Titre : L'Univers
Éditeur : L'Univers (Paris)
Date d'édition : 1887-12-06
Contributeur : Veuillot, Louis (1813-1883). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, Pierre (1859-1907). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, François (1870-1952). Rédacteur
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34520232c
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 70622 Nombre total de vues : 70622
Description : 06 décembre 1887 06 décembre 1887
Description : 1887/12/06 (Numéro 7291). 1887/12/06 (Numéro 7291).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse Collection numérique : Bibliographie de la presse
Description : Collection numérique : BIPFPIG44 Collection numérique : BIPFPIG44
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7061113
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
Mardi 6 Décembre 1887
N° 7291 — Edition quotidienne
Mardi 6 Décémbre 488^
ÊDITipN QUOTIDIENNE
EDITION SEMI-QUOTIDIENNE
Va an.' . .
Six mois. .
Trois mois.
, PARIS
Sx département*
. . 55 »
, . 28 50
. . 15 »
ÉTRANGER
(ONION POSTAll)
66 a
34 a
18 ' a
^abonnements partent des *•» et 16 de chaque moUf
UNNUMÉHO {' Dép^tements*
S3UREAUX : Paris, 10, rue des Saints-Pères
On s'abonne à Rome, place du Gesù, 8
"PARIS
ET DÉPARTEMENT^
Un an'. . „ . 30 »
Six mois 16 »
Trois mois. ; . 8 50
ÉTRANGER
(OHION FOSTALS)
' ', 36", a
19 a
10 »
liei abonnements partent des i« et 16 de ctaaqne moM
- l'UNIYBBS ne répond pas des manuscrits qui loi sont adressât ,
ANNONCES :. ; ;
MM. Chl LAGRANGE, CERF et C", .6, place de là J3oursa
FRANCE
PARIS, S DECEMBRE 1887
Quoique la lune ■de miel ne soit pas
encore terminée entre le nouveau pré
sident et lamajorité républicaine con
centrée, on commence à se préoccu
per du ministère que prendra M. Sadi
Garnot. Ce matin le Journal officiel an
nonce que les ministres ont donné
leur démission, mais conservent pro
visoirement le pouvoir, sur la demande
même du président de la République.
D'après certaines versions, M. Sadi
'Carnot inclinerait à garder M. Rou
vier ; d'après d'autres, il ferait un mi
nistère de concentration, dont les
membres seraient pris dans les divers
groupes de la majorité. L'œuvre ne se
ferait pas toute seule ; après avoir
choisi ces membres,comment les faire
marcher d'accord?
Dès que le ministère aura été cons
titué, il demandera des douzièmes
provisoires, puis les Chambres parti
ront. On voudrait que les sénateurs et dé
putés puissent s'enaller le 15 décembre;
les élections sénatoriales du 5 janvier
réclament la présence de nombreux
sénateur.
Quand au budget, on s'en occupera
l'année prochaine. C'est maintenant
passé à l'état de tradition.
Hier, les conseils. municipaux ont
choisi leurs délégués pour l'élection
sénatoriale du 5 janvier. Déjà les jour
naux républicains chantent victoire ;
c'est aller un peu vite. On ne con
naît encore que les résultats de quel
ques villes, qui sont favorables aux
républicains ; mais il y a les villes plus
importantes, il y a les communes
rurales, qui peuvent singulièrement
modifier ces résultats.
Est-ce que le général Saussier paye
rait de son commandement les votes
que la droite lui a donnés? Est-ce que
sa lettre à M.Thomson ne suffirait pas
à dégager sa responsabilité? On com
mence contre lui une campagne de
délation qui doit fort ennuyer M. Sadi
Carnot.
Le roi Humbert, recevant les dépu-
tations des deux Chambres, leur a tenu
un langage des plus optimistes ; il a
déclaré ijue la situation était satisfai
sante à l'intérieur comme à l'extérieur.
Est-il aussi satisfait qu'il affecte de
l'être ?
On attendait, non sans impatience,
à l'étMnger, la fin de la crise prési
dentielle. Nous n'avons encore que
des renseignements incomplets sur
rimpressionproduiteyl'électionn'ayant
été terminée que dans la soirée de sa
medi et les journaux étrangers; ne pa
raissant pas le dimanche.
Toutefois, dès à présent on peut voir
que l'élection de M. Sadi Carnat a été
en général bien accueillie. Il n'en pou
vait être autrement, ce nom, par soni
insignifiance même, ne devait provo
quer aucun mécontentement.
Voiries DERNIÈRES NOUVELLES à la fin
Lettres politiques
Rien n'est curieux comme la terreur
instinctive que cause au public autri
chien la moindre velléité dé rappro
chement entre la Russie et 1 Alle
magne. Cette fois, il faut avouer que;
la Posi de Berlin y a beaucoup con
tribué en annonçant qu'il y avait
« une guerre en vue » entre la Russie;
et l'Autriche. M. de Bismarck, de son
côté, n'est pas innocent de l'effroi qui
a traversé Vienne et qui persiste dans
un bon nombre d'esprits. Son'romani
des dépêches falsifiées par une intri-:
gue orléaniste avait trop visiblement;
trait aux affaires de Bulgarie, et il était;
tout naturel de se dire que, si on avait
faussement représenté le chancelier com- :
me favorable ,au prince de Cobourg et;
s'il s'en défendait avec tant d'énergie, !
c'est donc qu'il était ennemi du nou
vel ordre de, choses bulgare. Mais
alors... il allait donc se ranger aux;
vues de la Russie ? .
Cela suffisait bien pour émouvoir les !
Autrichiens, et surtout les Hongrois, j
Aussi a-t-on directement formulé ces
craintes dans le sens d'une guerre i
austro-russe, pendant laquelle M. de
Bismarck et l'Italie se chargeraient de
nous. L'Autriche devrait donc se. tirer
seule de ses démêlés avec l'empire
moscovite. Je vous avais précisément
signalécette prévision, il y a quelque
temps, comme la préoccupation de
beaucoup d'hommes sérieux dans le
monde politique viennois.
Les officieux austro-hongrois se
sont empressés de rassurer l'opinion ;
il en résulte que le Pester-Lloyd a
parlé dans des termes plus précis que
personne de l'entrevue du czar avec
M. de Bismarck. A vrai dire, je crois
que ce compte rendu du journal hon
grois doit être à peu près exact; mais
u en résulterait que le fameux entre
tien n'a produit à peu près aucun ré
sultat. Il est bien clair, en effet, que
cette même alliance à trois, en vue
d'une paix que personne ne menace,
rend absolument impossible à la Rus
sie de se rapprocher de l'Allemagne.
M. de Bismarck aurait insisté sur sa
fidélité à ses alliés, sur la réciprocité
parfaite de leurs engagements défen-
sifs et sur leur intention de n'attaquer
personne. Il aurait même, dit-on, fait
connaître au czar le casus fœdcris, On
peut soupçonner,et le czar a pu penser
ae son côté que tous les casus fœderis
ne lui étaient pas dévoilés; mais, en
tout cas, il pouvait répondre en toute
vérité que lui non plus n'avait l'inten
tion d'attaquer personne,pas plus l'Au
triche que l'Allemagne, « à moins que
la Russie ne soit provoquée ». Il s'est
défendu aussi d'avoir préparé une con
tre-coalition et il avait raison, d'autant
plus que la France n'a jamais été moins
propre à une alliance que dans le mo
ment même où il était à Berlin. Tout
cela peut donc être exact, mais ne si
gnifie manifestement rien. Ce qui est
essentiel,* et que M. de Bismark aurait
bien voulu empêcher, c'est que la
Russie reste et tient à rester les mains
entièrement libres, en vue de toutes les
éventualités.
Personne ne sait ni ne comprend
mieux que nous pourquoi l'empereur
de Russie ne peut pas former, dans les
circonstances actuelles, une contre-
coalition. Mais personne n'ignore que
toute coalition qui ne peut pas com
prendre toutes les puissances euro
péennes renferme en elle-même le
germe d'une coalition contraire. Per- 1
sonne non plus, en dehors des inté
ressés qui s'aveuglent volontairement,;
ne croit que la France ou la Russie
préparent ensemble ou séparément
une guerre agressive. Nous savons à
quel point c'est peu le-cas chez nous;
il est manifeste qu'il en est de même
en Russie, et c'est précisément ce fait
si notoire qui rend éminemment sus
pecte la formation d'une coalition en
pleine paix, en vue d'une guerre pour;
laquelle les coalisés seuls pourraient?
être tentés de fournir un motif réel.
Il faut toute l'insolence et toute la;
présomption allemandes pour s'éton
ner, pour s'irriter même à l'occasion,;
de ce que ceux qui sont en dehors de
la coalition songent tacitement à s'u
nir au besoin pour se défendre. Il,
semble que,lorsqu'on n'est pas décidé;
à se soumettre au chancelier berlinois,;
comme l'ont fait l'Autriche et l'Italie,on ;
doit se démettre du rôle de grande puis
sance. Cela doit paraître particuliè-j
rement dur à la Russie, à qui l'Autri
che ne cesse d'infliger une série de!
petits échecs et d'humiliations sur un
aes terrains auxquels elle tient le plus
et sur lequel, il faut le dire, elle a payé
chèrement le droit de prétendre à unej
situation privilégiée. — Il était donc;
difficile que, malgré son appareil de;
prétendues falsifications et 'de conspi
rations jésuitico-orléanistes, M. dé
Bismarck produisît une bien vive im
pression sur le czar.
Autant qu'on en peut juger, il n'y a
lien de changé, en effet,dans la situa
tion respective des puissances. — Ce
qui est, en revanche, forcément
ébranlé, c'est la confiance éventuelle
que la Russie pourrait avoir dans notre
concours. Nous-mêmes serions bien
incapables de prévoir ce que nous al-
lons'devenir, ni si nous continuerons
longtemps à compter parmi les puis
sances européennes. De là forcément
une attitude plus contenue, plus ré
servée de la part des Russes, qui, si
nous disparaissions, seraient livrés
seuls aux caprices de l'homme qui [di
rige les trois cabinets coalisés. — En
attendant, les paroles adressées par
Guillaume à ses députés sont vite ve
nues confirmer la pensée que j'expri
mais dans ma dernière lettre sur l'in
térêt que porte M. de Bismarck à nos
républicains. L'empereur lui-même a
cru devoir chanter les louanges de
Grévy. En même' temps, la Gazette de
VAllemagne du Nord adjurait nos gens
de gauche de rester unis de peur de
compromettre la République. Rien
n'est plus comique, et nous savons
clairement pourquoi M. de Bismarck
a parlé « d'intrigues orléanistes ».
Un fait intéressant et même assez
amusant, c'est la violente colère de
tout ce qui tient au gouvernement
hongrois contre leurs compatriotes ca
tholiques, qui, dans une adresse au
Pape, ont émis des vœux en faveur du
pouvoir temporel des Souverains Pon
tifes. Les journaux officieux ont traité
cela de haute trahison, de telle sorte
qu'à les entendre on ne pourrait plus
être en même temps catholique et
Hongrois. La Diète de Salzbourg a émis
un vœu semblable, et il y aura cer
tainement, à l'occasion du jubilé du
Souverain Pontife, d'autres manifesta
tions analogues. Le comte Taaffe a
confidentiellement fait un effort pour
s'opposer à l'expression des Sentiments
catholiques sur cette question si im
portante. « Cela gêne la grande poli-
« tique du gouvernement de l'empe-
« reur. » -
Rien n'est plus capable de montrer
ce que vaut cette grande politique de
l'empire chrétien et apostolique. Il fau
drait,, pour né pas la gêner, que les ca
tholiques autrichiens consentissent à
; voir le Souverain Pontife aux mains
d'un pouvoir envahisseur et sacrilège.
Il est déjà étrangement scandaleux et
surprenant que le gouvernement aus
tro-hongrois ne sente, pas combien il
est dangereux, même au point de vue
purement politique, de voir le Père
commun et le guide de l'immense ma
jorité des sujets de l'empire dans la
dépendance d'un gouvernement étran
ger; il devrait ressentir une humilia-'
tion particulière à la pensée que les
geôliers du Pape sont précisément-des
Italiens. Mais vouloir imposer une ap
probation tacite des crimes italiens à
ces mêmes sujets, c'est passer la me
sure, et nous espérons que 1 sVatertand
ne voudra plus accuser notre politique
à nous de n'être pas assez catholique.
B*. d'Agreval.
(Après l'élection de M. Sadi Garnot,
il a fallu procéder à la « cérémonie de
la transmission des pouvoirs ».
Le président du Congrès, M. Le
Royer, suivi de tous les membres du
bureau et accompagné par . tous les
ministres, s'est rendu, précédé de dix
huissiers en grand uniforme, dans le
cabinet de la présidence, où M. Sadi
Carnot se trouvait déjà; M. Floquet,
président de la Chambre, s'était joint
à la députation.
Le Royer, prenant le premier la
parole, a annoncé à M. Sadi Carnot son
élection à la présidence de la Républi
que et l'a félicité d'avoir été élevé à la
première magistrature de la Républi
que.
M. Rouvier, président du conseil des
ministres, agissant en qualité de chef
intérimaire du pouvoir exécutif, a re
mis à M. Sadi Carnot l'ampliation du
Erocès-verbal de la séance de l'Assem-
lée nationale constatant son élection
à la présidence de la République.
- Puis prenant la parole, M. Rouvier
'a dit qu'il était heureux de transmettre
ce décret au nouveau président et d'ê
tre un des premiers à le féliciter, sur
tout en raison des conditions dans les
quelles son élection s'était accomplie.
« Derrière lui se sont groupés toutes
les forces républicaines et le pays verra
dans ce fait considérable un gage d'u
nion, dont profitéront la patrie et la
Rëpublîqne. »
M. Saai Garnot a répondu par l'allo
cution suivante : -
Messieurs,
Je vous remercie profondément des féli
citations et des sentiments qne vous voulez
bien m'exprimer.
Je suis pénétré de reconnaissance envers
les membres de l'Assemblée nationale qui,
en réunissant leurs suffrages sur mon nom,
ont si hautement témoigné dn désir de pa
cification et de concorde dont la Franco ré
publicaine est animée.
Mon vœji le plus cher est que celte
grande journée reste présente à tous les
esprits et à tous les cœurs. Elle signifie que
les représentants de la France savent s'u
nir. Les efforts communs peuvent et doivent
assurer la constitution et la marche régu
lière d'un gouvernement stable, actif et ca
pable de donner à la nation, avec la liberté
aiL dedans et la dignité au dehors, tous les
bienfaits que notre pays attend de la Répu
blique.
Encore une fois, merci, messieurs; vous
pouvez compter sur toût mon dévouement.
La cérémonie de la transmission des
pouvoirs a pris fin sur ces paroles.
Les représentants de la presse répu
blicaine se sont alors présentés pour
recevoir communication des paroles
échangées dans cette entrevue ; le
nouveau président de la République a
tenu à les recevoir lui-même, et il leur
a dit, après avoir reçu leurs félicita
tions i ■
Je vous remercie, messieurs, et laissez-
moi vous dire que je compte sur la presse
pour contribuer à l'œuvre de pacification
que nous désirons tous.
Nous doutons que la presse républi
caine , seule représentée, travaille sé-;
rieusement et longtemps à « l'œuvre
de pacification ».
Hier, nous annoncions que les mi
nistres avaient donné leur démission
et que M. Sadi Garnot les avait priés
de conserver momentanément leur
portefeuille. Le Journal officiel publie
ce matin la note suivante :
Les ministres ont remis aujourd'hui entre
les mains de M. le président delà Républi
que leur démission et celle de M. le sous-
secrétaire de la marine et des colonies. M.
le président de la République les a priés de
garder leurs fonctions pour l'expédition des
affaires.
D'après le Petit Journal, voici ce qui
se serait passé dans l'entrevue de M.
Sadi-Garnot avec les ministres :
M. Rouvier, président du conseil, a
adressé au président de la Réqublique les
paroles suivantes :
Monsieur le président, conformément aux
prescriptions de la loi constitutionnelle, le ca
binet a l'honneur de remettre en vos mains
les pouvoirs dont il était provisoirement
nanti.
Comme président, du conseil, j'ai l'honneur
de vous remettre également,. ainsi qu'il est
d'usage de le faire, la démission des membres
du cabinet. ;
M. Carnot a répondu-: « C'est là, mes
sieurs, une simple formalité 1 »
M. Rouvier a alors ajouté:
C'est une formalité nécessaire, car il est in
dispensable que le chef de l'Etat ait toute li
berté pour appeler auprès de lui les hommes
qu'il estime le mieux en situation de former un
cabinet.
— Soit donc, messieurs, a dit M. Carnot; j'ac
cepte votre démission, puisque les règles par
lementaires veulent qu'il en soit ainsi.
< Le président de la République a alors fé
licité le cabinet de l'attitude excellente qu'il
a su conserver pendant les difficultés de la
situation que nous venons de traverser, et
il a ajouté que cette attitude avait été très
appréciée par le Parlement. :
De cette version du Petit Journal,
il semble ressortir que le nouveau pré
sident serait disposé à garder l'ancien
ministère. D'autres journaux donnent
la même note. Ainsi on lit dans le
Soleil :
M. Sadi Carnot a paru d'avis que les mi
nistres, réinvestis par son prédécesseur,
devraient conserver leurs pouvoirs ; toute
fois, puisqu'il est d'usage que ces démis
sions soient acceptées par le nouveau pré
sident de la République, M. Carnot n'a pas
davantage insisté.
■ Il a témoigné à M. Rouvier le désir de
lui voir soutenir devant les Chambres la loi
de finances dont il est l'auteur. Le président
de la République semble actuellement hé
siter entre ces trois combinaisons .- charger
M. Rouvier de reconstituer le ministère en
conservant presque tous ses collaborateurs ;
charger M. Rouvier de former un nouveau
cabinet ; confier la présidence du conseil à
un autre membre du Parlement,qui conser
verait le" ministre actuel des finances pour
permettre aux Chambres de voter son bùd-
get dès le début de 1888. >
Mais il y "a aussi des versions d'après
lesquelles le ministère [Rouvier ' ne
tarderait pas à être remplacé. Le Siècle
annonce que les négociations sont
déjà ouvertes pour la formation; du
nouveau ministère, avec différents per
sonnages politiques* Le XIX" Siècle ra
conte une entrevue d'un de ses rédac
teurs avec M. Sadi Carnot, chez son
père :
Après les compliments d'usage, nous de
mandons à M. Carnot quelle sera la ligne
de conduite politique qu'il suivra. ■
— J'ai dit hier, dans l'allocution, que j'ai
prononcée après mon élection, que je m'ef-
fbrcerai d'aider à la concentration républi
caine. C'est ainsi, soyez-en-sûr, que la ré
publique sera consolidée à tout jamais:
Nous venons de traverser une crise péni
ble : la France a donné; durant un long
mois, un spectacle des plus regrettables.
J'espère qu'une ère de prospérité et de pro
fonde quiétude va s'ouvrir, à cette heure
que tous les esprits sont calmés. Il faut que
les divisions des partis s'effacent ; il faut —
et je ne le répéterai jamais trop que l'u
nion se réalise et que les républicains ne
forment plus qu'une grande famille.;
— De quelle manière, monsieur le prési
dent, allez-vous constituer le nouveau ca-'
binet ? ■
— Vo,us savez que je n'ai j aidais appar
tenu à aucun groupe parlementaire ; j'ai été
un député républicain indépendant. J'ai
l'intention de former un ministère aveo des
éléments recrutés dans plusieurs groupes
de la gauche. Ce cabinet sera un minstère
de concentration et non pas de combat.
La France dont être prospère et unie,
c'est là mon seul objectif.
Enfin, on annonce que le ministère,
une fois composé, demanderait-des
douzièmes provisoires et renverrait les
Chambres, qui partiraient le 15 décem
bre. Les sénateurs soumis à réélection
doivent désirer rentrer au plus tôt
dans leurs départements.
Nous avons, dans les journaux du
soir, la répétition de ce que disaient
les journaux du matin à propos dô
l'élection de M. Sadi Carnot. A gau
che, tout le monde triomphe, et per
sonne n'est vainqueuf. Comme oppor
tuniste, M. Sadi Carnot plaît aux op
portunistes; comme candidat de 1 é-
meute, il agrée aux raidicaux. A des
titres différents, opportunistes et radi
caux revendiquent l'élu, du 3 décem
bre, sans qu'on sache «encore s'il est
plus aux uns qu'aux autres.Les oppor
tunistes cherchent à le retenir, les
radicaux le tirent à eux. De quel côté
ira-t-il ? '
Le nouveau ministère sera la-, pierre
de touche de l'élection de M. Sadi
Garnot. Les journaux de» deux frac
tions républicaines l'attendent là..On
verra si le nouveau président de la
République est. plus fidèle à son passé
que reconnaissant de son élection. Ses
antécédents l'attachent aux opportu
nistes, mais la reconnaissance l'oblige
envers les radicaux. Bref, l'élection de
M. Sadi Garnot, qui est :1e résultat de
la concentration républicaine, pour
rait bien être la cause d'um> nouvelle
et plus profonde scission entre les ré
publicains. C'est çe qu'indiquent les
organes des deux partis de la gauche,
qui, après avoir célébré là nomination
de M. Sadi Carnot comme la* fin de la
période de confusion et d'inquiétude,
ue nous venons de traverser j font
éjà entendre par leurs commentaires
l
FEUILLETON DE UUNIVERS
DU 6 DÉCEMBRE 1887
PROPOS DIVERS
Nous fîmes donc, avant-hier, un président
dé la République. Je n'ai pas la gloire de
pouvoir ajouter comme Courier que «pour
ma part je n'y ai pas nui », n'ayant joué
dans l'affaire que le madeste . rôle d'un
spectateur très bousculé.
Je ne regrette cependant ni mon temps
ni ma peine, puisque,en ce jourjmémorable,
j'ai pu voir, de mes yeux, en pleine Assem
blée nationale de France, le vice puni et la
vertu récompensée.
C'est la vertu, en . effet, qui triomphe,
faute de mieux, en la personne de M» Car
not, ingénieur de mérite et député de
deuxième grandeur, bien qu'à trois reprises
on l'ait vu ministre ; et son élection n'est,
à tout prendre, que le solennel couronne
ment d'une rosière politique.
L'affaire faite,on s'est avisé d'y découvrir
d'autres causes, et que ce Childebrand par
lementaire n'était pas entièrement dénué
des qualités que requiert la fonction.
• D'abord il est vicomte, ce qui n'est point
aussi méprisé qu'on le pourrait croire,
même en république, et même quand la vi-
comté est d'origine impériale. Puis il est
riche, ce qui n'a jamais gâté rien. Enfin et
surtout il s'appelle Carnot, et, qnoique défi
guré par un prénom ridicule, ce nom sonne
bien à des oreilles républicaines ; l'Europe
l'a connu jadis et le reconnaîtra.
! Celui dont il reçut son premier lustre, le
Carnot de 1792 et de 1815,ne fut certes pas
un homme ordinaire. S'il eût réellement
dans les triomphes des armées républi
caines la part prépondérante, que quelques-
uns lui contestent, mais que le plus grand
nombre s'accorde à lui attribuer, c'est un
.point que je n'ai pas à examiner ici. La
ichose, au surplus, passe ma compétence et
.m'éloignerait dé mon propos fort inutile
ment.
I Mais il est un trait dans la vie de Carnot
qui m'a particulièrement frappé, et qui sans
doute a frappé également tous les contem
porains,'car il n'est pas une biographie qui
ne le cite avec admiration. Voici comment
le rapporte Michaud :
i « Ayant été chargé, en 1800, de faire
« comme ministre de la guerre une tour-
« née à l'armée du Rhin, il reçut, en partant
« 3Q,000 francs pour ses Irais de voyages,
« et à son retour il remit au Trésor la
« moitié de cette somme qui lui restait. »
: Tel est le fait dans sa simplicité, ce n'est
pas notre faute si les malheurs du temps
nous contraignent de le trouver sublime.
Michaud remarque du reste judicieuse
ment» qu'il n'a peut-être pas eu un seul
imitateur ».
Je remarque à mon tour que Michaud
écrivait sous la Restauration, et nous n'a
vons aucune raison de croire que depuis
cette époque son observation ait cessé
d'être vraie. C'est même une chose singu
lière, que tout le monde admire de telles
actions et que personne ne songe à les
refaire.
Quand je dis : personne, je parle, cela
s'entend, des hommes politiques et des ser
viteurs de l ? Etat.
Tous les jours il arrive qu'un chiffonnier
restitue à son légitime propriétaire une
cuiller d'argent fourvoyée dans la boîte aux
ordures ; la préfecture de police tient re
gistre des cochers de fiacre qui lui rappor
tent des parapluies oubliés dans leurs voi
tures, et dernièrement une balayeuse qui
n'avait pas de quoi dîner a remis à ùn bi
joutier qui l'avait perdue une perle estimée
dix mille francs.
Faut-il en conclure qu'il n'y a plus de
probité dans ce monde que chez les ba
layeurs, les chiffonniers et les cochers de
fiacre, et que les humbles prolétaires
sont généralement plus honnêtes qne les
politiciens, dont on fait les députés, lés sé
nateurs et les ministres?Une telle conclusion
aurait de quoi m'épouvanter pour l'avenir
de mon pays. Je la repousse de toutes mes
forces. Mais pourtant le fait est là,éclatant
et inexorable, et le fait est que, depuis 87
ans, on n'a pas revu un ministre rapportant
au Trésor l'excédant des frais de voyages.
Le beau trait de. Garnot l'Ancien reste
seul, admiré et inimité, et l'on n'a jamais
dit que M. Grévy, à qui nous donnions
300,000 francs pour ses voyages, sur les
quels il en dépensait dix mille, ait rapporté
au Trésor les 290,000 autres. ;
Balzac, dans la préface de son Aristippe
ou la cour , voulant expliquer pourquoi il
écrit sur la politique, dit à peu près (je cite
de mémoire et inexactement sans doute
quant aux termes) « que la spéculation en
« peut être honorable .si la pratique ne l'est
« pas ».
Balzac admettait dès lors comme une
chose acquise qu'il est fort malaisé de ma
nier les affaires publiques et de rester hon
nête homme. Je ne saurais trouver de plus
éclatante confirmation de son dire que l'en
thousiasme soulevé par l'action de Car-
not I er , et qu'il était réservé à son petit-fils
de provoquer de nouveau à près d'un siè
cle d'intervalle.
Car, il n'y a pas à se le dissimuler, et
tout le monde en conviént avec une can
deur véritablement surprenante, ce qui a
surtout mis en lumière cet homme, dont le
trait distmetif consistait à ressembler à
tout le monde ; ce qui l'a tiré du second
rang où il s'éclipsait pour le mettre au
premier, oîi présentement il brille; c'est
uniquement son refus d'accorder à des sol
licitations puissantes la restitution d'une
somme légalement perçue par le Trésor
public.
Le trait peut être moins beau que celui
de l'aïeul, puisque M. Sadi Carnot n'avait
en somme dans, l'affaire aucun intérêt per
sonnel. On l'a néanmoins trouvé" sans ré
plique, et depuis le jour fameux où les 363,
conduits par Gambetta, acclamèrent Thiers
libérateur du territoire, nulle ovation parle
mentaire ne fut plus éclatante que celle
dont nous fûmes, l'autre jour, les témoins,
lorsqu'on sût que M. Sadi Carnot avait re
fusé 75,000 francs aux clients préférés de
M 0 ' Grévy, président de la République.
Que prouve cela ? Que nous ne sommes
pas gâtés en fait d'honnêteté et que nous la
prenons où nous pouvons, tant nous avons
le sentiment intime cfu'elle nous est néces
saire.
« Aujourd'hui, dit Rochefort, lorsqu'un
« homme va dîner en ville et qu'il n'em-
« porte pas les couverts dans sa poche, on
« pose immédiatement sa candidature à la
« présidence de la République. »
Le lanternier a tort de rire. L'honnêteté
qui consiste à ne point emporter les cou
verts n'est pas si commune qu'on le pour
rait croire; et je sais pertinemment que,
lors de la caravane parlementaire qui égaya
les derniers jours du cabinet Goblet, les
buffets de la compagnie de Bône-Guelma
oet perdu une portion -notable de leur ar
genterie.
Où est-elle?
Si je demandais à n'importe quel-citoyen
français pourquoi l'on a renversé M. Grévy,
certes les réponses ne me manqueraient
pas. L'un me dirait :
— « C'est à cause de son gendre. »
L'autre me dirait.: «C'est à cause de
son neveu. »
Un troisième s'en prendrait à la mau
vaise rédaction de ses menus; un quatrième
à la qualité tout à fait méprisable do son
Champagne. Personne peut-être ne songe
rait à signaler au-dessus de ces causes très
réelles, mais secondaires en somme, la
cause dominante, la cause des causes : je
veux parler de la déplorable indifférence
que professait M. Grévy en matière d'art
et de littérature.
Cette cause d'ailleurs, je ne me vante
point de l'avoir découverte, et si je la con
nais, j'en ai l'obligation à certain boulevar-
dier qui en a fort congrûment discouru
l'autre jour.
Tous les chefs d'Etat en France, rois,
empereurs, présidents, ont fait profession
d'aimer les lettres et d'encourager les arts.
François I er peuplait sa cour de poètes ot
d'artistes; Louis XIV (on le prétend du
moins) invitait Molière à sa table ; au mi
lieu des splendeurs de la cour d'Erfurth,
Napoléon songeait à Talma et lui promet
tait un parterre de rois, et nous devons aux
encouragements du roi Louis-Philippe lui-
même quelques-uns des hectares de toile
qu'Horace Vernet côuvrit de ses peintures.
* Seul M. Grévy a rompu avec ces tradi
tions nobles et charmantes.
Que rencontrait-on à l'Elysée dans les
rares occasions ' où l'Elysée ouvrait ses
portes ? Des boursiers, des politiciens, des
entrepreneurs de bâtisse, des magistrats
comme M. Périvier, des marchands de
guano comme Dreyfus, parfois aussi M. le
syndic des agents de change, les jours où
Daniel avait eu besoin de quelque attesta
tion pour se démontrer pur de tripotages à
la Bourse.
Mais* des artistes? des écrivains? des co
médiens? conlinue mon boulevardier. Pas
un seul.
Sans doute M. Grévy ne les mettait pas
expressément à la porte. Il les décorait
même à l'occasion sans trop se faire prier,
et lorsqu'on lui amenait quelque académi
cien nouvellement élu, il l'invitait sans fa
çon à déjeuner en famille. Mais comme il
était sensible que le cœur n'était pour rien
dans ces politesses de pure forme I Comme
l'invité sentait bien qu'on ne sbuhaitait rien
tant que de. le voir partir ! Comme on eût
préféré recevoir à sa place quelque notabilité
de couloir ou d'antichambre, Papinaud ou
Chavoix, Proal ou Duhamel !
.Etqui donc a jamais vu Zola dînant à
l'Elysée? Et quand est-ce que M. Grévy a
ramassé de sa main présidentielle le pin
ceau de Garolus Duran ou de Puvis de Gha-
vannes,' comme fit autrefois Charles-Quint,
empereur d'Allemagne, dans l'atelier du
Titien? . . ■
Aussi qu'arrive-t-il ? dit encore monboule-
vardier. Il arrive qu'écrivains et artistes se
détachent de la politique, et que la chute
de Jules Grévy a laissé la république des^
lettres tout aussi indifférente que l'autre.
Mais ilfaut que cela change, et ici il faut
que je cite mon auteur pour l'édification
des masses et l'instruction de M. Sadi
Carnot :
Il faut, s'écrie-t-il, que le palais de l'Elysée
devienne un foyer de vie et de lumière, line
faut pas seulement que l'on y donne des bals et
des fêtes, il faut que chaque jour le président
de la République se tienne au courant de toutes
les questionsjqui intéressent le pays, et qu 'en
dehors de ses fonctions officielles il agisse et
vive comme un simple citoyen. / .
Aujourd'hui il présidera officiellement; l'ou
verture du Salon, il assistera officiellement
à la première représentation d'une pièce, il pon
tifiera en un mot, puisque sa fonction l'oblige à
pontifier. Seulement, le lendemain, oubliant son
rôle officiel, il ira, comme un simple mortel
amoureux du beau, rendre visite à tel peintre»
à tel sculpteur, à tel homme de lettres, admirer
leurs œuvres et les applaudir dans l'intimité,
dans le milieu où ils existent, où ils créent.
( Qu'on en dise ce qu'on voudra, je trouva
que cette conception de la présidence, en
vaut bien une autre. Mais, hélas! M. Sadi
Garnot a-t-il bien tout ce qui serait néces
saire pour la réaliser ? Je crains bien qua,
non. ii
On reprochait à M. Grévy de n'être pasf
gai. Encore avait-il ses moments, et les!
gens qui le voyaient de tout près assurent,
qu'à l'occasion il se montrait « bon rail-
lard » et joyeux convive, à cette seule con«
dition qu'il ne lui en coûtât rien,
M. Sadi Garnot n'est même pas suscep
tible de cette gaîté accidentelle. U est né
triste, et d'une tristesse essentiellement
communicative.
Encore moins suggestif que M. Grévy,
dirai-je pour employer un mot à la mode
qui attend son tour à la Jporte du Diction
naire.
. Pour tout ' dire enfin, il y a des gens
dignes de foi qui prétendent avoir vu rire
jusqu'à trois fois M: Henri Brisson. Onn'en'
connaît pas un qui ait vu rire M. Sadi
Carnoti
N° 7291 — Edition quotidienne
Mardi 6 Décémbre 488^
ÊDITipN QUOTIDIENNE
EDITION SEMI-QUOTIDIENNE
Va an.' . .
Six mois. .
Trois mois.
, PARIS
Sx département*
. . 55 »
, . 28 50
. . 15 »
ÉTRANGER
(ONION POSTAll)
66 a
34 a
18 ' a
^abonnements partent des *•» et 16 de chaque moUf
UNNUMÉHO {' Dép^tements*
S3UREAUX : Paris, 10, rue des Saints-Pères
On s'abonne à Rome, place du Gesù, 8
"PARIS
ET DÉPARTEMENT^
Un an'. . „ . 30 »
Six mois 16 »
Trois mois. ; . 8 50
ÉTRANGER
(OHION FOSTALS)
' ', 36", a
19 a
10 »
liei abonnements partent des i« et 16 de ctaaqne moM
- l'UNIYBBS ne répond pas des manuscrits qui loi sont adressât ,
ANNONCES :. ; ;
MM. Chl LAGRANGE, CERF et C", .6, place de là J3oursa
FRANCE
PARIS, S DECEMBRE 1887
Quoique la lune ■de miel ne soit pas
encore terminée entre le nouveau pré
sident et lamajorité républicaine con
centrée, on commence à se préoccu
per du ministère que prendra M. Sadi
Garnot. Ce matin le Journal officiel an
nonce que les ministres ont donné
leur démission, mais conservent pro
visoirement le pouvoir, sur la demande
même du président de la République.
D'après certaines versions, M. Sadi
'Carnot inclinerait à garder M. Rou
vier ; d'après d'autres, il ferait un mi
nistère de concentration, dont les
membres seraient pris dans les divers
groupes de la majorité. L'œuvre ne se
ferait pas toute seule ; après avoir
choisi ces membres,comment les faire
marcher d'accord?
Dès que le ministère aura été cons
titué, il demandera des douzièmes
provisoires, puis les Chambres parti
ront. On voudrait que les sénateurs et dé
putés puissent s'enaller le 15 décembre;
les élections sénatoriales du 5 janvier
réclament la présence de nombreux
sénateur.
Quand au budget, on s'en occupera
l'année prochaine. C'est maintenant
passé à l'état de tradition.
Hier, les conseils. municipaux ont
choisi leurs délégués pour l'élection
sénatoriale du 5 janvier. Déjà les jour
naux républicains chantent victoire ;
c'est aller un peu vite. On ne con
naît encore que les résultats de quel
ques villes, qui sont favorables aux
républicains ; mais il y a les villes plus
importantes, il y a les communes
rurales, qui peuvent singulièrement
modifier ces résultats.
Est-ce que le général Saussier paye
rait de son commandement les votes
que la droite lui a donnés? Est-ce que
sa lettre à M.Thomson ne suffirait pas
à dégager sa responsabilité? On com
mence contre lui une campagne de
délation qui doit fort ennuyer M. Sadi
Carnot.
Le roi Humbert, recevant les dépu-
tations des deux Chambres, leur a tenu
un langage des plus optimistes ; il a
déclaré ijue la situation était satisfai
sante à l'intérieur comme à l'extérieur.
Est-il aussi satisfait qu'il affecte de
l'être ?
On attendait, non sans impatience,
à l'étMnger, la fin de la crise prési
dentielle. Nous n'avons encore que
des renseignements incomplets sur
rimpressionproduiteyl'électionn'ayant
été terminée que dans la soirée de sa
medi et les journaux étrangers; ne pa
raissant pas le dimanche.
Toutefois, dès à présent on peut voir
que l'élection de M. Sadi Carnat a été
en général bien accueillie. Il n'en pou
vait être autrement, ce nom, par soni
insignifiance même, ne devait provo
quer aucun mécontentement.
Voiries DERNIÈRES NOUVELLES à la fin
Lettres politiques
Rien n'est curieux comme la terreur
instinctive que cause au public autri
chien la moindre velléité dé rappro
chement entre la Russie et 1 Alle
magne. Cette fois, il faut avouer que;
la Posi de Berlin y a beaucoup con
tribué en annonçant qu'il y avait
« une guerre en vue » entre la Russie;
et l'Autriche. M. de Bismarck, de son
côté, n'est pas innocent de l'effroi qui
a traversé Vienne et qui persiste dans
un bon nombre d'esprits. Son'romani
des dépêches falsifiées par une intri-:
gue orléaniste avait trop visiblement;
trait aux affaires de Bulgarie, et il était;
tout naturel de se dire que, si on avait
faussement représenté le chancelier com- :
me favorable ,au prince de Cobourg et;
s'il s'en défendait avec tant d'énergie, !
c'est donc qu'il était ennemi du nou
vel ordre de, choses bulgare. Mais
alors... il allait donc se ranger aux;
vues de la Russie ? .
Cela suffisait bien pour émouvoir les !
Autrichiens, et surtout les Hongrois, j
Aussi a-t-on directement formulé ces
craintes dans le sens d'une guerre i
austro-russe, pendant laquelle M. de
Bismarck et l'Italie se chargeraient de
nous. L'Autriche devrait donc se. tirer
seule de ses démêlés avec l'empire
moscovite. Je vous avais précisément
signalécette prévision, il y a quelque
temps, comme la préoccupation de
beaucoup d'hommes sérieux dans le
monde politique viennois.
Les officieux austro-hongrois se
sont empressés de rassurer l'opinion ;
il en résulte que le Pester-Lloyd a
parlé dans des termes plus précis que
personne de l'entrevue du czar avec
M. de Bismarck. A vrai dire, je crois
que ce compte rendu du journal hon
grois doit être à peu près exact; mais
u en résulterait que le fameux entre
tien n'a produit à peu près aucun ré
sultat. Il est bien clair, en effet, que
cette même alliance à trois, en vue
d'une paix que personne ne menace,
rend absolument impossible à la Rus
sie de se rapprocher de l'Allemagne.
M. de Bismarck aurait insisté sur sa
fidélité à ses alliés, sur la réciprocité
parfaite de leurs engagements défen-
sifs et sur leur intention de n'attaquer
personne. Il aurait même, dit-on, fait
connaître au czar le casus fœdcris, On
peut soupçonner,et le czar a pu penser
ae son côté que tous les casus fœderis
ne lui étaient pas dévoilés; mais, en
tout cas, il pouvait répondre en toute
vérité que lui non plus n'avait l'inten
tion d'attaquer personne,pas plus l'Au
triche que l'Allemagne, « à moins que
la Russie ne soit provoquée ». Il s'est
défendu aussi d'avoir préparé une con
tre-coalition et il avait raison, d'autant
plus que la France n'a jamais été moins
propre à une alliance que dans le mo
ment même où il était à Berlin. Tout
cela peut donc être exact, mais ne si
gnifie manifestement rien. Ce qui est
essentiel,* et que M. de Bismark aurait
bien voulu empêcher, c'est que la
Russie reste et tient à rester les mains
entièrement libres, en vue de toutes les
éventualités.
Personne ne sait ni ne comprend
mieux que nous pourquoi l'empereur
de Russie ne peut pas former, dans les
circonstances actuelles, une contre-
coalition. Mais personne n'ignore que
toute coalition qui ne peut pas com
prendre toutes les puissances euro
péennes renferme en elle-même le
germe d'une coalition contraire. Per- 1
sonne non plus, en dehors des inté
ressés qui s'aveuglent volontairement,;
ne croit que la France ou la Russie
préparent ensemble ou séparément
une guerre agressive. Nous savons à
quel point c'est peu le-cas chez nous;
il est manifeste qu'il en est de même
en Russie, et c'est précisément ce fait
si notoire qui rend éminemment sus
pecte la formation d'une coalition en
pleine paix, en vue d'une guerre pour;
laquelle les coalisés seuls pourraient?
être tentés de fournir un motif réel.
Il faut toute l'insolence et toute la;
présomption allemandes pour s'éton
ner, pour s'irriter même à l'occasion,;
de ce que ceux qui sont en dehors de
la coalition songent tacitement à s'u
nir au besoin pour se défendre. Il,
semble que,lorsqu'on n'est pas décidé;
à se soumettre au chancelier berlinois,;
comme l'ont fait l'Autriche et l'Italie,on ;
doit se démettre du rôle de grande puis
sance. Cela doit paraître particuliè-j
rement dur à la Russie, à qui l'Autri
che ne cesse d'infliger une série de!
petits échecs et d'humiliations sur un
aes terrains auxquels elle tient le plus
et sur lequel, il faut le dire, elle a payé
chèrement le droit de prétendre à unej
situation privilégiée. — Il était donc;
difficile que, malgré son appareil de;
prétendues falsifications et 'de conspi
rations jésuitico-orléanistes, M. dé
Bismarck produisît une bien vive im
pression sur le czar.
Autant qu'on en peut juger, il n'y a
lien de changé, en effet,dans la situa
tion respective des puissances. — Ce
qui est, en revanche, forcément
ébranlé, c'est la confiance éventuelle
que la Russie pourrait avoir dans notre
concours. Nous-mêmes serions bien
incapables de prévoir ce que nous al-
lons'devenir, ni si nous continuerons
longtemps à compter parmi les puis
sances européennes. De là forcément
une attitude plus contenue, plus ré
servée de la part des Russes, qui, si
nous disparaissions, seraient livrés
seuls aux caprices de l'homme qui [di
rige les trois cabinets coalisés. — En
attendant, les paroles adressées par
Guillaume à ses députés sont vite ve
nues confirmer la pensée que j'expri
mais dans ma dernière lettre sur l'in
térêt que porte M. de Bismarck à nos
républicains. L'empereur lui-même a
cru devoir chanter les louanges de
Grévy. En même' temps, la Gazette de
VAllemagne du Nord adjurait nos gens
de gauche de rester unis de peur de
compromettre la République. Rien
n'est plus comique, et nous savons
clairement pourquoi M. de Bismarck
a parlé « d'intrigues orléanistes ».
Un fait intéressant et même assez
amusant, c'est la violente colère de
tout ce qui tient au gouvernement
hongrois contre leurs compatriotes ca
tholiques, qui, dans une adresse au
Pape, ont émis des vœux en faveur du
pouvoir temporel des Souverains Pon
tifes. Les journaux officieux ont traité
cela de haute trahison, de telle sorte
qu'à les entendre on ne pourrait plus
être en même temps catholique et
Hongrois. La Diète de Salzbourg a émis
un vœu semblable, et il y aura cer
tainement, à l'occasion du jubilé du
Souverain Pontife, d'autres manifesta
tions analogues. Le comte Taaffe a
confidentiellement fait un effort pour
s'opposer à l'expression des Sentiments
catholiques sur cette question si im
portante. « Cela gêne la grande poli-
« tique du gouvernement de l'empe-
« reur. » -
Rien n'est plus capable de montrer
ce que vaut cette grande politique de
l'empire chrétien et apostolique. Il fau
drait,, pour né pas la gêner, que les ca
tholiques autrichiens consentissent à
; voir le Souverain Pontife aux mains
d'un pouvoir envahisseur et sacrilège.
Il est déjà étrangement scandaleux et
surprenant que le gouvernement aus
tro-hongrois ne sente, pas combien il
est dangereux, même au point de vue
purement politique, de voir le Père
commun et le guide de l'immense ma
jorité des sujets de l'empire dans la
dépendance d'un gouvernement étran
ger; il devrait ressentir une humilia-'
tion particulière à la pensée que les
geôliers du Pape sont précisément-des
Italiens. Mais vouloir imposer une ap
probation tacite des crimes italiens à
ces mêmes sujets, c'est passer la me
sure, et nous espérons que 1 sVatertand
ne voudra plus accuser notre politique
à nous de n'être pas assez catholique.
B*. d'Agreval.
(Après l'élection de M. Sadi Garnot,
il a fallu procéder à la « cérémonie de
la transmission des pouvoirs ».
Le président du Congrès, M. Le
Royer, suivi de tous les membres du
bureau et accompagné par . tous les
ministres, s'est rendu, précédé de dix
huissiers en grand uniforme, dans le
cabinet de la présidence, où M. Sadi
Carnot se trouvait déjà; M. Floquet,
président de la Chambre, s'était joint
à la députation.
Le Royer, prenant le premier la
parole, a annoncé à M. Sadi Carnot son
élection à la présidence de la Républi
que et l'a félicité d'avoir été élevé à la
première magistrature de la Républi
que.
M. Rouvier, président du conseil des
ministres, agissant en qualité de chef
intérimaire du pouvoir exécutif, a re
mis à M. Sadi Carnot l'ampliation du
Erocès-verbal de la séance de l'Assem-
lée nationale constatant son élection
à la présidence de la République.
- Puis prenant la parole, M. Rouvier
'a dit qu'il était heureux de transmettre
ce décret au nouveau président et d'ê
tre un des premiers à le féliciter, sur
tout en raison des conditions dans les
quelles son élection s'était accomplie.
« Derrière lui se sont groupés toutes
les forces républicaines et le pays verra
dans ce fait considérable un gage d'u
nion, dont profitéront la patrie et la
Rëpublîqne. »
M. Saai Garnot a répondu par l'allo
cution suivante : -
Messieurs,
Je vous remercie profondément des féli
citations et des sentiments qne vous voulez
bien m'exprimer.
Je suis pénétré de reconnaissance envers
les membres de l'Assemblée nationale qui,
en réunissant leurs suffrages sur mon nom,
ont si hautement témoigné dn désir de pa
cification et de concorde dont la Franco ré
publicaine est animée.
Mon vœji le plus cher est que celte
grande journée reste présente à tous les
esprits et à tous les cœurs. Elle signifie que
les représentants de la France savent s'u
nir. Les efforts communs peuvent et doivent
assurer la constitution et la marche régu
lière d'un gouvernement stable, actif et ca
pable de donner à la nation, avec la liberté
aiL dedans et la dignité au dehors, tous les
bienfaits que notre pays attend de la Répu
blique.
Encore une fois, merci, messieurs; vous
pouvez compter sur toût mon dévouement.
La cérémonie de la transmission des
pouvoirs a pris fin sur ces paroles.
Les représentants de la presse répu
blicaine se sont alors présentés pour
recevoir communication des paroles
échangées dans cette entrevue ; le
nouveau président de la République a
tenu à les recevoir lui-même, et il leur
a dit, après avoir reçu leurs félicita
tions i ■
Je vous remercie, messieurs, et laissez-
moi vous dire que je compte sur la presse
pour contribuer à l'œuvre de pacification
que nous désirons tous.
Nous doutons que la presse républi
caine , seule représentée, travaille sé-;
rieusement et longtemps à « l'œuvre
de pacification ».
Hier, nous annoncions que les mi
nistres avaient donné leur démission
et que M. Sadi Garnot les avait priés
de conserver momentanément leur
portefeuille. Le Journal officiel publie
ce matin la note suivante :
Les ministres ont remis aujourd'hui entre
les mains de M. le président delà Républi
que leur démission et celle de M. le sous-
secrétaire de la marine et des colonies. M.
le président de la République les a priés de
garder leurs fonctions pour l'expédition des
affaires.
D'après le Petit Journal, voici ce qui
se serait passé dans l'entrevue de M.
Sadi-Garnot avec les ministres :
M. Rouvier, président du conseil, a
adressé au président de la Réqublique les
paroles suivantes :
Monsieur le président, conformément aux
prescriptions de la loi constitutionnelle, le ca
binet a l'honneur de remettre en vos mains
les pouvoirs dont il était provisoirement
nanti.
Comme président, du conseil, j'ai l'honneur
de vous remettre également,. ainsi qu'il est
d'usage de le faire, la démission des membres
du cabinet. ;
M. Carnot a répondu-: « C'est là, mes
sieurs, une simple formalité 1 »
M. Rouvier a alors ajouté:
C'est une formalité nécessaire, car il est in
dispensable que le chef de l'Etat ait toute li
berté pour appeler auprès de lui les hommes
qu'il estime le mieux en situation de former un
cabinet.
— Soit donc, messieurs, a dit M. Carnot; j'ac
cepte votre démission, puisque les règles par
lementaires veulent qu'il en soit ainsi.
< Le président de la République a alors fé
licité le cabinet de l'attitude excellente qu'il
a su conserver pendant les difficultés de la
situation que nous venons de traverser, et
il a ajouté que cette attitude avait été très
appréciée par le Parlement. :
De cette version du Petit Journal,
il semble ressortir que le nouveau pré
sident serait disposé à garder l'ancien
ministère. D'autres journaux donnent
la même note. Ainsi on lit dans le
Soleil :
M. Sadi Carnot a paru d'avis que les mi
nistres, réinvestis par son prédécesseur,
devraient conserver leurs pouvoirs ; toute
fois, puisqu'il est d'usage que ces démis
sions soient acceptées par le nouveau pré
sident de la République, M. Carnot n'a pas
davantage insisté.
■ Il a témoigné à M. Rouvier le désir de
lui voir soutenir devant les Chambres la loi
de finances dont il est l'auteur. Le président
de la République semble actuellement hé
siter entre ces trois combinaisons .- charger
M. Rouvier de reconstituer le ministère en
conservant presque tous ses collaborateurs ;
charger M. Rouvier de former un nouveau
cabinet ; confier la présidence du conseil à
un autre membre du Parlement,qui conser
verait le" ministre actuel des finances pour
permettre aux Chambres de voter son bùd-
get dès le début de 1888. >
Mais il y "a aussi des versions d'après
lesquelles le ministère [Rouvier ' ne
tarderait pas à être remplacé. Le Siècle
annonce que les négociations sont
déjà ouvertes pour la formation; du
nouveau ministère, avec différents per
sonnages politiques* Le XIX" Siècle ra
conte une entrevue d'un de ses rédac
teurs avec M. Sadi Carnot, chez son
père :
Après les compliments d'usage, nous de
mandons à M. Carnot quelle sera la ligne
de conduite politique qu'il suivra. ■
— J'ai dit hier, dans l'allocution, que j'ai
prononcée après mon élection, que je m'ef-
fbrcerai d'aider à la concentration républi
caine. C'est ainsi, soyez-en-sûr, que la ré
publique sera consolidée à tout jamais:
Nous venons de traverser une crise péni
ble : la France a donné; durant un long
mois, un spectacle des plus regrettables.
J'espère qu'une ère de prospérité et de pro
fonde quiétude va s'ouvrir, à cette heure
que tous les esprits sont calmés. Il faut que
les divisions des partis s'effacent ; il faut —
et je ne le répéterai jamais trop que l'u
nion se réalise et que les républicains ne
forment plus qu'une grande famille.;
— De quelle manière, monsieur le prési
dent, allez-vous constituer le nouveau ca-'
binet ? ■
— Vo,us savez que je n'ai j aidais appar
tenu à aucun groupe parlementaire ; j'ai été
un député républicain indépendant. J'ai
l'intention de former un ministère aveo des
éléments recrutés dans plusieurs groupes
de la gauche. Ce cabinet sera un minstère
de concentration et non pas de combat.
La France dont être prospère et unie,
c'est là mon seul objectif.
Enfin, on annonce que le ministère,
une fois composé, demanderait-des
douzièmes provisoires et renverrait les
Chambres, qui partiraient le 15 décem
bre. Les sénateurs soumis à réélection
doivent désirer rentrer au plus tôt
dans leurs départements.
Nous avons, dans les journaux du
soir, la répétition de ce que disaient
les journaux du matin à propos dô
l'élection de M. Sadi Carnot. A gau
che, tout le monde triomphe, et per
sonne n'est vainqueuf. Comme oppor
tuniste, M. Sadi Carnot plaît aux op
portunistes; comme candidat de 1 é-
meute, il agrée aux raidicaux. A des
titres différents, opportunistes et radi
caux revendiquent l'élu, du 3 décem
bre, sans qu'on sache «encore s'il est
plus aux uns qu'aux autres.Les oppor
tunistes cherchent à le retenir, les
radicaux le tirent à eux. De quel côté
ira-t-il ? '
Le nouveau ministère sera la-, pierre
de touche de l'élection de M. Sadi
Garnot. Les journaux de» deux frac
tions républicaines l'attendent là..On
verra si le nouveau président de la
République est. plus fidèle à son passé
que reconnaissant de son élection. Ses
antécédents l'attachent aux opportu
nistes, mais la reconnaissance l'oblige
envers les radicaux. Bref, l'élection de
M. Sadi Garnot, qui est :1e résultat de
la concentration républicaine, pour
rait bien être la cause d'um> nouvelle
et plus profonde scission entre les ré
publicains. C'est çe qu'indiquent les
organes des deux partis de la gauche,
qui, après avoir célébré là nomination
de M. Sadi Carnot comme la* fin de la
période de confusion et d'inquiétude,
ue nous venons de traverser j font
éjà entendre par leurs commentaires
l
FEUILLETON DE UUNIVERS
DU 6 DÉCEMBRE 1887
PROPOS DIVERS
Nous fîmes donc, avant-hier, un président
dé la République. Je n'ai pas la gloire de
pouvoir ajouter comme Courier que «pour
ma part je n'y ai pas nui », n'ayant joué
dans l'affaire que le madeste . rôle d'un
spectateur très bousculé.
Je ne regrette cependant ni mon temps
ni ma peine, puisque,en ce jourjmémorable,
j'ai pu voir, de mes yeux, en pleine Assem
blée nationale de France, le vice puni et la
vertu récompensée.
C'est la vertu, en . effet, qui triomphe,
faute de mieux, en la personne de M» Car
not, ingénieur de mérite et député de
deuxième grandeur, bien qu'à trois reprises
on l'ait vu ministre ; et son élection n'est,
à tout prendre, que le solennel couronne
ment d'une rosière politique.
L'affaire faite,on s'est avisé d'y découvrir
d'autres causes, et que ce Childebrand par
lementaire n'était pas entièrement dénué
des qualités que requiert la fonction.
• D'abord il est vicomte, ce qui n'est point
aussi méprisé qu'on le pourrait croire,
même en république, et même quand la vi-
comté est d'origine impériale. Puis il est
riche, ce qui n'a jamais gâté rien. Enfin et
surtout il s'appelle Carnot, et, qnoique défi
guré par un prénom ridicule, ce nom sonne
bien à des oreilles républicaines ; l'Europe
l'a connu jadis et le reconnaîtra.
! Celui dont il reçut son premier lustre, le
Carnot de 1792 et de 1815,ne fut certes pas
un homme ordinaire. S'il eût réellement
dans les triomphes des armées républi
caines la part prépondérante, que quelques-
uns lui contestent, mais que le plus grand
nombre s'accorde à lui attribuer, c'est un
.point que je n'ai pas à examiner ici. La
ichose, au surplus, passe ma compétence et
.m'éloignerait dé mon propos fort inutile
ment.
I Mais il est un trait dans la vie de Carnot
qui m'a particulièrement frappé, et qui sans
doute a frappé également tous les contem
porains,'car il n'est pas une biographie qui
ne le cite avec admiration. Voici comment
le rapporte Michaud :
i « Ayant été chargé, en 1800, de faire
« comme ministre de la guerre une tour-
« née à l'armée du Rhin, il reçut, en partant
« 3Q,000 francs pour ses Irais de voyages,
« et à son retour il remit au Trésor la
« moitié de cette somme qui lui restait. »
: Tel est le fait dans sa simplicité, ce n'est
pas notre faute si les malheurs du temps
nous contraignent de le trouver sublime.
Michaud remarque du reste judicieuse
ment» qu'il n'a peut-être pas eu un seul
imitateur ».
Je remarque à mon tour que Michaud
écrivait sous la Restauration, et nous n'a
vons aucune raison de croire que depuis
cette époque son observation ait cessé
d'être vraie. C'est même une chose singu
lière, que tout le monde admire de telles
actions et que personne ne songe à les
refaire.
Quand je dis : personne, je parle, cela
s'entend, des hommes politiques et des ser
viteurs de l ? Etat.
Tous les jours il arrive qu'un chiffonnier
restitue à son légitime propriétaire une
cuiller d'argent fourvoyée dans la boîte aux
ordures ; la préfecture de police tient re
gistre des cochers de fiacre qui lui rappor
tent des parapluies oubliés dans leurs voi
tures, et dernièrement une balayeuse qui
n'avait pas de quoi dîner a remis à ùn bi
joutier qui l'avait perdue une perle estimée
dix mille francs.
Faut-il en conclure qu'il n'y a plus de
probité dans ce monde que chez les ba
layeurs, les chiffonniers et les cochers de
fiacre, et que les humbles prolétaires
sont généralement plus honnêtes qne les
politiciens, dont on fait les députés, lés sé
nateurs et les ministres?Une telle conclusion
aurait de quoi m'épouvanter pour l'avenir
de mon pays. Je la repousse de toutes mes
forces. Mais pourtant le fait est là,éclatant
et inexorable, et le fait est que, depuis 87
ans, on n'a pas revu un ministre rapportant
au Trésor l'excédant des frais de voyages.
Le beau trait de. Garnot l'Ancien reste
seul, admiré et inimité, et l'on n'a jamais
dit que M. Grévy, à qui nous donnions
300,000 francs pour ses voyages, sur les
quels il en dépensait dix mille, ait rapporté
au Trésor les 290,000 autres. ;
Balzac, dans la préface de son Aristippe
ou la cour , voulant expliquer pourquoi il
écrit sur la politique, dit à peu près (je cite
de mémoire et inexactement sans doute
quant aux termes) « que la spéculation en
« peut être honorable .si la pratique ne l'est
« pas ».
Balzac admettait dès lors comme une
chose acquise qu'il est fort malaisé de ma
nier les affaires publiques et de rester hon
nête homme. Je ne saurais trouver de plus
éclatante confirmation de son dire que l'en
thousiasme soulevé par l'action de Car-
not I er , et qu'il était réservé à son petit-fils
de provoquer de nouveau à près d'un siè
cle d'intervalle.
Car, il n'y a pas à se le dissimuler, et
tout le monde en conviént avec une can
deur véritablement surprenante, ce qui a
surtout mis en lumière cet homme, dont le
trait distmetif consistait à ressembler à
tout le monde ; ce qui l'a tiré du second
rang où il s'éclipsait pour le mettre au
premier, oîi présentement il brille; c'est
uniquement son refus d'accorder à des sol
licitations puissantes la restitution d'une
somme légalement perçue par le Trésor
public.
Le trait peut être moins beau que celui
de l'aïeul, puisque M. Sadi Carnot n'avait
en somme dans, l'affaire aucun intérêt per
sonnel. On l'a néanmoins trouvé" sans ré
plique, et depuis le jour fameux où les 363,
conduits par Gambetta, acclamèrent Thiers
libérateur du territoire, nulle ovation parle
mentaire ne fut plus éclatante que celle
dont nous fûmes, l'autre jour, les témoins,
lorsqu'on sût que M. Sadi Carnot avait re
fusé 75,000 francs aux clients préférés de
M 0 ' Grévy, président de la République.
Que prouve cela ? Que nous ne sommes
pas gâtés en fait d'honnêteté et que nous la
prenons où nous pouvons, tant nous avons
le sentiment intime cfu'elle nous est néces
saire.
« Aujourd'hui, dit Rochefort, lorsqu'un
« homme va dîner en ville et qu'il n'em-
« porte pas les couverts dans sa poche, on
« pose immédiatement sa candidature à la
« présidence de la République. »
Le lanternier a tort de rire. L'honnêteté
qui consiste à ne point emporter les cou
verts n'est pas si commune qu'on le pour
rait croire; et je sais pertinemment que,
lors de la caravane parlementaire qui égaya
les derniers jours du cabinet Goblet, les
buffets de la compagnie de Bône-Guelma
oet perdu une portion -notable de leur ar
genterie.
Où est-elle?
Si je demandais à n'importe quel-citoyen
français pourquoi l'on a renversé M. Grévy,
certes les réponses ne me manqueraient
pas. L'un me dirait :
— « C'est à cause de son gendre. »
L'autre me dirait.: «C'est à cause de
son neveu. »
Un troisième s'en prendrait à la mau
vaise rédaction de ses menus; un quatrième
à la qualité tout à fait méprisable do son
Champagne. Personne peut-être ne songe
rait à signaler au-dessus de ces causes très
réelles, mais secondaires en somme, la
cause dominante, la cause des causes : je
veux parler de la déplorable indifférence
que professait M. Grévy en matière d'art
et de littérature.
Cette cause d'ailleurs, je ne me vante
point de l'avoir découverte, et si je la con
nais, j'en ai l'obligation à certain boulevar-
dier qui en a fort congrûment discouru
l'autre jour.
Tous les chefs d'Etat en France, rois,
empereurs, présidents, ont fait profession
d'aimer les lettres et d'encourager les arts.
François I er peuplait sa cour de poètes ot
d'artistes; Louis XIV (on le prétend du
moins) invitait Molière à sa table ; au mi
lieu des splendeurs de la cour d'Erfurth,
Napoléon songeait à Talma et lui promet
tait un parterre de rois, et nous devons aux
encouragements du roi Louis-Philippe lui-
même quelques-uns des hectares de toile
qu'Horace Vernet côuvrit de ses peintures.
* Seul M. Grévy a rompu avec ces tradi
tions nobles et charmantes.
Que rencontrait-on à l'Elysée dans les
rares occasions ' où l'Elysée ouvrait ses
portes ? Des boursiers, des politiciens, des
entrepreneurs de bâtisse, des magistrats
comme M. Périvier, des marchands de
guano comme Dreyfus, parfois aussi M. le
syndic des agents de change, les jours où
Daniel avait eu besoin de quelque attesta
tion pour se démontrer pur de tripotages à
la Bourse.
Mais* des artistes? des écrivains? des co
médiens? conlinue mon boulevardier. Pas
un seul.
Sans doute M. Grévy ne les mettait pas
expressément à la porte. Il les décorait
même à l'occasion sans trop se faire prier,
et lorsqu'on lui amenait quelque académi
cien nouvellement élu, il l'invitait sans fa
çon à déjeuner en famille. Mais comme il
était sensible que le cœur n'était pour rien
dans ces politesses de pure forme I Comme
l'invité sentait bien qu'on ne sbuhaitait rien
tant que de. le voir partir ! Comme on eût
préféré recevoir à sa place quelque notabilité
de couloir ou d'antichambre, Papinaud ou
Chavoix, Proal ou Duhamel !
.Etqui donc a jamais vu Zola dînant à
l'Elysée? Et quand est-ce que M. Grévy a
ramassé de sa main présidentielle le pin
ceau de Garolus Duran ou de Puvis de Gha-
vannes,' comme fit autrefois Charles-Quint,
empereur d'Allemagne, dans l'atelier du
Titien? . . ■
Aussi qu'arrive-t-il ? dit encore monboule-
vardier. Il arrive qu'écrivains et artistes se
détachent de la politique, et que la chute
de Jules Grévy a laissé la république des^
lettres tout aussi indifférente que l'autre.
Mais ilfaut que cela change, et ici il faut
que je cite mon auteur pour l'édification
des masses et l'instruction de M. Sadi
Carnot :
Il faut, s'écrie-t-il, que le palais de l'Elysée
devienne un foyer de vie et de lumière, line
faut pas seulement que l'on y donne des bals et
des fêtes, il faut que chaque jour le président
de la République se tienne au courant de toutes
les questionsjqui intéressent le pays, et qu 'en
dehors de ses fonctions officielles il agisse et
vive comme un simple citoyen. / .
Aujourd'hui il présidera officiellement; l'ou
verture du Salon, il assistera officiellement
à la première représentation d'une pièce, il pon
tifiera en un mot, puisque sa fonction l'oblige à
pontifier. Seulement, le lendemain, oubliant son
rôle officiel, il ira, comme un simple mortel
amoureux du beau, rendre visite à tel peintre»
à tel sculpteur, à tel homme de lettres, admirer
leurs œuvres et les applaudir dans l'intimité,
dans le milieu où ils existent, où ils créent.
( Qu'on en dise ce qu'on voudra, je trouva
que cette conception de la présidence, en
vaut bien une autre. Mais, hélas! M. Sadi
Garnot a-t-il bien tout ce qui serait néces
saire pour la réaliser ? Je crains bien qua,
non. ii
On reprochait à M. Grévy de n'être pasf
gai. Encore avait-il ses moments, et les!
gens qui le voyaient de tout près assurent,
qu'à l'occasion il se montrait « bon rail-
lard » et joyeux convive, à cette seule con«
dition qu'il ne lui en coûtât rien,
M. Sadi Garnot n'est même pas suscep
tible de cette gaîté accidentelle. U est né
triste, et d'une tristesse essentiellement
communicative.
Encore moins suggestif que M. Grévy,
dirai-je pour employer un mot à la mode
qui attend son tour à la Jporte du Diction
naire.
. Pour tout ' dire enfin, il y a des gens
dignes de foi qui prétendent avoir vu rire
jusqu'à trois fois M: Henri Brisson. Onn'en'
connaît pas un qui ait vu rire M. Sadi
Carnoti
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 91.44%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 91.44%.
- Collections numériques similaires Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "BnPlCo00"
- Auteurs similaires Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "BnPlCo00"
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k7061113/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k7061113/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k7061113/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k7061113/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k7061113
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k7061113
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k7061113/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest