reste muet à une pa
reille objurgation, la môme pensée viendra
à l'esprit de tous les Français, et on dira
de lui :
Il a peur !
Combien faut-il que notre caase soit
bonne et gagnée d'avance, pour que la
seule parole d'un honnête homme, pronon
cée de si loin, fasse trembler les miséra
bles qui ont entrepris de falsifier le sufiraga
universel I
Veut-on apprécier une fois de plus
de quel ton et avec quel mépris des
convenances religieuses les gens du
Figaro parlent de certaines questions
intéressant les catholiques ?
Voici ce que publie gravement au
jourd'hui ledit journal :
D'après les nouvelles qui nous arrivent
de Rome des sources les plus autorisées,
le départ du Pape de la Ville Eternelle est;
en principe, chose tout à fait arrêtée dans
l'esprit de Léon XIII.
Seulement, d'après un nouveau projet
que nous communique un de nos corres
pondants, l'absence du Saint-Père de la
Ville Eternelle pourrait bien n'avoir qu'une
durée assez courte et se bornerait proba
blement à une simple excursion dans les
pays catholiques du-continent : Autriche,
Belgique, Espagne, etc.
La France serait naturellement comprise
dans l'itinéraire pontifical. Mais la visite
de Léon XIII à Paris et à l'Exposition uni
verselle serait, d'après le même correspon
dant, subordonnée à la situation politique
et au résultat des élections.
Le Pape se réserverait, dans celte com
binaison, de garder ou non l'incognito com
me les autres souverains, soit à sa sortie
de Rome, soit à sa rentrée sur le sol ita
lien, soit au cours do son voyage, selon les
circonstances et ses convenances person
nelles.
Ainsi le Figaro n'a pas reculé devant
cette inconvenance de montrer le Pape
venant incognito visiter l'Exposition
du centenaire de la Révolution !
C'est bien là le journal qui, l'autre
jour, constatant la multiplication des
cas de divorce, en tirait argument en
faveur de la nécessité de la loi qui
s'est attaquée à l'indissolubilité du
mariage. « Les divorces se multiplient,
disait-il. On voit combien la loi qui
les autorise était nécessaire !»
La Vérité
SUR
LÀ QUESTION ROMAINE
III (1)
La nécessité du pouvoir temporel aux
yeux des catholiques, eu égard à l'en
seignement de F Eglise: tel est le titre
du troisième chapitre de la brochure
romaine que nous analysons. L'au
teur, pour justifier ce titre, dit que si
' (1) Voir YUnivers du 5 septembre.
FEUILLETON DE h'UNIVERS
DU 4 SEPTEMBRE 1889
L'EXPOSITION SMIMllE
LK PAVILLON BES FORÊTS
Nos grands corps constitués ont chacun
leur physionomie propre, en dépit de la
diversité des caractères chez les gens bro
dés qui les composent. Ainsi l'ingénieur
des mines, que hante la terrible pensée du
grisou, do l'incendie ou de l'inondation, est
grave, mélancolique, pas da tout bavard ;
il porte sa casquette enfoncée sur les yeux.
L'ingénieur des ponts et chaussées, qui
travaille au grand air, est sérieux sans tris
tesse ; l'habitude qu'il a des inaugurations
et des banquets y annexés, imprime & ses
allures un je ne sais quoi de folâtra qui le
porte à faire des calembours et & relever
sa visière sur le sinciput.
Tous ces ingénieurs ont en communia dé
marche raide, saccadée, qui imprime à la
partie molle de la casquette de petits sou
bresauts caractéristiques. Tous les chefs de
gare et quelques s®us-chefs ont emprunté
ce soubresaut réjouissant aux ingénieurs
de la voie. Voyez-les se promener sur le
quai, au départ des trains.
Da toutes les administrations que l'Ea-
rope nous envie peut être encore — qui
sait ? — la plu.3 charmante, la plus ave
nante, la plus dégourdie, la plus joyeuse,
la plus laborieuse, la plus modeste, c'est
certainement l'administration des forêts.
Est-ce parce qu'elle ressemble à l'armée,
avec son personnel inférieur recruté dans
les régiments,armés de vrais fusils, soumis
à une discipline presque militaire ?
Peut être aussi que je m'abuse un peu ;
car enfin je suis du premier département
forestier de France, et j'ai de si bons pa
rents ou amis parmi les Fagotsl Ah ! si les
Vosges, mes chères Vosges ne produisaient
que des forêts et des forestiers !
Ou commence à se dire dans le public des
visiteurs de l'Exposition : « Allons au Tro-
cadéro voir le pavillon des Forêts. » Ou y
va un peu inquiet — c'est si loin mainte
nant le Trocadéro — et l'on revient en
chanté.
Les forestiers qui voyaient pousser la
tour, s'allonger la galerie des machines,
s'arrondir le dôme central et tant d'autres
dômes, débarquer des tas d'or, d'argent,
de marbre, de stucs, de sculpteurs, de
peintres et d'architectes, les forestiers,
dont le budget est maigre, durent être un
moment embarrassés. Puis ils se dirent
que la richesse ne fait pas le bonheur, que
la vue d'une chaumière repose du specta
cle des palais, et que de beaux rondins ce-
lorés et parfumés par la boane nature va
lent mieux souvent que ces astralgales
auxquelles nous devons le plus sot vers de
la littérature classique. Et ils se mirent
bravement à l'œuvre.
Leur pavillon, assez vaste, est tout en
tier coastruit en troncs d'arbres et en
grosses branches, revêtus de leur écorce.
De beaux arbres, des jardins l'entourent
et lui donnent i distance un petit air
d'oasis mystérieuse au milieu de ce désert
très brûlé du soleil qui est le Trocadéro.
On entre, et tout d'abord on est charmé
par l'odeur fraîche et balsamique du bois
coupé ! Quarante colonnes décorent le pour
tour et la salle ; ce sont des troncs de chêne,
de peuplier grisaille, de hêtre, de robinier,
de charme, de sorbier, de pin, de cerisier,
d'orme, d'épicéa, de bouleau, etc., etc.,
nos plus belles essences françaises. D'au
tres troncs, coupés par le milieu dans leur
longueur, forment pilastres contre les murs;
et, entre les pilastres, des trophées élégants
faits des mille objets que fabrique l'art ou
l'industrie forestière. Au centre, deux
scieries mécaniques, dont je dirai un mot
tout à l'heure.
Deux escaliers de cinq marches me con
duisent à une première galerie où s'ouvrent
trois panoramas. Le plus vaste et le plus
important représente le grand barrage du
Riou-Bourdeux.
Ce torrent, affluent de droite de l'Ubaye
a son confluent à 3 kilomètres en aval de
Barcelonnette ; son bassin occupe la pres
que totalité de la commune da Saint-Pons.
On se fera une idée de la déclivité de son
lit quand on saura qu'entre sa source et
son confluent avec l'Ubaye, deux pointa dis
tants l'un de l'autre de six kilomètres au
plus, la différence de niveau est de près de
1,800 mètres. A droite et à gauche, sur ce
petit parcours, il reçoit de nombreux tor
rents, tous redoutables quand, après la
fonte des neiges ou un orage, ils coulent à
pleins bords ; ils arrachent à leurs flancs
d'énormes masses de terres et de pierres ;
des roches sont entrainées,et un irrésistible
fleuve de boue envahit la vallée, renverse
les maisons, déracine les arbres et ensevelit
les cultures sous une couche épaisse de
limon.
C'est ce terrible torrent que nos forestiers
ont résolu d'endiguer, et ils y sont parve
nus. Le panorama du milieu représente la
digue principale aujourd'hui terminée.
D'autres travaux ont été exécutés en aval
de la digue; il ne reste plus qu'à régulari
ser le cours inférieur du torrent, ce qui sera
fait l'an prochain. Dès à présent, tout péril
est conjuré ; des centaines d'hectares sont
rendus à l'agriculture, et une population
nombreuse est enfin assurée de jouir des
fruits de son labeur.
La formation de ces terrents dévastateurs
est la conséquence de la nudité des monta
gnes, qu'elles soient privées naturellement
de toute végétation forestière, ou que l'igno
rance et la cupidité les aient dépouillées. Il
est donc urgent de leur rendre leur verte
couronne de forêts ; c'est & quoi s'appli
quent nos forestiers, qui se sont imposé
cette tâche vraiment patriotique depuis
nombre d'années déjà. Les endiguements
permettent aux arbres de prendre racine;
ceux-ci, à leur tour, retiendront les eaux,
fortifieront le sol avec leurs racines puissan
tes, et ainsi les deux travaux se compléte
ront l'un par l'autre.
La douce et pure clarté qui donne aux
trois panoramas du pavillon l'aspect un
peu féerique d'un décor de ballet, peut
charmer les yeux du public, mais ne lui
donne qu'une idée imparfaite, fort inexacte
même, des conditions du travail forestier
dans les Alpes. 11 est possible qu'à certains
jours le ciel ait eu cette pureté, l'atmos
phère cette transparence, les pentes abrup
tes cette teinta dorée et que les crêtes ro?
eheuses aient ainsi répercuté les flèches
enflammées du Phœbus alpin; mais le plus
souvent nos forestiers et leurs hommes ont
travaillé sous la pluie, sous la neige, sous
les morsures du vent glacé des gorges,
dans la morne et froide opacité des brouil
lards. Campés à des hauteurs vertigineuses,
loin de toute habitation, ils ont passé de
longs mois au milieu de cotte nature al
pestre, si grandiose pour le touriste qui
n'y hasarde qu'un pied, si cruelle pour ceux
qui y ensevelissent leur vie. Mais ils fai
saient belle et bonne besogne, et quand ils
quitteront le Riou-Bourdoux enfin dompté
à jamais, j'ai quelque idée qne leur con
science sera plus tranquille que celle de
nos honorables à la fin de la dernière
session.
C'est, je crois, par le Riou-Bourdoux que
nos forestiers ont inauguré leurs travaux
d'endiguement dans les Alpes. D'autres
équipes se sont attaquées à d'autres torrents
redoutés, comme celui de Bourgct, par
exemple, dont le confluent avec l'Ubaye
est à 4 kilomètres en avant de Barcelonnette
et qui représeate un des trois panoramas
du pavillon.
~ Deux larges escaliers conduisent le visi
teur à une galerie supérieure d'où l'on do
mine la vaste salle du rez-de-chaussée. Je
n'aurais pas parlé de cette galerie,qui res
semble à toutes celles des autres pavillons,
si je n'y avais admiré un superbe assem
blage de la carte d'état-major au 320,000',
où figurent, par des teintes conventionnel
les, les forêts domaniales, départementa
les et cemmunales, ainsi que les vignes, les
douces vignes de notre cher pays de
Franse. Jem'étonne que cette carte et quel
ques autres de même origine n'aient pas
figuré au procès de la Haute-Cour, sous
l'inculpation d'attentat contre la carte de
môssieu le ministre de l'intérieur, copiée,
d'ailleurs, sur elles.
LES gGIEfUES
J'ai dit plus haut que le pavillon des fo
rêts possédait deux scieries ; elles sont
mues par une machine à gaz et sortent des
ateliers de M. Arbey.
J'ignore si M. Arbey est le seul ou le
plus important des fabricants de scieries
mécaniques. J'ai vu ces machines aux fo
rêts; j'ai donc voulu les étudier dans je ne
sais plus quelle galerie du bord de l'eau.
Je m'y suis rendu par le chemin de fer
Decauville.
Très curieux ce petit chemin de fer, avec
ses petites rails rapprochés à 60 centimè-
très, ses petits wagons à petites roues, sa
petite locomotive et ses gros, très gro3 bé
néfices. Il file gentiment entre les beaux
arbres, entre les murs des déblais os des
constructions, sous les petits tunnels ta
sous les ponts couverts de foule.
Tout le long des murs sont collées des af-
fiches en toutes langues, disant toutes la
même chose en chinois, en persan, en an
glais, en suédois, en espagnol, etc. Il y a
même une de ces affiches multipliées qui
est en latin; la voici, pour indiquer ce que
disent les autres :
0 cives, cavete
Ne caput neve crura
Véhicula exseratis, ne quis
Arborum occursu deleatur
LATIN.
Voilà donc tous les peuples de l'univers
prévenus; le latin, je pense, est pour les
Allemands,dontla langue ne figure pas dans
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