Titre : L'Univers
Éditeur : L'Univers (Paris)
Date d'édition : 1889-04-06
Contributeur : Veuillot, Louis (1813-1883). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, Pierre (1859-1907). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, François (1870-1952). Rédacteur
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 06 avril 1889 06 avril 1889
Description : 1889/04/06 (Numéro 7769). 1889/04/06 (Numéro 7769).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
Samedi 6 Avril 1889
K» 7769 — Ëdltioa gultffiinft»
Samedi 6 Avril 1889
ÉDITION QUOTIDIENNE
ÉDITION SEMI-QUOTIDIENNE
PARIS
ET DÉPARTEMENTS
Un an. , . « . 65 »
Six mois. ... 28 80
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ÉTRANGER
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L'MYERS ne répond pas des manuscrits qui lui sont adressés
ANNONCES
MM, Ch. LAGRANGE, CERF et C 10 , 6, place de la Bourse
FRANCE
'PARIS, 5 AVRIL 1889
Nouâ avions raison de dire que les
adversaires du général Boulanger,
dans l'emportement de la haine et de
la peur, feraient quelque sottise qui
justifierait son 'départ. Gela n'a pas
manqué. Dès hier, la Chambre était
saisie d'une demande en autorisation
de poursuites, qui ne fait honneur à
l'intelligence ni de l'auteur, le minis
tre Thévenet, ni de l'endosseur, le pro
cureur général Quesnay de Beaure-
paire. Le garde des sceaux n'a même
pas voulu donner lecture de son œu
vre, et le président Méline a dû le
suppléer d'assez mauvaise grâce.
La lecture a été violemment inter
rompue ; M. de Baudry d'Asson a été
frappé de la censure. Il fallait fixer le
jour de la discussion. M. Laur deman
dait samedi, M. Paul de Gassagnac
aujourd'hui ; le fougueux Arène vou
lait le vote immédiat, il l'a emporté ;
333 voix contre 190 ont repoussé le
samedi; 330 voix contre 209, leven^
dredi.
Suspendue à quatre heures,la séance
a repris à six ; le rapport a été lu par
M. Sabatier, et la discussion immé
diate a été décidée. MM. de Gassagnac,
Andrieux, Gunéo d'Ornano ont pris la
parole contre, les poursuites ; M. Ti-
rard les a défèndues, à défaut du mi
nistre Thévenet qui se dérobait tou
jours ; M. Le Hérissé a été frappé de
la censure. Finalement les poursuites
ont été votées par 345 voix contre 195.
Un amendement de M. Simyan a été
repoussé. Cela rappelle la « Conven
tion », disent même des journaux op
portunistes,
Et maintenant le départ du général
Boulanger peut paraître justifié !
Avant la séance, la Chambre avait
nommé la commission chargée d'exa
miner la proposition de loi votée par
le Sénat qui règle la procédure de la
haute cour de justice ; dix commissai
res sur onze sont favorables à la loi";
M. Eibot fait des réserves sur le chiffre
exigé pour une condamnation; mais
on sait ce que valent les réserves de
ce personnage, parfois assez ferme en
parole, toujours très faible dès qu'il
faut agir:
Seulement on se demande si la com
mission aura même à examiner le
projet; nos gouvernants sont si pres
sés de faire condamner le général
Boulanger qu'ils pourraient bien cher
cher un moyen d'interpréter ou tour
ner la loi, et alors la proposition Mo-
rellet deviendrait inutile.
Au Sénat, on a adopté sans discus
sion le projet de loi relatif à la con
vention préparée au sujet de l'Expo
sition entre le gouvernement et M.
Christophle, et commencé la discus
sion du projet de loi relatif à l'instruc
tion primaire, qui impose au budget
une nouvelle et forte dépense; MM.
Combes, rapporteur, et Boulanger ont
été entendus.
Séance aujourd'hui.
Les plaidoiries sont terminées pour
l'affaire de la Ligue des patriotes ;
jusqu'au dernier moment, l'opinion
s'est prononcée pour les accusés ; le
délit de société secrète est si ridicule.
Il faut ajouter que le ministère public
n'a pas su le faire accepter ; c'était, il
est vrai, difficile. Le prononcé du juge
ment a été renvoyé à demain samedi.
A la dernière heure, M. Laguerre,
annonçant son intention de se rendre
à Bruxelles, a mis le gouvernement en
demeure de le faire arrêter, comme
cela avait été annoncé; on n'a pas
osé.
La mort du négus d'Abyssinie Sem
ble confirmée; les Italiens triomphent,
peut-être trop tôt, car il n'est pas cer
tain que cela arrange leurs affaires.
Le Pouvoir temporel
DE LA PAPAUTÉ
Naguère paraissait à Rome un opus-
quia été immédiatement colporté dans
toute l'Italie aux applaudissements
de la presse libérale. Il était intitulé
Rome et F Italie et la réalité des choses,
1889 (1), et l'auteur— ce qui ajoutait
au scandale — prétendait être un pré
lat de la cour pontificale. « Sous
couleur de zèle pour les intérêts
de l'Eglise, dit YOsservatore Romano,
cet opuscule visait à insinuer des idées
et des jugements peu conformes aux
droits légitimes du Saint-Siège. » Pré
occupé du mal que pourrait produire
une publication pareille, Mgr l'évêque
de Brescia en écrivit affectueusement
au Saint-Père, qui daigna repondre
par la lettre suivante :
A notre vénérable frère Jacques
évêqae de Brescia
LÉON XIII, PAPE
Vénérable Frère,
. Salut et bénédiction apostolique.
Sachez que votre lettre Nous a été
(1) Roma e Tltalia e la Realta delle cose. Pen-
lieri di un preîato italiano.
agréable. Nous y avons vu, .en effet, un
nouveau témoiç^âgè de votre vigilance
épiscopa 1 ^ ainsi que du zèle particu
lier avec lequel vous continuez à Nous
entourer de la plus grande affection et
tout ensemble à vouloir et désirer l'in
violabilité des droits du Siège apostoli
que. Et si quelque occasion se présente
de manifeeter vos sentiments, Nous
vous voyons toujours la saisir avec em
pressement et ne pas la laisser éehap-
perfacilementcommetoutrécemment,
à propos de l'opuscule mis au jour,
dont vous parlez et qui, s'il vous dé
plaît, comme vous l'écrivez, vous dé
plaît à bon droit. Bien plus, il n'est
aucun esprit honnête, aucun appré
ciateur compétent de la situation qui
ne soit pleinement d'accord avec vous.
Qui pourrait tolérer, en effet, que des
questions de la plus grande impor
tance, intéressant à la fois et le pou
voir du Souverain Pontife et la liberté
du ministère apostolique soient auda-
cieusement déférées à une apprécia
tion personnelle et soient jugées pu
bliquement par un particulier n'ayant,
pour cela,aucune autorité ? D'ailleurs,
la cause a été jugée par le Pontife
lui-même ; car plus d'une fois et d'une
manière très claire, il a indiqué et ce
que lui-même en pense et ce que les
autres en doivent penser. Est-il per
mis, sans manquer à ce que le devoir
ordonne, de persuader le contraire à
la multitude?
Mais ce qu'il y a de plus arrogant et
de plus déplacé, c'est de donner des
conseils sur la façon dont il faudrait
agir et de vouloir montrer au Saint-
Siège ce qu'il y a de mieux à faire. En
résumé ces discussions reviennent à
dire qu'il serait bon et utile que
Nous acquiescions de bon cœur et
pacifiquement aux choses et aux
temps nouveaux. En d'autres ter
mes on voudrait que, ce qui a été
fait par force et injustice,' soit ra
tifié par Notre volonté, comme s'il
n'était pas de tous points évident que
cette condition à laquelle Nous som
mes réduits depuis longtemps est
aussi absolument contraire à la di
gnité du Pontife Romain qu'elle est
opposée à sa vraie liberté, de telle
sorte que Nous devons, non pas certes
l'accepter, mais la subir, contraint
par la nécessité, tant qu'il plaira à
Dieu qui gouverne souverainement
et providentiellement les choses hu
maines.
Au surplus, ce n'est prs la volonté
des peuples, mais bien vraiment l'au
dace de sectes détestables qui a violé
l'autorité civile des Pontifes romains.
Ces sectes, en effet, conspirant à dé
truire la puissance spirituelle ont com
mencé leurs attaques par le principat
civil, afin que ce pouvoir protecteur
étant comme ébranlé et mis à bas, ils
pussent tourner contre,leurs efforts et
leurs assauts. Et déjà les événements
mêmes démontrent combien ouverte
ment et obstinément ils poursuivent
ce but.
Il est donc souverainement oppor
tun et salutaire de prémunir avec
soin les esprits contre ce genre d'é
crits, d'autant plus périlleux que, sou
vent, ils en imposent à la foule par
une feinte modération et par une
menteuse apparence de religion.
Gomme gage des grâces célestes et
en témoignage de Notre bienveillance,
Nous vous donnons, très tendrement
dans le Seigneur, vénérable frère,
ainsi qu'à votre clergé et à votre peu
ple la bénédiction apostolique.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre,
le XXI mars de l'année MDCGCLXXXIX,
la douzième de Notre pontificat.
LEON XIII, PAPE
Dans le préambule de son écrit, l'au
teur de l'opuscule dont parle Sa Sain
teté déclare que, vénérant et aimant
tendrement le Pape, il acceptera le
jugement de l'autorité compétente,au
cas où il se tromperait et ferait une
chose désagréable au Saint-Père.
Si cette déclaration n'est pas une
hypocrisie destinée à servir de passe
port pour l'opuscule, son auteur se
fera connaître et réprouvera son œu
vre.
Nous verrons s'il saura remplir ce
devoir.
La Chambre a donné hier un par
fait exemple de la justice, telle qu'elle
la comprend : c'est cynique, fou, ri
dicule, misérable.
Décrire ces deux séances, tenues
dans un intervalle de sept heures,
n'est pas commode. Il faudrait pouvoir
reproduire la sensation physique cau
sée par des vociférations en masse
qui continuellement se heurtent ou
se confondent ; par cette agitation de
la foule ; par la vue de ces figures
convulsées. Qu'on se représente la
Bourse, un jour de panique. L'impres
sion morale est encore plus complexe :
trois cents législateurs de hasard,pour
la plupart nuls, qui se disent victimes
et qui s'attribuent les fonctions d'accu
sateurs, déjugés et d'exécuteurs, sont
aftolés par l'effroi, par la fureur, par
le sentiment de leur déchéance défi
nitive ; ils s'excitent à se rendre capa
bles de tout ; ils s'appliquent au cy
nisme, ils s'obstinent en des incon
séquences puériles. Quelle est la me
sure odieuse ou absurde, sanguinaire
ou dérisoire qui, proposée par le
gouvernement,n'aurait pas été adoptée
nier par les trois cents? Ils sont prêts
à faire n'importe quoi et, de préfé
rence, ce qui les convainc d'avoir re
jeté la pudeur et perdu la raison. Puis-,
qu'ils ne peuvent plus en imposer
autrement, ils veulent produire l'effet
de fous furieux. Cette volonté cons
ciente, au milieu de ce désordre inr
tellectuel, est très visible. Hier, le
genre d'accès choisi pour la circons
tance était la précipitation frénétique.
Dès la première minute le tapage a
éclaté formidable. C'est encore le mi
nistre de la justice, l'étrange citoyen
Thévenet, qui a causé cette explo
sion. Quand le président, annonçant
qu'il avait reçu une demande en au
torisation de poursuites, s'est préparé
à en donner lecture, la droite a récla
mé l'intervention de M. Thévenet.
Celui-ci, à qui ses collègues avaient
défendu d'ouvrir la bouche et que M.
Rouvier surveillait de près, restait im
mobile, les bras croisés, la tête enfon
cée dans les épaules, une grimace ir
ritée sur sa figure livide. Apostrophé
de tous côtés, il n'a pas bronché ; il a
montré ce qu'une âme de ministre-
justicier peut supporter d'outrages.
Le président a donc lu la pièce, mais
sans que personne entendît le moin
dre mot. Le règlement s'est trou
vé ensuite en discussion, M. Cunéo
d'Ornano citant un article qui sem
ble imposer la lecture aux minis
tres, M. Floquet en invoquant un
autre qui pourrait être en faveur du
président; Le cas n'a pas été prévu ;
d'ailleurs, malgré le tumulte déchaîné
par cet incident, c'était d'autre chose
qu'il s'agissait.
Quand est-ce que la Chambre allait
se réunir dans ses bureaux, pour
nommer la commission chargée d'exa
miner la demande de poursuites? La
majorité,se rendant compte qu'il était
absurde de se presser, voulait néan
moins se presser et procéder tout de
suite à cette cérémonie.
Un des boulangistes, M. Laur, est
venu à la tribune, au nom de ses amis,
se déclarer solidaire du général et
demander à être compris dans les
poursuites. Il a parlé au milieu des
hurlements. Rappelé deux fois à l'or
dre pour avoir qualifié de honteuse la
conduite du ministère, il s'est vu ex
posé à d'autres rigueurs et il a termi
né brusquement par un cri de « Vivè
Boulanger ! » qui a fait rugir le centre.
M. Emmanuel Arène, qui force son
talent en prenant le ton de l'indigna
tion, a voulu fulminer; il a lancé quel
ques traits et s'est offert le plaisir
d'appeler le général Boulanger « con-
tumax », exagération manifeste que le
président lui-même a dû réprimer.
Le sémillant député de la Corse a
sonné le tocsin pour attirer tous les
juges dans les maquis, c'est-à-dire
dans les bureaux. M. de Gassagnac a
protesté contre cette précipitation :
Est-ce qu'on ne devrait pas garder
un peu de calme quand on s'occupe
de proscrire? Vous voulez donc mon
trer que le général a eu raison de se
défier de votre impartialité et de fuir
loin de vous comme on fuit les bour
reaux?
— Oui, — ont répondu en eux-mê
mes les trois cents. Et la séance a été
suspendue pendant deux heures.
A six heures et demie, le rapporteur
apparaissait à la tribune. C'était en
core un de ceux qui ne conviennent
pas pour les affaires graves. Le minis
tère qui a pour chef M. Tirard et pour
chancelier M. Thévenet, soutenu par
l'agité^ M. Camille Sabatier, banal
malgré la crinière effroyable qui lui a
valu le nom de « lion du désert »,
c'est la suite de la déveine. En temps
ordinaire, on n'écoute pas l'amphi
gouri de cet Africain si ce n'est pour
se divertir un peu. 11 fallait la désor
ganisation de son parti pour que M.
Sabatier devînt un personnage. Il ne
suffit pas que la médiocrité soit tou
jours prête à remplir les rôles féroces,
il faut encore que les circonstances
favorisent cette disposition ; or, les
circonstances sont magnifiques.
Un sursis de vingt-quatre heures
demandé par M. Jolibois a été re
pousse, et la discussion immédiate
ordonnée.
M. de Cassagnac, qui venait d'assis
ter au travail essoufflé de la commis
sion, a parlé au nom de la minorité.
Avec beaucoup de sang-froid, avec
une vigueur qu'aucun tumulte ne
lassait, il a flétri les procédés illégaux,
injustes et honteux, par lesquels s'é
tourdit un gouvernement aux abois.
L'orateur a constaté que la requête,de
laquelle dépendent des mesures si
graves, n'était connue que d'une
façon approximative : ce document,
dont personne dans la Chambre n'a
vait pu entendre la lecture, n'avait
pas été imprimé (faute de temps);
et les rares députés qui avaient con
naissance de la pièce y voyaient des
fantaisies juridiques, des théories ab
surdes. Engager dans ces conditions
un procès qui peut faire tomber la
tête d'un homme et qui peut être le
commencement d'une série d'actes
décisifs, est-ce possible ? est-ce croya
ble? M. de Cassagnac qui, d'abord,
avait considéré le départ du général
comme une faute, a déclaré que l'af
folement des républicains justifie
cette résolution. Vous-mêmes, a-t-il
dit, vous auriez trouvé que le général
était « un fameux imbécile » s'il se fût
confié à votre impartialité. La tentative
de complot, nécessaire pour que la juri
diction spéciale soit saisie, cette tenta
tive n'existe pas;M.Boulanger avoulu,
comme c'est son droit, établir une
autre république, une république ho
norable... On devine les clameurs que
soulevait ce discours. En terminant,
M. de Cassagnac a éloquemment pro
testé contre le système qui livre M.
Boulanger aux sénateurs, c'est-à-
dire un accusé à ses ennemis. Entre
le général et les républicains parle
mentaires, il n'y avait qu'un seul tri
bunal possible : le pays !
Le rapporteur, M. Camille Sabatier,
avait fait de tels efforts pour se prépa
rera fulminer qu'il s'est trouvé étouffé
d'éloquence. Les « imprécations de
Camille » prononcées d'une voix trem-
blottante ! Camille a voulu mettre les
conservateurs en contradiction avec
eux-mêmes en leur rappelant le passé
républicain du général qu'ils défen
dent aujourd'hui; la docilité de M.
Boulanger, ministre ; l'expulsion des
princes. M. le comte de Mun s'est écrié :
« C'est bien aux prescripteurs de re-
« procher à un ministre d'avoir exécuté
« leurs lois de proscription ! » M. Sa
batier a soutenu que la Chambre peut
juger sans approfondir les faits incri
minés, et par conséquent livrer à des
enragés un homme sans s'assurer qu'il
est coupable 1 Les procédés de la Ter
reur à la suite des absurdités du so
phisme.
M. Andrieux, que la majorité ne
voulait pas entendre et qui a cepen
dant réussi à se faire écouter attenti
vement, a constaté cet empressement
à prononcer la mise hors la loi. Com
me il l'a spirituellement rappelé,
nous revenons à l'époque où Ro
bespierre disait : « En rùatière po
litique, on juge avec les soupçons
d'un patriotisme éclairé. » Les « ju
ges » n'ont point paru trouver
cette méthode révoltante ; ils esti
ment qu'ils se défendent : soit, à
répondu M. Andrieux, mais défendez-,
vous honnêtement ; donnez des preu
ves. Au lieu d'une accusation précisé,
la requête du procureur général con
tient une biographie du général Bou
langer, depuis l'occupation de la Tu
nisie et même depuis la guerre! Avec
malice, le spirituel orateur s'est étonné
qu'on fît remonter les soupçons jus
qu'à une époque où M. Boulanger était
d'accord avec des hommes tels que
MM. de Freycinet et Goblet. Ne va-t-on
pas les poursuivre eux aussi ?
Le gouvernement est intervenu
enfin, mais dans la personne de M.
Tirard. La fatalité veut que M. Tirard,
qui est le chef, déploie ses ridi
cules à la tribune,alors que MM. Rou
vier et Constans, qui eux savent par
ler et qui ont quelque chose dans la
tête, demeurent silencieux.
Avant le vote, M. Le Hérissé a pro
testé de nouveau au nom des boulan
gistes. Naturellement il s'est attiré la
censure, mais avec crânerie.
Un autre incident encore. Le prési
dent,qui avait à maintes reprises perdu
toute lucidité, s'est mis subitement à
injurier M. de Baudry-d'Asson, lui re
prochant une attitude scandaleuse !
Le vaillant député a bondi et, malgré
les huissiers qu'il abousculés,afranchi
l'escalier qui conduit au fauteuil, est
allé s'expliquer face à face avec le
malheureux M.Méline.Celui-cis'est la
menté et a déclaré ne savoir comment
réprimer un pareil attentat. II parait
que le Sénat lui-même serait insuffi
sant pour châtier M. de Baudry-d'As
son.
Enfin, on est allé aux urnes. Par 353
voix contre 199, l'ensemble de la pro
position a été adopté.
Un amendement, signé par des ré
publicains radicaux ou socialistes,
avait été déposé. M. Symian avait sou
tenu que la tentative d'exécution
n'ayant pas eu lieu, on ne pouvait lé
gitimement poursuivre M. Boulanger
que devant la cour d'assises, et non
devant le Sénat.
Mais la majorité tient à voir cette
injustice et cette folie.Et le Sénat fré
mit d'impatience, il veut décapiter
Boulanger en effigie.
Eugène Ta vernies.
Pendant que la république parle
mentaire se débattait au Palais Bour
bon, elle venait s'engager devant le
Sénat à tenir une de ses promesses
les plus menteuses. Elle se flattait
sans conviction d'avoir encore de
longs jours pour le faire. Pauvres
instituteurs primaires, pauvres dupes,
c'est à vous qu'était réservée cette
dernière sollicitude ! Les élections sont
proches, elles seront houleuses, et le
moment a semblé propice pour « dé
gager la parole d'un ministre », la pa
role donnée aux instituteurs di
s'occuper d'eux, de faire leur bon
heur ; il y a huit ans qu'on leur i
dit cela. Il faut enfin y penser si
l'on veut que l'instituteur soit en
core au village le champion du ré
gime, si l'on craint qu'il ne reste
mécontent ou bouche close devant les
« calomnies réactionnaires », si l'on
craint même qu'il ne fasse entre les
deux camps de silencieuses et déter
minantes comparaisons.
Donc, soignons l'instituteur, et pour
le bien convaincre, sachons stimuler
son zèle par la considération de ses in
térêts, et pour que ce zèle et cet inté
rêt aient une valeur électorale, sachons
le stimuler sur place. Voilà une partie
du plan.
Mais ce n'est pas tout: ce serait
même peu si l'on ne pensait aux élec
teurs, témoins et victimes du régime
scolaire, aux pères de famille qui sont
aussi contribuables. N'auraient-ils pas
l'oreille un peu rebellé, après la dure
expérience qu'ils ont faite de l'école laï
que? On fait donc quelque chose aussi
pour eux: on décharge la commune des
frais de l'école. Cette fois la pilule est
achevée, roulée, dorée. Désormais, si
l'on dit aux petits garçons que les im
mortels principes mettent le bon Dieu
en pénitence, les papas peuvent se
rassurer, il n'auront rien à payer pour
cela.
Eh quoi ! Ils payaient donc sans le
savoir? L'école n'était donc pas gra
tuite ? Sans doute ! c'est-à-dire non !
Enfin, pour tout dire, il y avait les
centimes communaux, ce qu'on ap
pelait le prélèvement du cinquiè
me des revenus communaux. On
va supprimer le prélèvement : plus de
centimes communaux! vive la Répu
blique ! Il y a aussi des centimes dé
partementaux : la République y re
nonce également, elle est si riche! Et
vive la République !
Attendez : ne croyez pas que l'on
supprime ainsi, de gaieté de cœur et
sans compensation, les recettes du
Trésor. Avec quoi, je vous prie, vou
lez-vous que le gouvernement paye
l'école quand la commune ne payera
plus? On supprime: cela veut dire
qu'on transforme ; on supprime en
transformant. Désormais lesdits cen
times communaux et départementaux
seront élevés au grade de centimes gé
néraux , de centimes d'Etat! Ils seront
perçus par l'Etat, qui les manipulera
lui-même. Allons, bon contribuable,
as-tu bien mâché la pomme ? Sens-tu
le goût de la cendre ? Voilà donc la
science et la lumière pour rien !
Quand la république se charge de la
manipulation des centimes, on a des
raisons de croire qu'elle s'y entend.
Voici comme on s'y prendra. Les ins
tituteurs seront divisés en classes, qui
seront honorablement réputées une
hiérarchie de mérite, et cet avance
ment a ceci de particulier qu'il aura
lieu sur place. Si un instituteur le
mérite,on le nommera de la cinquième
à la quatrième classe, à la troisième
et jusqu'à la première. Cette hiérar
chie de mérite sera aussi (aïe !)...une
hiérarchie de traitements. IJ y aura
des maîtres stagiaires à 8Q0 francs et
des instituteurs titulaires en cinq
classes dont le traitement varie dé
1,000 à 2,000 francs. Il y aura aussi
cinq classes d'institutrices, payées un
peu moins cher attendu que leur in
fluence utile est généralement moin
dre.
. Ce motif, bien entendu, n'est pas
celui qu'a développé le rapporteur du
projet de loi sur les dépenses de l'ins
truction primaire, l'honorable M.Com
bes. C'est, on le comprend, par mé
chanceté pure et dénigrement systé
matique que nous supposons au projet
de loi ce mobile électoral. On en ju
gera si l'on considère que l'organisa
tion nouvelle n'est pas, effectivement,
autre chose qu'un instrument qui
achève de soustraire aux communes,
pour mettre impitoyablement aux
mains de l'administration, l'action et
le « zèle », comme on dit, des institu
teurs.
D'après le rapport, cette réforme
coûterait, à porter au chapitre du trai
tement des instituteurs, un accroisse
ment de crédit de dix millions, qu'on
pourrait répartir en huit annuités,
d'ailleurs inégales selon les années.
C 'e3tau total un crédit nouveau de
huit années de délai et dix millions
d'argent que la.république demande
encore. Il est probable que le Sénat
votera du moins l'argent.
En attendant, il a, vers la fin de la
séance et sur les instances de M. Ti
rard, voté le projet qui autorise M.
Christophe, représentant le Crédit
Foncier et d'autres établissements fi
nanciers, à émettre 1,200,000 bons
(avec lots) de 25 francs, prix de 25 bil
lets d'entrée à l'Exposition;
G. Bois.
Autrefois, toute harangue à l'Aca
démie devait contenir un compliment
au cardinal de Richelieu et un com
pliment au roi. C'était l'usage. Nos
usages, dit M. Simon. Un nouvel usage
tend-il à s'établir ? Les compliments
au roi et au fondateur de l'Académie
vont-ils être remplacés par un compli
ment à Mgr le duc d'Aumale, donateur
de Chantilly? Les dernières séances de
réception avaient célébré le membre
exile. On salue aujourd'hui le mem
bre revenu. M- Meilhac s'est félicité
de « remercier l'Académie tout en
tière. » Applaudissements prolongés.
M. Jules Simon a renchéri, saluant le
retour du confrère « qui nous est ren
du, a-t-il dit, par un acte de justice,
dont je tiens à féliciter le gouverne
ment. »
Mgr le duc d'Aumale avait-il donc
laissé derrière lui quelque chose à
faire? Et ses démarches auprès de
M. Garnot et des divers ministres
avaient-elles besoin d'être corroborées?
La modération, qui est une bonne
chose, consiste surtout dans le tact :
les applaudissements d'un auditoire
même éolairé n'y suppléent pas. Le
retour de M. le duc d'Aumale est en
soi une excellente chose. Pour la ren
dre héroïque, il faudrait un Homère.
L'Académie n'y suffira pas.
Elle tenait sa séance hier pour re
cevoir M. Meilhac, appelé à succéder
à Labiche. Labiche était un comique
d'autant plus vif et précieux qu'il était
sans prétention; du moins ses préten
tions auraient eu une autre visée, et
il ne mettait pas de vanité à faire
ses petites pièces de théâtre. Il y ap
portait tous ses soins et, a dit son
successeur par un de ces "mots outra-
geux et outranciers que l'argot mêle à
la langue courante et dont l'Académie
devrait se méfier. Il « travaillait énor-
ment ». Il n'y a pas de vrai mérite
littéraire sans travail. Labiche corni-'
que naïvement, était assez naïf aussi
pour ne pas songer au mérite littéraire
aesbadinages où il s'amusait..... tout
en gagnant de l'argent. Son badinags
d'ailleurs était honnête : il est irrépro
chable, a déclaré M. Simon; si la cau
tion du philosophe ne paraît pas bour
geoise, M. Meilha donne une raison
péremptoire. Les comédies de Labiche
ne présentent pas de rôle de femme,
pas d'Agnès, pas de Célimène, par
tant pas d'amour ». C'est le ridicule
des hommes, le ridicule bourgeois,
dit-on, que le poète comique a com
pris, saisi, rendu, et qui fait unique
ment toute la gaieté de son théâtre
C'est là un privilège rare; M. Meil?-
hac trouve que c'est un défaut et
une lacune. La lacune a du bon, cela-
est clair. Je n'insiste pas. Cette bonne
lacune, se reconnaît-elle dans le théâtre
de M. Meilhac? M. Jules Simon s'est
vanté d'être à peu près le seul hom
me qui, avant d'être chargé de lui
répondre, n'eut jamais vu ni lu au
cune des pièces du nouvel acadé
micien. M. J. Simon se pique d[une
originalité assez commune peut-être;
et il est un peu le jouet de l'illusion
du boulevard qui se prend pour le
monde. J'en appelle à tous mes lec
teurs. Pour ma part, je ne puis^ par
ler que par ouï dire, et j'ai été
bien aise d'apprendre hier, à l'A
cadémie, que M. Meilhac avait fait
quatre-vingt-dix-huit ouvrages de co
médie. C'est beaucoup. M. Jules Si
mon a eu raison de louer la fécondité
du nouvel académicien. Ces quatffe-
vingt-dix-huit pièces dramatiques ne;
présentent pas l'heureuse lacune de
celles de Labiche; même d'après les
éloges de M. Jules Simon,—car tout est
éloge à l'Académie, — la morale lais
serait amplement à désirer. Ce théâtre
en effet, ce théâtre de M. Meilhac que
l'Académie couronnait hier,contribue,
au dire de l'Académie elle-même, à
abaisser les barrières que nos aïeules
entretenaient autour d'elles pour pro
téger leur vertu; il tend à rapprocher
les fèmmes honnêtes des dévoyées
dont il décrit les mœurs et célèbre^ les
prétendus héroïsmes. C'est un théâtre
de parodie et même de de parade, voire
dé petite littérature.
âtre de la foire; at il prétendait qu'il y
avait là des trésors de gaîté et de fan
taisie que les exhibitions qu'on a
voulu essayer en ces derniers jours
n'ont point fait jaillir, il est vrai, et
qui, en tous cas, ne menaient pas leurs
auteurs à l'Académie, mais les empê
chaient bien plus tôt d'y entrer. M.
Meilhac n'a pas écrit le Gil Blas. N'au
rait-il pu attendre ? L'Académie n'a- '
vait-elle pas sa suffisance d'un des
deux auteurs de Frou-Frou et de la
Belle-Hélène. Les deux font la paire. Ce
dernier est bien un prince du flon-flon,
la coqueluche des petits journaux. On
l'attendait avec quelque impatience de
curiosité. Quand il a paru, il y a eu
une monière de cri dans la partie fé
minine de l'assistance. M. Camille
Doucet peut désormais sourire; il a
à l'aéropage un émule de beauté.
La harangue de M. Meilhac n'en a
pas moins réussi. Elle s'est bornée à
raconter la vie de Labiche. Le thème
était heureux. Le nouvel académicien
a cité toutes sortes de traits aimables
et de gais propos. Il a raconté beau
coup d'anecdotes, dont les héros sont
connus sur le boulevard. Il a, avec
émotion, insisté sur les derniers joura
de cette vie riante et sur la lente agonie
qu'y a mis fin. Il a noté la professionde
foi en Dieu, burlesque en son expression
mais bien accentuée de l'auteur de la
Cagnotte : et malgré un propos fâcheux
d'homme de théâtre sur « le triste
rôle d'un incrédule converti par la
peur à ses derniers moments»,M.Meil
hac a constaté que le prêtre qui guet-
tait l'écrivain dramatique « n'a pas dû
être mécontent de son paroissien. » Il
le faut croire,et c'est à espérer.
Tout cela a été goûté et applaudi.
Il n'en est pas moins vrai que la lan
gue laisse à désirer, et que quelque
chose manque à la sévérité et à la jus
tesse du discours. Nous avons relevé
le travaillait énormément , qui n'est pas
de bon goût et rapproche des termes
qui ne concordent pas. Il y a peut-être
bien d'autres abus des adverbes en
ment, que je ne veux pas relever; c'est
le désaccord des expressions qui cho
que et leur outrance surtout, C'est le
moindre défaut du boulevard et de son
argot.// a delà fortune est une manière
de parler qui sera bien placée sur
un petit théâtre, dans la bouche
d'une portière. A l'Académie, le mot
eut dû être mal sonnant. Le bel audi
toire ne s'est pas choqué. Pas le moins
du monde; et M. Jules Simon, l'aca-
K» 7769 — Ëdltioa gultffiinft»
Samedi 6 Avril 1889
ÉDITION QUOTIDIENNE
ÉDITION SEMI-QUOTIDIENNE
PARIS
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L'MYERS ne répond pas des manuscrits qui lui sont adressés
ANNONCES
MM, Ch. LAGRANGE, CERF et C 10 , 6, place de la Bourse
FRANCE
'PARIS, 5 AVRIL 1889
Nouâ avions raison de dire que les
adversaires du général Boulanger,
dans l'emportement de la haine et de
la peur, feraient quelque sottise qui
justifierait son 'départ. Gela n'a pas
manqué. Dès hier, la Chambre était
saisie d'une demande en autorisation
de poursuites, qui ne fait honneur à
l'intelligence ni de l'auteur, le minis
tre Thévenet, ni de l'endosseur, le pro
cureur général Quesnay de Beaure-
paire. Le garde des sceaux n'a même
pas voulu donner lecture de son œu
vre, et le président Méline a dû le
suppléer d'assez mauvaise grâce.
La lecture a été violemment inter
rompue ; M. de Baudry d'Asson a été
frappé de la censure. Il fallait fixer le
jour de la discussion. M. Laur deman
dait samedi, M. Paul de Gassagnac
aujourd'hui ; le fougueux Arène vou
lait le vote immédiat, il l'a emporté ;
333 voix contre 190 ont repoussé le
samedi; 330 voix contre 209, leven^
dredi.
Suspendue à quatre heures,la séance
a repris à six ; le rapport a été lu par
M. Sabatier, et la discussion immé
diate a été décidée. MM. de Gassagnac,
Andrieux, Gunéo d'Ornano ont pris la
parole contre, les poursuites ; M. Ti-
rard les a défèndues, à défaut du mi
nistre Thévenet qui se dérobait tou
jours ; M. Le Hérissé a été frappé de
la censure. Finalement les poursuites
ont été votées par 345 voix contre 195.
Un amendement de M. Simyan a été
repoussé. Cela rappelle la « Conven
tion », disent même des journaux op
portunistes,
Et maintenant le départ du général
Boulanger peut paraître justifié !
Avant la séance, la Chambre avait
nommé la commission chargée d'exa
miner la proposition de loi votée par
le Sénat qui règle la procédure de la
haute cour de justice ; dix commissai
res sur onze sont favorables à la loi";
M. Eibot fait des réserves sur le chiffre
exigé pour une condamnation; mais
on sait ce que valent les réserves de
ce personnage, parfois assez ferme en
parole, toujours très faible dès qu'il
faut agir:
Seulement on se demande si la com
mission aura même à examiner le
projet; nos gouvernants sont si pres
sés de faire condamner le général
Boulanger qu'ils pourraient bien cher
cher un moyen d'interpréter ou tour
ner la loi, et alors la proposition Mo-
rellet deviendrait inutile.
Au Sénat, on a adopté sans discus
sion le projet de loi relatif à la con
vention préparée au sujet de l'Expo
sition entre le gouvernement et M.
Christophle, et commencé la discus
sion du projet de loi relatif à l'instruc
tion primaire, qui impose au budget
une nouvelle et forte dépense; MM.
Combes, rapporteur, et Boulanger ont
été entendus.
Séance aujourd'hui.
Les plaidoiries sont terminées pour
l'affaire de la Ligue des patriotes ;
jusqu'au dernier moment, l'opinion
s'est prononcée pour les accusés ; le
délit de société secrète est si ridicule.
Il faut ajouter que le ministère public
n'a pas su le faire accepter ; c'était, il
est vrai, difficile. Le prononcé du juge
ment a été renvoyé à demain samedi.
A la dernière heure, M. Laguerre,
annonçant son intention de se rendre
à Bruxelles, a mis le gouvernement en
demeure de le faire arrêter, comme
cela avait été annoncé; on n'a pas
osé.
La mort du négus d'Abyssinie Sem
ble confirmée; les Italiens triomphent,
peut-être trop tôt, car il n'est pas cer
tain que cela arrange leurs affaires.
Le Pouvoir temporel
DE LA PAPAUTÉ
Naguère paraissait à Rome un opus-
quia été immédiatement colporté dans
toute l'Italie aux applaudissements
de la presse libérale. Il était intitulé
Rome et F Italie et la réalité des choses,
1889 (1), et l'auteur— ce qui ajoutait
au scandale — prétendait être un pré
lat de la cour pontificale. « Sous
couleur de zèle pour les intérêts
de l'Eglise, dit YOsservatore Romano,
cet opuscule visait à insinuer des idées
et des jugements peu conformes aux
droits légitimes du Saint-Siège. » Pré
occupé du mal que pourrait produire
une publication pareille, Mgr l'évêque
de Brescia en écrivit affectueusement
au Saint-Père, qui daigna repondre
par la lettre suivante :
A notre vénérable frère Jacques
évêqae de Brescia
LÉON XIII, PAPE
Vénérable Frère,
. Salut et bénédiction apostolique.
Sachez que votre lettre Nous a été
(1) Roma e Tltalia e la Realta delle cose. Pen-
lieri di un preîato italiano.
agréable. Nous y avons vu, .en effet, un
nouveau témoiç^âgè de votre vigilance
épiscopa 1 ^ ainsi que du zèle particu
lier avec lequel vous continuez à Nous
entourer de la plus grande affection et
tout ensemble à vouloir et désirer l'in
violabilité des droits du Siège apostoli
que. Et si quelque occasion se présente
de manifeeter vos sentiments, Nous
vous voyons toujours la saisir avec em
pressement et ne pas la laisser éehap-
perfacilementcommetoutrécemment,
à propos de l'opuscule mis au jour,
dont vous parlez et qui, s'il vous dé
plaît, comme vous l'écrivez, vous dé
plaît à bon droit. Bien plus, il n'est
aucun esprit honnête, aucun appré
ciateur compétent de la situation qui
ne soit pleinement d'accord avec vous.
Qui pourrait tolérer, en effet, que des
questions de la plus grande impor
tance, intéressant à la fois et le pou
voir du Souverain Pontife et la liberté
du ministère apostolique soient auda-
cieusement déférées à une apprécia
tion personnelle et soient jugées pu
bliquement par un particulier n'ayant,
pour cela,aucune autorité ? D'ailleurs,
la cause a été jugée par le Pontife
lui-même ; car plus d'une fois et d'une
manière très claire, il a indiqué et ce
que lui-même en pense et ce que les
autres en doivent penser. Est-il per
mis, sans manquer à ce que le devoir
ordonne, de persuader le contraire à
la multitude?
Mais ce qu'il y a de plus arrogant et
de plus déplacé, c'est de donner des
conseils sur la façon dont il faudrait
agir et de vouloir montrer au Saint-
Siège ce qu'il y a de mieux à faire. En
résumé ces discussions reviennent à
dire qu'il serait bon et utile que
Nous acquiescions de bon cœur et
pacifiquement aux choses et aux
temps nouveaux. En d'autres ter
mes on voudrait que, ce qui a été
fait par force et injustice,' soit ra
tifié par Notre volonté, comme s'il
n'était pas de tous points évident que
cette condition à laquelle Nous som
mes réduits depuis longtemps est
aussi absolument contraire à la di
gnité du Pontife Romain qu'elle est
opposée à sa vraie liberté, de telle
sorte que Nous devons, non pas certes
l'accepter, mais la subir, contraint
par la nécessité, tant qu'il plaira à
Dieu qui gouverne souverainement
et providentiellement les choses hu
maines.
Au surplus, ce n'est prs la volonté
des peuples, mais bien vraiment l'au
dace de sectes détestables qui a violé
l'autorité civile des Pontifes romains.
Ces sectes, en effet, conspirant à dé
truire la puissance spirituelle ont com
mencé leurs attaques par le principat
civil, afin que ce pouvoir protecteur
étant comme ébranlé et mis à bas, ils
pussent tourner contre,leurs efforts et
leurs assauts. Et déjà les événements
mêmes démontrent combien ouverte
ment et obstinément ils poursuivent
ce but.
Il est donc souverainement oppor
tun et salutaire de prémunir avec
soin les esprits contre ce genre d'é
crits, d'autant plus périlleux que, sou
vent, ils en imposent à la foule par
une feinte modération et par une
menteuse apparence de religion.
Gomme gage des grâces célestes et
en témoignage de Notre bienveillance,
Nous vous donnons, très tendrement
dans le Seigneur, vénérable frère,
ainsi qu'à votre clergé et à votre peu
ple la bénédiction apostolique.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre,
le XXI mars de l'année MDCGCLXXXIX,
la douzième de Notre pontificat.
LEON XIII, PAPE
Dans le préambule de son écrit, l'au
teur de l'opuscule dont parle Sa Sain
teté déclare que, vénérant et aimant
tendrement le Pape, il acceptera le
jugement de l'autorité compétente,au
cas où il se tromperait et ferait une
chose désagréable au Saint-Père.
Si cette déclaration n'est pas une
hypocrisie destinée à servir de passe
port pour l'opuscule, son auteur se
fera connaître et réprouvera son œu
vre.
Nous verrons s'il saura remplir ce
devoir.
La Chambre a donné hier un par
fait exemple de la justice, telle qu'elle
la comprend : c'est cynique, fou, ri
dicule, misérable.
Décrire ces deux séances, tenues
dans un intervalle de sept heures,
n'est pas commode. Il faudrait pouvoir
reproduire la sensation physique cau
sée par des vociférations en masse
qui continuellement se heurtent ou
se confondent ; par cette agitation de
la foule ; par la vue de ces figures
convulsées. Qu'on se représente la
Bourse, un jour de panique. L'impres
sion morale est encore plus complexe :
trois cents législateurs de hasard,pour
la plupart nuls, qui se disent victimes
et qui s'attribuent les fonctions d'accu
sateurs, déjugés et d'exécuteurs, sont
aftolés par l'effroi, par la fureur, par
le sentiment de leur déchéance défi
nitive ; ils s'excitent à se rendre capa
bles de tout ; ils s'appliquent au cy
nisme, ils s'obstinent en des incon
séquences puériles. Quelle est la me
sure odieuse ou absurde, sanguinaire
ou dérisoire qui, proposée par le
gouvernement,n'aurait pas été adoptée
nier par les trois cents? Ils sont prêts
à faire n'importe quoi et, de préfé
rence, ce qui les convainc d'avoir re
jeté la pudeur et perdu la raison. Puis-,
qu'ils ne peuvent plus en imposer
autrement, ils veulent produire l'effet
de fous furieux. Cette volonté cons
ciente, au milieu de ce désordre inr
tellectuel, est très visible. Hier, le
genre d'accès choisi pour la circons
tance était la précipitation frénétique.
Dès la première minute le tapage a
éclaté formidable. C'est encore le mi
nistre de la justice, l'étrange citoyen
Thévenet, qui a causé cette explo
sion. Quand le président, annonçant
qu'il avait reçu une demande en au
torisation de poursuites, s'est préparé
à en donner lecture, la droite a récla
mé l'intervention de M. Thévenet.
Celui-ci, à qui ses collègues avaient
défendu d'ouvrir la bouche et que M.
Rouvier surveillait de près, restait im
mobile, les bras croisés, la tête enfon
cée dans les épaules, une grimace ir
ritée sur sa figure livide. Apostrophé
de tous côtés, il n'a pas bronché ; il a
montré ce qu'une âme de ministre-
justicier peut supporter d'outrages.
Le président a donc lu la pièce, mais
sans que personne entendît le moin
dre mot. Le règlement s'est trou
vé ensuite en discussion, M. Cunéo
d'Ornano citant un article qui sem
ble imposer la lecture aux minis
tres, M. Floquet en invoquant un
autre qui pourrait être en faveur du
président; Le cas n'a pas été prévu ;
d'ailleurs, malgré le tumulte déchaîné
par cet incident, c'était d'autre chose
qu'il s'agissait.
Quand est-ce que la Chambre allait
se réunir dans ses bureaux, pour
nommer la commission chargée d'exa
miner la demande de poursuites? La
majorité,se rendant compte qu'il était
absurde de se presser, voulait néan
moins se presser et procéder tout de
suite à cette cérémonie.
Un des boulangistes, M. Laur, est
venu à la tribune, au nom de ses amis,
se déclarer solidaire du général et
demander à être compris dans les
poursuites. Il a parlé au milieu des
hurlements. Rappelé deux fois à l'or
dre pour avoir qualifié de honteuse la
conduite du ministère, il s'est vu ex
posé à d'autres rigueurs et il a termi
né brusquement par un cri de « Vivè
Boulanger ! » qui a fait rugir le centre.
M. Emmanuel Arène, qui force son
talent en prenant le ton de l'indigna
tion, a voulu fulminer; il a lancé quel
ques traits et s'est offert le plaisir
d'appeler le général Boulanger « con-
tumax », exagération manifeste que le
président lui-même a dû réprimer.
Le sémillant député de la Corse a
sonné le tocsin pour attirer tous les
juges dans les maquis, c'est-à-dire
dans les bureaux. M. de Gassagnac a
protesté contre cette précipitation :
Est-ce qu'on ne devrait pas garder
un peu de calme quand on s'occupe
de proscrire? Vous voulez donc mon
trer que le général a eu raison de se
défier de votre impartialité et de fuir
loin de vous comme on fuit les bour
reaux?
— Oui, — ont répondu en eux-mê
mes les trois cents. Et la séance a été
suspendue pendant deux heures.
A six heures et demie, le rapporteur
apparaissait à la tribune. C'était en
core un de ceux qui ne conviennent
pas pour les affaires graves. Le minis
tère qui a pour chef M. Tirard et pour
chancelier M. Thévenet, soutenu par
l'agité^ M. Camille Sabatier, banal
malgré la crinière effroyable qui lui a
valu le nom de « lion du désert »,
c'est la suite de la déveine. En temps
ordinaire, on n'écoute pas l'amphi
gouri de cet Africain si ce n'est pour
se divertir un peu. 11 fallait la désor
ganisation de son parti pour que M.
Sabatier devînt un personnage. Il ne
suffit pas que la médiocrité soit tou
jours prête à remplir les rôles féroces,
il faut encore que les circonstances
favorisent cette disposition ; or, les
circonstances sont magnifiques.
Un sursis de vingt-quatre heures
demandé par M. Jolibois a été re
pousse, et la discussion immédiate
ordonnée.
M. de Cassagnac, qui venait d'assis
ter au travail essoufflé de la commis
sion, a parlé au nom de la minorité.
Avec beaucoup de sang-froid, avec
une vigueur qu'aucun tumulte ne
lassait, il a flétri les procédés illégaux,
injustes et honteux, par lesquels s'é
tourdit un gouvernement aux abois.
L'orateur a constaté que la requête,de
laquelle dépendent des mesures si
graves, n'était connue que d'une
façon approximative : ce document,
dont personne dans la Chambre n'a
vait pu entendre la lecture, n'avait
pas été imprimé (faute de temps);
et les rares députés qui avaient con
naissance de la pièce y voyaient des
fantaisies juridiques, des théories ab
surdes. Engager dans ces conditions
un procès qui peut faire tomber la
tête d'un homme et qui peut être le
commencement d'une série d'actes
décisifs, est-ce possible ? est-ce croya
ble? M. de Cassagnac qui, d'abord,
avait considéré le départ du général
comme une faute, a déclaré que l'af
folement des républicains justifie
cette résolution. Vous-mêmes, a-t-il
dit, vous auriez trouvé que le général
était « un fameux imbécile » s'il se fût
confié à votre impartialité. La tentative
de complot, nécessaire pour que la juri
diction spéciale soit saisie, cette tenta
tive n'existe pas;M.Boulanger avoulu,
comme c'est son droit, établir une
autre république, une république ho
norable... On devine les clameurs que
soulevait ce discours. En terminant,
M. de Cassagnac a éloquemment pro
testé contre le système qui livre M.
Boulanger aux sénateurs, c'est-à-
dire un accusé à ses ennemis. Entre
le général et les républicains parle
mentaires, il n'y avait qu'un seul tri
bunal possible : le pays !
Le rapporteur, M. Camille Sabatier,
avait fait de tels efforts pour se prépa
rera fulminer qu'il s'est trouvé étouffé
d'éloquence. Les « imprécations de
Camille » prononcées d'une voix trem-
blottante ! Camille a voulu mettre les
conservateurs en contradiction avec
eux-mêmes en leur rappelant le passé
républicain du général qu'ils défen
dent aujourd'hui; la docilité de M.
Boulanger, ministre ; l'expulsion des
princes. M. le comte de Mun s'est écrié :
« C'est bien aux prescripteurs de re-
« procher à un ministre d'avoir exécuté
« leurs lois de proscription ! » M. Sa
batier a soutenu que la Chambre peut
juger sans approfondir les faits incri
minés, et par conséquent livrer à des
enragés un homme sans s'assurer qu'il
est coupable 1 Les procédés de la Ter
reur à la suite des absurdités du so
phisme.
M. Andrieux, que la majorité ne
voulait pas entendre et qui a cepen
dant réussi à se faire écouter attenti
vement, a constaté cet empressement
à prononcer la mise hors la loi. Com
me il l'a spirituellement rappelé,
nous revenons à l'époque où Ro
bespierre disait : « En rùatière po
litique, on juge avec les soupçons
d'un patriotisme éclairé. » Les « ju
ges » n'ont point paru trouver
cette méthode révoltante ; ils esti
ment qu'ils se défendent : soit, à
répondu M. Andrieux, mais défendez-,
vous honnêtement ; donnez des preu
ves. Au lieu d'une accusation précisé,
la requête du procureur général con
tient une biographie du général Bou
langer, depuis l'occupation de la Tu
nisie et même depuis la guerre! Avec
malice, le spirituel orateur s'est étonné
qu'on fît remonter les soupçons jus
qu'à une époque où M. Boulanger était
d'accord avec des hommes tels que
MM. de Freycinet et Goblet. Ne va-t-on
pas les poursuivre eux aussi ?
Le gouvernement est intervenu
enfin, mais dans la personne de M.
Tirard. La fatalité veut que M. Tirard,
qui est le chef, déploie ses ridi
cules à la tribune,alors que MM. Rou
vier et Constans, qui eux savent par
ler et qui ont quelque chose dans la
tête, demeurent silencieux.
Avant le vote, M. Le Hérissé a pro
testé de nouveau au nom des boulan
gistes. Naturellement il s'est attiré la
censure, mais avec crânerie.
Un autre incident encore. Le prési
dent,qui avait à maintes reprises perdu
toute lucidité, s'est mis subitement à
injurier M. de Baudry-d'Asson, lui re
prochant une attitude scandaleuse !
Le vaillant député a bondi et, malgré
les huissiers qu'il abousculés,afranchi
l'escalier qui conduit au fauteuil, est
allé s'expliquer face à face avec le
malheureux M.Méline.Celui-cis'est la
menté et a déclaré ne savoir comment
réprimer un pareil attentat. II parait
que le Sénat lui-même serait insuffi
sant pour châtier M. de Baudry-d'As
son.
Enfin, on est allé aux urnes. Par 353
voix contre 199, l'ensemble de la pro
position a été adopté.
Un amendement, signé par des ré
publicains radicaux ou socialistes,
avait été déposé. M. Symian avait sou
tenu que la tentative d'exécution
n'ayant pas eu lieu, on ne pouvait lé
gitimement poursuivre M. Boulanger
que devant la cour d'assises, et non
devant le Sénat.
Mais la majorité tient à voir cette
injustice et cette folie.Et le Sénat fré
mit d'impatience, il veut décapiter
Boulanger en effigie.
Eugène Ta vernies.
Pendant que la république parle
mentaire se débattait au Palais Bour
bon, elle venait s'engager devant le
Sénat à tenir une de ses promesses
les plus menteuses. Elle se flattait
sans conviction d'avoir encore de
longs jours pour le faire. Pauvres
instituteurs primaires, pauvres dupes,
c'est à vous qu'était réservée cette
dernière sollicitude ! Les élections sont
proches, elles seront houleuses, et le
moment a semblé propice pour « dé
gager la parole d'un ministre », la pa
role donnée aux instituteurs di
s'occuper d'eux, de faire leur bon
heur ; il y a huit ans qu'on leur i
dit cela. Il faut enfin y penser si
l'on veut que l'instituteur soit en
core au village le champion du ré
gime, si l'on craint qu'il ne reste
mécontent ou bouche close devant les
« calomnies réactionnaires », si l'on
craint même qu'il ne fasse entre les
deux camps de silencieuses et déter
minantes comparaisons.
Donc, soignons l'instituteur, et pour
le bien convaincre, sachons stimuler
son zèle par la considération de ses in
térêts, et pour que ce zèle et cet inté
rêt aient une valeur électorale, sachons
le stimuler sur place. Voilà une partie
du plan.
Mais ce n'est pas tout: ce serait
même peu si l'on ne pensait aux élec
teurs, témoins et victimes du régime
scolaire, aux pères de famille qui sont
aussi contribuables. N'auraient-ils pas
l'oreille un peu rebellé, après la dure
expérience qu'ils ont faite de l'école laï
que? On fait donc quelque chose aussi
pour eux: on décharge la commune des
frais de l'école. Cette fois la pilule est
achevée, roulée, dorée. Désormais, si
l'on dit aux petits garçons que les im
mortels principes mettent le bon Dieu
en pénitence, les papas peuvent se
rassurer, il n'auront rien à payer pour
cela.
Eh quoi ! Ils payaient donc sans le
savoir? L'école n'était donc pas gra
tuite ? Sans doute ! c'est-à-dire non !
Enfin, pour tout dire, il y avait les
centimes communaux, ce qu'on ap
pelait le prélèvement du cinquiè
me des revenus communaux. On
va supprimer le prélèvement : plus de
centimes communaux! vive la Répu
blique ! Il y a aussi des centimes dé
partementaux : la République y re
nonce également, elle est si riche! Et
vive la République !
Attendez : ne croyez pas que l'on
supprime ainsi, de gaieté de cœur et
sans compensation, les recettes du
Trésor. Avec quoi, je vous prie, vou
lez-vous que le gouvernement paye
l'école quand la commune ne payera
plus? On supprime: cela veut dire
qu'on transforme ; on supprime en
transformant. Désormais lesdits cen
times communaux et départementaux
seront élevés au grade de centimes gé
néraux , de centimes d'Etat! Ils seront
perçus par l'Etat, qui les manipulera
lui-même. Allons, bon contribuable,
as-tu bien mâché la pomme ? Sens-tu
le goût de la cendre ? Voilà donc la
science et la lumière pour rien !
Quand la république se charge de la
manipulation des centimes, on a des
raisons de croire qu'elle s'y entend.
Voici comme on s'y prendra. Les ins
tituteurs seront divisés en classes, qui
seront honorablement réputées une
hiérarchie de mérite, et cet avance
ment a ceci de particulier qu'il aura
lieu sur place. Si un instituteur le
mérite,on le nommera de la cinquième
à la quatrième classe, à la troisième
et jusqu'à la première. Cette hiérar
chie de mérite sera aussi (aïe !)...une
hiérarchie de traitements. IJ y aura
des maîtres stagiaires à 8Q0 francs et
des instituteurs titulaires en cinq
classes dont le traitement varie dé
1,000 à 2,000 francs. Il y aura aussi
cinq classes d'institutrices, payées un
peu moins cher attendu que leur in
fluence utile est généralement moin
dre.
. Ce motif, bien entendu, n'est pas
celui qu'a développé le rapporteur du
projet de loi sur les dépenses de l'ins
truction primaire, l'honorable M.Com
bes. C'est, on le comprend, par mé
chanceté pure et dénigrement systé
matique que nous supposons au projet
de loi ce mobile électoral. On en ju
gera si l'on considère que l'organisa
tion nouvelle n'est pas, effectivement,
autre chose qu'un instrument qui
achève de soustraire aux communes,
pour mettre impitoyablement aux
mains de l'administration, l'action et
le « zèle », comme on dit, des institu
teurs.
D'après le rapport, cette réforme
coûterait, à porter au chapitre du trai
tement des instituteurs, un accroisse
ment de crédit de dix millions, qu'on
pourrait répartir en huit annuités,
d'ailleurs inégales selon les années.
C 'e3tau total un crédit nouveau de
huit années de délai et dix millions
d'argent que la.république demande
encore. Il est probable que le Sénat
votera du moins l'argent.
En attendant, il a, vers la fin de la
séance et sur les instances de M. Ti
rard, voté le projet qui autorise M.
Christophe, représentant le Crédit
Foncier et d'autres établissements fi
nanciers, à émettre 1,200,000 bons
(avec lots) de 25 francs, prix de 25 bil
lets d'entrée à l'Exposition;
G. Bois.
Autrefois, toute harangue à l'Aca
démie devait contenir un compliment
au cardinal de Richelieu et un com
pliment au roi. C'était l'usage. Nos
usages, dit M. Simon. Un nouvel usage
tend-il à s'établir ? Les compliments
au roi et au fondateur de l'Académie
vont-ils être remplacés par un compli
ment à Mgr le duc d'Aumale, donateur
de Chantilly? Les dernières séances de
réception avaient célébré le membre
exile. On salue aujourd'hui le mem
bre revenu. M- Meilhac s'est félicité
de « remercier l'Académie tout en
tière. » Applaudissements prolongés.
M. Jules Simon a renchéri, saluant le
retour du confrère « qui nous est ren
du, a-t-il dit, par un acte de justice,
dont je tiens à féliciter le gouverne
ment. »
Mgr le duc d'Aumale avait-il donc
laissé derrière lui quelque chose à
faire? Et ses démarches auprès de
M. Garnot et des divers ministres
avaient-elles besoin d'être corroborées?
La modération, qui est une bonne
chose, consiste surtout dans le tact :
les applaudissements d'un auditoire
même éolairé n'y suppléent pas. Le
retour de M. le duc d'Aumale est en
soi une excellente chose. Pour la ren
dre héroïque, il faudrait un Homère.
L'Académie n'y suffira pas.
Elle tenait sa séance hier pour re
cevoir M. Meilhac, appelé à succéder
à Labiche. Labiche était un comique
d'autant plus vif et précieux qu'il était
sans prétention; du moins ses préten
tions auraient eu une autre visée, et
il ne mettait pas de vanité à faire
ses petites pièces de théâtre. Il y ap
portait tous ses soins et, a dit son
successeur par un de ces "mots outra-
geux et outranciers que l'argot mêle à
la langue courante et dont l'Académie
devrait se méfier. Il « travaillait énor-
ment ». Il n'y a pas de vrai mérite
littéraire sans travail. Labiche corni-'
que naïvement, était assez naïf aussi
pour ne pas songer au mérite littéraire
aesbadinages où il s'amusait..... tout
en gagnant de l'argent. Son badinags
d'ailleurs était honnête : il est irrépro
chable, a déclaré M. Simon; si la cau
tion du philosophe ne paraît pas bour
geoise, M. Meilha donne une raison
péremptoire. Les comédies de Labiche
ne présentent pas de rôle de femme,
pas d'Agnès, pas de Célimène, par
tant pas d'amour ». C'est le ridicule
des hommes, le ridicule bourgeois,
dit-on, que le poète comique a com
pris, saisi, rendu, et qui fait unique
ment toute la gaieté de son théâtre
C'est là un privilège rare; M. Meil?-
hac trouve que c'est un défaut et
une lacune. La lacune a du bon, cela-
est clair. Je n'insiste pas. Cette bonne
lacune, se reconnaît-elle dans le théâtre
de M. Meilhac? M. Jules Simon s'est
vanté d'être à peu près le seul hom
me qui, avant d'être chargé de lui
répondre, n'eut jamais vu ni lu au
cune des pièces du nouvel acadé
micien. M. J. Simon se pique d[une
originalité assez commune peut-être;
et il est un peu le jouet de l'illusion
du boulevard qui se prend pour le
monde. J'en appelle à tous mes lec
teurs. Pour ma part, je ne puis^ par
ler que par ouï dire, et j'ai été
bien aise d'apprendre hier, à l'A
cadémie, que M. Meilhac avait fait
quatre-vingt-dix-huit ouvrages de co
médie. C'est beaucoup. M. Jules Si
mon a eu raison de louer la fécondité
du nouvel académicien. Ces quatffe-
vingt-dix-huit pièces dramatiques ne;
présentent pas l'heureuse lacune de
celles de Labiche; même d'après les
éloges de M. Jules Simon,—car tout est
éloge à l'Académie, — la morale lais
serait amplement à désirer. Ce théâtre
en effet, ce théâtre de M. Meilhac que
l'Académie couronnait hier,contribue,
au dire de l'Académie elle-même, à
abaisser les barrières que nos aïeules
entretenaient autour d'elles pour pro
téger leur vertu; il tend à rapprocher
les fèmmes honnêtes des dévoyées
dont il décrit les mœurs et célèbre^ les
prétendus héroïsmes. C'est un théâtre
de parodie et même de de parade, voire
dé petite littérature.
âtre de la foire; at il prétendait qu'il y
avait là des trésors de gaîté et de fan
taisie que les exhibitions qu'on a
voulu essayer en ces derniers jours
n'ont point fait jaillir, il est vrai, et
qui, en tous cas, ne menaient pas leurs
auteurs à l'Académie, mais les empê
chaient bien plus tôt d'y entrer. M.
Meilhac n'a pas écrit le Gil Blas. N'au
rait-il pu attendre ? L'Académie n'a- '
vait-elle pas sa suffisance d'un des
deux auteurs de Frou-Frou et de la
Belle-Hélène. Les deux font la paire. Ce
dernier est bien un prince du flon-flon,
la coqueluche des petits journaux. On
l'attendait avec quelque impatience de
curiosité. Quand il a paru, il y a eu
une monière de cri dans la partie fé
minine de l'assistance. M. Camille
Doucet peut désormais sourire; il a
à l'aéropage un émule de beauté.
La harangue de M. Meilhac n'en a
pas moins réussi. Elle s'est bornée à
raconter la vie de Labiche. Le thème
était heureux. Le nouvel académicien
a cité toutes sortes de traits aimables
et de gais propos. Il a raconté beau
coup d'anecdotes, dont les héros sont
connus sur le boulevard. Il a, avec
émotion, insisté sur les derniers joura
de cette vie riante et sur la lente agonie
qu'y a mis fin. Il a noté la professionde
foi en Dieu, burlesque en son expression
mais bien accentuée de l'auteur de la
Cagnotte : et malgré un propos fâcheux
d'homme de théâtre sur « le triste
rôle d'un incrédule converti par la
peur à ses derniers moments»,M.Meil
hac a constaté que le prêtre qui guet-
tait l'écrivain dramatique « n'a pas dû
être mécontent de son paroissien. » Il
le faut croire,et c'est à espérer.
Tout cela a été goûté et applaudi.
Il n'en est pas moins vrai que la lan
gue laisse à désirer, et que quelque
chose manque à la sévérité et à la jus
tesse du discours. Nous avons relevé
le travaillait énormément , qui n'est pas
de bon goût et rapproche des termes
qui ne concordent pas. Il y a peut-être
bien d'autres abus des adverbes en
ment, que je ne veux pas relever; c'est
le désaccord des expressions qui cho
que et leur outrance surtout, C'est le
moindre défaut du boulevard et de son
argot.// a delà fortune est une manière
de parler qui sera bien placée sur
un petit théâtre, dans la bouche
d'une portière. A l'Académie, le mot
eut dû être mal sonnant. Le bel audi
toire ne s'est pas choqué. Pas le moins
du monde; et M. Jules Simon, l'aca-
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