Titre : L'Univers
Éditeur : L'Univers (Paris)
Date d'édition : 1889-06-10
Contributeur : Veuillot, Louis (1813-1883). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, Pierre (1859-1907). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, François (1870-1952). Rédacteur
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 10 juin 1889 10 juin 1889
Description : 1889/06/10 (Numéro 7832)-1889/06/11. 1889/06/10 (Numéro 7832)-1889/06/11.
Description : Note : un seul numéro lundi et mardi. Note : un seul numéro lundi et mardi.
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse Collection numérique : Bibliographie de la presse
Description : Collection numérique : BIPFPIG44 Collection numérique : BIPFPIG44
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k706652d
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
Lundi-Mardi 10-11 Juiâ 1830
N* 7832 ** JBditio&
Lundi-Mardi 10-11 Juin
ÉDITION QUOTIDIENNE
ÉDITION EEMI-QUOTIDIENNE
Un an. • .
Six mois. .
Trois mois.
paris
el départements
. . 55 »
. . 23 50
. . 15 »
etranger
(UNION POSTALî)
66 »
34 »
18 »
'^abonnements partent des f « et 16 de chaque mois
UN NUMÉRO { ggartemente: 2§
BUREAUX : Paris, 10, rua des Saints -Pères
On s'abonne à Borne, place du Gesù, 8
BSBiBS
Un an. . ,
Six mois. .
Trois mois.
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et départements
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, . 16 »
. 8 50
étranger
(union postale)
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Les abonnements partent des 1" et 16 de chaque moW
L 'CNIYERS ne répond pas des manuscrits qui lai sont adressés
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et C i0 , 6, place de la Bourse
FRANGE
PARIS, 10 JUIN 1889
Quelle que soit l'importance des
faits qui se sont produits en France,
il nous semblent qu'ils s'effacent un
peu devant la manifestation qui a eu
lieu hier à Rome, avec la connivence,
sinon sur l'initiative de M. Crispi. L'i
nauguration du monument de l'apos
tat Giordano Bruno est une insulte,
une provocation à l'adresse des catho
liques du monde entier. D'après les
renseignements, encore sommaires,
qui nous arrivent, le caractère impie
de la manifestation ressort avec une
évidence qui s'impose, On doit signa
ler également, mais au second plan,
le caractère révolutionnaire et irré
dentiste.
L'ordre matériel n'a pas été troublé
grâce aux mesures de précaution pri
ses, mais l'agitation restera dans les
esprits, et tôt ou tard, elle portera ses
fruits,
Nous donnons intégralement la su
perbe réponse de M. le comte Albert
de Mun à M. Jules Ferry; jamais l'ora
teur catholique n'avait été mieux ins
piré. Ce ne sont pas les prétendues
réponses de MM. Fallières et Lockroy
qui détruiront l'effet de son discours.
On a entendu également MM. Le Pro-
vost de Launay et Amagat. M. Clé
menceau a parlé le dernier, et en mé
nageant M. Jules Ferry, dont peut-
être l'appui lui sera nécessaire pour
trouver un bourg pourri, il a violem
ment repoussé toute politique d'apai
sement. Donc, c'est la guerre. Au
moins la situation est nette.
La discussion n'est pas terminée;
on entendra demain MM. Keller et
Ribot, sans préjudice des incidents
possibles.
On faisait avant-hier grand tapage
des documents découverts dans les
caisses saisies rue des Ahbesses, et
l'arrestation bruyamment annoncée
d'un officier supérieur semblait indi
quer, en effet, que cette fois on avait
trouvé quelque chose. Or, l'intendant
militaire Reichert a été remis en li
berté, et aucune nouvelle arrestation
n'a encore été faite.
Un fait assez grave s'est passé à An
goulême : deux députés, MM. Laguerre
et Laisant, ont été arrêtés. On trou
vera." des détails plus loin.
M. Quesnay de Beaurepaire a obtenu
une condamnation contre les jour
naux qu'il poursuivait; il évite ainsi,
pour une partie du procès, la cour
d'assises; nous doutons qu'il soit bieft
satisfait. Dans tous les cas, cela ne le
relèvera pas devant l'opinion.
P. S. — Faute de place, nous nous
voyons forcés d'ajourner la publication
des discours de MM. Lockroy, Amagat
et Clémenceau. Nous les [donnerons
demain.
La discussion du budget de l'ins
truction publique se prolonge. Elle a
pris l'importance d'une bataillé où se-
ioat fixées les responsabilités encou
rues depuis dix ans ; où tant d'efforts
divers seront jugés suivant leurs véri
tables résultats ; où se décidera le sort
des anciens partis, où les nouveaux
choisiront leur direction.
. Fait significatif : la question des
écoles reste au second plan. La lutte
générale est engagée entre les doc
trines qui se partagent le siècle. Le
principe religieux et le mensonge ré
volutionnaire sont aux prises. C'est le
droit qui est en jeu ; et certains légis
lateurs, qui ne s en doutaient guère,
commencent* à soupçonner que la
justice repose sur la vérité et que
celle-ci n'est pas l'œuvre des hommes.
Des libre-penseurs, épuisés de fulmi
ner contre le cléricalisme parce qu'il
invoque la vérité, s'aperçoivent qu'ils
n'ont pas, eux non plus, d'autre res
source, à moins de se taire.
L'annonce de l'intervention de M.
le comte de Mun promettait un dis
cours très vigoureux, très brillant et
très fier. L'on a eu bien plus que cela:
un triomphe. L'illustre orateur catho
lique a conquis la gloire souveraine
que décernent les suffrages de l'enne
mi. Il a pu entendre des cris d'admi
ration et d'envie sortis de ces poitri
nes où grondait la colère. Dix fois en
une heure,on a vu l'auditoire tout en
tier secoué d'un même mouvement
par cette éloquence resplendissante,
superbe de force, d'élégance, de hau
teur et de vivacité, faite de ce qu'il y a
de plus beau : la conviction,la nobles
se, l'intrépidité, l'honneur. L'éloquen
ce de M. de Mun, c'est lui-même ; elle
porte les caractères qu'il a en propre :
chrétien, gentilhomme, soldat. Il a
tous les dons : la prestance, la voix,
le geste, le souffle,' une incompa
rable distinction; son attitude impose
autant que son langage séduit. Jamais
il n'a parlé sans produire d'émotion,
mais samedi il s'est montré supé
rieur à tout ce que l'on connaissait, de
lui. Sa phrase, toujours ample,harmo
nieuse et limpide, se déployait avec
une continuelle impétuosité, résonnait
comme une musique guerrière, jail
lissait, bondissait, atteignait le but
coup sur coup. Inoubliable spectacle.
Victoire éclatante aussi ; car l'effet
moral d'un tel discours ne se détruit
pas. Même les auditeurs et les lecteurs
qui ne .peuvent reconnaître là qu'un
chef-d 'œuvre de l'art oratoire devront
toujours rendre hommage à la foi qui
l'a inspiré,-àJa.liberté chrétienne dont
il prépare la revanche et le salut.
Tout en passant rapidement sur la
question des chiffres, M. de Mun a su
la traiter d'une manière complète. Aux
falsifications de M. Ferry il a répondu
par des déclarations que personne ne
peut suspecter, celles de financiers
républicains, MM. Boulanger et Com
bes, sénateurs. La situation se résume
ainsi ; « Pour les dépenses ordinaires
« des traitements, une dépense an-
« nuelle de plus de 160 millions ; pour
« les constructions scolaires, une dé-
« pense effectuée de 542 millions;
« pour les traitements et les annuités
« de construction, une augmentation
« annuelle de près de soixanie-six
« millions ». La prétendue aug
mentation des élèves, grâce au sys*
tème obligatoire, elle existe à re
bours : en 1880, la proportion des ab
sents était de 10 0[0; elle est aujourd'hui
de 11,70 0^0. Les élèves des écoles libres
qui, en 1876, étaient au nombre de
440,000, sont devenus plus de 800,000;
donc, dit l'orateur au milieu des vocifé
rations de la gauche, lê pays n'est pas
avec vous, laïciseurs. Les infractions
à la neutralité sont générales ; M. de
Mun en a donné rapidement une énu-
mération abondante et serrée ; il a
rappelé les horribles outrages infligés
aux emblèmes religieux, les crucifix
fusillés ou jetés dans les fosses d'ai
sances. De la « tfilôgie que la franc-
maçonnerie a donnée pour mot d'or
dre », que reste-t-il ? Des lois violées
et inapplicables ; des dettes que rien
n'éteindra ; pour la plus grande par
tie de la population, la charge d'un
double budget ; partout la guerre.
Les invraisemblables et dérisoires
propositions de paix faites par M. Ferry
ont été reçues par M. de Mun avec un
écrasant mépris. Quelle maîtresse le
çon ! C'est toute une biographie, c'est
tout un portrait en pied de l'homme
qui a le, ! plus contribué à notre ruine
et à nos divisions. M. de Mun a étalé
les turpitudes politiques du criminel ;
il l'a montré à l'œuvre depuis l'arti
cle 7, ^ depuis les décrets, depuis les
jurisconsultes, malgré les pétitions de
deux millions de citoyens, malgré
l'héroïque résistance de 250 magis
trats. Il l'a montré semant partout la
haine : « Il fautbien que vous le sachiez,
« quelque dur que cela soit à dire : il
« y a dans^ le pays des milliers de
« foyers chrétiens où votre nom n'est
« prononcé qu'avec des larmes! Il y a
« des milliers de familles d'ouvriers,
« de petits fonctionnaires surtout, où,
« parce qu'on n'a pas d'école libre à
« sa portée, ou bien parce que, plus
« souvent encore, le traitement du
« père, le pain de la famille et des
« enfants lui serait retiré s'il ne sa-
« crifiait pas à l'école laïque, on est
« obligé d'envoyer les enfants à l'école
« sans Dieu : les mères en pleurent,
« et elles savent que c'est à cause de
« vous!... Vous avez fait une répu-
« blique inhabitable pour plus de
« la moitié des citoyens... Le pays
« demande à être délivré de votre
« dictature, qui est la plus intoléra-
« ble de toutes ! » Et maintenant',
l'auteur détesté de ces attentats et de
ces désastres pourrait espérer rame
ner à lui ses victimes? Comment ? Le
repentir? Il n'en a pas! Ici M. de Mun
a. mis en eviderice l'indestructible so
lidarité qui lie M. Ferry au parti radi
cal ; il a rappelé les programmes et
les œuvres de tous ces alliés et de tous
ces collaborateurs dans l'entreprise
commune ; il a établi la responsabilité
de M. Ferry, qui, après s'être prêté à
dépecer peu à peu le budget des
cultes, se flatte aujourd'hui de l'a
voir sauvé; il a . invoqué la pro
messe faite l'autre jour par M. Clé
menceau : que les républicains, op
portunistes ou radicaux, resteront unis
« pour faire front contre l'Eglise ca
tholique ». Il a dit encore : « Ce sont
les radicaux qui ont promis, et c'est
vous qui avez tenu!.... La guerre re
ligieuse a été le grand moyen de votre
union : elle reste aujourd'hui la
chaîne qui vous rive les uns aux au
tres. » Flagellé par cette éloquence
nerveuse, M. Ferry baissait son visage
blême et contracté. Un dernier châti
ment était réservé à cet étrange
homme d'Etat ; M. de Mun a pris
congé de lui en ces termes dédaigneux
et vengeurs,qui ont produit une inex
primable émotion : « Nous ne serons
« pas injustes ; j'espère que vous ne
« serez pas ingrats et que vous vou-
« drez comme moi, comme je le fais
« en terminant, saluer en M. Jules
« Ferry le représentant incontestable
« et autorisé de la majorité républi-
« caine!»
Jamais on n'a mieux donné l'idée
de ce que vaut M. Ferry et des senti
ments qu'il inspire : la plus dure
humiliation que puissent éprouver les
forçats de l'impiété, c'est de recon
naître qu'il est leur chef!
L'émotion causée par le discours de
M. de Mun était si profonde qu'aucun
adversaire ayant à sauvegarder quel
que prestige n'a voulu répondre im
médiatement. On a sacrifié le ministre,
qui a, sans intérêt pour personne, pas
même pour lui, invoqué une statisti
que quinquennale, inédite encore à ce
moment-là. M. Fallières a juré que la
liberté de conscience est respectée
dans les écoles officielles. Voilà!.
L'intérêt est revenu avec M, Le Pro-
vost de Launay. L'orateur a fait un
historique détaillé de la caisse des
écoles; celle-ci, a-t-il dit, devrait fi
gurer dans la prochaine édition de la
célèbre et symbolique brochure par
laquelle débuta M. Ferry, Les comptes
fantastiques. De cet exposé (celui de M.
Le Provost de Launay) il résulte que
la caisse magique, ouverte en 1877
devait, selon la parole et l'arithmé
tique de M. Floquet, suffire à tout avec
120 millions. Or, nous marchons au
milliard.
L'intérêt est reparti, chassé par M.
Lockroy, qui se souvient d'avoir été
.ministre de l'instruction publique ; et
en effet, la chose est digne de mé
moire. Dans une autre circonstance,
on aurait pu trouver de l'amusement
aux vociférations étranges de ce vau
devilliste raté»
M. Amagat, visé l'autre jour par M.
Ferry, a répondu en faisant une irré
futable critique de la gratuité» Le vi
goureux orateur a répudié l'inique
système qui impose aux familles pau
vres l'obligation de payer une dépense
qui devrait incomber aux familles
aisées \ il a plaidé courageusement la
cause de la liberté ; il a invoqué, près
des libre-penseurs, l'autorité de Littré ;
et il a reconnu le christianisme comme
« la plus haute école de moralité qui
« se soit jamais élevée sur le monde ».
Il a conseillé à M» Ferry de se retirer
de la politique et d'expier dans le si
lence tant d'erreurs, de fautes et d'at
tentats.
M. Clémenceau, après des hésita
tions» paraît-il, s'était décidé à parler,
de n était pas à M. de Mun qu'il ré
pondait ; il n'avait rien à lui dire ; c'é
tait àM.Ferry,pour protester contre la
tentative désespérée de pacification.
Gomme en M. de Mun, l'éloquence
de M. Clémenceau a un aGcenttout
personnel. Mais il n'y a pas d'autre
ressemblance entre eux. M. Clémen
ceau est en toute chose et exclusive
ment duelliste émérijLe. D'une voix
sèche, il lance une invective comme
une balle de pistolet et ne sait rien
faire de mieux. Il lui est arrivé parfois
d'être inspiré, mais pendant deux mi
nutes. A un degré rare, ses idées sont
courtes, banales et pauvres ; son es
prit procède de la « blague ». Ses ma
nières cassantes donnent à ses défauts
un relief superflu. Sans philosophie,
sans lecture, il va et vient selon les
suggestions de la colère. Au fond, il
n'est sûr que de sa haine. Il n'aime pas
la liberté : il hait l'Eglise ; et c'est
simplement par contre-coup qu'il est
amené à se dire libéral. En dépit de
son tempérament énergique, il n'a pas
d'influence ; on assure même que sa
clientèle électorale lui échappe ; et ce
doit être vrai puisqu'il a songé à ren
dre inéligibles les députés actuels, en
bloc ; il se serait mis ainsi à l'abri
d'un échec et aurait eu l'air de s'im
moler pour la république.
Sans l'animosité qui le remplit d'un
bout à l'autre ce discours serait amu
sant. Que M.Clémenceau insiste cruel
lement sur les palinodies de M. Ferry;
qu'il rappelle l'époque où celui-ci dé
clamait furieusement contre le budget
des cultes et dressait la liste des « des
tructions nécessaires »; qu'il affirme
que le Concordat donne tout à l'Eglise
et rien à l'Etat; qu'il multiplie ses cris
de guerre contre la religion, cela est
ordinaire. La partie nouvelle et diver
tissante de son discours est celle où il
a voulu exposer la raison de sa haine
antireligieuse. M. Clémenceau, em
barqué dans le Syllabus, dans les en
cycliques, citant Pie IX, BonifaceVIII
et Grégoire VII ; dissertant sur la li
berté de conscience, affirmant que
l'Eglise prétend posséder la vérité abso
lue en toutes choses, religieuses ou
non, la scène est impayable; et d'au
tant plus que l'orateur a déclaré avec
désinvolture que sa science, étant de
fraîche date, avait été fortifiée le ma
tin même. Telle est la gravité des
libre-penseurs,. et encore des libre-
penseurs de marque! Et les autres
rayonnaient et applaudissaient, puis
que la Révolution est une parodie.
Il y a tant dë questions dont M. Clé
menceau et ses amis ne se doutent
pas ! Ils s'indignent que l'Eglise con
damne en principe la liberté de cons
cience ; ils ignorent les acceptions
que peut prendre cette formule. S'a
git-il de la liberté de penser et d'agir
sans autre limites que celles des ins
tincts? Mais M. Clémenceau n'oserait
pas essayer de la justifier. Sous le ré
gime le plus laïque, les instincts sont
comprimés. La polygamie, l'égalité
des enfants naturels avec les enfants
légitimes, le droit de pratiquer l'avor-
tement (un candidat à la députation
l'a réclamé en 1885 par des affichés),
est-ce que M. Clémenceau en veut?
Non, sans doute. Alors voilà déjà des
restrictions. Et au nom de quoi les
imposer ? Il serait embarrassé de le
dire. Puis, l'autorité de la conscience
est une inconséquence énorme dans
la doctrine matérialiste, qui fait du
monde le résultat de forces aveugles,
et par conséquent inconscientes. Il
n'est pas jusqu'à la raison qui ne soit
incompatible avec ce système, puis
qu'elle résulterait du hasard. Quant
aux principes de l'Eglise, M. Clémen
ceau pourrait apprendre, même en une
matinée, que tous les théologiens en
tendent les appliquer en tenant compte
des faitseteondamnent les procédésqu
ne conviennent pas aux circonstances,!
aux situations. Le reproche adressé à
l'Eglise d'aspirer à la suprématie est
puéril. Si M. Clémenceau daignait ana
lyser la formule qu'il aime à énoncer
en faveur du pouvoir civil, il trouverait
ceci : Moi, Clemenceau, duelliste émi-
nent, je soutiens que la prédomi-
nence d'une doctrine religieuse ou
philosophique est inadmissible. J'ai
cependant une doctrine,puisque jevote
des lois qui concernent la morale et le
droit ; par exemple, je veux que le ma
térialisme soit librement enseigné et
pratiqué avec ses conséquences socia
les. J'ai donc la prétention que je re
proche à tous mes adversaires, de
quelque opinion qu'ils soient ; cette
prétention, je la condamne d'une ma
nière absolue,mais j'en réclame le bé
néfice pour moi. Je reproche encore à
mes adversaires de ne se reconnaître
suffisamment libres que lorsqu'ils sont
les maîtres ; et précisément je ne me
sens libre que lorsque mon parti est
le maître. Je ne supporte pas que per
sonne invoque la vérité absolue, et ce
pendant j'y ai recours continuellement,
parce qu enfin si j é ne parlais pas au nom
de la vérité absolue, au nom de quoi
est-ce que je parlerais?.Le système des
cléricaux, je l'ai en horreur quand ils
l'emploient; mais je veux m'en servir
à mon profit. — M. Clémenceau dis
cernerait peut-être là-dedans un mer
veilleux élément comique.
Nous devons noter que, pendant le
discours du radical, M. Ferry s'est
beaucoup agité et a multiplié les
interruptions. *
Demain, M. Ribot prendra la parole.
Nous saurons ce que « feu le centre
gauche » peut proposer en fait d'apai
sement.
M. Goblet, dit-on, interviendra
aussi.
On voit que tous les gens impor
tants considèrent la lutte comme dé
cisive.
Eugène Tavernier.
Le Monument
de giordano bruno
On nous écrit de Rome à la date
du 8 juin:
Aujourd'hui samedi sont arrivées les as
sociations et délégations dea sociétés qui
prennent part à la fête de Giordano Bruno.
La ville a un aspect de calme, car les prin
cipaux citoyens se retirent à la campagne.
Les associations auront leurs bannières,
dont quelques-unes sont rouges cravatées
de noir. L'effervescence continue dans le
camp libéral. Au Vatican on ferme ce soir
toutes les portes, et personne n'entre ni ne
sort. Le Pape a suspendu toute audience,
et même la basilique de Saint-Pierre reste
fermée, comme le Vatican, j usqu'à mardi. Le
roi, sur les pressions du parti libéral, est
obligé de rester-à Rome jusqu'à lundi. Une
partie du corps diplomatique doit rester de
main au Vatican.Pour ne pas irriter le par
ti anticlérical, les journaux catholiques ont
reçu ordre du Vatican de cesser toute po
lémique sur Giordano Bruno. — Le mani
feste publié ce matin dit que les cléricaux
méditent des provocations; au contraire,
on les évite toutes, mais le gouvernement
est très inquiet, car les radicaux intolérants
profitent de la situation pour faire du
bruit.
^Nous recevons aujourd'hui la dé
pêche suivante :
Rome, iO juin, 7 h. 35, matin.
De grandes précautions de police avaient
été prises hier. Des troupes étaient mas
sées sous la colonnade de Saint-Pierre, au
pont Saint-Ange, devant l'ambassade d'Au
triche.
Pendant le défilé du cortège, on a joué
notamment la Marseillaise , qui a été siffïée
et acclamée en même temps.
Des drapeaux rouges et noirs étaient por
tés par des nihilistes, des socialistes, des
membres de l'Internationale.
A onze heures, le monument a été dé
couvert au milieu des acclamations des
sectaires.
Des discours violemment anti-catholi
ques et maçonniques ont été prononcés par
le maire de Nola, le maire et le député Bo-
vio, de Rome.
Dans un de "ces discours, le Pape était
violemment apostrophé et représenté
comme une malheureuse victime des dog
mes de l'Eglise.
Il a été dit que Rome entrait dans une
ère nouvelle et devenait la capitale de la
catholicité de la science et de la libre-
pensée. Aussi la journée du 9 juin 1889
sera-t-elle plas douloureuse an Pape que
celle du 20 septembre 1870.
On a fait une manifestation en l'honneur
de Garibaldi, au milieu de discours et de
cris irrédentistes.
L'ordre n'a pas été troublé.
A Ces détails, nous ajouterons les
suivants, empruntés aux dépêches de
l 'Agence Havas, toujours complaisante
aux manifestations révolutionnaires :
Les députations représentaient peut-être
six mille sociétés et comptaient environ en
viron 50,000 personnes.
Les députations des francs-maçons de
France, d'Allemagne, de Belgique, des
Etats-Unis, d'Austro-Hongrie, de Dane
mark, etc., marchaient pêle-mêle avec
celle des francs-maçons italiens. Les dépu-
iations des universités italiennnes comp
taient près de 2,000 étudiants.
La cérémonie s'est terminée à midi au
Campo dei Fiori.
Les députations se sont ensuite rendues
au Capitole.
Du balcon où avait été placé le buste de
Garibaldi, entouré de drapeaux et de cou
ronnes, le député Imbriani, dans un dis
cours très applaudi, a célébré la mémoire
du général.
A une heure, la manifestation s'est sé
parée aux sons de l'hymne de Garibaldi et
au bruit de vivats enthousiastes.
La même Agence publie les dépêches
suivantes :
Rome, 9 juin.
Les ambassadeurs de France, de Portu
gal, le ministre de Prusse, le chargé d'af
faires d'Autriche et les autres membres du
corps diplomatique sont allés au Vatican
vers six heures, tous en redingote.
Ils ont visité d'abord le cardinal Ram-
polla. On assure qu'ils se sont rendus en
suite auprès du Pape.
Le Vatican est resté fermé toute la jour
née.
Rome, 9 juin.
Le bruit qui a couru que le Pape aurait
été malade et sur le point de partir n'est
pas fondé.
Cette après-midi, divers membres du
corps diplomatique ont visité le cardinal
Rampolla, mais ils n'ont pas vu le Pape.
Cependant les ambassadeurs de France et
d'Autriche, qui n'ont pas été à Naples,
comme on le disait, se sont rencontrés chez
le cardinal vers sept heures, et le cardinal
qui se rendait chez le Pape les y a
amenés.
Ils y sont restés environ trois quarts
d'heure.
Le Pape a donné l'ordre de publier un
volume de toutes les protestations qui lui
ont été adressées du monde entier contre
l'érection du monument de Giordano
Bruno.
On croit qu'il protestera également au
moyen d'un acte spécial.
Divers journaux publient cette note,
évidemment officieuse :
M. Spuller a reçu samedi matin Mgr
Rotelli, nonce du Pape, qui venait lui pré
senter les trois ablégats apostoliques venus
en France à l'occasion des promotions de
cardinaux français. Les trois ablégats, qui
sont NN. SS. Gasparri pour l'archevêque
de Paris, Péri Monrosini pour l'archevê jue
de Lyon, Scapinelli pour l'archevêque de
Bordeaux, ont remis à M. Spuller les let
tres de créance qui les accréditent comme
envoyés extraordinaires du Pape auprès du
gouvernement français ; ils étaient accom
pagnés chacun d'un secrétaire.
Mardi matin, dans une première au
dience, ils remettront au président de la
République les lettres de créance qui les
accréditent auprès du gouvernement fran
çais. Puis aura lieu la cérémonie de la
remise de la barrette et des insignes à cha
cun des trois cardinaux. Après cette céré
monie, les trois cardinaux seront reçus en
audience particulière par le président de la
République.
On annonce que, suivant une vieille
tradition, avec laquelle avait rompu
M. Grévy, une messe sera dite dans
la chapelle de l'Elysée où aura lieu la
remise de la barrette.
Assemblée provinciale
de l'anjou, de la touraine et du m4ine
L'espace nous manque aujourd'hui pour
-rendre compte de la grande assemblée
d'Angers, sur laquelle nous reviendrons.
Nous nous bornerons à dire que les deux
premières journées de l'assemblée ont été
fort intéressantes.
Le premier jour, à la séance du soir,
M. l'abbé Bourgain a lu un intéressant
rapport sur les cahiers du tiers état.
Mgr de Kernaeret a ensuite magistrale
ment résumé les travaux de la première
coïnmission sur la religion, la famille et
les mœurs. C'est M. Gavouyère, l'éminent
doyen de la faculté de droit à l'université
catholique d'Angers, qui a eu les honneurs
de la seconde journée,avec un remarquable
rapport sur l'instruction publique.
La haute cour
Les perquisitions dont nous avons déjà
parlé, et qui ont amené la saisie de trois
caisses, parmi lesquelles la « cantine » du
général Boulanger, ont-elles fourni à la
commission d'il strnetion de la haute cour
les éléments de culpabilité vainement pour
suivis jusqu'ici ? On devrait le conclure des
chants de triomphe des journaux opportu
nistes et radicaux, qui déclarent que, sous
peu de jours, non seulement le général et
ses deux complices déjà connus, MM. Ro-
chefort et Dillon, mais d'autres personna
ges « haut placés » vont être traduits de
vant la cour et que déjà même M. Merlin
aurait signé de nombreux mandats d'arrêt.
Voici, du reste, ce que dit sur les « docu
ments saisis », un journal des plus ardents
contre le général :
Les caisses de documents saisis ont été ou
vertes en présence des membres de la commis
sion de la haute conr, qui ont vérifié leur
contenu. Après un rapide examen, on a
trouvé :
i° Dans une caisse en bois, longue de un
mètre, un volumineux las de paperasses, de
programmes, de projets, de plans, cahiers, etc.,
ayant trait à l'organisation de la propagande
boulangiste.
Ces dernières pièces ont été mises de cûté
pour être examinées ultérieurement et classées
selon leur valeur.
2° Une seconde caisse, dite la « caisse d'a
cier », et qui n'ést autre qu'une malle doublée
de fer, "longue de soixante-cinq centimètres.
C'est la cantine militaire du général Boulan
ger.
Elle porte, sur le couverele, une plaque gra
vée indiquant les noms et titres du général.
Cette caisse paraît devoir être la saisie la plus
importante.
Elle contient un grand nombre de lettres par
ticulières, soigneusement classées et étiquetées,
émanant des principaux personnages du parti
et aussi de fonctionnaires; d'employés d'admi
nistration, etc.
3° La dernière boîte, en bois comine la pre
mière, mesurant de trente à trente-cinq centi
mètres de long sur vingt centimètres de hauteur,
était remplie de cartes de visites reçues à l'oc
casion des succès électoraux de M. Boulan
ger.
Elles émanent de personnages divers ; plu
sieurs ont été adressées par des fonctionnai*
res des administrations et par des officiers da
l'armée.
Les auteurs de ces cartes félicitent M. Bou
langer, ou lui font des offres de service, ou
l'invitent à faire un coup d'Etat.
Il est donc à supposer que de hauts per
sonnages seront compromis dans les pour
suites. ■ :
Remarquons en passant que, même en
supposant tous ces renseignements vrais*
on y chercherait vainement les éléments
d'une poursuite pour « attentat »; des féli
citations, des offres de service, voire des
invitations à un coup d'Etat, peuvent, plus
ou moins, justifier un procès pour complot,
mais ne constituent pas un attentat, où il
faut un commencement d'exécution; or, un
complot n'est plus du ressort du Sénat
constitué en haute cour ; il va à la cour
d'assises où le terrain serait peut-être dan
gereux pour le gouvernement.
Naturellement les journaux boulangistes,
ou même simplement indépendants, niant
que les fameuse!* caisses aient fourni au
cune preuve sérieuss à la haute cour; voici
notamment la dépêche officielle du Figaro,
qui se retrouve, au moins £3 substance,
dans plusieurs autres journaux^:
Paris-Londres —1625 — 8/6 12 19 eoirî
Puisque les journaux ministériels considèrent
comme excellent le résultat de la perquisition
Becker, puisqu'ils croient avoir enfin trouvé
des documents importants, ils avouent donc
avoir lait chou-blanc jusqu'ici. Malheureuse»*
ment pour eux, leur joie sera de courte durée*
car la situation restera la même. Les lettres
contenues dans les caisses saisies sont absolu-
ms'eri convaincre.
Si elles avaient été mises en lieu sûr, c'est
qu'on n'avait pas eu le temps de les détruire.
En tout cas, le général met la haute couràû
défi de trouver quelque chose contre lui, et cette
fameuse découverte qui fait crier victoire à ses
ennemis le laisse absolument froid. Quant aux
racontars qu'elles ont été saisies au moment
où elles allaient être transportées en Angleterre;
c'est absolument faux. On n'y attachait pas
assez d'importance pour se donner qb pareil
souci. Le général en avait complètement oublié
l'existence.
. Quant au carnet qui servait, à l'ancien secré
taire du général, à noter au jour le jour les or
dres de son chef, cela prouve qae le général lai-
sait ce que font tous les gens qui ont des secré
taires et qui veulent que les ordres qu'ils don
nent soient régulièrement exécutés. TDu reste, ■
la lecture de ces ordres ne donnera pas plus
que le reste, des arguments contre le général^
Car nous ne saurions trop le répéter, quelles
jjue soient les recherches qu'on fasse, on ne
trouvera rien puisqu'il n'y a rien. Aussi la
haute cour ferait-elle sagement de résigner la
mandat déshonorant qu'elle a accepté de M.
Constans.
Bois-Glavy.
Les membres du « comité national » af
fectent la plus grande confiance. M. La
guerre est même allé à Angoulême faire
une conférence révisionniste. Il y a toute
fois un point noir : parmi les signataires
des lettres de félicitations,' il doit y avoir, il
y a certainement des officiers, des fonc
tionnaires : or ceux-ci ne seront-ils pas
frappés, alors même que leurs lettres se
raient tout à fait innocentes ? On peut le
craindre, surtout avec des hommes comme
MM. Constans et Rouvier.
Déjà des journaux ministériels demain
dent des mesures de rigueur ; une révoca
tion ne leur suffirait même pas.
Une note de l'Agence Havas nous a an
noncé l'arrestation, non d'un officier géné
ral, mais d'un sous-intendant militaire,
ayant seulement rang d'officier supérieur,
M. Reichert.
M. le sous-intendant Reichert est Alsa
cien ; né à Strasbourg en 1847, il est sorti
de Saint-Cyr en 1857 ; capitaine d'état-
major en 1874, il était entré dans l'inten
dance en 1880. Depuis le 7 février 1882, M.
Reichert était sous-intendant de 3 e classe.
Il avait été décoré le 9 juin 1871.
. Dès hier on annonçait la mise efl liberté
de M. Reichert, qui n'avait été mis en état
d'arrestation que par précaution, pour l'em
pêcher de mettre à l'abri certains papiers
compromettants pour le général. M Rei
chert a été, en effet, mis en liberté, ce-qui
montrerait que M. Merlin, le président de
la haute cour, abuse singulièrement des
pouvoirs exorbitants qui lui ont été donnés
dans un moment d'affolement. D'autres ar
restations avaient été annoncées,notamment
celles d'un capitaine attaché à l'état-ma-
jor de M. de Freycinet, M. Flachat, et du
général Jung, ancien chef d'état-major du
général Boulanger, ministre de la guerre;
Cette double arrestation est démentie. On
s'est borné à faire une perquisition chez le
capitaine Flachat. Quant au général Jung,
qui a été simplement interrogé par la
haute cour, nous rappellerons qu'il a
été longtemps collaborateur militaire
de la République française et que
M. Gambetta l'a convert de sa haute
protection, qui lui a permis d'arriver aux
étoiles, alors qu'au jugement de nombre
d'officiers il aurait dû être mis à la
retraite. Nous rappelons également que
lorsque, à la surprise générale, il fat
nommé chef d'état-major du ministre de la
guerre, on dit tout haut, et sans que cela
ait é:é alors démenti, que M< Clémenceau
avait imposé au général Boulanger ce
colonel, qui était devenu son protégé
après avoir été celui de M. Gambetta.
On parle d'autres arrestations, mais sans
rien préciser.
Le Parti boulangiste
: Dès faits graves se sont passés à Angou
lême, où M. Laguerre s'était rendu avec
MM. Laisant et Déroulède pour présider
une réunion boulangiste. x Voici la version
de l'Agence Haaas, c'est-à-dire du gouver
nement :
Angoulême, 9 juin.
Ce matin vers dix heures et demie, MM. La«
guerre, Laisant, Déroulède sont arrivés à An
goulême. A la gare on leur a offert de nom
breux bouquets : ils sont ensuite montés en
voiture avec M. Richard pour sn rendre ensem
ble à l'hôtel du Palais, place Munier. Un ras
semblement considérable se trouvait devant
l'hôtel et avait une attitude très bruyante.
N* 7832 ** JBditio&
Lundi-Mardi 10-11 Juin
ÉDITION QUOTIDIENNE
ÉDITION EEMI-QUOTIDIENNE
Un an. • .
Six mois. .
Trois mois.
paris
el départements
. . 55 »
. . 23 50
. . 15 »
etranger
(UNION POSTALî)
66 »
34 »
18 »
'^abonnements partent des f « et 16 de chaque mois
UN NUMÉRO { ggartemente: 2§
BUREAUX : Paris, 10, rua des Saints -Pères
On s'abonne à Borne, place du Gesù, 8
BSBiBS
Un an. . ,
Six mois. .
Trois mois.
paris
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, . 16 »
. 8 50
étranger
(union postale)
36 »
19 »
10 »
Les abonnements partent des 1" et 16 de chaque moW
L 'CNIYERS ne répond pas des manuscrits qui lai sont adressés
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et C i0 , 6, place de la Bourse
FRANGE
PARIS, 10 JUIN 1889
Quelle que soit l'importance des
faits qui se sont produits en France,
il nous semblent qu'ils s'effacent un
peu devant la manifestation qui a eu
lieu hier à Rome, avec la connivence,
sinon sur l'initiative de M. Crispi. L'i
nauguration du monument de l'apos
tat Giordano Bruno est une insulte,
une provocation à l'adresse des catho
liques du monde entier. D'après les
renseignements, encore sommaires,
qui nous arrivent, le caractère impie
de la manifestation ressort avec une
évidence qui s'impose, On doit signa
ler également, mais au second plan,
le caractère révolutionnaire et irré
dentiste.
L'ordre matériel n'a pas été troublé
grâce aux mesures de précaution pri
ses, mais l'agitation restera dans les
esprits, et tôt ou tard, elle portera ses
fruits,
Nous donnons intégralement la su
perbe réponse de M. le comte Albert
de Mun à M. Jules Ferry; jamais l'ora
teur catholique n'avait été mieux ins
piré. Ce ne sont pas les prétendues
réponses de MM. Fallières et Lockroy
qui détruiront l'effet de son discours.
On a entendu également MM. Le Pro-
vost de Launay et Amagat. M. Clé
menceau a parlé le dernier, et en mé
nageant M. Jules Ferry, dont peut-
être l'appui lui sera nécessaire pour
trouver un bourg pourri, il a violem
ment repoussé toute politique d'apai
sement. Donc, c'est la guerre. Au
moins la situation est nette.
La discussion n'est pas terminée;
on entendra demain MM. Keller et
Ribot, sans préjudice des incidents
possibles.
On faisait avant-hier grand tapage
des documents découverts dans les
caisses saisies rue des Ahbesses, et
l'arrestation bruyamment annoncée
d'un officier supérieur semblait indi
quer, en effet, que cette fois on avait
trouvé quelque chose. Or, l'intendant
militaire Reichert a été remis en li
berté, et aucune nouvelle arrestation
n'a encore été faite.
Un fait assez grave s'est passé à An
goulême : deux députés, MM. Laguerre
et Laisant, ont été arrêtés. On trou
vera." des détails plus loin.
M. Quesnay de Beaurepaire a obtenu
une condamnation contre les jour
naux qu'il poursuivait; il évite ainsi,
pour une partie du procès, la cour
d'assises; nous doutons qu'il soit bieft
satisfait. Dans tous les cas, cela ne le
relèvera pas devant l'opinion.
P. S. — Faute de place, nous nous
voyons forcés d'ajourner la publication
des discours de MM. Lockroy, Amagat
et Clémenceau. Nous les [donnerons
demain.
La discussion du budget de l'ins
truction publique se prolonge. Elle a
pris l'importance d'une bataillé où se-
ioat fixées les responsabilités encou
rues depuis dix ans ; où tant d'efforts
divers seront jugés suivant leurs véri
tables résultats ; où se décidera le sort
des anciens partis, où les nouveaux
choisiront leur direction.
. Fait significatif : la question des
écoles reste au second plan. La lutte
générale est engagée entre les doc
trines qui se partagent le siècle. Le
principe religieux et le mensonge ré
volutionnaire sont aux prises. C'est le
droit qui est en jeu ; et certains légis
lateurs, qui ne s en doutaient guère,
commencent* à soupçonner que la
justice repose sur la vérité et que
celle-ci n'est pas l'œuvre des hommes.
Des libre-penseurs, épuisés de fulmi
ner contre le cléricalisme parce qu'il
invoque la vérité, s'aperçoivent qu'ils
n'ont pas, eux non plus, d'autre res
source, à moins de se taire.
L'annonce de l'intervention de M.
le comte de Mun promettait un dis
cours très vigoureux, très brillant et
très fier. L'on a eu bien plus que cela:
un triomphe. L'illustre orateur catho
lique a conquis la gloire souveraine
que décernent les suffrages de l'enne
mi. Il a pu entendre des cris d'admi
ration et d'envie sortis de ces poitri
nes où grondait la colère. Dix fois en
une heure,on a vu l'auditoire tout en
tier secoué d'un même mouvement
par cette éloquence resplendissante,
superbe de force, d'élégance, de hau
teur et de vivacité, faite de ce qu'il y a
de plus beau : la conviction,la nobles
se, l'intrépidité, l'honneur. L'éloquen
ce de M. de Mun, c'est lui-même ; elle
porte les caractères qu'il a en propre :
chrétien, gentilhomme, soldat. Il a
tous les dons : la prestance, la voix,
le geste, le souffle,' une incompa
rable distinction; son attitude impose
autant que son langage séduit. Jamais
il n'a parlé sans produire d'émotion,
mais samedi il s'est montré supé
rieur à tout ce que l'on connaissait, de
lui. Sa phrase, toujours ample,harmo
nieuse et limpide, se déployait avec
une continuelle impétuosité, résonnait
comme une musique guerrière, jail
lissait, bondissait, atteignait le but
coup sur coup. Inoubliable spectacle.
Victoire éclatante aussi ; car l'effet
moral d'un tel discours ne se détruit
pas. Même les auditeurs et les lecteurs
qui ne .peuvent reconnaître là qu'un
chef-d 'œuvre de l'art oratoire devront
toujours rendre hommage à la foi qui
l'a inspiré,-àJa.liberté chrétienne dont
il prépare la revanche et le salut.
Tout en passant rapidement sur la
question des chiffres, M. de Mun a su
la traiter d'une manière complète. Aux
falsifications de M. Ferry il a répondu
par des déclarations que personne ne
peut suspecter, celles de financiers
républicains, MM. Boulanger et Com
bes, sénateurs. La situation se résume
ainsi ; « Pour les dépenses ordinaires
« des traitements, une dépense an-
« nuelle de plus de 160 millions ; pour
« les constructions scolaires, une dé-
« pense effectuée de 542 millions;
« pour les traitements et les annuités
« de construction, une augmentation
« annuelle de près de soixanie-six
« millions ». La prétendue aug
mentation des élèves, grâce au sys*
tème obligatoire, elle existe à re
bours : en 1880, la proportion des ab
sents était de 10 0[0; elle est aujourd'hui
de 11,70 0^0. Les élèves des écoles libres
qui, en 1876, étaient au nombre de
440,000, sont devenus plus de 800,000;
donc, dit l'orateur au milieu des vocifé
rations de la gauche, lê pays n'est pas
avec vous, laïciseurs. Les infractions
à la neutralité sont générales ; M. de
Mun en a donné rapidement une énu-
mération abondante et serrée ; il a
rappelé les horribles outrages infligés
aux emblèmes religieux, les crucifix
fusillés ou jetés dans les fosses d'ai
sances. De la « tfilôgie que la franc-
maçonnerie a donnée pour mot d'or
dre », que reste-t-il ? Des lois violées
et inapplicables ; des dettes que rien
n'éteindra ; pour la plus grande par
tie de la population, la charge d'un
double budget ; partout la guerre.
Les invraisemblables et dérisoires
propositions de paix faites par M. Ferry
ont été reçues par M. de Mun avec un
écrasant mépris. Quelle maîtresse le
çon ! C'est toute une biographie, c'est
tout un portrait en pied de l'homme
qui a le, ! plus contribué à notre ruine
et à nos divisions. M. de Mun a étalé
les turpitudes politiques du criminel ;
il l'a montré à l'œuvre depuis l'arti
cle 7, ^ depuis les décrets, depuis les
jurisconsultes, malgré les pétitions de
deux millions de citoyens, malgré
l'héroïque résistance de 250 magis
trats. Il l'a montré semant partout la
haine : « Il fautbien que vous le sachiez,
« quelque dur que cela soit à dire : il
« y a dans^ le pays des milliers de
« foyers chrétiens où votre nom n'est
« prononcé qu'avec des larmes! Il y a
« des milliers de familles d'ouvriers,
« de petits fonctionnaires surtout, où,
« parce qu'on n'a pas d'école libre à
« sa portée, ou bien parce que, plus
« souvent encore, le traitement du
« père, le pain de la famille et des
« enfants lui serait retiré s'il ne sa-
« crifiait pas à l'école laïque, on est
« obligé d'envoyer les enfants à l'école
« sans Dieu : les mères en pleurent,
« et elles savent que c'est à cause de
« vous!... Vous avez fait une répu-
« blique inhabitable pour plus de
« la moitié des citoyens... Le pays
« demande à être délivré de votre
« dictature, qui est la plus intoléra-
« ble de toutes ! » Et maintenant',
l'auteur détesté de ces attentats et de
ces désastres pourrait espérer rame
ner à lui ses victimes? Comment ? Le
repentir? Il n'en a pas! Ici M. de Mun
a. mis en eviderice l'indestructible so
lidarité qui lie M. Ferry au parti radi
cal ; il a rappelé les programmes et
les œuvres de tous ces alliés et de tous
ces collaborateurs dans l'entreprise
commune ; il a établi la responsabilité
de M. Ferry, qui, après s'être prêté à
dépecer peu à peu le budget des
cultes, se flatte aujourd'hui de l'a
voir sauvé; il a . invoqué la pro
messe faite l'autre jour par M. Clé
menceau : que les républicains, op
portunistes ou radicaux, resteront unis
« pour faire front contre l'Eglise ca
tholique ». Il a dit encore : « Ce sont
les radicaux qui ont promis, et c'est
vous qui avez tenu!.... La guerre re
ligieuse a été le grand moyen de votre
union : elle reste aujourd'hui la
chaîne qui vous rive les uns aux au
tres. » Flagellé par cette éloquence
nerveuse, M. Ferry baissait son visage
blême et contracté. Un dernier châti
ment était réservé à cet étrange
homme d'Etat ; M. de Mun a pris
congé de lui en ces termes dédaigneux
et vengeurs,qui ont produit une inex
primable émotion : « Nous ne serons
« pas injustes ; j'espère que vous ne
« serez pas ingrats et que vous vou-
« drez comme moi, comme je le fais
« en terminant, saluer en M. Jules
« Ferry le représentant incontestable
« et autorisé de la majorité républi-
« caine!»
Jamais on n'a mieux donné l'idée
de ce que vaut M. Ferry et des senti
ments qu'il inspire : la plus dure
humiliation que puissent éprouver les
forçats de l'impiété, c'est de recon
naître qu'il est leur chef!
L'émotion causée par le discours de
M. de Mun était si profonde qu'aucun
adversaire ayant à sauvegarder quel
que prestige n'a voulu répondre im
médiatement. On a sacrifié le ministre,
qui a, sans intérêt pour personne, pas
même pour lui, invoqué une statisti
que quinquennale, inédite encore à ce
moment-là. M. Fallières a juré que la
liberté de conscience est respectée
dans les écoles officielles. Voilà!.
L'intérêt est revenu avec M, Le Pro-
vost de Launay. L'orateur a fait un
historique détaillé de la caisse des
écoles; celle-ci, a-t-il dit, devrait fi
gurer dans la prochaine édition de la
célèbre et symbolique brochure par
laquelle débuta M. Ferry, Les comptes
fantastiques. De cet exposé (celui de M.
Le Provost de Launay) il résulte que
la caisse magique, ouverte en 1877
devait, selon la parole et l'arithmé
tique de M. Floquet, suffire à tout avec
120 millions. Or, nous marchons au
milliard.
L'intérêt est reparti, chassé par M.
Lockroy, qui se souvient d'avoir été
.ministre de l'instruction publique ; et
en effet, la chose est digne de mé
moire. Dans une autre circonstance,
on aurait pu trouver de l'amusement
aux vociférations étranges de ce vau
devilliste raté»
M. Amagat, visé l'autre jour par M.
Ferry, a répondu en faisant une irré
futable critique de la gratuité» Le vi
goureux orateur a répudié l'inique
système qui impose aux familles pau
vres l'obligation de payer une dépense
qui devrait incomber aux familles
aisées \ il a plaidé courageusement la
cause de la liberté ; il a invoqué, près
des libre-penseurs, l'autorité de Littré ;
et il a reconnu le christianisme comme
« la plus haute école de moralité qui
« se soit jamais élevée sur le monde ».
Il a conseillé à M» Ferry de se retirer
de la politique et d'expier dans le si
lence tant d'erreurs, de fautes et d'at
tentats.
M. Clémenceau, après des hésita
tions» paraît-il, s'était décidé à parler,
de n était pas à M. de Mun qu'il ré
pondait ; il n'avait rien à lui dire ; c'é
tait àM.Ferry,pour protester contre la
tentative désespérée de pacification.
Gomme en M. de Mun, l'éloquence
de M. Clémenceau a un aGcenttout
personnel. Mais il n'y a pas d'autre
ressemblance entre eux. M. Clémen
ceau est en toute chose et exclusive
ment duelliste émérijLe. D'une voix
sèche, il lance une invective comme
une balle de pistolet et ne sait rien
faire de mieux. Il lui est arrivé parfois
d'être inspiré, mais pendant deux mi
nutes. A un degré rare, ses idées sont
courtes, banales et pauvres ; son es
prit procède de la « blague ». Ses ma
nières cassantes donnent à ses défauts
un relief superflu. Sans philosophie,
sans lecture, il va et vient selon les
suggestions de la colère. Au fond, il
n'est sûr que de sa haine. Il n'aime pas
la liberté : il hait l'Eglise ; et c'est
simplement par contre-coup qu'il est
amené à se dire libéral. En dépit de
son tempérament énergique, il n'a pas
d'influence ; on assure même que sa
clientèle électorale lui échappe ; et ce
doit être vrai puisqu'il a songé à ren
dre inéligibles les députés actuels, en
bloc ; il se serait mis ainsi à l'abri
d'un échec et aurait eu l'air de s'im
moler pour la république.
Sans l'animosité qui le remplit d'un
bout à l'autre ce discours serait amu
sant. Que M.Clémenceau insiste cruel
lement sur les palinodies de M. Ferry;
qu'il rappelle l'époque où celui-ci dé
clamait furieusement contre le budget
des cultes et dressait la liste des « des
tructions nécessaires »; qu'il affirme
que le Concordat donne tout à l'Eglise
et rien à l'Etat; qu'il multiplie ses cris
de guerre contre la religion, cela est
ordinaire. La partie nouvelle et diver
tissante de son discours est celle où il
a voulu exposer la raison de sa haine
antireligieuse. M. Clémenceau, em
barqué dans le Syllabus, dans les en
cycliques, citant Pie IX, BonifaceVIII
et Grégoire VII ; dissertant sur la li
berté de conscience, affirmant que
l'Eglise prétend posséder la vérité abso
lue en toutes choses, religieuses ou
non, la scène est impayable; et d'au
tant plus que l'orateur a déclaré avec
désinvolture que sa science, étant de
fraîche date, avait été fortifiée le ma
tin même. Telle est la gravité des
libre-penseurs,. et encore des libre-
penseurs de marque! Et les autres
rayonnaient et applaudissaient, puis
que la Révolution est une parodie.
Il y a tant dë questions dont M. Clé
menceau et ses amis ne se doutent
pas ! Ils s'indignent que l'Eglise con
damne en principe la liberté de cons
cience ; ils ignorent les acceptions
que peut prendre cette formule. S'a
git-il de la liberté de penser et d'agir
sans autre limites que celles des ins
tincts? Mais M. Clémenceau n'oserait
pas essayer de la justifier. Sous le ré
gime le plus laïque, les instincts sont
comprimés. La polygamie, l'égalité
des enfants naturels avec les enfants
légitimes, le droit de pratiquer l'avor-
tement (un candidat à la députation
l'a réclamé en 1885 par des affichés),
est-ce que M. Clémenceau en veut?
Non, sans doute. Alors voilà déjà des
restrictions. Et au nom de quoi les
imposer ? Il serait embarrassé de le
dire. Puis, l'autorité de la conscience
est une inconséquence énorme dans
la doctrine matérialiste, qui fait du
monde le résultat de forces aveugles,
et par conséquent inconscientes. Il
n'est pas jusqu'à la raison qui ne soit
incompatible avec ce système, puis
qu'elle résulterait du hasard. Quant
aux principes de l'Eglise, M. Clémen
ceau pourrait apprendre, même en une
matinée, que tous les théologiens en
tendent les appliquer en tenant compte
des faitseteondamnent les procédésqu
ne conviennent pas aux circonstances,!
aux situations. Le reproche adressé à
l'Eglise d'aspirer à la suprématie est
puéril. Si M. Clémenceau daignait ana
lyser la formule qu'il aime à énoncer
en faveur du pouvoir civil, il trouverait
ceci : Moi, Clemenceau, duelliste émi-
nent, je soutiens que la prédomi-
nence d'une doctrine religieuse ou
philosophique est inadmissible. J'ai
cependant une doctrine,puisque jevote
des lois qui concernent la morale et le
droit ; par exemple, je veux que le ma
térialisme soit librement enseigné et
pratiqué avec ses conséquences socia
les. J'ai donc la prétention que je re
proche à tous mes adversaires, de
quelque opinion qu'ils soient ; cette
prétention, je la condamne d'une ma
nière absolue,mais j'en réclame le bé
néfice pour moi. Je reproche encore à
mes adversaires de ne se reconnaître
suffisamment libres que lorsqu'ils sont
les maîtres ; et précisément je ne me
sens libre que lorsque mon parti est
le maître. Je ne supporte pas que per
sonne invoque la vérité absolue, et ce
pendant j'y ai recours continuellement,
parce qu enfin si j é ne parlais pas au nom
de la vérité absolue, au nom de quoi
est-ce que je parlerais?.Le système des
cléricaux, je l'ai en horreur quand ils
l'emploient; mais je veux m'en servir
à mon profit. — M. Clémenceau dis
cernerait peut-être là-dedans un mer
veilleux élément comique.
Nous devons noter que, pendant le
discours du radical, M. Ferry s'est
beaucoup agité et a multiplié les
interruptions. *
Demain, M. Ribot prendra la parole.
Nous saurons ce que « feu le centre
gauche » peut proposer en fait d'apai
sement.
M. Goblet, dit-on, interviendra
aussi.
On voit que tous les gens impor
tants considèrent la lutte comme dé
cisive.
Eugène Tavernier.
Le Monument
de giordano bruno
On nous écrit de Rome à la date
du 8 juin:
Aujourd'hui samedi sont arrivées les as
sociations et délégations dea sociétés qui
prennent part à la fête de Giordano Bruno.
La ville a un aspect de calme, car les prin
cipaux citoyens se retirent à la campagne.
Les associations auront leurs bannières,
dont quelques-unes sont rouges cravatées
de noir. L'effervescence continue dans le
camp libéral. Au Vatican on ferme ce soir
toutes les portes, et personne n'entre ni ne
sort. Le Pape a suspendu toute audience,
et même la basilique de Saint-Pierre reste
fermée, comme le Vatican, j usqu'à mardi. Le
roi, sur les pressions du parti libéral, est
obligé de rester-à Rome jusqu'à lundi. Une
partie du corps diplomatique doit rester de
main au Vatican.Pour ne pas irriter le par
ti anticlérical, les journaux catholiques ont
reçu ordre du Vatican de cesser toute po
lémique sur Giordano Bruno. — Le mani
feste publié ce matin dit que les cléricaux
méditent des provocations; au contraire,
on les évite toutes, mais le gouvernement
est très inquiet, car les radicaux intolérants
profitent de la situation pour faire du
bruit.
^Nous recevons aujourd'hui la dé
pêche suivante :
Rome, iO juin, 7 h. 35, matin.
De grandes précautions de police avaient
été prises hier. Des troupes étaient mas
sées sous la colonnade de Saint-Pierre, au
pont Saint-Ange, devant l'ambassade d'Au
triche.
Pendant le défilé du cortège, on a joué
notamment la Marseillaise , qui a été siffïée
et acclamée en même temps.
Des drapeaux rouges et noirs étaient por
tés par des nihilistes, des socialistes, des
membres de l'Internationale.
A onze heures, le monument a été dé
couvert au milieu des acclamations des
sectaires.
Des discours violemment anti-catholi
ques et maçonniques ont été prononcés par
le maire de Nola, le maire et le député Bo-
vio, de Rome.
Dans un de "ces discours, le Pape était
violemment apostrophé et représenté
comme une malheureuse victime des dog
mes de l'Eglise.
Il a été dit que Rome entrait dans une
ère nouvelle et devenait la capitale de la
catholicité de la science et de la libre-
pensée. Aussi la journée du 9 juin 1889
sera-t-elle plas douloureuse an Pape que
celle du 20 septembre 1870.
On a fait une manifestation en l'honneur
de Garibaldi, au milieu de discours et de
cris irrédentistes.
L'ordre n'a pas été troublé.
A Ces détails, nous ajouterons les
suivants, empruntés aux dépêches de
l 'Agence Havas, toujours complaisante
aux manifestations révolutionnaires :
Les députations représentaient peut-être
six mille sociétés et comptaient environ en
viron 50,000 personnes.
Les députations des francs-maçons de
France, d'Allemagne, de Belgique, des
Etats-Unis, d'Austro-Hongrie, de Dane
mark, etc., marchaient pêle-mêle avec
celle des francs-maçons italiens. Les dépu-
iations des universités italiennnes comp
taient près de 2,000 étudiants.
La cérémonie s'est terminée à midi au
Campo dei Fiori.
Les députations se sont ensuite rendues
au Capitole.
Du balcon où avait été placé le buste de
Garibaldi, entouré de drapeaux et de cou
ronnes, le député Imbriani, dans un dis
cours très applaudi, a célébré la mémoire
du général.
A une heure, la manifestation s'est sé
parée aux sons de l'hymne de Garibaldi et
au bruit de vivats enthousiastes.
La même Agence publie les dépêches
suivantes :
Rome, 9 juin.
Les ambassadeurs de France, de Portu
gal, le ministre de Prusse, le chargé d'af
faires d'Autriche et les autres membres du
corps diplomatique sont allés au Vatican
vers six heures, tous en redingote.
Ils ont visité d'abord le cardinal Ram-
polla. On assure qu'ils se sont rendus en
suite auprès du Pape.
Le Vatican est resté fermé toute la jour
née.
Rome, 9 juin.
Le bruit qui a couru que le Pape aurait
été malade et sur le point de partir n'est
pas fondé.
Cette après-midi, divers membres du
corps diplomatique ont visité le cardinal
Rampolla, mais ils n'ont pas vu le Pape.
Cependant les ambassadeurs de France et
d'Autriche, qui n'ont pas été à Naples,
comme on le disait, se sont rencontrés chez
le cardinal vers sept heures, et le cardinal
qui se rendait chez le Pape les y a
amenés.
Ils y sont restés environ trois quarts
d'heure.
Le Pape a donné l'ordre de publier un
volume de toutes les protestations qui lui
ont été adressées du monde entier contre
l'érection du monument de Giordano
Bruno.
On croit qu'il protestera également au
moyen d'un acte spécial.
Divers journaux publient cette note,
évidemment officieuse :
M. Spuller a reçu samedi matin Mgr
Rotelli, nonce du Pape, qui venait lui pré
senter les trois ablégats apostoliques venus
en France à l'occasion des promotions de
cardinaux français. Les trois ablégats, qui
sont NN. SS. Gasparri pour l'archevêque
de Paris, Péri Monrosini pour l'archevê jue
de Lyon, Scapinelli pour l'archevêque de
Bordeaux, ont remis à M. Spuller les let
tres de créance qui les accréditent comme
envoyés extraordinaires du Pape auprès du
gouvernement français ; ils étaient accom
pagnés chacun d'un secrétaire.
Mardi matin, dans une première au
dience, ils remettront au président de la
République les lettres de créance qui les
accréditent auprès du gouvernement fran
çais. Puis aura lieu la cérémonie de la
remise de la barrette et des insignes à cha
cun des trois cardinaux. Après cette céré
monie, les trois cardinaux seront reçus en
audience particulière par le président de la
République.
On annonce que, suivant une vieille
tradition, avec laquelle avait rompu
M. Grévy, une messe sera dite dans
la chapelle de l'Elysée où aura lieu la
remise de la barrette.
Assemblée provinciale
de l'anjou, de la touraine et du m4ine
L'espace nous manque aujourd'hui pour
-rendre compte de la grande assemblée
d'Angers, sur laquelle nous reviendrons.
Nous nous bornerons à dire que les deux
premières journées de l'assemblée ont été
fort intéressantes.
Le premier jour, à la séance du soir,
M. l'abbé Bourgain a lu un intéressant
rapport sur les cahiers du tiers état.
Mgr de Kernaeret a ensuite magistrale
ment résumé les travaux de la première
coïnmission sur la religion, la famille et
les mœurs. C'est M. Gavouyère, l'éminent
doyen de la faculté de droit à l'université
catholique d'Angers, qui a eu les honneurs
de la seconde journée,avec un remarquable
rapport sur l'instruction publique.
La haute cour
Les perquisitions dont nous avons déjà
parlé, et qui ont amené la saisie de trois
caisses, parmi lesquelles la « cantine » du
général Boulanger, ont-elles fourni à la
commission d'il strnetion de la haute cour
les éléments de culpabilité vainement pour
suivis jusqu'ici ? On devrait le conclure des
chants de triomphe des journaux opportu
nistes et radicaux, qui déclarent que, sous
peu de jours, non seulement le général et
ses deux complices déjà connus, MM. Ro-
chefort et Dillon, mais d'autres personna
ges « haut placés » vont être traduits de
vant la cour et que déjà même M. Merlin
aurait signé de nombreux mandats d'arrêt.
Voici, du reste, ce que dit sur les « docu
ments saisis », un journal des plus ardents
contre le général :
Les caisses de documents saisis ont été ou
vertes en présence des membres de la commis
sion de la haute conr, qui ont vérifié leur
contenu. Après un rapide examen, on a
trouvé :
i° Dans une caisse en bois, longue de un
mètre, un volumineux las de paperasses, de
programmes, de projets, de plans, cahiers, etc.,
ayant trait à l'organisation de la propagande
boulangiste.
Ces dernières pièces ont été mises de cûté
pour être examinées ultérieurement et classées
selon leur valeur.
2° Une seconde caisse, dite la « caisse d'a
cier », et qui n'ést autre qu'une malle doublée
de fer, "longue de soixante-cinq centimètres.
C'est la cantine militaire du général Boulan
ger.
Elle porte, sur le couverele, une plaque gra
vée indiquant les noms et titres du général.
Cette caisse paraît devoir être la saisie la plus
importante.
Elle contient un grand nombre de lettres par
ticulières, soigneusement classées et étiquetées,
émanant des principaux personnages du parti
et aussi de fonctionnaires; d'employés d'admi
nistration, etc.
3° La dernière boîte, en bois comine la pre
mière, mesurant de trente à trente-cinq centi
mètres de long sur vingt centimètres de hauteur,
était remplie de cartes de visites reçues à l'oc
casion des succès électoraux de M. Boulan
ger.
Elles émanent de personnages divers ; plu
sieurs ont été adressées par des fonctionnai*
res des administrations et par des officiers da
l'armée.
Les auteurs de ces cartes félicitent M. Bou
langer, ou lui font des offres de service, ou
l'invitent à faire un coup d'Etat.
Il est donc à supposer que de hauts per
sonnages seront compromis dans les pour
suites. ■ :
Remarquons en passant que, même en
supposant tous ces renseignements vrais*
on y chercherait vainement les éléments
d'une poursuite pour « attentat »; des féli
citations, des offres de service, voire des
invitations à un coup d'Etat, peuvent, plus
ou moins, justifier un procès pour complot,
mais ne constituent pas un attentat, où il
faut un commencement d'exécution; or, un
complot n'est plus du ressort du Sénat
constitué en haute cour ; il va à la cour
d'assises où le terrain serait peut-être dan
gereux pour le gouvernement.
Naturellement les journaux boulangistes,
ou même simplement indépendants, niant
que les fameuse!* caisses aient fourni au
cune preuve sérieuss à la haute cour; voici
notamment la dépêche officielle du Figaro,
qui se retrouve, au moins £3 substance,
dans plusieurs autres journaux^:
Paris-Londres —1625 — 8/6 12 19 eoirî
Puisque les journaux ministériels considèrent
comme excellent le résultat de la perquisition
Becker, puisqu'ils croient avoir enfin trouvé
des documents importants, ils avouent donc
avoir lait chou-blanc jusqu'ici. Malheureuse»*
ment pour eux, leur joie sera de courte durée*
car la situation restera la même. Les lettres
contenues dans les caisses saisies sont absolu-
m
Si elles avaient été mises en lieu sûr, c'est
qu'on n'avait pas eu le temps de les détruire.
En tout cas, le général met la haute couràû
défi de trouver quelque chose contre lui, et cette
fameuse découverte qui fait crier victoire à ses
ennemis le laisse absolument froid. Quant aux
racontars qu'elles ont été saisies au moment
où elles allaient être transportées en Angleterre;
c'est absolument faux. On n'y attachait pas
assez d'importance pour se donner qb pareil
souci. Le général en avait complètement oublié
l'existence.
. Quant au carnet qui servait, à l'ancien secré
taire du général, à noter au jour le jour les or
dres de son chef, cela prouve qae le général lai-
sait ce que font tous les gens qui ont des secré
taires et qui veulent que les ordres qu'ils don
nent soient régulièrement exécutés. TDu reste, ■
la lecture de ces ordres ne donnera pas plus
que le reste, des arguments contre le général^
Car nous ne saurions trop le répéter, quelles
jjue soient les recherches qu'on fasse, on ne
trouvera rien puisqu'il n'y a rien. Aussi la
haute cour ferait-elle sagement de résigner la
mandat déshonorant qu'elle a accepté de M.
Constans.
Bois-Glavy.
Les membres du « comité national » af
fectent la plus grande confiance. M. La
guerre est même allé à Angoulême faire
une conférence révisionniste. Il y a toute
fois un point noir : parmi les signataires
des lettres de félicitations,' il doit y avoir, il
y a certainement des officiers, des fonc
tionnaires : or ceux-ci ne seront-ils pas
frappés, alors même que leurs lettres se
raient tout à fait innocentes ? On peut le
craindre, surtout avec des hommes comme
MM. Constans et Rouvier.
Déjà des journaux ministériels demain
dent des mesures de rigueur ; une révoca
tion ne leur suffirait même pas.
Une note de l'Agence Havas nous a an
noncé l'arrestation, non d'un officier géné
ral, mais d'un sous-intendant militaire,
ayant seulement rang d'officier supérieur,
M. Reichert.
M. le sous-intendant Reichert est Alsa
cien ; né à Strasbourg en 1847, il est sorti
de Saint-Cyr en 1857 ; capitaine d'état-
major en 1874, il était entré dans l'inten
dance en 1880. Depuis le 7 février 1882, M.
Reichert était sous-intendant de 3 e classe.
Il avait été décoré le 9 juin 1871.
. Dès hier on annonçait la mise efl liberté
de M. Reichert, qui n'avait été mis en état
d'arrestation que par précaution, pour l'em
pêcher de mettre à l'abri certains papiers
compromettants pour le général. M Rei
chert a été, en effet, mis en liberté, ce-qui
montrerait que M. Merlin, le président de
la haute cour, abuse singulièrement des
pouvoirs exorbitants qui lui ont été donnés
dans un moment d'affolement. D'autres ar
restations avaient été annoncées,notamment
celles d'un capitaine attaché à l'état-ma-
jor de M. de Freycinet, M. Flachat, et du
général Jung, ancien chef d'état-major du
général Boulanger, ministre de la guerre;
Cette double arrestation est démentie. On
s'est borné à faire une perquisition chez le
capitaine Flachat. Quant au général Jung,
qui a été simplement interrogé par la
haute cour, nous rappellerons qu'il a
été longtemps collaborateur militaire
de la République française et que
M. Gambetta l'a convert de sa haute
protection, qui lui a permis d'arriver aux
étoiles, alors qu'au jugement de nombre
d'officiers il aurait dû être mis à la
retraite. Nous rappelons également que
lorsque, à la surprise générale, il fat
nommé chef d'état-major du ministre de la
guerre, on dit tout haut, et sans que cela
ait é:é alors démenti, que M< Clémenceau
avait imposé au général Boulanger ce
colonel, qui était devenu son protégé
après avoir été celui de M. Gambetta.
On parle d'autres arrestations, mais sans
rien préciser.
Le Parti boulangiste
: Dès faits graves se sont passés à Angou
lême, où M. Laguerre s'était rendu avec
MM. Laisant et Déroulède pour présider
une réunion boulangiste. x Voici la version
de l'Agence Haaas, c'est-à-dire du gouver
nement :
Angoulême, 9 juin.
Ce matin vers dix heures et demie, MM. La«
guerre, Laisant, Déroulède sont arrivés à An
goulême. A la gare on leur a offert de nom
breux bouquets : ils sont ensuite montés en
voiture avec M. Richard pour sn rendre ensem
ble à l'hôtel du Palais, place Munier. Un ras
semblement considérable se trouvait devant
l'hôtel et avait une attitude très bruyante.
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