Titre : L'Univers
Éditeur : L'Univers (Paris)
Date d'édition : 1889-04-04
Contributeur : Veuillot, Louis (1813-1883). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, Pierre (1859-1907). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, François (1870-1952). Rédacteur
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 04 avril 1889 04 avril 1889
Description : 1889/04/04 (Numéro 7767). 1889/04/04 (Numéro 7767).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
Jëjïdi 4 Âvril 1889
K* 7767 =s Edition tfistldîMma
mm Illli lll'ITIUII IIMl il
Jeudi 4 AvHÎ 1889
ÉDITION QUOTIDIENNE
paris étranger
eï départements (uhios fo»tats)
55 » 68 »
28 50 34 »
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ÉDITION SEMI-QUOTIDIENNE
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Six mois, v . •
Trois mois. • «
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1S cent
UN NUMÉRO [ Départements. 20
BUREAUX s Paris, 10, ru e des Saints-Pères
On «'abonne & Rome, place du Gesù, 8
Un an. ,
Six mois. , Ç »
Trois mois, . .
paris
et départements
,30 »
16 »
8 50
étranger
(toion postais)
36 a
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Les abonnements partent des f » et 18 £0 chaque moH
L'UNIVERS ne répond pas des manuscrits qai lui sont adressés
ANNONCES 1
MM. CIi-, LAGRANGE, CERF et C 1 *, 6, place de la Bourse
FRANGE
PARIS, 3 AVRIL 1889
Le général est parti; il est en Bel
gique. Annoncé prématurément par
les feuilles anti-boulangistes, qui pro
bablement le désiraient plus qu'elles
ne l'espéraient, le départ est mainte
nant un fait accompli.Le général l'an
nonce lui-même dans une proclama
tion aux Français qu'il a téléphonée
de Bruxelles et dont nous donnons le
texte. .
Voilà une nouvelle péripétie, qui
n'est pas la moins curieuse, dans cet
étrange mouvement boulangiste. Quel
en sera le résultat? D'après les pré
visions ordinaires, cela devrait tour
ner contre le général et en faveur de
ses adversaires. Nous n'oserions affir
mer qu'il en sera ainsi ; 3 usqu'ici même
ses fautes ont servi le général ; cela
arrivera peut-être encore.
, Nous n'avons ici, du reste, ni à
raconter, ni à apprécier; il nous suf
fit d'indiquer le fait, renvoyant aux
détails et aux appréciations qu'on
trouvera plus loin.
La première audience de l'affaire de
la Ligue des patriotes, sans manquer
d'intérêt, n'a pas répondu à l'attente
de l'opinion ; en fait, il n'y a pas eu
d'incident émouvant. Les interroga
toires et l'audition des témoins sont
terminés ; il reste à entendre le réqui
sitoire et les plaidoiries ; l'émotion
viendra-t-elle? Cela paraît douteux.
Jusqu'ici, ce qui se dégage du pro
cès, c'est que le gouvernement a fait
beaucoup de bruit pour peu de résul
tats; devant des jurés, même devant
des magistrats réellement indépen
dants, l'acquittement serait certain,
sauf sur le chef d'association non au
torisée de plus de vingt personnes,
qui n'est pas contesté. Encore peut-on
soutenir qu'il y a eu au début, pour
l'œuvre de M. Déroulède, au moins
tolérance, sinon autorisation tacite.
Mais les « patriotes » ont à faire à la
. magistrature épurée.
Hier, nos députés, après avoir voté,
malgré les observations de M. d'Ail-
lières, la convention couclue pour,
l'Exposition avec M. Christophe, ont
examiné le projet de loi voté par le
Sénat et qui déférait aux magistrats
' les injures publiques contre des
fonctionnaires. Dans la ^ discussion
générale, MM. Goblet et Millerand ont
combattu le projet de loi comme atten
tatoire à la liberté dé la presse. MM.
Labussière, rapporteur; Thévenet,
garde des sceaux, etMarty, président
de la commission, l'ont défendu avec
■ une rare insuffisance ; le résultat a été
le rejet du projet par 306 voix contre
236. Le ministère, prudent, n'avait pas
posé la question de confiance; M.
Thévenet s'était contenté de la « ques
tion de gouvernement », qui n'enga
geait pas son portefeuille.
Au Sénat, on n'a rien fait ; aprèsl'a-
doptiondé divers projets d'intérêt lo
cal, nos sénateurs ont renvoyé à la
commission la proposition de M. Bé-
renger, relative aux prisons de courte
peine.
On continue à s'occuper en HtsUande
de l'établissement d'une régence, l'état
idu roi ne lui permettant plus de s'oc
cuper des affaires de l'Etat ; la ques
tion serait tranchée la semaine pro
chaine.
Dé plus ou moins bon gré, les ré-,
; gents en Serbie acceptent la venue de
- la reine Nathalie; il y avait en sa fa
veur un mouvement d'opinion qui
ïi'a pas peu contribué à amener l'ab
dication du roi Milan et contre lequel
il était impossible de lutter. Les ré
gents s'efforcent maintenant de li
miter l'action de la reine. Y parvien
dront-ils ?
M. Boulanger est à Bruxelles.
Tandis que MM. Laguerre, Turquet,
Ldsant, Naquet, Gallian, Déroulède
et Richard, ses meilleurs amis, ses plus
fidèles défenseurs, comparaissent de
vant la police correctionnelle, avec
des chances très sérieuses de passer,
d'ici vingt-quatre heures, du Palais
de... Justice à Sainte Pélagie ou Mazas,
leur chef a jugé bon de partir secrète
ment pour se mettre à l'abri,en Belgi
que.
Les journaux antiboulangistes du
soir le disaient, hier; les journaux
ioulangistes du soir ont fait aussitôt
paraître une seconde édition, afin de
démentir sur-le-champ ce qu'ils appe
laient une fausse nouvelle, afin de dé
jouer tout de suite ce qu'ils quali
fiaient de misérable manœuvre. Le
Général savait que son devoir luicom-
mandait de rester à Paris ; il y reste
rait, attendant l'ennemi de pied ferme,
etc., etc.
Paroles de premier mouvement, pa
roles imprudentes ! Car, les feuilles
antiboulangistes avaient dit, par ha
sard, la simple vérité. Ce matin, tout
le monde est d'accord pour le rècon-
jiaître. La nouvelle du départ est
exacte. 11 faut bien se rendre, puisque
la général Mahomet confirme lui-mê-
to.9 son hégire, en adressant au peu
ple français une proclamation datée
de Bruxelles, 2 avril. On la trouvera
plus loin.
M. Boulanger y déclare qu'il ne peut
se faire à l'idée de. se soumettre à la
juridiction du Sénat. « Les devoirs »,
ajoute-t-il, « que m'imposent les suf
frages de tous les Français légalement
consultés, m'interdisent de me prêter
à tout acte d'arbitraire. » Or, en ap
pelant le général à comparaître de
vant l'assemblée du Luxembourg, —•
Chambre ardente, — précipitamment
constituée en haute cour de justice,le
gouvernement commet un acte d'ar
bitraire. S'il restait à la disposition
du gouvernement, M. Boulanger se
« prêterait » donc à un acte d'arbi
traire. Cela est incontestable. Il aime
mieux s'en aller. C'est très simple.
Ce n'est pas héroïque. Est-ce très
adroit?
Naturellement, tous les républicains
parlementaires, qu'ils soient opportu
nistes où radicaux, se livrent^aux
transports de la plus frénétique" des
allégresses. Ils triomphent. A les en
croire, ils avaient toujours prévu ce,
dénouement. Car c'est un dénoue
ment. Le boulangisme est mort. Ils le
disent et le répètent, avec les accents,
— l'éloquence en moins, — de Cicéron
saluant le départ de Catilina. Evasit !
Cette fois, ils sont bien sûrs que c'est
fini. Comment ne serait-ce pas fini?
Comment le boulangisme pourrait-il
vivre encore, après cette « lâcheté »
commise par son chef ? Fini, fini, fini
le boulangisme !...
Messieurs,il faudra voir! Jusqu'à pré
sent, les morts que vous tuez se por
tent trop bien pour que vos arrêts ne
soient pas sujets à caution. Il est pos
sible que vous n'ayez point tort d'être
joyeux ; seulement, à notre avis, vous
l'êtes avec une exagération folle. Vous
vous répandez en gros mots, selon
votre vilaine habitude. A quoi bon ?
Vous ne ferez croire à personne que
le général ait eu « peur », qu'il se soit
enfui, parce qu'il est « lâche ». Non,
il a été... prudent, et cette prudence,
outre qu'elle ne paraîtra pas fière,
constitue, nous le pensons au moins,
une faute de tactique. Voilà. Conclure
que le boulangisme est fini, fini du
coup, c'est absurde.
Les trente jours d'arrêt de rigueur
donnés par le général Ferron; le rap
port du général Logerot, signalant
les lunettes bleues et la claudication
simulée ; la mise à la retraite, vérita
ble condamnation militaire; la bles
sure, quelque peu humiliante, reçue
dans le duel avec le sexagénaire avo
cat Floquet ; l'échec indirect, puis l'é
chec direct infligés par les électeurs de
la Charente et de l'Ardèche ; la disso
lution de la Ligue des patriotes, etc.,
etc...; toutes ces mesures, tous ces
accidents devaient tuer le boulangis
me. Il a grandi I Un an (rien qu'un
an 1) s'est écoulé depuis le jour où le,
général a été banni de l'armée. Voyez
le chemin parcouru !
Ce qui caractérise le boulangisme,
c'est que, non pas dans ses causes,
mais dans son origine et dans sa mar
che, il déroute la logique.
Pourquoi donc ne la dérouterait-il
point une fois de plus ?
Le général s'est enfui. Vous dites,»
républicains parlementaires, que celai
doit le perdre. Il est certain que cela
devrait le diminuer. Il est possible que
cela le diminue. Cela, peut-être, va,
au contraire, le grandir encore. — On
voulait le prendre, il s'est sauvé ; il est
plus fin que ses ennemis ! voilà ce que
5?aucoup penseront. Car, depuis douze
ans quë d'ire votre règne, le sens de
la fierté est un peu émoussé dans
notre pays.
P ierre V euillot.
Le ministère a été battu à la Cham
bre ; et la lutte n'a pas été longue ni
bien vive. On n'a guère besoin d effort
pour donner un camouflet à un gou
vernement qui a pour chef M. Tirard.
L'affaire a même manqué de gravité
par suite de l'insuffisance du rappor
teur, un sieur Labussière aux façons^
ridicules, et grâce surtout au rôle
rempli par le très esbouriffant maistre.
es-jocrisseries, lequel a nom Thévenet
et représente en ce bas monde la jus
tice, qui n'a jamais paru avec une
telle figure.
La discussion a été ouverte par M.
Goblet. C'était débuter par la partie la
plus intéressante. M. Goblet attire
toujours l'attention, non pas seule
ment parce qu'il est orateur, mais
aussi parce qu il a une manière d'être
toute personnelle, un caractère singu
lier où se réunissent des qualités ap
préciables et des défauts terribles qui
ordinairement s'excluent. Un libéral
tourmenté par des passions de sec
taire, c'est peut-être ainsi qu'on doit
définir M. Goblet. Les passions l'em
portent. Si l'on pouvait faire une ana
lyse quantitative de ses sentiments,on
y trouverait sans' doute trois quarts
décoléré et un quart d'amour. Une
liberté que M. Goblet n'aurait pas
à défendre contre des attaques re
doutables lui inspirerait peu d'at
tachement. Il a besoin qu'elle ait
quelque chose do désagréable, de vexa-
toire et, s'il se peut, d'oppresseur. Il
lui faut une liberté qu'il impose par
la force. Dans cette lutte,il ne se pos
sède pas ; il devient la proie d'un ver
tige d'esprit, il cède à l'attraction de
la témérité avec les emportements
du jeune âge. Aussi est-il l'incon
stance mêi»9, Qn l'ji connu intime
de Gambetta, puis son adversaire
et presque son ennemi. On l'a. vu
se livrer souvent à des démonstrations
inattendues et contradictoires. Par
amour de la liberté, il a fait pour la
laïcisation scolaire une loi implacable
et s'est attiré l'opprobre sanglant de
Châteauvillain. Dans ce genre, de
quoi n'est-il pas capable ? Les opportu
nistes l'ont en haine ; les radicaux en
défiance. Il a voulu être seul ; il
l'est. On lui en veut encore de son ho
norabilité privée, qui est fière. On
lui en veut peut-être de son talent, qui
agrandi. On l'accuse de ne penser
qu'à son rôle personnel. Comme les
idées révolutionnaires sont négatives,
il détruit pour ne pas rester inactif ;
il frappe selon l'occasion. Hier il a
frappé sur l'obstacle qui se présentait:
c'était un ministère de la République,
un des derniers.
De la liberté de la presse, en réalité,
peu de monde à gauche prenait souci.
Les gens qui feraient empoisonner le
général Boulanger ne s'embarrasse
raient pas pour étrangler des jour
naux, mais ils n'ont pas confiance
dans le procédé ; et alors ils ont goûté
M. Goblet, qui rappelait les vieilles
doctrines du temps de l'opposition,
bien qu'il les eût oubliées tout der
nièrement encore quand il était mi
nistre, quand il laissait préparer le
projet qu'il a hier combattu, n'étant
plus au pouvoir.
Par bonheur pour les « libéraux »,le
rapporteur, chargé d'exposer la légi-
timité.etles avantages delà juridiction
correctionnelle en matière de délit de
presse, a été nul, désagréable et mala
droit. Il s'est perdu dans des disserta
tions pénibles ; il a lu des articles de
journaux par lesquels il croyait allu
mer l'indignation et qui ont fait rire.
M. Millerand a prononcé une habile
plaidoirie en faveur de la juridiction
de la cour d'assises. Tandis que M.
Goblet s'en était tenu au principe le
plus général, M. Millerand est entré
dans les détails. Il a cité des exemples
où le jury a réprimé d'une manière
effective les délits qu'on voudrait
faire punir plus sévèrement par des
juges domestiqués. Il a nettement
proposé d'étendre, au lieu de les res
treindre, les attributions du jury.
Quel nom donner à ce qu'est veriti
dire et faire le garde des sceaux? M.
Thévenet a parlé au milieu de huées
qu'il provoquait comme à plaisir. Il
voulait rassurer la Chambre sur les
intentions du gouvernement et pro
mettre que la loi demandée ne serait
pas suivie d'autres encore plus auto
ritaires; il disait : « Le gouverne
ment n'a pas de projets»; à quoi
l'on répondait en riant : « Nous le
voyons bien. » Il reprenait et bredouil
lait; parlait de procès au lieu de pro
jets ; révélait qu'il y a des fonctionnai
res ailleurs qu'à Paris ; et enfin invo
quait l'autorité de son prédécesseur,
l'impayable Guyot-Dessaigne. La
Chambre se tordait. Cette hilarité dé
bordante et cette figure blafarde
d'huissier véreux et de pion enragé
composaient un spectacle merveilleux.
Un monsieur Marty, président de la
commission, a voulu prendre la pa
role. Mais, après un préambule en
sourdine, il a dû rentrer dans son
obscurité.
Quelques instants après, le projet
de loi était repoussé ; le ministère était
battu par 306 voix contre 236.
Donc, on ne déférera pas aux tri
bunaux correctionnels les journaux
qui se permettront d'attaquer les fonc
tionnaires ; on se contentera du jury.
Voilà une des grandes mesures de
salut public annoncées et proposées
qui s'évanouit.
Il en reste une autre, il est vrai. On
nommera jeudi la commission chargée
d'examiner la proposition que vient de
voter le Sénat et qui organise une
procédure pour les complots contre la
sûreté de l'Etat. Encore des discus
sions confuses et, sans doute, pour le
gouvernement, de rudesléchecs. Tout
est désorganisé, tout craque. Qu'on le
demande à M. Rouvier, lui qui a la té
nacité intelligente : en entendant les
Labussière et les Thévenet, il s'affais
sait, crispé et désespéré.
E ugène T avernier.
Le Sénat s'est occupé hier, dans les
couloirs, du départ pour Bruxelles
du général Boulanger. La nouvelle
trouvait un grand nombre d'incré
dules ; néanmoins elle ne laissait pas
que de préoccuper beaucoup le Sénat,
et en particulier les membres du gou
vernement : ce bonheur leur parais
sait trop inespéré pour être réel, et s'il
était réel quels pièges ne cachait-il
pas? Timeo Danaos... Tel était hier le
principal souci du Sénat.
Dans la salle, on a discuté le
projet de loi relatif à la réforme des
prisons de courtes peines. L'article
premier, qui exonère les départements
d'une partie des charges nécessitées
par l'entretien des prisons, à la condi
tion de les rétrocéder à l'Etat, a été
adopté. Sur l'article 2, qui organise
une sorte d'arbitrage de la part du
conseil d'Etat à ce sujet, M. Herbette,
commissaire du gouvernement, a de
mandé le renvoi de l'article à la com
mission, qui recourrait à l'avis du
conseil a'Etat avant de soumettre au
Sénat un texte définitif. M. Bérenger
s'opposait au renvoi, C'est un troi
sième sénateur, M. Labiche, qui a eu
le dernier mot, en demandant et obte
nant le renvoi du projet de loi tout en
tier à la commission. L'intention ma
nifestée préalablement par M. La
biche était que ce vote eût la signifi
cation d'un ajournement, permettant
de consulter officiellement ou officieu
sement le conseil d'Etat. C'est donc,
en réalité, un renvoi au conseil d'Etat.
J. M.
La « tour Eiffel » est achevée : le
monde le sait aujourd'hui. Décidé
ment, ce que l'homme peut faire de
plus grand est bien petit. La tour a se3
trois cents mètres,et ce n'est rien. Vue
à distance, dans l'éloignement de sa
masse et en comparaison des autres
édifices, elle paraît grande; de près
et isolément,elle ne semble pas dépas
ser de beaucoup la hauteur des autres
constructions. L'imagination évoque à
côté d'elle les plus grands monu
ments. Elle ne paraît guère plus
haute que la flèche de la cathédrale de
Rouen ou que les clochers de Colo
gne ; on la croirait presque plus petite
que la coupole de Saint-Pierre de
Rome et les Pyramides d'Egypte. Et
qu'est-ce à côté du mont Blanc?
Le monument n'est pas conçu pour
donner l'idée de la grandeur. Il est
trop haut pour sa maigreur, trop large
à sa base pour son élévation. Man
quant de proportion, il ne produit
pas son effet. Le constructeur n'a pas
eu d'autre idée que de porter son œu
vre à une hauteur déterminée. Il s'y
est pris comme il a pu pour atteindre
ses trois cents mètres, se proposant
seulement de « faire haut »,et non de
construire quelque chose.
Le véritable architecte domine sa
matière. La merveille de l'architecture
du moyen âge, c'est que les construc
teurs d'alors, voulant élever à Dieu
des temples plus grands et plus hauts
et plus durables aussi que tout ce
qu'on avait fait avant eux, ont bâti en
pierre d'immenses monuments, étant
aussi maîtres de leurs matériaux et
sachant aussi bien combiner les lar
geurs et les hauteurs, les vides et les
pleins pour le résultat voulu, que si
l'édifice eût été de petite dimension et
en bois. L'ingénieur Eiffel a été do
miné par sa matière ; il a bâti en fer
ce qu'il a pu et comme il a pu, sacri
fiant tout à la hauteur qu'il voulait at
teindre. Le monument, sans emploi,
sans nom, qu'il a construit, n'est ni
un édifice, ni une tour, ni une pyra
mide, nit une colonne, ni une flèche ;
ce n'est qu'un immense fût à jour
dressé sur quatre pieds démesurément
ouverts, et surmonté d'un minuscule
campanile. Le fût manque de propor
tion autant que de destination. C'est,
dit on, un tour de force de métallur
gie ; ce n'est assurément pas un chef-
d'œuvre d'art.
Les architectes du moyen âge qui
ont résolu le problème, plus difficile
et plus utile aussi,d'élever des édifices
longs de 150 mètres, entièrement cou
verts de voûtes de pierre sur une lar
geur de 25 à 30 mètres, à une hauteur
de 40 et même de 50, avec des appuis
aériens, des murs percés à jour de
haut en bas et tout garnis de verre, et
leur faisant porter des tours et des flè
ches dont le sommet atteint jusqu'à
160 mètres, ont réalisé une merveille
de construction et de statique plus
grande que d'échafauder des barres de
fonte à trois cents mètres de hauteur.
L'art grec et romain n'avaient pas su
accomplir ce prodige. Il en était resté
aux basiliques à murs pleins, sur co
lonnes basses avec plafonds en char
pentes. L'idéal chrétien a créé une
architecture que toute l'habileté des
ingénieurs modernes ne surpassera
point. Le moyen âge n'est pas vaincu.
C'est un dimanche encore,en pleine
activité des travaux du Champ-de-Mars,
qu'a eu lieu l'inauguration de la tour
Eiffel, par le président du conseil des
ministres, comme avait eu lieu la vi
site officielle du président de la Répu
blique aux chantiers de l'Exposition,:
au début de l'année du Centenaire.
Dans le récit de la cérémonie, on voit
les ouvriers de la tour déposer leurs
outils pour prendre part, en habit de
travail, à la collation de fête donnée
en leur honneur. Jusqu'à la fin on
aura, profané le jour du Seigneur pour
être prêt à temps. Il fallait aussi mon
trer que l'entreprise était toute laïque
et que la tour ne porterait aucun signe
de cléricalisme. La cérémonie a été
tout civile : pas de bénédiction, pas la
plus petite prière, pas le moindre hom
mage au Dieu du ciel et de la terre.
La république ne reconnaît pas le Créa
teur, et l'ingénieur se croit peut-être
l'égal de Celui qui a fait les monta
gnes.
Beaucoup ont dit en voyant s'élever
la tour : c'est la revanche de Babel,
c'est le triomphe de la société moder
ne. Bâtie dans une pensée d'orgueil
humain et pour être aux yeux du
monde comme le symbole de la Révo
lution, cette vaine construction qui
domine aujourd'hui tous les monu
ments où s'élevait le signe glorieux
de la Rédemption, est un défi à la ci
vilisation chrétienne : ou la tour tom
bera, ou il s'élèvera un jour quelque
chose de plus haut pour porter la
croix.
A rthur L oth.
Départ du général Boulanger
Le général Boulanger est à Bruxel
les,d'où il adresse la proclamation sui
vante:
Français I
Les exécuteurs des hautes et basses œu
vres qui détiennent le pouvoir, au mépris
de la conscience publiqne, ont entrepris de
contraindre un procureur général à lancer
contre moi un acte d'accnsatioo qui ne peut
être relevé que par un tribunal exception
nel, constitué par des lois d'exception.
Jamais je ne consentirai à me soumettre
à la juridiction d'un Sénat composé de gens
qu'aveuglent leurs passions personnelles,
leurs folles rancunes et la conscience de
leur impopularité.
Les devoirs que m'imposent les suffrages
de tous les Français légalement consultés
m'interdisent de me prêter à tout acte ar
bitraire tendant à la suppression de nos
libertés, constatant le mépris de nos lois,
et faisant litière de la volonté nationale.
Le jour où, appelé à comparaître devant
mes juges naturels (magistrats ou jurés),
j'aurai à répondre à l'accusation que le bon
sens et l'équité publique ont déjà repous-
sée, je tiendrai à honneur de me rendre à
l'appel de ces magistrats, qui sauront faire
bonne justice entre le pays et ceux qui,
depuis trop longtemps, le corrompent,
l'exploitent et le ruinent.
D'ici là, travaillant sans cesse à l'affran
chissement de mes concitoyens, j'attendrai,
en ce pays de liberté, que les élections
générales aient enfin constitué la Républi
que habitable, honnête et libre.
Général B oulanger.
Bruxelles, le 2 avril.
Voici, d'après le Gaulois , comment
a été amenée la décision du général
de quitter la France :
Deux courants s'étaient manifestés de
puis quelques jours dans l'entourage du
général Boulanger.
Les uns lui conseillaient de rester, de
courir les chances et d'affronter les dan
gers des poursuites intentionnelles du gou
vernement.
. Les autres, plus pratiques, lui objec
taient qu'il est des situations où la généro
sité et l'insouciance personnelle ne sont pas
admises.
Le général Boulanger avait écouté ces
avis divergents, mais son tempérament de
soldat lui avait fait repousser jusque-là
les conseils de ceux qui l'engageaient à
se mettre à l'abri des tentatives gouverne^
mentales.
Dans la journée de lundi, cependant,
lorsque les amis du général connurent le
nom du successeur de M. Bouchez et
turent informés—nous ne voulons pas dire
par quelle voie — des véritables intentions
du gouvernement, M. Naquet se rendit rue
Dumont-d'Urville et là, dans un entretien
assez solennel auquel assistaient notam
ment MM. Laisant, Laguerre et Turquet,
le sénateur de Vaucluse aurait tenu le lan
gage que voici :
— Mon général, vous savez ce qu'on mé
dite contre vous. Vous allez tomber entre
les mains de bandits qui, lorsqu'ils vous
tiendront, feront de vous tout ce qu'ils vou
dront.
« Votre devoir strict est de conserver
votre liberté d'action, afin de rester à la
tète de vos partisans et de les diriger li
brement, de loin comme de près.
« Peu importe à un général l'endroit d'où
il dirige ees troupes, pourvu qu'il les con
duise à la victoire. »
Et comme le général Boulanger objectait
que, dans les circonstances actuelles, son
départ pouvait être mal compris et mal
interprété, M. Naquet intervint de nouveau
et dit :
« Permettez-moi, comme vice-président
d'un comité qui a trop essuyé des critiques
non méritées, d'intervenir formellement et
de vous imposer l'obligation de mettre vo
tre personne à l'abri de toute surprise ;
nous sommes, mes collègues et moi, ici
présents, les premiers otages et, par consé
quent, les meilleurs garants de votre hon
neur et les meilleurs juges de votre devoir,
en vous conseillant d'agir comme nous l'in--
diquons. »
Pour vaincre les résistances du général-
Boulanger, que le langage de M. Naquet;
avait impressionné, ses interlocuteurs lui
proposèrent immédiatement de signer qua
tre lettros séparées, dans lesquelles chacun
d'eux prenait expressément la responsabi
lité du départ immédiat du général pour
une destination inconnue ; ils déclarèrent
en outre que, si le général Boulanger ne
s'inclinait pas, ils donneraient leur démis
sion motivée du comité.
Le général, qui a l'habitude de prendre
résolûment ses décisions, fit aussitôt pré
venir M. le comte Dillon ; l'heure pressait,
et celui-ci n'eut que le temps de boucler sa
valise et de prendre le premier train
avec Mme la comtesse Dillon, pour Bru
xelles.
Le général Boulanger monta dans le train
suivant et, contrairement à tout ce qu'on a
raconté, il se cacha si peu que, arrivé à la
gare et voyant les compartiments au com
plet, il fit supplémenter son billet pour
monter dans un coupé.
C'est alors seulement que le contrôleur
reconnut le voyageur, dont le départ par
l'express de Bruxelles fut signalé à la
préfecture et ensuite au ministère de l'in
térieur.
Avant de partir, le général avait donné
des instructions précises si formelles à son
entourage qu'hier mardi, toute la journée
et même dans la soirée jusqu'à minuit, les
personnes de l'intimité du général Bou
langer qui venaient rue Dumont-d'Urville
recevaient cette réponse imperturbable
du groom Joseph et de3 autres domes
tiques :
— Le général est là, mais il est tout
entier au procès de la Ligue ; il ne veut pas
être dérangé et vous prie de revenir de
main ou jeudi,
Le même journal ajoute :
Le général Boulanger est arrivé hier
matin à Bruxelles.
Nous jugeons inutile, jusqu'à nouvel or
dre, de donner son adresse. Nous pouvons
affirmer qu'on lui a fait parvenir sa corres
pondance et les nouvelles de la journée.
Des personnes sûres ont dû aller lui por
ter dans la soirée les impressions de Paris,
impressions différentes suivant le tempéra
ment de ceux qui les transmettaient ; il est
sorti fort peu et ce n'est que très tard qu'il
a fait téléphoner à Paris le document qu'on
a lu plus haut.
Voici les informations dues à una
note de police que le Temps publiait
hier soir sur le départ du général:
Un peu avant sept hèures, lundi, le gé
néral Boulanger se serait rendu chez une
dame qui demeure rue de Berri. Il était
en tenue de ville. Depuis huit jours envi-
ronfle général était surveillé, et l'on n'avait
pas perdu un seul instant sa trace. Comme
il entrait hier dans l'hôtel de la rue" de
Berri, l'agent préposé à sa surveillance se
plaça devant la maison et attendit sa sortie
pour le suivre où D se rendrait.
Vers huit heures, le général parut; il
avait changé de costume ; il était enveloppé
dans un ulster gris foncé très long ; le col
de ce vêtement était relevé et dissimulait
presque entièrement le visage. Le.général
fumait un énorme cigare. Son chapean
était rabattu sur ses yeux. Il était accom
pagné d'une dame. Le premier fiacre qui
passa fut hélé; les deux voyageurs y pri
rent place et le quittèrent bientôt pour en
prendre un autre. Ce manège fut répété
plusieurs fois.
La voiture fit plusieurs détours avant
d'arriver à la gare du Nord ; mais l'agent
ne perdit pas un moment de vue les deux
mystérieux personnages. Enfin, le général
arriva à la gare du Nord. Il prit, toujours
au dire de l'agent, le train qui part à 9 heu
res 45 minutes. Il traversa les salles d'at
tente avec des précautions infinies pour ne
pas être reconnu. Quand l'agent qui le filait
se fut assuré de son départ, il prévint la
préfet de police qui, à sou tour, avertit le
ministre de l'intérieur.
Au sujet de ce départ, M. Georges
Laguerre écrit dans la Presse :
Le général Boulanger a quitté la France.
Il a cédé aux instantes prières de ses
fidèles amis, plus particulièrement de ceux
qui comparaissent en ce moment devant
les magistrats correctionnels. , . ■
Naquet, Turquet, Laisant et moi, nous
lui avons dit et répété qu'il devait à son
parti, qu'il devait à la république de na
pas rester exposé aux coups de la banda
qui détient le pouvoir.
Nous savions que ces misérables, après
avoir chassé un magistrat qui refusait de
se prêter à une ignominie, après l'avoir
remplacé par un homme, capable de toutes
les besognes, étaient décidés à traduire la
général devant un tribunal d'exception et à
ne pas le laisser sortir vivant de leurs
mains.
Et alors, malgré la réprobation qu'eût
. causée cet assassinat,peut-.être à. l'aide d'é
lections frelatées, la coalition opportuno-
radicale eût-elle pu momentanément triom-
pher encore aux élections prochaines.
Il fallait à tout prix r et pour le chef aimé
que nous suivons et pour la république
dont il est depuis un an le dernier défen-
seur, éviter ce désastre.
La France est aux mains des bandits.
On pouvait attendre tout de ces gens-là
Les neuf cent mille électeurs qui depuis
un an ont, sur le nom du général Boulan
ger, affirmé la république nationale et con
damné la république des tripoteurs,sauront
gré à leur élu de sa détermination.
Ses amis, qui savant ce qu'elle lui a coûté,
le remercient de cette décision.
Qu'importent les soldats, pourvu que
soient sains et saufs et le chef et le dra
peau?
Le général absent, nous continuons la
lutte entreprise pour la revision et la répu
blique nationale.
G eorges L aguerre.
M. Magnard, dans le Figaro , ap
prouve également la résolution du gé
néral :
Je sais parfaitement que cela lui nuira
auprès des Don Quichottes, et que ce dé
part manque un peu de prestige à ce
que j'appellerai le point de vue trou-
badourt Mais connaissez-vous : rien da
plus absurbe qu'un chef de parti prison
nier?
Comme on devait arrêter en même temps
que lui tous les notables du boulangisme»
il se serait trouvé décapité du coup, et ce
dénouement était autrement redoutable
pour lui que l'absence du général.
Comment, en effet, lui et ses lieutenants
étant sous les verrous, auraient-ils pu s'or
ganiser de façon à parer aux conséquences
de l'inéligibilité dont le frappera évidem
ment la future Haute-Cour, comment au
raient-ils préparé les élections? La bra
voure du général n'est pas discutable ; ce
n'est donc pas la prudence qui l'a éloigné
de Paris, mais la nécessité de ne pas lais
ser son parti sans direction. Louis XIV na
se plaint-il pas dans Boileau « de sa gran
deur qui l'attache au rivage » ?
Quant aux journaux antiboulan
gistes, on devine aisément par quelles
épithètes ils saluent ce départ. C'est
une «faute m ,une « lâcheté ». Le gé
néral devient le général « La Pruden-
oe », ou même le général « LaVe-
nette », etc. Peut-être, cependant, y
a-t-il dans leur langage plus de dé
pit que de joie.
— On lit dans la Presse :
Nous disions hier que M. Constans et
quelques-uns de ses complices avaient lon
guement délibéré sur le moyen d'arrêter le
général, de le traduire devant une cour
martiale et de le fusiller dans les vingt-
quatre heures.
Nous avoas eu la preuve que si le géné
ral n'avait, avant-hîer, quitté brusquement
Paris, cet attentat eût été accompli.
C'eût été bien gros pour les forces
du présent ministère.
— Le Radical publie ce renseigne
ment:
La fuite a été décidée & la suite d'une
conversation que M. Boulanger a eue avec
[M- Bouchez, l'ancien procureur général
K* 7767 =s Edition tfistldîMma
mm Illli lll'ITIUII IIMl il
Jeudi 4 AvHÎ 1889
ÉDITION QUOTIDIENNE
paris étranger
eï départements (uhios fo»tats)
55 » 68 »
28 50 34 »
15 » >18 >
ÉDITION SEMI-QUOTIDIENNE
Bn ati. • *
• • •
Six mois, v . •
Trois mois. • «
t ^kwii« iM»in partent de» X" ei 18 do chaquo ItloM
1S cent
UN NUMÉRO [ Départements. 20
BUREAUX s Paris, 10, ru e des Saints-Pères
On «'abonne & Rome, place du Gesù, 8
Un an. ,
Six mois. , Ç »
Trois mois, . .
paris
et départements
,30 »
16 »
8 50
étranger
(toion postais)
36 a
19 »
10 ».
Les abonnements partent des f » et 18 £0 chaque moH
L'UNIVERS ne répond pas des manuscrits qai lui sont adressés
ANNONCES 1
MM. CIi-, LAGRANGE, CERF et C 1 *, 6, place de la Bourse
FRANGE
PARIS, 3 AVRIL 1889
Le général est parti; il est en Bel
gique. Annoncé prématurément par
les feuilles anti-boulangistes, qui pro
bablement le désiraient plus qu'elles
ne l'espéraient, le départ est mainte
nant un fait accompli.Le général l'an
nonce lui-même dans une proclama
tion aux Français qu'il a téléphonée
de Bruxelles et dont nous donnons le
texte. .
Voilà une nouvelle péripétie, qui
n'est pas la moins curieuse, dans cet
étrange mouvement boulangiste. Quel
en sera le résultat? D'après les pré
visions ordinaires, cela devrait tour
ner contre le général et en faveur de
ses adversaires. Nous n'oserions affir
mer qu'il en sera ainsi ; 3 usqu'ici même
ses fautes ont servi le général ; cela
arrivera peut-être encore.
, Nous n'avons ici, du reste, ni à
raconter, ni à apprécier; il nous suf
fit d'indiquer le fait, renvoyant aux
détails et aux appréciations qu'on
trouvera plus loin.
La première audience de l'affaire de
la Ligue des patriotes, sans manquer
d'intérêt, n'a pas répondu à l'attente
de l'opinion ; en fait, il n'y a pas eu
d'incident émouvant. Les interroga
toires et l'audition des témoins sont
terminés ; il reste à entendre le réqui
sitoire et les plaidoiries ; l'émotion
viendra-t-elle? Cela paraît douteux.
Jusqu'ici, ce qui se dégage du pro
cès, c'est que le gouvernement a fait
beaucoup de bruit pour peu de résul
tats; devant des jurés, même devant
des magistrats réellement indépen
dants, l'acquittement serait certain,
sauf sur le chef d'association non au
torisée de plus de vingt personnes,
qui n'est pas contesté. Encore peut-on
soutenir qu'il y a eu au début, pour
l'œuvre de M. Déroulède, au moins
tolérance, sinon autorisation tacite.
Mais les « patriotes » ont à faire à la
. magistrature épurée.
Hier, nos députés, après avoir voté,
malgré les observations de M. d'Ail-
lières, la convention couclue pour,
l'Exposition avec M. Christophe, ont
examiné le projet de loi voté par le
Sénat et qui déférait aux magistrats
' les injures publiques contre des
fonctionnaires. Dans la ^ discussion
générale, MM. Goblet et Millerand ont
combattu le projet de loi comme atten
tatoire à la liberté dé la presse. MM.
Labussière, rapporteur; Thévenet,
garde des sceaux, etMarty, président
de la commission, l'ont défendu avec
■ une rare insuffisance ; le résultat a été
le rejet du projet par 306 voix contre
236. Le ministère, prudent, n'avait pas
posé la question de confiance; M.
Thévenet s'était contenté de la « ques
tion de gouvernement », qui n'enga
geait pas son portefeuille.
Au Sénat, on n'a rien fait ; aprèsl'a-
doptiondé divers projets d'intérêt lo
cal, nos sénateurs ont renvoyé à la
commission la proposition de M. Bé-
renger, relative aux prisons de courte
peine.
On continue à s'occuper en HtsUande
de l'établissement d'une régence, l'état
idu roi ne lui permettant plus de s'oc
cuper des affaires de l'Etat ; la ques
tion serait tranchée la semaine pro
chaine.
Dé plus ou moins bon gré, les ré-,
; gents en Serbie acceptent la venue de
- la reine Nathalie; il y avait en sa fa
veur un mouvement d'opinion qui
ïi'a pas peu contribué à amener l'ab
dication du roi Milan et contre lequel
il était impossible de lutter. Les ré
gents s'efforcent maintenant de li
miter l'action de la reine. Y parvien
dront-ils ?
M. Boulanger est à Bruxelles.
Tandis que MM. Laguerre, Turquet,
Ldsant, Naquet, Gallian, Déroulède
et Richard, ses meilleurs amis, ses plus
fidèles défenseurs, comparaissent de
vant la police correctionnelle, avec
des chances très sérieuses de passer,
d'ici vingt-quatre heures, du Palais
de... Justice à Sainte Pélagie ou Mazas,
leur chef a jugé bon de partir secrète
ment pour se mettre à l'abri,en Belgi
que.
Les journaux antiboulangistes du
soir le disaient, hier; les journaux
ioulangistes du soir ont fait aussitôt
paraître une seconde édition, afin de
démentir sur-le-champ ce qu'ils appe
laient une fausse nouvelle, afin de dé
jouer tout de suite ce qu'ils quali
fiaient de misérable manœuvre. Le
Général savait que son devoir luicom-
mandait de rester à Paris ; il y reste
rait, attendant l'ennemi de pied ferme,
etc., etc.
Paroles de premier mouvement, pa
roles imprudentes ! Car, les feuilles
antiboulangistes avaient dit, par ha
sard, la simple vérité. Ce matin, tout
le monde est d'accord pour le rècon-
jiaître. La nouvelle du départ est
exacte. 11 faut bien se rendre, puisque
la général Mahomet confirme lui-mê-
to.9 son hégire, en adressant au peu
ple français une proclamation datée
de Bruxelles, 2 avril. On la trouvera
plus loin.
M. Boulanger y déclare qu'il ne peut
se faire à l'idée de. se soumettre à la
juridiction du Sénat. « Les devoirs »,
ajoute-t-il, « que m'imposent les suf
frages de tous les Français légalement
consultés, m'interdisent de me prêter
à tout acte d'arbitraire. » Or, en ap
pelant le général à comparaître de
vant l'assemblée du Luxembourg, —•
Chambre ardente, — précipitamment
constituée en haute cour de justice,le
gouvernement commet un acte d'ar
bitraire. S'il restait à la disposition
du gouvernement, M. Boulanger se
« prêterait » donc à un acte d'arbi
traire. Cela est incontestable. Il aime
mieux s'en aller. C'est très simple.
Ce n'est pas héroïque. Est-ce très
adroit?
Naturellement, tous les républicains
parlementaires, qu'ils soient opportu
nistes où radicaux, se livrent^aux
transports de la plus frénétique" des
allégresses. Ils triomphent. A les en
croire, ils avaient toujours prévu ce,
dénouement. Car c'est un dénoue
ment. Le boulangisme est mort. Ils le
disent et le répètent, avec les accents,
— l'éloquence en moins, — de Cicéron
saluant le départ de Catilina. Evasit !
Cette fois, ils sont bien sûrs que c'est
fini. Comment ne serait-ce pas fini?
Comment le boulangisme pourrait-il
vivre encore, après cette « lâcheté »
commise par son chef ? Fini, fini, fini
le boulangisme !...
Messieurs,il faudra voir! Jusqu'à pré
sent, les morts que vous tuez se por
tent trop bien pour que vos arrêts ne
soient pas sujets à caution. Il est pos
sible que vous n'ayez point tort d'être
joyeux ; seulement, à notre avis, vous
l'êtes avec une exagération folle. Vous
vous répandez en gros mots, selon
votre vilaine habitude. A quoi bon ?
Vous ne ferez croire à personne que
le général ait eu « peur », qu'il se soit
enfui, parce qu'il est « lâche ». Non,
il a été... prudent, et cette prudence,
outre qu'elle ne paraîtra pas fière,
constitue, nous le pensons au moins,
une faute de tactique. Voilà. Conclure
que le boulangisme est fini, fini du
coup, c'est absurde.
Les trente jours d'arrêt de rigueur
donnés par le général Ferron; le rap
port du général Logerot, signalant
les lunettes bleues et la claudication
simulée ; la mise à la retraite, vérita
ble condamnation militaire; la bles
sure, quelque peu humiliante, reçue
dans le duel avec le sexagénaire avo
cat Floquet ; l'échec indirect, puis l'é
chec direct infligés par les électeurs de
la Charente et de l'Ardèche ; la disso
lution de la Ligue des patriotes, etc.,
etc...; toutes ces mesures, tous ces
accidents devaient tuer le boulangis
me. Il a grandi I Un an (rien qu'un
an 1) s'est écoulé depuis le jour où le,
général a été banni de l'armée. Voyez
le chemin parcouru !
Ce qui caractérise le boulangisme,
c'est que, non pas dans ses causes,
mais dans son origine et dans sa mar
che, il déroute la logique.
Pourquoi donc ne la dérouterait-il
point une fois de plus ?
Le général s'est enfui. Vous dites,»
républicains parlementaires, que celai
doit le perdre. Il est certain que cela
devrait le diminuer. Il est possible que
cela le diminue. Cela, peut-être, va,
au contraire, le grandir encore. — On
voulait le prendre, il s'est sauvé ; il est
plus fin que ses ennemis ! voilà ce que
5?aucoup penseront. Car, depuis douze
ans quë d'ire votre règne, le sens de
la fierté est un peu émoussé dans
notre pays.
P ierre V euillot.
Le ministère a été battu à la Cham
bre ; et la lutte n'a pas été longue ni
bien vive. On n'a guère besoin d effort
pour donner un camouflet à un gou
vernement qui a pour chef M. Tirard.
L'affaire a même manqué de gravité
par suite de l'insuffisance du rappor
teur, un sieur Labussière aux façons^
ridicules, et grâce surtout au rôle
rempli par le très esbouriffant maistre.
es-jocrisseries, lequel a nom Thévenet
et représente en ce bas monde la jus
tice, qui n'a jamais paru avec une
telle figure.
La discussion a été ouverte par M.
Goblet. C'était débuter par la partie la
plus intéressante. M. Goblet attire
toujours l'attention, non pas seule
ment parce qu'il est orateur, mais
aussi parce qu il a une manière d'être
toute personnelle, un caractère singu
lier où se réunissent des qualités ap
préciables et des défauts terribles qui
ordinairement s'excluent. Un libéral
tourmenté par des passions de sec
taire, c'est peut-être ainsi qu'on doit
définir M. Goblet. Les passions l'em
portent. Si l'on pouvait faire une ana
lyse quantitative de ses sentiments,on
y trouverait sans' doute trois quarts
décoléré et un quart d'amour. Une
liberté que M. Goblet n'aurait pas
à défendre contre des attaques re
doutables lui inspirerait peu d'at
tachement. Il a besoin qu'elle ait
quelque chose do désagréable, de vexa-
toire et, s'il se peut, d'oppresseur. Il
lui faut une liberté qu'il impose par
la force. Dans cette lutte,il ne se pos
sède pas ; il devient la proie d'un ver
tige d'esprit, il cède à l'attraction de
la témérité avec les emportements
du jeune âge. Aussi est-il l'incon
stance mêi»9, Qn l'ji connu intime
de Gambetta, puis son adversaire
et presque son ennemi. On l'a. vu
se livrer souvent à des démonstrations
inattendues et contradictoires. Par
amour de la liberté, il a fait pour la
laïcisation scolaire une loi implacable
et s'est attiré l'opprobre sanglant de
Châteauvillain. Dans ce genre, de
quoi n'est-il pas capable ? Les opportu
nistes l'ont en haine ; les radicaux en
défiance. Il a voulu être seul ; il
l'est. On lui en veut encore de son ho
norabilité privée, qui est fière. On
lui en veut peut-être de son talent, qui
agrandi. On l'accuse de ne penser
qu'à son rôle personnel. Comme les
idées révolutionnaires sont négatives,
il détruit pour ne pas rester inactif ;
il frappe selon l'occasion. Hier il a
frappé sur l'obstacle qui se présentait:
c'était un ministère de la République,
un des derniers.
De la liberté de la presse, en réalité,
peu de monde à gauche prenait souci.
Les gens qui feraient empoisonner le
général Boulanger ne s'embarrasse
raient pas pour étrangler des jour
naux, mais ils n'ont pas confiance
dans le procédé ; et alors ils ont goûté
M. Goblet, qui rappelait les vieilles
doctrines du temps de l'opposition,
bien qu'il les eût oubliées tout der
nièrement encore quand il était mi
nistre, quand il laissait préparer le
projet qu'il a hier combattu, n'étant
plus au pouvoir.
Par bonheur pour les « libéraux »,le
rapporteur, chargé d'exposer la légi-
timité.etles avantages delà juridiction
correctionnelle en matière de délit de
presse, a été nul, désagréable et mala
droit. Il s'est perdu dans des disserta
tions pénibles ; il a lu des articles de
journaux par lesquels il croyait allu
mer l'indignation et qui ont fait rire.
M. Millerand a prononcé une habile
plaidoirie en faveur de la juridiction
de la cour d'assises. Tandis que M.
Goblet s'en était tenu au principe le
plus général, M. Millerand est entré
dans les détails. Il a cité des exemples
où le jury a réprimé d'une manière
effective les délits qu'on voudrait
faire punir plus sévèrement par des
juges domestiqués. Il a nettement
proposé d'étendre, au lieu de les res
treindre, les attributions du jury.
Quel nom donner à ce qu'est veriti
dire et faire le garde des sceaux? M.
Thévenet a parlé au milieu de huées
qu'il provoquait comme à plaisir. Il
voulait rassurer la Chambre sur les
intentions du gouvernement et pro
mettre que la loi demandée ne serait
pas suivie d'autres encore plus auto
ritaires; il disait : « Le gouverne
ment n'a pas de projets»; à quoi
l'on répondait en riant : « Nous le
voyons bien. » Il reprenait et bredouil
lait; parlait de procès au lieu de pro
jets ; révélait qu'il y a des fonctionnai
res ailleurs qu'à Paris ; et enfin invo
quait l'autorité de son prédécesseur,
l'impayable Guyot-Dessaigne. La
Chambre se tordait. Cette hilarité dé
bordante et cette figure blafarde
d'huissier véreux et de pion enragé
composaient un spectacle merveilleux.
Un monsieur Marty, président de la
commission, a voulu prendre la pa
role. Mais, après un préambule en
sourdine, il a dû rentrer dans son
obscurité.
Quelques instants après, le projet
de loi était repoussé ; le ministère était
battu par 306 voix contre 236.
Donc, on ne déférera pas aux tri
bunaux correctionnels les journaux
qui se permettront d'attaquer les fonc
tionnaires ; on se contentera du jury.
Voilà une des grandes mesures de
salut public annoncées et proposées
qui s'évanouit.
Il en reste une autre, il est vrai. On
nommera jeudi la commission chargée
d'examiner la proposition que vient de
voter le Sénat et qui organise une
procédure pour les complots contre la
sûreté de l'Etat. Encore des discus
sions confuses et, sans doute, pour le
gouvernement, de rudesléchecs. Tout
est désorganisé, tout craque. Qu'on le
demande à M. Rouvier, lui qui a la té
nacité intelligente : en entendant les
Labussière et les Thévenet, il s'affais
sait, crispé et désespéré.
E ugène T avernier.
Le Sénat s'est occupé hier, dans les
couloirs, du départ pour Bruxelles
du général Boulanger. La nouvelle
trouvait un grand nombre d'incré
dules ; néanmoins elle ne laissait pas
que de préoccuper beaucoup le Sénat,
et en particulier les membres du gou
vernement : ce bonheur leur parais
sait trop inespéré pour être réel, et s'il
était réel quels pièges ne cachait-il
pas? Timeo Danaos... Tel était hier le
principal souci du Sénat.
Dans la salle, on a discuté le
projet de loi relatif à la réforme des
prisons de courtes peines. L'article
premier, qui exonère les départements
d'une partie des charges nécessitées
par l'entretien des prisons, à la condi
tion de les rétrocéder à l'Etat, a été
adopté. Sur l'article 2, qui organise
une sorte d'arbitrage de la part du
conseil d'Etat à ce sujet, M. Herbette,
commissaire du gouvernement, a de
mandé le renvoi de l'article à la com
mission, qui recourrait à l'avis du
conseil a'Etat avant de soumettre au
Sénat un texte définitif. M. Bérenger
s'opposait au renvoi, C'est un troi
sième sénateur, M. Labiche, qui a eu
le dernier mot, en demandant et obte
nant le renvoi du projet de loi tout en
tier à la commission. L'intention ma
nifestée préalablement par M. La
biche était que ce vote eût la signifi
cation d'un ajournement, permettant
de consulter officiellement ou officieu
sement le conseil d'Etat. C'est donc,
en réalité, un renvoi au conseil d'Etat.
J. M.
La « tour Eiffel » est achevée : le
monde le sait aujourd'hui. Décidé
ment, ce que l'homme peut faire de
plus grand est bien petit. La tour a se3
trois cents mètres,et ce n'est rien. Vue
à distance, dans l'éloignement de sa
masse et en comparaison des autres
édifices, elle paraît grande; de près
et isolément,elle ne semble pas dépas
ser de beaucoup la hauteur des autres
constructions. L'imagination évoque à
côté d'elle les plus grands monu
ments. Elle ne paraît guère plus
haute que la flèche de la cathédrale de
Rouen ou que les clochers de Colo
gne ; on la croirait presque plus petite
que la coupole de Saint-Pierre de
Rome et les Pyramides d'Egypte. Et
qu'est-ce à côté du mont Blanc?
Le monument n'est pas conçu pour
donner l'idée de la grandeur. Il est
trop haut pour sa maigreur, trop large
à sa base pour son élévation. Man
quant de proportion, il ne produit
pas son effet. Le constructeur n'a pas
eu d'autre idée que de porter son œu
vre à une hauteur déterminée. Il s'y
est pris comme il a pu pour atteindre
ses trois cents mètres, se proposant
seulement de « faire haut »,et non de
construire quelque chose.
Le véritable architecte domine sa
matière. La merveille de l'architecture
du moyen âge, c'est que les construc
teurs d'alors, voulant élever à Dieu
des temples plus grands et plus hauts
et plus durables aussi que tout ce
qu'on avait fait avant eux, ont bâti en
pierre d'immenses monuments, étant
aussi maîtres de leurs matériaux et
sachant aussi bien combiner les lar
geurs et les hauteurs, les vides et les
pleins pour le résultat voulu, que si
l'édifice eût été de petite dimension et
en bois. L'ingénieur Eiffel a été do
miné par sa matière ; il a bâti en fer
ce qu'il a pu et comme il a pu, sacri
fiant tout à la hauteur qu'il voulait at
teindre. Le monument, sans emploi,
sans nom, qu'il a construit, n'est ni
un édifice, ni une tour, ni une pyra
mide, nit une colonne, ni une flèche ;
ce n'est qu'un immense fût à jour
dressé sur quatre pieds démesurément
ouverts, et surmonté d'un minuscule
campanile. Le fût manque de propor
tion autant que de destination. C'est,
dit on, un tour de force de métallur
gie ; ce n'est assurément pas un chef-
d'œuvre d'art.
Les architectes du moyen âge qui
ont résolu le problème, plus difficile
et plus utile aussi,d'élever des édifices
longs de 150 mètres, entièrement cou
verts de voûtes de pierre sur une lar
geur de 25 à 30 mètres, à une hauteur
de 40 et même de 50, avec des appuis
aériens, des murs percés à jour de
haut en bas et tout garnis de verre, et
leur faisant porter des tours et des flè
ches dont le sommet atteint jusqu'à
160 mètres, ont réalisé une merveille
de construction et de statique plus
grande que d'échafauder des barres de
fonte à trois cents mètres de hauteur.
L'art grec et romain n'avaient pas su
accomplir ce prodige. Il en était resté
aux basiliques à murs pleins, sur co
lonnes basses avec plafonds en char
pentes. L'idéal chrétien a créé une
architecture que toute l'habileté des
ingénieurs modernes ne surpassera
point. Le moyen âge n'est pas vaincu.
C'est un dimanche encore,en pleine
activité des travaux du Champ-de-Mars,
qu'a eu lieu l'inauguration de la tour
Eiffel, par le président du conseil des
ministres, comme avait eu lieu la vi
site officielle du président de la Répu
blique aux chantiers de l'Exposition,:
au début de l'année du Centenaire.
Dans le récit de la cérémonie, on voit
les ouvriers de la tour déposer leurs
outils pour prendre part, en habit de
travail, à la collation de fête donnée
en leur honneur. Jusqu'à la fin on
aura, profané le jour du Seigneur pour
être prêt à temps. Il fallait aussi mon
trer que l'entreprise était toute laïque
et que la tour ne porterait aucun signe
de cléricalisme. La cérémonie a été
tout civile : pas de bénédiction, pas la
plus petite prière, pas le moindre hom
mage au Dieu du ciel et de la terre.
La république ne reconnaît pas le Créa
teur, et l'ingénieur se croit peut-être
l'égal de Celui qui a fait les monta
gnes.
Beaucoup ont dit en voyant s'élever
la tour : c'est la revanche de Babel,
c'est le triomphe de la société moder
ne. Bâtie dans une pensée d'orgueil
humain et pour être aux yeux du
monde comme le symbole de la Révo
lution, cette vaine construction qui
domine aujourd'hui tous les monu
ments où s'élevait le signe glorieux
de la Rédemption, est un défi à la ci
vilisation chrétienne : ou la tour tom
bera, ou il s'élèvera un jour quelque
chose de plus haut pour porter la
croix.
A rthur L oth.
Départ du général Boulanger
Le général Boulanger est à Bruxel
les,d'où il adresse la proclamation sui
vante:
Français I
Les exécuteurs des hautes et basses œu
vres qui détiennent le pouvoir, au mépris
de la conscience publiqne, ont entrepris de
contraindre un procureur général à lancer
contre moi un acte d'accnsatioo qui ne peut
être relevé que par un tribunal exception
nel, constitué par des lois d'exception.
Jamais je ne consentirai à me soumettre
à la juridiction d'un Sénat composé de gens
qu'aveuglent leurs passions personnelles,
leurs folles rancunes et la conscience de
leur impopularité.
Les devoirs que m'imposent les suffrages
de tous les Français légalement consultés
m'interdisent de me prêter à tout acte ar
bitraire tendant à la suppression de nos
libertés, constatant le mépris de nos lois,
et faisant litière de la volonté nationale.
Le jour où, appelé à comparaître devant
mes juges naturels (magistrats ou jurés),
j'aurai à répondre à l'accusation que le bon
sens et l'équité publique ont déjà repous-
sée, je tiendrai à honneur de me rendre à
l'appel de ces magistrats, qui sauront faire
bonne justice entre le pays et ceux qui,
depuis trop longtemps, le corrompent,
l'exploitent et le ruinent.
D'ici là, travaillant sans cesse à l'affran
chissement de mes concitoyens, j'attendrai,
en ce pays de liberté, que les élections
générales aient enfin constitué la Républi
que habitable, honnête et libre.
Général B oulanger.
Bruxelles, le 2 avril.
Voici, d'après le Gaulois , comment
a été amenée la décision du général
de quitter la France :
Deux courants s'étaient manifestés de
puis quelques jours dans l'entourage du
général Boulanger.
Les uns lui conseillaient de rester, de
courir les chances et d'affronter les dan
gers des poursuites intentionnelles du gou
vernement.
. Les autres, plus pratiques, lui objec
taient qu'il est des situations où la généro
sité et l'insouciance personnelle ne sont pas
admises.
Le général Boulanger avait écouté ces
avis divergents, mais son tempérament de
soldat lui avait fait repousser jusque-là
les conseils de ceux qui l'engageaient à
se mettre à l'abri des tentatives gouverne^
mentales.
Dans la journée de lundi, cependant,
lorsque les amis du général connurent le
nom du successeur de M. Bouchez et
turent informés—nous ne voulons pas dire
par quelle voie — des véritables intentions
du gouvernement, M. Naquet se rendit rue
Dumont-d'Urville et là, dans un entretien
assez solennel auquel assistaient notam
ment MM. Laisant, Laguerre et Turquet,
le sénateur de Vaucluse aurait tenu le lan
gage que voici :
— Mon général, vous savez ce qu'on mé
dite contre vous. Vous allez tomber entre
les mains de bandits qui, lorsqu'ils vous
tiendront, feront de vous tout ce qu'ils vou
dront.
« Votre devoir strict est de conserver
votre liberté d'action, afin de rester à la
tète de vos partisans et de les diriger li
brement, de loin comme de près.
« Peu importe à un général l'endroit d'où
il dirige ees troupes, pourvu qu'il les con
duise à la victoire. »
Et comme le général Boulanger objectait
que, dans les circonstances actuelles, son
départ pouvait être mal compris et mal
interprété, M. Naquet intervint de nouveau
et dit :
« Permettez-moi, comme vice-président
d'un comité qui a trop essuyé des critiques
non méritées, d'intervenir formellement et
de vous imposer l'obligation de mettre vo
tre personne à l'abri de toute surprise ;
nous sommes, mes collègues et moi, ici
présents, les premiers otages et, par consé
quent, les meilleurs garants de votre hon
neur et les meilleurs juges de votre devoir,
en vous conseillant d'agir comme nous l'in--
diquons. »
Pour vaincre les résistances du général-
Boulanger, que le langage de M. Naquet;
avait impressionné, ses interlocuteurs lui
proposèrent immédiatement de signer qua
tre lettros séparées, dans lesquelles chacun
d'eux prenait expressément la responsabi
lité du départ immédiat du général pour
une destination inconnue ; ils déclarèrent
en outre que, si le général Boulanger ne
s'inclinait pas, ils donneraient leur démis
sion motivée du comité.
Le général, qui a l'habitude de prendre
résolûment ses décisions, fit aussitôt pré
venir M. le comte Dillon ; l'heure pressait,
et celui-ci n'eut que le temps de boucler sa
valise et de prendre le premier train
avec Mme la comtesse Dillon, pour Bru
xelles.
Le général Boulanger monta dans le train
suivant et, contrairement à tout ce qu'on a
raconté, il se cacha si peu que, arrivé à la
gare et voyant les compartiments au com
plet, il fit supplémenter son billet pour
monter dans un coupé.
C'est alors seulement que le contrôleur
reconnut le voyageur, dont le départ par
l'express de Bruxelles fut signalé à la
préfecture et ensuite au ministère de l'in
térieur.
Avant de partir, le général avait donné
des instructions précises si formelles à son
entourage qu'hier mardi, toute la journée
et même dans la soirée jusqu'à minuit, les
personnes de l'intimité du général Bou
langer qui venaient rue Dumont-d'Urville
recevaient cette réponse imperturbable
du groom Joseph et de3 autres domes
tiques :
— Le général est là, mais il est tout
entier au procès de la Ligue ; il ne veut pas
être dérangé et vous prie de revenir de
main ou jeudi,
Le même journal ajoute :
Le général Boulanger est arrivé hier
matin à Bruxelles.
Nous jugeons inutile, jusqu'à nouvel or
dre, de donner son adresse. Nous pouvons
affirmer qu'on lui a fait parvenir sa corres
pondance et les nouvelles de la journée.
Des personnes sûres ont dû aller lui por
ter dans la soirée les impressions de Paris,
impressions différentes suivant le tempéra
ment de ceux qui les transmettaient ; il est
sorti fort peu et ce n'est que très tard qu'il
a fait téléphoner à Paris le document qu'on
a lu plus haut.
Voici les informations dues à una
note de police que le Temps publiait
hier soir sur le départ du général:
Un peu avant sept hèures, lundi, le gé
néral Boulanger se serait rendu chez une
dame qui demeure rue de Berri. Il était
en tenue de ville. Depuis huit jours envi-
ronfle général était surveillé, et l'on n'avait
pas perdu un seul instant sa trace. Comme
il entrait hier dans l'hôtel de la rue" de
Berri, l'agent préposé à sa surveillance se
plaça devant la maison et attendit sa sortie
pour le suivre où D se rendrait.
Vers huit heures, le général parut; il
avait changé de costume ; il était enveloppé
dans un ulster gris foncé très long ; le col
de ce vêtement était relevé et dissimulait
presque entièrement le visage. Le.général
fumait un énorme cigare. Son chapean
était rabattu sur ses yeux. Il était accom
pagné d'une dame. Le premier fiacre qui
passa fut hélé; les deux voyageurs y pri
rent place et le quittèrent bientôt pour en
prendre un autre. Ce manège fut répété
plusieurs fois.
La voiture fit plusieurs détours avant
d'arriver à la gare du Nord ; mais l'agent
ne perdit pas un moment de vue les deux
mystérieux personnages. Enfin, le général
arriva à la gare du Nord. Il prit, toujours
au dire de l'agent, le train qui part à 9 heu
res 45 minutes. Il traversa les salles d'at
tente avec des précautions infinies pour ne
pas être reconnu. Quand l'agent qui le filait
se fut assuré de son départ, il prévint la
préfet de police qui, à sou tour, avertit le
ministre de l'intérieur.
Au sujet de ce départ, M. Georges
Laguerre écrit dans la Presse :
Le général Boulanger a quitté la France.
Il a cédé aux instantes prières de ses
fidèles amis, plus particulièrement de ceux
qui comparaissent en ce moment devant
les magistrats correctionnels. , . ■
Naquet, Turquet, Laisant et moi, nous
lui avons dit et répété qu'il devait à son
parti, qu'il devait à la république de na
pas rester exposé aux coups de la banda
qui détient le pouvoir.
Nous savions que ces misérables, après
avoir chassé un magistrat qui refusait de
se prêter à une ignominie, après l'avoir
remplacé par un homme, capable de toutes
les besognes, étaient décidés à traduire la
général devant un tribunal d'exception et à
ne pas le laisser sortir vivant de leurs
mains.
Et alors, malgré la réprobation qu'eût
. causée cet assassinat,peut-.être à. l'aide d'é
lections frelatées, la coalition opportuno-
radicale eût-elle pu momentanément triom-
pher encore aux élections prochaines.
Il fallait à tout prix r et pour le chef aimé
que nous suivons et pour la république
dont il est depuis un an le dernier défen-
seur, éviter ce désastre.
La France est aux mains des bandits.
On pouvait attendre tout de ces gens-là
Les neuf cent mille électeurs qui depuis
un an ont, sur le nom du général Boulan
ger, affirmé la république nationale et con
damné la république des tripoteurs,sauront
gré à leur élu de sa détermination.
Ses amis, qui savant ce qu'elle lui a coûté,
le remercient de cette décision.
Qu'importent les soldats, pourvu que
soient sains et saufs et le chef et le dra
peau?
Le général absent, nous continuons la
lutte entreprise pour la revision et la répu
blique nationale.
G eorges L aguerre.
M. Magnard, dans le Figaro , ap
prouve également la résolution du gé
néral :
Je sais parfaitement que cela lui nuira
auprès des Don Quichottes, et que ce dé
part manque un peu de prestige à ce
que j'appellerai le point de vue trou-
badourt Mais connaissez-vous : rien da
plus absurbe qu'un chef de parti prison
nier?
Comme on devait arrêter en même temps
que lui tous les notables du boulangisme»
il se serait trouvé décapité du coup, et ce
dénouement était autrement redoutable
pour lui que l'absence du général.
Comment, en effet, lui et ses lieutenants
étant sous les verrous, auraient-ils pu s'or
ganiser de façon à parer aux conséquences
de l'inéligibilité dont le frappera évidem
ment la future Haute-Cour, comment au
raient-ils préparé les élections? La bra
voure du général n'est pas discutable ; ce
n'est donc pas la prudence qui l'a éloigné
de Paris, mais la nécessité de ne pas lais
ser son parti sans direction. Louis XIV na
se plaint-il pas dans Boileau « de sa gran
deur qui l'attache au rivage » ?
Quant aux journaux antiboulan
gistes, on devine aisément par quelles
épithètes ils saluent ce départ. C'est
une «faute m ,une « lâcheté ». Le gé
néral devient le général « La Pruden-
oe », ou même le général « LaVe-
nette », etc. Peut-être, cependant, y
a-t-il dans leur langage plus de dé
pit que de joie.
— On lit dans la Presse :
Nous disions hier que M. Constans et
quelques-uns de ses complices avaient lon
guement délibéré sur le moyen d'arrêter le
général, de le traduire devant une cour
martiale et de le fusiller dans les vingt-
quatre heures.
Nous avoas eu la preuve que si le géné
ral n'avait, avant-hîer, quitté brusquement
Paris, cet attentat eût été accompli.
C'eût été bien gros pour les forces
du présent ministère.
— Le Radical publie ce renseigne
ment:
La fuite a été décidée & la suite d'une
conversation que M. Boulanger a eue avec
[M- Bouchez, l'ancien procureur général
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