Titre : L'Univers
Éditeur : L'Univers (Paris)
Date d'édition : 1880-07-28
Contributeur : Veuillot, Louis (1813-1883). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, Pierre (1859-1907). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, François (1870-1952). Rédacteur
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 28 juillet 1880 28 juillet 1880
Description : 1880/07/28 (Numéro 4656). 1880/07/28 (Numéro 4656).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
Mercredi 28 Juillet 1880
PARIS
Un an. . ; 55 fr. »
Six mois.. 28 50
Trois mois . . . 45 »
Un Numéro,.à. Paris 15 cent.
— Départements. - -£0 —
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Paris, 10, Rue des ¥>aints-Pères r
On s'abonne, A Rome, naco ilà (Scsù, S
DEPARTEMENTS
Un an. .... 55 fr.»
Six mois. . . 28 50
Trois mois 15 a
Édition semi-quotidienne
Dn an. 30 fr. — Six mois, ,16 fr. — Trois mois, 8 fr. 83
L'UNIVERS ne répond pas des manuscrits qui lui sont adressés
5~
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poste.
FRANGE
PARIS, 27 JUILLET 1880
Vincident de Cherbourg , dont toute
la presse républicaine s'occupe, reste
l'incident capital de la cérémonie de
dimanche pour la remise des drapeaux
aux troupes dans les provinces. Il y a
eu cependant d'autres incidents qui
ne doivent pas être passés sous si
lence.
A Perpignan, l' Agence Bavas nous an
nonce, sur un ton enthousiaste, que « la
garnison a fraternisé avec la popula
tion » et que « la municipalité, à huit
heures du soir, a offert un punch à la
garnison >>. Ces « fraternisations » ne
se passent jamais Sans désordres, sur
tout dans un pays aussi ardent que
Perpignan, et la discipline militaire
en souffre toujours dans le présent et,
ce qui est plus grave, dans l'avenir.
Nous doutons, malgré l'enthousiasme
de commande de l'officieuse Agence,
que la fraternisation de Perpignan ait
échappé aux inconvénients inhérents
à ces sortes de manifestations qu'au
cun militaire sérieux n'a jamais vues
d'un bon œil, lors même qu'il affichait
les opinions républicaines les plus
avancées.
La République française , organe de
M. Gambetta, après avoir célébré l'at
titude de l'armée aux fêtes du 14 et du
25 juillet, a beau nous dire que jamais
la discipline n'a été plus forte, cette
affirmation ne nous rassure pas ; nous
serions même disposé à la trouver
quelque peu grotesque.
Un autre incident s'est passé à Tou
louse; Y Intransigeant le raconte ainsi,
d'après une dépêche d'un radical du
cru :
... Le général Appert a passé aujourd'hui
la revue des troupes de la garnison, à l'oc
casion de la remise des drapeaux.
On a remarqué que le 59" de ligne a seul
joué la Marseillaise.
Les musiques des autres régiments ont
exécuté des airs qui avaient, au moins le
défaut de n'être point de circonstance.
Il paraîtrait qu'à la fin de la cérémonie le
préfet ne. se serait pas retiré sans avoir
manifesté au général Appert son méconten
tement pour le pou de caractère républi
cain donné à la cérémonie par l'autorité
militaire.
. L'officieuse Agence Ilavas et les jour
naux opportunistes sont muets sur
l'incident de Toulouse ; ils ne parlent
pas du général Appert, réservant toute
leur indignation pour l'amiral Ri-
bourt. Ce silence serait-il le résultat
d'un mot d'ordre ? On dit que, dans les
hautes sphères de ,l'administration de
la guerre et peut-être au palais Bour
bon, on serait fatigué des incessantes
dénonciations, des radicaux auxquels
les opportunistes prêtaient trop facile-r
tfient leur appui ; il y aurait même un
coiïimencement de réaction, dont la
publication de l'ordre du jour de l'in
ondant Roux par l'yl rmëe française se
rait un indice. Au lieu de sacrifier cet
intendant, la feuille militaire de M.
Gambetta l'a justifié et quelque peu
glorifié. D'autre part, le général de
Galliiïet s'est montré très ferme à
Tours dans ses instructions pour éviter,
à l'occasion de l'inauguration de la
statue de Rabelais et de la remise des
drapeaux, le renouvellement des scan
dales militaires du 14.
Fait plus extraordinaire, M. le gé
néral Billot se serait, également mon
tré très raide. Les radicaux espéraient
obtenir de lui le désaveu du général
Vincendon, qu'ils accusaient d'avoir
été trop sévère àl'égard des soldatscom-
promis le 14 juillet. Or, non seulement
le général Billot a approuvé le général
Vincendon, mais encore il a pris des
mesures énergiques le 25 et il a refusé
d'assister à un banquet que voulait lui
offrir la municipalité radicale de Mar
seille . Chez le général politicien que
l'on considère comme un des succes
seurs éventuels de M. Farre, cette fer
meté est encore plus significative que
chez le général de Gallifet.
Quoiqu'il en soit, si un mot d'ordre
impose aux opportunistes «t un peu
aux radicaux le respect momentané
des généraux, il n'existe rien d'analo
gue pour l'amiral Ribourt, que toutes
les feuilles républicaines attaquent à
l'envi et qui paraît sacrifié. Le maire
et le sous-préfet de Cherbourg sont
réellement venus à Paris comme l'a
vait annoncé le télégraphe; ils ont été
reçus d'abord par M. le ministre de
l'intérieur qui, naturellement, leur a
donné pleinement raison. De là, ils se
sont rendus chez M. Gambetta « qui les
a engagés à soumettre leurs griefs au
président de la République ». Notons
en passant cette anomalie; des fonc
tionnaires républicains s'adressent à
M. Gambetta, qui, hors session, n'est
rien, et ils ne vont chez le président
de la République que sur l'invitation
du président de la Chambre. Cela mon
tre bien où est le pouvoir. Et c'est un
journal officieux, le National , qui con
state le fait. Obéissant à M. Gambetta,
le maire et le sous-préfet se sont ren
dus chez M. J. Grévy, qui a promis de
saisir de la question le conseil des mi
nistres. Le& Tablettes d'un Spectateur
ajoutent que M. l'amiral Ribourt au
rait été mandé à Paris. On n'aurait
pas voulu le sacrifier sans l]entendre.
En suivant cette campagne si vive
ment menée, on est amené à se de
mander si réellement elle est motivée
uniquement sur le refus de l'amiral
de saluer des fonctionnaires de rang
inférieur et un député sans impor
tance. Le grief paraît bien mince, et
l'intervention de M. Gambetta surprend
un peu, car il n'aime pas à paraître
inutilement. Aussi n'est-ce pas le vrai
motif, et nous étions dans la vérité
lorsque nous supposions que M. Gam
betta désirait à Cherbourg pour le
voyage projeté un préfet maritime
plus complaisant que M. Ribourt. Il
paraît même qu'à ce désir s'ajouterait
un motif tout particulier de niécon-
tentement : l'amiral Ribourt serait
l'auteur de la décision prise par M.
Grévy de se rendre à Cherbourg, dé
cision qui a dérangé les projets du
président de-la Chambre.
Un journal radical, le Phare de la
Manche , a consacré à l'amiral Ribourg
un long article, dont voici la partie
principale :
Tous les journaux de Paris continuent à
annoncer avec ensemble le prochain voyage
duprésident delà République à Cherbourg.
Si, à l'heure qu'il est, le voyage est décidé
en principe, le jour du moins n'est pas
encore fixé, car les obstacles qui avaient
empêché M. Grévy d'accepter l'invitation
delà ville de Cherbourg subsistent toujours.
Nous n'avons pas ?t cacher, aujourd'hui
que ce secret est connu de tous, quelle est
la nature de ces obstacles.
C'est la présence de M. le vice-amiral
Ribourt à Cherbourg qui a été l'unique
cause du refus de M. la président .de la
République. Le ministre do l'intérieur avait
éclairé M. Jules Grévy sur l'attitudj; de
M. Ribourt et sur la nature des rapports
qu'il entretient avec les représentants de
l'administration municipale et de l'autorité
centrale. Ces rapports, par suite de l'hos
tilité de M. Ribourt, sont devenus très
tendus, et M. Jules Grévy risquait fort de
compromettre le prestige du premier rang
en se trouvant mêlé aux compétitions qui
se seraient infailliblement produites.
Comment se fait-il que le président de la
République, revenant sur sa détermination
première, se soit décidé à visiter Cher
bourg? Le mystère est facile à pénétrer.
L'annonce du voyage de M. Gambetta,
qui sera une fête exclusivement civile et pa
triotique, fournit à. M. Ribourt le prétexte
cherché ; M. Ribourt mit en avant, auprès
du ministre de la marine, la nécessité de
donner à la flotte, comme lo président l'a
vait fait à l'armée de terre le 14 juillet, un
témoignage public et officiel de la sympa
thie du gouvernement.
M. Jules Grévy céda à ces raisons; et les
journaux de Paris purent annoncer cette
décision sans que la mairie de Cherbourg
en fût informée.
Le voyage do M. lo président de la Ré
publique, s'il s'était effectué dans ces con
ditions, aurait ou un caractère uniquement
militaire ; descendu à la préfecture mari
time, M. Jules Grévy devait visiter l'arse
nal, l'escadre et la digue ; ïe programme ne,
faisait nulle mention des édifices munici
paux, de l'Hôtel-Didu, etc.
La municipalité de Cherbourg, qui, en
présentant à M. Grévy son invitation, était
l'interprôto de la ville entière, se trouvaiL
exclue des réceptions, des fêtes organisées
à la préfecture maritime.
Le maire do Cherbourg et le sous-préfet
de l'arrondissement se sont mis en rapport
avec le ministre de l'intérieur, et no lui ont
caché aucun des détails do cette lutte sourde
engagée par lo préfet maritime contre la
ville de Cherbourg.
Samedi matin même a ou lieu un conseil
des ministres, dans lequel a dû être agitée
la question du voyage présidentiel, et à l'is
sue de ce conseil, lo ministre de l'intérieur
adressait à M. A. Mathieu et à M. de la
Loyère une dépêche télégraphique les ap
pelant en foute hâte à Paris.
La maire de Cherbourg et lo sous-préfet
sont partis hier soir pour Paris.
Le faux et le vrai sont mêlés sans
habileté dans cet article ; le scribe de
province qui tenait la plume pour le
compte de M. Gambetta et de la muni
cipalité n'a pas su faire illusion, et il
se contredit de la manière la plus ridi
cule. Qui croira, par exemple, que M.
l'amiral Ribourt ait été d'abord la
cause du refus de M. Grévy d'aller à
Cherbourg et ait ensuite décidé le prési
dent à ce voyage ; il y a là une con
tradiction flagrante. Selon toute pro
babilité, M. Grévy avait refusé d'aller
à Cherbourg parce qu'il aime peu à
se déranger; sachant ce refus, M.
Gambetta a projeté un voyage dans
lequel il serait accompagné par le mi
nistre de la marine.
L'amiral Ribourt aura signalé à
l'amiral Jauréguiberry et au prési
dent de la République les dangers de
ce voyage, qui devenait une manifes
tation radicale, et où M. Gambetta
usurpait un rôle qui ne lui appartenait
pas. Revenant sur sa décision, M. Grévy
a dit qu'il irait à Cherbourg. De là,
grande colère de M. Gambetta et des
radicaux de Cherbourg, qui ont profité
de l'incident presque puéril de diman
che pour faire campagne contre le
préfet maritime.
Les faits ainsi rétablis, il semble
que M. Grévy et l'amiral Jauréguiberry,
qui ne peuvent être dupes des raille
ries radicales, devraient couvrir le
préfet maritime. Mais le feront-ils?
Nous n'osons l'espérer.
A. liASîûrf..
On lit dans Y Armée française :
Nous constatons avec une vive satisfac
tion que les termes do l'ordre du jour de
M. l'intendant Roux avaient été complète
ment dénaturés, et qu'il ne saurait plus être
question do répression sévère envers un
fonctionnaire distingué, dont, nous le sa
vons, les services à la délégation de Tours
et de Bordeaux ne sont pas oubliés au mi
nistère de la guerre.
A cette époque, M. Roux a fait preuve
de trop de dévouement- pour qu'on puisse
le présenter comme un ennemi de nos insti
tutions. C'est du reste un enfant de Metz,
où son père a longtemps rempli les fonc
tions d'intendant militaire de la division;
de plus, ses sentiments libéraux sont con
nus de tous ses compatriotes.
Nous sommes heureux de voir l'or
gane militaire de M. Gambetta couvrir
M. l'intendant Roux de sa haute pro
tection, mais un fait reste obscur : si
l'ordre du jour précédemment publié
était dénaturé, par qui l'a-t-iî été?
C'est un journal radical, le Phare de là
Loire , qui l'a donné ; est-ce lui qu'il
faut accuser ?
On lit dans les Tablettes d'un Specta
teur : ^
Hier avant son départ, le général Farre a
remis au président de la République les
rapports des chefs de corps sur les actes
d'insubordination dont les soldats se sont
rendus coupables lo 14 juillet.
Lo président do la République a exigé
que le ministro de la guerre laissât aux
chefs de corps lo soin d'apprécier les puni
tions méritées par leurs troupes.
Un président de la République, es
sentiellement civil, exigeant d'un offi
cier général, ministre de la guerre,
qu'il respecte les droits des chefs de
corps et ne les empêche pas de main
tenir la discipline!
Au sujet du grave incident de Cher
bourg, nous lisons dans le Parlement :
On dit que M. le ministre do la marine
est peu disposé à révoquer M. le vice-ami
ral Ribourt. Nous lo comprenons sans pei
ne. Nous ne connaissons pas les origines
de la querelle; mais, on vérité, si le préfet
maritime n'a d'autre tort que ceux dont
nous avons parlé, comment pourrait-on le
sacrifier aux sommations du député, du
maire, du conseil municipal et dos « auto
rités » innommées qui siégeaient à leurs
côtés dans la tribune? Nous disons « som
mation » : la démarche du maire, si les
termes en sont exactement rapportés, n'est
pas autre chose. Menacer de la démission
collective du conseil municipal à la veille
du voyage du chef de l'Etal, c'est exercer
sur les décisions du gouvernement une vé
ritable pression, à laquelle M. l'amiral
Jauréguiberry et ses collègues no sauraient
se soumettre. C'est du moies netre avis; ce
sera aussi, nous l'espérons, l'avis du mi
nistère.
Ce n'est pas tout pour M. Roche-
fort de faire sur le boulevard des pro
menades triomphales ou de recom
mencer, avec moins de succès, ses an
ciens pamphlets à la semaine devenus
des pamphlets à la journée. Qu'il le
veuille ou non, le citoyen Rochefort
est chef d'un parti auquel il lai faut
donner une direction. De plus, il est
indispensable, puisque ce parti est
destiné à combattre M. Gambetta, que
le programme Rochefort n'ait aucune
ressemblance avec le programme Gam
betta. Cela ne laisse pas d'offrir quel
ques difficultés.
On l'a bien vu l'autre jour lorsque,
tout fiévreux encore de la manifesta
tion qui l'avait accueilli à sa rentrée,
le lanternier s'est prononcé étourdi-
ment contre le scrutin de liste, uni
quement parce que ce mode électoral,
offrant comme une occasion de plébis
cite à M. Gambetta, est réclamé par
le président de la Chambre. A la
réflexion, M. Rochefort s'est aperçu
que la raison n'était peut-être pas suf
fisante pour engager à sa suite tout le
parti révolutionnaire, généralement
favorable au scrutin de. liste, et, pru
demment, il s'est hâté d'abandonner
ce thème.
Il en saisit un autre aujourd'hui, ou
plutôt il faudrait dire, pour employer
son argot, qu'il a recours à un truc.
Mais cette nouvelle tactique lui ser-
vira-t-elle mieux? En tout cas, on ré
connaîtra que la tactique de M. Ro
chefort, si elle plaide pour son ingé
niosité, ne donne pas une grande idée
de son savoir-faire ou de sa perspica
cité politiques, car la grande accusa
tion qu'il porte contre M. Gambetta,
c'est d'être le soutien, bien plus, le
protecteur généreux de la religion et
du clergé.
A ceux qui s'étonnéraient de voir
apparaître M. Gambetta sous ce nouveau
jour, M. Rochefort n'est pas en peine
de répondre. Il prétend que si l'on a
retranché 5,000 fr. au traitement de
chaque évêque, on a, par contre, aug
menté de dix mille francs par diocèse
le budget des ministres des cultes, en
sorte que la différence se trouve être
finalement en faveur du clergé. Nous
n'avons pas, on le comprend, à discu
ter cet argument en lui-même. Mais il
faut bien dire qu'il repose sur des
chiffres absolument faux. S'ils étaient
vrais, comme il y a plus de quatre-
vingt diocèses en France, le budget
des desservants aurait été, pour toute
la France, augmenté de plus de 800,000
francs. Nous serions curieux de savoir
où M. Rochefort pourrait nous mon
trer ce chiffre dans les colonnes du
budget des cultes.
Mais laissons ce point et venons à
exposer, d'après M. Rochefort, le déci
sif argument qui doit, sur ce point,
avoir raison de l'opportunisme, trans
formé si soudainement en soutien du
cléricalisme.
M. Gambetta s'est écrié un jour : « Le
cléricalisme, voilà l'ennemi ! » Et son
moyen de combattre cet ennemi, c'est de
l'engraisser. Peut-être espère-t-il qu'à force
de le bourrer de bonnes choses, il le fera
éclater d'indigestion. Ce n'est pas précisé
ment ce procédé ■ nutrilif que Bismarck
avait employé contre nous, pendant le siège
de Paris.
N ous n'ignorons pas que l'opportunisme et
son chef sont habiles à flairer le vent, à se
retourner dans les situations critiques. Le
dimanche soir, on fait déclarer par M. An-
drieux' que jamais l'amnistie ne sera votée
par une assemblée française, et le lundi
suivant, dans l'après-midi, on descend du
■fauteuil et on monte à la tribune pour
ordonner àlamêmo assemblée française de
voter l'amnistie. Mais le cap de la suppres
sion du budget des cultes sera plus difficile
à franchir. Les électeurs répondront inva
riablement aux officieux du Palais-Bourbon
qui se décideront à inscrire celte réforme
dans leur programme :
— Vous avez eu quatre ans pour la faire,
pourquoi ne l'avez-vous pas faite, puis
qu'elle" a été proposée à la Chambre et
que soixante-treize députés seulement l'ont
votée?
La séparation de l'Eglise et de l'Etat sera
donc l'estampille avec ou sans laquelle se
présenteront les candidats aux élections de
18S1. Nous jouirons probablement alors
des bienfaits du scrutin Bardoux, bien que
dans la situation actuelle nous en ayons in
diqué les dangers, qui peuvent devenir ter
ribles. Il y aura à ce moment, pour le peu
ple, une iaçon simple de reconnaître les
siens :
Tous ceux qui se laisseront porter sur
une liste où se trouvera déjà le nom de M.
Gambetta seront nécessairement pour le
maintien du budget des cultes, que le dé
puté de Belleville a constamment appuyé de
toutes ses forces en vue de la clientèle ca
tholique.
Tous ceux qui seront sur une liste où
manquera lo nom dp M. Gambetta seront
pour la suppression (ludil budget.
On ne pourra découvrir un contrôle plus
efficace pour distinguer les candidats fus-
chinés de cléricalisme de ceux qui ne le
sont pas; et en attendant qu'on sépare
l'Eglise de l'Etat, rien ne sera plus facile
que de séparer les hommes d'Etat des
hommes d'Eglise.
Telle est la grande machine de
guerre du lanternier contre le chef de
l'opportunisme. A notre avis, c'est
peu et il faudra trouver autrë chose.
En attendant, la République française
se moque agréablement du chef' des
intransigeants que la salutaire inter
vention du congrès ouvrier a si vite
fait entrer dans les voies de l'opportu
nisme. Son article est intitulé : Tous
bourgeois! et elle pousse la ci?uauté jus
qu'à prendre familièrement sous le
bras le lanternier qu'elle âppelle « no
tre excellent Rochefort ».
Voici encore (conversion non moins pré
cieuse) notre excellent Rochefort, le lanter
nier redoutable, qui, dans le banquet du
Lac-Saint-Fargeau,fait l'éloge du bourgeois.
Oui, du bourgeois. Et si nous, imporlu-
tunistes infâmes, avions eu cette audace, la
Normandie tout entière n'aurait pas fourni
à l'intransigeance assez de pommes cuites
ou non cuites pour qu'elle pût à loisir nous
les lancer au visage.
Et plus loin :
M. de Rochefort lui-même... Mais nous
n'insistons pas, car il a tous les genres de
courage, et en particulier celui de ne pas
rougir de sa noblesse.
Dans sofi discours, très modéré, très op
portuniste, que'nous avons lu avec intérêt,
nous ne trouvons qu'une chose à relover :
c'est qu'il n'ait pas dit à son auditoire qu'il
n'y a plus de castes dans notre France ré
publicaine, et que les bourgeois glorieux
qui ont proclamé la république une et indi
visible n'étalent ni des imbéciles ni .des
traîlrcs.
Nous ne lui en sommes pas moins recon
naissants dos choses sensées qu'il a dites.
Nous en sommes surtout reconnaissants au
congrès ouvrier, ou il s'est débité tant de
sottises. Car il n'est rien tel .que les fous
pour assagir les gens.
Voilà, certes, un beau succès pour
le lanternier, et il n'avait pas tort, tout,
à l'heure, de diVe que l'opportunisme et
son chef sont habiles à flairer le vent.
L'autre jour M. Rochefort partait en
guerre contre le scrutin de liste dont
M. Gambetta tiendra la tête, et voici
que déjà, dans cette liste, l'organe
gambettiste a trouvé moyen de faire
entrer le chef des intransigeants con
verti, lui aussi, à l'opportunisme.
Augusts Roussel,
_ Nous passons du XX e au XIX" arron
dissement, du Lac Saint-Fargeau à
l'Elysée-Montmartre, d'un banquet à
une conférence, mais nous retrouvons
toujours à toutes ces réunions M. Roche
fort présidant, acclamé, bousculé par
le flot des enthousiastes, portant son
toast ou prononçant sa petite allocu
tion. Pauvre Rochefort !
Il s'agissait hier soir, lundi, d'une
conférence sur l'assassinat de Crémieux,
faite au profit de sa veuve et de ses
enfants. Le prix des places était de
50 centimes et l'orateur M. Clovis Hu
gues; nom bien féodal, mais porté
par un citoyen décidément plein du
plus beau zèle, qu'on retrouve partout,
et qui partout pérore. Il est très en
nuyeux.
Dès huit heures, la salle de l'Elysée-
Montmartre, qui peut contenir de trois
à quatre mille personnes, était comble;
dès huit heures un quart, des trépi
gnements sur la fameuse cadence des
lampions, se faisaient entendre; et
bientôt, l'impatience grandissant, le
trépignement devenait général et pro
duisait un tapage de la plus étourdis-
- FEUILLETON DE L 'UNIVERS
M! 28 JWLLKT 1880
CAUSERIE JUDICIAIRE
L 'assassinat d'un notaire. — Roman de Ponson
du Terrail en action.— Un locataire vainqueur
d'un concierge.—Les procès de Triboulet, ae
Y Univers et de la Gazette de France.
Le drame qui vient de se passer devant la
cour d'assises de l'Aude rappelle, dans son
horrible simplicité, les plus noires concep
tions de Ponson du Terrail et do Xavier de
Montepin.
Le 29 mars 1879, à minuit, tout dormait
dans le bourg de Saint-Hilaire. Le temps
était! orageux, de gros nuages noirs pas
saient de minute en minute sur la lune, dont
la lueur blafarde alternait avec une obscu
rité profonde ; lo silence qui règne dans les
petites villes au milieu de la nuit, n'était
itroublé que par le sifflement des raffalos.
Tout à coup éclate une voix humaine, c'est
.une voix rauque qui fait entendre son ap
pel sous les fenêtres de M. Gcnce, notaire,
qui habite sans domestique, et seul. Ré
veillé en sursaut, il se précipite -à sa fenê-
Ire. Venez vitol lui crie la voix, Mlle Bena-
iean, vient de recevoir un coup de pied de
'mulet, elle se meurt à Verzeille, et vous de
mande. Il s'habille à la hâte, descend, suit
■son conducteur inconnu.
' On part de la ville, on entre dans la cam
pagne, la route est déserte, de grands ar
bres la bordent des deux côtés. Tout à coup,
d'un massif, s'élance sur le notaire un hom
me qui lui dit : La bourse ou la vie ! En
vain il essaye de se défendre, le prétendu
métayer qui l'accompagne n'est lui-même
qu'un assassin qui la jeté dans un guet-
apens ; tous deux s'acharnent sur leur vic
time, frappé déjà de deux balles à la tête,
Gence a l'incroyable énergie de saisir la
rame et de lutter encore ; mais la lutte n'est
pas longue. Un des meurtriers l'a criblé do
coups de révolver ; l'autre l'assomme, déjà
palpii^t. à coups de pierros; la tête est
écrasée. Cepéïïdant il respire encore; ils
lui passent une corde au cou, et étouffent
son dernier râle : il est mort.
Les assassins le fouillent, retournent ses
poches, prennent la clé de sa maison, re
couvrent de sarments le cadavre et la mare
de sang qui l'entoure, retournent à Saint-
Hilaire, entrent dans son logis, font main-
basse sur toutes :es valeurs et sur tout
l'argent qui s'y trouve et disparaissent. La
justice cherche partout et d'abord ne dé
couvre rien. Deux innocents sont arrêtés ;
des charges graves semblent, au premier
abord, s'élever contre eux. Erreurs humai
nes ! peut-être eussent-ils étsï condamnés.
Mais voici les vrais coupables devant la
cour d'assises. L'un d'eux avait une fem
me, l'autre une concubine. Toutes les deux
étaient en prison pour vol. L'une détient
des valeurs appartenant au notaire : on les
saisit sur elle ; son témoignage fait arrêter
les assassins. Bos se sent perdu, il avoue,
Caltam et lui se livrent, devant la justice,
à des récriminations toralîlos. On dirait
une lutte au pied de l'échafaud. Elle se ietv
mine par une double condamnation à mort.
Couple effrayant! Ils s'étaient connp.s dans
une maison de correction; et c'est ià quo le
i yo) chez le malheureux Gence, que l'un
d'eux connaissait, avail élé. résolu; et, la
veille de leur condamnation à mort, ils
avaient été condamnés, pour d'autres cri
mes, aux travaux forcés à perpétuité !
Qu'auraient dit les habitants de Saint-
Hilaire, qu'aurait dit ceux du pays tout en
tier, si le lendemain de l'effroyable crime,
ou bien encore le lendemain de la condam
nation, on leur avait dit : les assassins ne
mourront pas do la main du bourreau, ils
méritent la miséricorde humaine ; elle in
ventera des circonstances atténuantes que
lo jury n'avait pas trouvées ; ils seront
commués? Nul n'aurait voulu le croire. Eh
bien, l'impossible est devenue réalité. Les
deux assassins vivront. Ils iront à Nou
méa comme s'ils avaient commis un faux
en écriture de commerce, et peut-être en
seront-ils rappelés un jour par les assassins
qui en reviennent aujourd'hui.
Où trouver un concierge modèle, d'humeur
facile et douce, aimable avec les locataires,
disant du bien de toùtle monde, et étranger
aux commérages, désintéressé comme Cin-
cinnaius et n'acceptant qu'avec un embarras
pudique l'obole qu'il ne demande jamais,
et recevant les visiteurs des habitants de la
maison comme si leurs visites s'adressaient
à lui-même ? Cette perle précieuse pour les
propriétaires, ce bienfaiteur des locataires,
ce phénix de la loge, qui l'a vu jamais ?
Ce qu'il y a de sûr, c'est que le portier
du docteur %... ne lui ressemble guôres. Il
possède, à un degré éminent, tous les défapts
les plus contraires aux vertus que nous ve
nons de citer, et par-dessus le marché il in
vente, avec une ingéniosité rare, les désa
gréments les plus propres à tourmenter les
objets de son antipathie.
Le docteur X... avait été placé par lui
dçns cette catégorie maudite. Qui raeoftlera
ce qu'il l«j a ffjit ,sopffrir? Celle guerre est
une Iliade. Nous n'en citerons que l'épiso
de principale et héorïque. Les escaliers en
furent le théâtre : il est à remarquer que
les escaliers sont, en général, l'occasion de
ces grandes luttes ; parfois même ils en
sontlo champ de bataille. Un locataire peut
ne posséder ni chiens, ni oiseaux, ni chats,
ni enfants, ni rien do ce quo la susceptibi
lité de certains propriétaires repousse, de
co que la rigueur de certains baux défend;
mais dans toutes les maisons il y a dos es
caliers... parfois même il y en a deux : l'es
calier de»serviee et l'autre; ce dernier cas
est le plus grave. Les occasions de choc se
multiplient par le nombre des escaliers.
Le concierge du docteur X... avait l'or
dre, bien entendu, de faire monter tous les
clients par l'escalier principal, mais il s'en
était donné un autre à lui-même, et c'était
celui-ci qu'il exécutait. Il avait imaginé de
séparer on deux la clientèle du docteur : il
fallait bien laisser monter par le grand es
calier les gens dont la toilette était irrépro
chable ;• mais tous ceux dont la mise, sans
être précisément négligée, avait quelque
chose d'équivoque, étaient impitoyablement
renvoyés h l'escalier de service. Vous jugez
d'ici quelle confusion, quels malentendus
et quelles scènes, moitié dramatiques, moi
tié comiques, ont dû s'en suivre. Les incon
vénients qui en résultaient pour le malheu
reux docteur sont plus faciles à compren
dre qu'à exprimer. Les clients dont l'habit
avait déplu au concierge arrivaient furieux
quand ils ne s'en allaient pas tout de suite,
et parfois ne revenaient plus. En vain, le
•pauvre Ilypocrate de locataire s'épuisait
en prévenances pour leur faire oublier l'a
vanie dont ils avaient été l'objet; en vain,
il descendait avec eux le grand escalier, se
confondait en excuses et reprochait, en leur
présence, sa grossièreté au concierge. Mais
cet acte do bonne volonté restait stérile. Il
en résultait do nouvelles scènes et voilà
tout.
Le médecin finit par où il aurait dû com
mencer. 11 fit à son propriétaire un bel et
bon procès, avec demande do dommages-
intérêts. En pareil cas, le propriétaire com
mence toujours par payer pour le portier,
et c'est justice : l'un ne réussit, à être si
méchant que parce que l'autre l'autorise,
quand il ne l'encourage pas. Le tour du con
cierge vient après : on l'expulse, et c'est
justice encore. Voilà justement ce qui est
arriva à celui dont , nous parlons. En vain
il s'est grimé en homme austère et a pré
tendu qu'il n'avait fait que son devoir, avec
lequel il ne savait pas transiger. Il avait
probablement lu les feuilles démocratiques
qui font tenir le même langage à nos hom
mes d'Etat. Il n'ignorait pas que l'austérité
est de mise et porte bonheur en politique.
Mais il paraît qu'elle est moins favorable
aux concierges.
Le tribunal a ordonné son expulsion,
sous peine, pour le propriétaire, de 20
francs par chaque jour de retard. Soyez
sur que malgré toutes ses faiblesses pour
- son concierge, il va le faire déguerpir dès
la première heure, et ne paiera point un
centime pour le garder un jour de plus.
En revanche, il devra payer au médepin
i,500 fr. de dommages-intérêts pour tous
les tourments qu'il a endurés. C'est fort
juste et de bon exemple. L'affaire a fait du
bruit. Plus d'un portier, dans sa loge, en
rêve encore. Que dans les maisons à deux
escaliers on médite sur cet événement :
mieux vaut souffrir'qu'un honnête citoyen,
fût-il moins élégant qu'im gommeux, mon
té par le grand escalier; que de s'exposer
soi-même a été mis à la porte.
Certaines personnes soldent yoloiitiers
qu'on leur fasse, avec un air sérieux, des
reproches d'une certaine gravité ; mais
l'ombre d'une plaisanterie les effarouche,
et l'ironie les mot en fureur. Elles feront,
au besoin, bon marché de leur propre mo
ralité, mais elles ne sauraient supporter le
ridicule. Le gouvernementrépublicain ma
nifeste la même disposition et prend son
parti des plus dures vérités et s'en consola
en pensant qu'il est le plus fort et que le
droit ne prime pas la force ; mais l'éclat de
rire le trouble à un point qu'on no saurait
dire et la caricature lui donne un accès de
rage. Triboulet connaît sa faiblesse et le
nain fait du géant son souffre-douleur. Le
géant, hors de lui, saisit le mirmydon,
essaye do le broyer et de le réduire en pous
sière. Mais sa proie lui glisse entre les
mains comme si elle était revêlue d'une
peau d'anguille: il la croyait morte, et
voilà qu'il la retrouve plus vivante que ja
mais, voltigeant autour de lui comme un
taon autour d'un bœuf, jusqu'à, ce qu 'elle
vienne de nouveau se fixer sur un point
sensible, et tantôt le piquefjusqu'au sang,
tantôt le mordre jusqu'à emporter le mor
ceau. Labatailleen est là et dure toujours.
Auoun des adversaires ne se lasse, ni ce
lui-là de sévir, ni celui-ci de se moquer. A
chaque amende il répond par vingt carica
tures. Lequel se fatiguera le premier ; la
bourse de Triboulet sera-t-elle vide avant,
que la fureur de ses adversaires no soit
assouvie ?
En attendant que l'avenir nous le dise,
remarquez que la haine implacable du gou
vernement contre ce journal-n'avoue pas
franchement son mobile. Chaque poursuite
est voilée sous un prétexte. On ne le cite
pas devant la justice pour un délit qui se
rait justiciahlo de la cour d'assise, mais
pour une contravention qui relève de la po.
PARIS
Un an. . ; 55 fr. »
Six mois.. 28 50
Trois mois . . . 45 »
Un Numéro,.à. Paris 15 cent.
— Départements. - -£0 —
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doit Être accompagnée d'une des dernières
bandes et de 50 centimes en timbres-
poste.
FRANGE
PARIS, 27 JUILLET 1880
Vincident de Cherbourg , dont toute
la presse républicaine s'occupe, reste
l'incident capital de la cérémonie de
dimanche pour la remise des drapeaux
aux troupes dans les provinces. Il y a
eu cependant d'autres incidents qui
ne doivent pas être passés sous si
lence.
A Perpignan, l' Agence Bavas nous an
nonce, sur un ton enthousiaste, que « la
garnison a fraternisé avec la popula
tion » et que « la municipalité, à huit
heures du soir, a offert un punch à la
garnison >>. Ces « fraternisations » ne
se passent jamais Sans désordres, sur
tout dans un pays aussi ardent que
Perpignan, et la discipline militaire
en souffre toujours dans le présent et,
ce qui est plus grave, dans l'avenir.
Nous doutons, malgré l'enthousiasme
de commande de l'officieuse Agence,
que la fraternisation de Perpignan ait
échappé aux inconvénients inhérents
à ces sortes de manifestations qu'au
cun militaire sérieux n'a jamais vues
d'un bon œil, lors même qu'il affichait
les opinions républicaines les plus
avancées.
La République française , organe de
M. Gambetta, après avoir célébré l'at
titude de l'armée aux fêtes du 14 et du
25 juillet, a beau nous dire que jamais
la discipline n'a été plus forte, cette
affirmation ne nous rassure pas ; nous
serions même disposé à la trouver
quelque peu grotesque.
Un autre incident s'est passé à Tou
louse; Y Intransigeant le raconte ainsi,
d'après une dépêche d'un radical du
cru :
... Le général Appert a passé aujourd'hui
la revue des troupes de la garnison, à l'oc
casion de la remise des drapeaux.
On a remarqué que le 59" de ligne a seul
joué la Marseillaise.
Les musiques des autres régiments ont
exécuté des airs qui avaient, au moins le
défaut de n'être point de circonstance.
Il paraîtrait qu'à la fin de la cérémonie le
préfet ne. se serait pas retiré sans avoir
manifesté au général Appert son méconten
tement pour le pou de caractère républi
cain donné à la cérémonie par l'autorité
militaire.
. L'officieuse Agence Ilavas et les jour
naux opportunistes sont muets sur
l'incident de Toulouse ; ils ne parlent
pas du général Appert, réservant toute
leur indignation pour l'amiral Ri-
bourt. Ce silence serait-il le résultat
d'un mot d'ordre ? On dit que, dans les
hautes sphères de ,l'administration de
la guerre et peut-être au palais Bour
bon, on serait fatigué des incessantes
dénonciations, des radicaux auxquels
les opportunistes prêtaient trop facile-r
tfient leur appui ; il y aurait même un
coiïimencement de réaction, dont la
publication de l'ordre du jour de l'in
ondant Roux par l'yl rmëe française se
rait un indice. Au lieu de sacrifier cet
intendant, la feuille militaire de M.
Gambetta l'a justifié et quelque peu
glorifié. D'autre part, le général de
Galliiïet s'est montré très ferme à
Tours dans ses instructions pour éviter,
à l'occasion de l'inauguration de la
statue de Rabelais et de la remise des
drapeaux, le renouvellement des scan
dales militaires du 14.
Fait plus extraordinaire, M. le gé
néral Billot se serait, également mon
tré très raide. Les radicaux espéraient
obtenir de lui le désaveu du général
Vincendon, qu'ils accusaient d'avoir
été trop sévère àl'égard des soldatscom-
promis le 14 juillet. Or, non seulement
le général Billot a approuvé le général
Vincendon, mais encore il a pris des
mesures énergiques le 25 et il a refusé
d'assister à un banquet que voulait lui
offrir la municipalité radicale de Mar
seille . Chez le général politicien que
l'on considère comme un des succes
seurs éventuels de M. Farre, cette fer
meté est encore plus significative que
chez le général de Gallifet.
Quoiqu'il en soit, si un mot d'ordre
impose aux opportunistes «t un peu
aux radicaux le respect momentané
des généraux, il n'existe rien d'analo
gue pour l'amiral Ribourt, que toutes
les feuilles républicaines attaquent à
l'envi et qui paraît sacrifié. Le maire
et le sous-préfet de Cherbourg sont
réellement venus à Paris comme l'a
vait annoncé le télégraphe; ils ont été
reçus d'abord par M. le ministre de
l'intérieur qui, naturellement, leur a
donné pleinement raison. De là, ils se
sont rendus chez M. Gambetta « qui les
a engagés à soumettre leurs griefs au
président de la République ». Notons
en passant cette anomalie; des fonc
tionnaires républicains s'adressent à
M. Gambetta, qui, hors session, n'est
rien, et ils ne vont chez le président
de la République que sur l'invitation
du président de la Chambre. Cela mon
tre bien où est le pouvoir. Et c'est un
journal officieux, le National , qui con
state le fait. Obéissant à M. Gambetta,
le maire et le sous-préfet se sont ren
dus chez M. J. Grévy, qui a promis de
saisir de la question le conseil des mi
nistres. Le& Tablettes d'un Spectateur
ajoutent que M. l'amiral Ribourt au
rait été mandé à Paris. On n'aurait
pas voulu le sacrifier sans l]entendre.
En suivant cette campagne si vive
ment menée, on est amené à se de
mander si réellement elle est motivée
uniquement sur le refus de l'amiral
de saluer des fonctionnaires de rang
inférieur et un député sans impor
tance. Le grief paraît bien mince, et
l'intervention de M. Gambetta surprend
un peu, car il n'aime pas à paraître
inutilement. Aussi n'est-ce pas le vrai
motif, et nous étions dans la vérité
lorsque nous supposions que M. Gam
betta désirait à Cherbourg pour le
voyage projeté un préfet maritime
plus complaisant que M. Ribourt. Il
paraît même qu'à ce désir s'ajouterait
un motif tout particulier de niécon-
tentement : l'amiral Ribourt serait
l'auteur de la décision prise par M.
Grévy de se rendre à Cherbourg, dé
cision qui a dérangé les projets du
président de-la Chambre.
Un journal radical, le Phare de la
Manche , a consacré à l'amiral Ribourg
un long article, dont voici la partie
principale :
Tous les journaux de Paris continuent à
annoncer avec ensemble le prochain voyage
duprésident delà République à Cherbourg.
Si, à l'heure qu'il est, le voyage est décidé
en principe, le jour du moins n'est pas
encore fixé, car les obstacles qui avaient
empêché M. Grévy d'accepter l'invitation
delà ville de Cherbourg subsistent toujours.
Nous n'avons pas ?t cacher, aujourd'hui
que ce secret est connu de tous, quelle est
la nature de ces obstacles.
C'est la présence de M. le vice-amiral
Ribourt à Cherbourg qui a été l'unique
cause du refus de M. la président .de la
République. Le ministre do l'intérieur avait
éclairé M. Jules Grévy sur l'attitudj; de
M. Ribourt et sur la nature des rapports
qu'il entretient avec les représentants de
l'administration municipale et de l'autorité
centrale. Ces rapports, par suite de l'hos
tilité de M. Ribourt, sont devenus très
tendus, et M. Jules Grévy risquait fort de
compromettre le prestige du premier rang
en se trouvant mêlé aux compétitions qui
se seraient infailliblement produites.
Comment se fait-il que le président de la
République, revenant sur sa détermination
première, se soit décidé à visiter Cher
bourg? Le mystère est facile à pénétrer.
L'annonce du voyage de M. Gambetta,
qui sera une fête exclusivement civile et pa
triotique, fournit à. M. Ribourt le prétexte
cherché ; M. Ribourt mit en avant, auprès
du ministre de la marine, la nécessité de
donner à la flotte, comme lo président l'a
vait fait à l'armée de terre le 14 juillet, un
témoignage public et officiel de la sympa
thie du gouvernement.
M. Jules Grévy céda à ces raisons; et les
journaux de Paris purent annoncer cette
décision sans que la mairie de Cherbourg
en fût informée.
Le voyage do M. lo président de la Ré
publique, s'il s'était effectué dans ces con
ditions, aurait ou un caractère uniquement
militaire ; descendu à la préfecture mari
time, M. Jules Grévy devait visiter l'arse
nal, l'escadre et la digue ; ïe programme ne,
faisait nulle mention des édifices munici
paux, de l'Hôtel-Didu, etc.
La municipalité de Cherbourg, qui, en
présentant à M. Grévy son invitation, était
l'interprôto de la ville entière, se trouvaiL
exclue des réceptions, des fêtes organisées
à la préfecture maritime.
Le maire do Cherbourg et le sous-préfet
de l'arrondissement se sont mis en rapport
avec le ministre de l'intérieur, et no lui ont
caché aucun des détails do cette lutte sourde
engagée par lo préfet maritime contre la
ville de Cherbourg.
Samedi matin même a ou lieu un conseil
des ministres, dans lequel a dû être agitée
la question du voyage présidentiel, et à l'is
sue de ce conseil, lo ministre de l'intérieur
adressait à M. A. Mathieu et à M. de la
Loyère une dépêche télégraphique les ap
pelant en foute hâte à Paris.
La maire de Cherbourg et lo sous-préfet
sont partis hier soir pour Paris.
Le faux et le vrai sont mêlés sans
habileté dans cet article ; le scribe de
province qui tenait la plume pour le
compte de M. Gambetta et de la muni
cipalité n'a pas su faire illusion, et il
se contredit de la manière la plus ridi
cule. Qui croira, par exemple, que M.
l'amiral Ribourt ait été d'abord la
cause du refus de M. Grévy d'aller à
Cherbourg et ait ensuite décidé le prési
dent à ce voyage ; il y a là une con
tradiction flagrante. Selon toute pro
babilité, M. Grévy avait refusé d'aller
à Cherbourg parce qu'il aime peu à
se déranger; sachant ce refus, M.
Gambetta a projeté un voyage dans
lequel il serait accompagné par le mi
nistre de la marine.
L'amiral Ribourt aura signalé à
l'amiral Jauréguiberry et au prési
dent de la République les dangers de
ce voyage, qui devenait une manifes
tation radicale, et où M. Gambetta
usurpait un rôle qui ne lui appartenait
pas. Revenant sur sa décision, M. Grévy
a dit qu'il irait à Cherbourg. De là,
grande colère de M. Gambetta et des
radicaux de Cherbourg, qui ont profité
de l'incident presque puéril de diman
che pour faire campagne contre le
préfet maritime.
Les faits ainsi rétablis, il semble
que M. Grévy et l'amiral Jauréguiberry,
qui ne peuvent être dupes des raille
ries radicales, devraient couvrir le
préfet maritime. Mais le feront-ils?
Nous n'osons l'espérer.
A. liASîûrf..
On lit dans Y Armée française :
Nous constatons avec une vive satisfac
tion que les termes do l'ordre du jour de
M. l'intendant Roux avaient été complète
ment dénaturés, et qu'il ne saurait plus être
question do répression sévère envers un
fonctionnaire distingué, dont, nous le sa
vons, les services à la délégation de Tours
et de Bordeaux ne sont pas oubliés au mi
nistère de la guerre.
A cette époque, M. Roux a fait preuve
de trop de dévouement- pour qu'on puisse
le présenter comme un ennemi de nos insti
tutions. C'est du reste un enfant de Metz,
où son père a longtemps rempli les fonc
tions d'intendant militaire de la division;
de plus, ses sentiments libéraux sont con
nus de tous ses compatriotes.
Nous sommes heureux de voir l'or
gane militaire de M. Gambetta couvrir
M. l'intendant Roux de sa haute pro
tection, mais un fait reste obscur : si
l'ordre du jour précédemment publié
était dénaturé, par qui l'a-t-iî été?
C'est un journal radical, le Phare de là
Loire , qui l'a donné ; est-ce lui qu'il
faut accuser ?
On lit dans les Tablettes d'un Specta
teur : ^
Hier avant son départ, le général Farre a
remis au président de la République les
rapports des chefs de corps sur les actes
d'insubordination dont les soldats se sont
rendus coupables lo 14 juillet.
Lo président do la République a exigé
que le ministro de la guerre laissât aux
chefs de corps lo soin d'apprécier les puni
tions méritées par leurs troupes.
Un président de la République, es
sentiellement civil, exigeant d'un offi
cier général, ministre de la guerre,
qu'il respecte les droits des chefs de
corps et ne les empêche pas de main
tenir la discipline!
Au sujet du grave incident de Cher
bourg, nous lisons dans le Parlement :
On dit que M. le ministre do la marine
est peu disposé à révoquer M. le vice-ami
ral Ribourt. Nous lo comprenons sans pei
ne. Nous ne connaissons pas les origines
de la querelle; mais, on vérité, si le préfet
maritime n'a d'autre tort que ceux dont
nous avons parlé, comment pourrait-on le
sacrifier aux sommations du député, du
maire, du conseil municipal et dos « auto
rités » innommées qui siégeaient à leurs
côtés dans la tribune? Nous disons « som
mation » : la démarche du maire, si les
termes en sont exactement rapportés, n'est
pas autre chose. Menacer de la démission
collective du conseil municipal à la veille
du voyage du chef de l'Etal, c'est exercer
sur les décisions du gouvernement une vé
ritable pression, à laquelle M. l'amiral
Jauréguiberry et ses collègues no sauraient
se soumettre. C'est du moies netre avis; ce
sera aussi, nous l'espérons, l'avis du mi
nistère.
Ce n'est pas tout pour M. Roche-
fort de faire sur le boulevard des pro
menades triomphales ou de recom
mencer, avec moins de succès, ses an
ciens pamphlets à la semaine devenus
des pamphlets à la journée. Qu'il le
veuille ou non, le citoyen Rochefort
est chef d'un parti auquel il lai faut
donner une direction. De plus, il est
indispensable, puisque ce parti est
destiné à combattre M. Gambetta, que
le programme Rochefort n'ait aucune
ressemblance avec le programme Gam
betta. Cela ne laisse pas d'offrir quel
ques difficultés.
On l'a bien vu l'autre jour lorsque,
tout fiévreux encore de la manifesta
tion qui l'avait accueilli à sa rentrée,
le lanternier s'est prononcé étourdi-
ment contre le scrutin de liste, uni
quement parce que ce mode électoral,
offrant comme une occasion de plébis
cite à M. Gambetta, est réclamé par
le président de la Chambre. A la
réflexion, M. Rochefort s'est aperçu
que la raison n'était peut-être pas suf
fisante pour engager à sa suite tout le
parti révolutionnaire, généralement
favorable au scrutin de. liste, et, pru
demment, il s'est hâté d'abandonner
ce thème.
Il en saisit un autre aujourd'hui, ou
plutôt il faudrait dire, pour employer
son argot, qu'il a recours à un truc.
Mais cette nouvelle tactique lui ser-
vira-t-elle mieux? En tout cas, on ré
connaîtra que la tactique de M. Ro
chefort, si elle plaide pour son ingé
niosité, ne donne pas une grande idée
de son savoir-faire ou de sa perspica
cité politiques, car la grande accusa
tion qu'il porte contre M. Gambetta,
c'est d'être le soutien, bien plus, le
protecteur généreux de la religion et
du clergé.
A ceux qui s'étonnéraient de voir
apparaître M. Gambetta sous ce nouveau
jour, M. Rochefort n'est pas en peine
de répondre. Il prétend que si l'on a
retranché 5,000 fr. au traitement de
chaque évêque, on a, par contre, aug
menté de dix mille francs par diocèse
le budget des ministres des cultes, en
sorte que la différence se trouve être
finalement en faveur du clergé. Nous
n'avons pas, on le comprend, à discu
ter cet argument en lui-même. Mais il
faut bien dire qu'il repose sur des
chiffres absolument faux. S'ils étaient
vrais, comme il y a plus de quatre-
vingt diocèses en France, le budget
des desservants aurait été, pour toute
la France, augmenté de plus de 800,000
francs. Nous serions curieux de savoir
où M. Rochefort pourrait nous mon
trer ce chiffre dans les colonnes du
budget des cultes.
Mais laissons ce point et venons à
exposer, d'après M. Rochefort, le déci
sif argument qui doit, sur ce point,
avoir raison de l'opportunisme, trans
formé si soudainement en soutien du
cléricalisme.
M. Gambetta s'est écrié un jour : « Le
cléricalisme, voilà l'ennemi ! » Et son
moyen de combattre cet ennemi, c'est de
l'engraisser. Peut-être espère-t-il qu'à force
de le bourrer de bonnes choses, il le fera
éclater d'indigestion. Ce n'est pas précisé
ment ce procédé ■ nutrilif que Bismarck
avait employé contre nous, pendant le siège
de Paris.
N ous n'ignorons pas que l'opportunisme et
son chef sont habiles à flairer le vent, à se
retourner dans les situations critiques. Le
dimanche soir, on fait déclarer par M. An-
drieux' que jamais l'amnistie ne sera votée
par une assemblée française, et le lundi
suivant, dans l'après-midi, on descend du
■fauteuil et on monte à la tribune pour
ordonner àlamêmo assemblée française de
voter l'amnistie. Mais le cap de la suppres
sion du budget des cultes sera plus difficile
à franchir. Les électeurs répondront inva
riablement aux officieux du Palais-Bourbon
qui se décideront à inscrire celte réforme
dans leur programme :
— Vous avez eu quatre ans pour la faire,
pourquoi ne l'avez-vous pas faite, puis
qu'elle" a été proposée à la Chambre et
que soixante-treize députés seulement l'ont
votée?
La séparation de l'Eglise et de l'Etat sera
donc l'estampille avec ou sans laquelle se
présenteront les candidats aux élections de
18S1. Nous jouirons probablement alors
des bienfaits du scrutin Bardoux, bien que
dans la situation actuelle nous en ayons in
diqué les dangers, qui peuvent devenir ter
ribles. Il y aura à ce moment, pour le peu
ple, une iaçon simple de reconnaître les
siens :
Tous ceux qui se laisseront porter sur
une liste où se trouvera déjà le nom de M.
Gambetta seront nécessairement pour le
maintien du budget des cultes, que le dé
puté de Belleville a constamment appuyé de
toutes ses forces en vue de la clientèle ca
tholique.
Tous ceux qui seront sur une liste où
manquera lo nom dp M. Gambetta seront
pour la suppression (ludil budget.
On ne pourra découvrir un contrôle plus
efficace pour distinguer les candidats fus-
chinés de cléricalisme de ceux qui ne le
sont pas; et en attendant qu'on sépare
l'Eglise de l'Etat, rien ne sera plus facile
que de séparer les hommes d'Etat des
hommes d'Eglise.
Telle est la grande machine de
guerre du lanternier contre le chef de
l'opportunisme. A notre avis, c'est
peu et il faudra trouver autrë chose.
En attendant, la République française
se moque agréablement du chef' des
intransigeants que la salutaire inter
vention du congrès ouvrier a si vite
fait entrer dans les voies de l'opportu
nisme. Son article est intitulé : Tous
bourgeois! et elle pousse la ci?uauté jus
qu'à prendre familièrement sous le
bras le lanternier qu'elle âppelle « no
tre excellent Rochefort ».
Voici encore (conversion non moins pré
cieuse) notre excellent Rochefort, le lanter
nier redoutable, qui, dans le banquet du
Lac-Saint-Fargeau,fait l'éloge du bourgeois.
Oui, du bourgeois. Et si nous, imporlu-
tunistes infâmes, avions eu cette audace, la
Normandie tout entière n'aurait pas fourni
à l'intransigeance assez de pommes cuites
ou non cuites pour qu'elle pût à loisir nous
les lancer au visage.
Et plus loin :
M. de Rochefort lui-même... Mais nous
n'insistons pas, car il a tous les genres de
courage, et en particulier celui de ne pas
rougir de sa noblesse.
Dans sofi discours, très modéré, très op
portuniste, que'nous avons lu avec intérêt,
nous ne trouvons qu'une chose à relover :
c'est qu'il n'ait pas dit à son auditoire qu'il
n'y a plus de castes dans notre France ré
publicaine, et que les bourgeois glorieux
qui ont proclamé la république une et indi
visible n'étalent ni des imbéciles ni .des
traîlrcs.
Nous ne lui en sommes pas moins recon
naissants dos choses sensées qu'il a dites.
Nous en sommes surtout reconnaissants au
congrès ouvrier, ou il s'est débité tant de
sottises. Car il n'est rien tel .que les fous
pour assagir les gens.
Voilà, certes, un beau succès pour
le lanternier, et il n'avait pas tort, tout,
à l'heure, de diVe que l'opportunisme et
son chef sont habiles à flairer le vent.
L'autre jour M. Rochefort partait en
guerre contre le scrutin de liste dont
M. Gambetta tiendra la tête, et voici
que déjà, dans cette liste, l'organe
gambettiste a trouvé moyen de faire
entrer le chef des intransigeants con
verti, lui aussi, à l'opportunisme.
Augusts Roussel,
_ Nous passons du XX e au XIX" arron
dissement, du Lac Saint-Fargeau à
l'Elysée-Montmartre, d'un banquet à
une conférence, mais nous retrouvons
toujours à toutes ces réunions M. Roche
fort présidant, acclamé, bousculé par
le flot des enthousiastes, portant son
toast ou prononçant sa petite allocu
tion. Pauvre Rochefort !
Il s'agissait hier soir, lundi, d'une
conférence sur l'assassinat de Crémieux,
faite au profit de sa veuve et de ses
enfants. Le prix des places était de
50 centimes et l'orateur M. Clovis Hu
gues; nom bien féodal, mais porté
par un citoyen décidément plein du
plus beau zèle, qu'on retrouve partout,
et qui partout pérore. Il est très en
nuyeux.
Dès huit heures, la salle de l'Elysée-
Montmartre, qui peut contenir de trois
à quatre mille personnes, était comble;
dès huit heures un quart, des trépi
gnements sur la fameuse cadence des
lampions, se faisaient entendre; et
bientôt, l'impatience grandissant, le
trépignement devenait général et pro
duisait un tapage de la plus étourdis-
- FEUILLETON DE L 'UNIVERS
M! 28 JWLLKT 1880
CAUSERIE JUDICIAIRE
L 'assassinat d'un notaire. — Roman de Ponson
du Terrail en action.— Un locataire vainqueur
d'un concierge.—Les procès de Triboulet, ae
Y Univers et de la Gazette de France.
Le drame qui vient de se passer devant la
cour d'assises de l'Aude rappelle, dans son
horrible simplicité, les plus noires concep
tions de Ponson du Terrail et do Xavier de
Montepin.
Le 29 mars 1879, à minuit, tout dormait
dans le bourg de Saint-Hilaire. Le temps
était! orageux, de gros nuages noirs pas
saient de minute en minute sur la lune, dont
la lueur blafarde alternait avec une obscu
rité profonde ; lo silence qui règne dans les
petites villes au milieu de la nuit, n'était
itroublé que par le sifflement des raffalos.
Tout à coup éclate une voix humaine, c'est
.une voix rauque qui fait entendre son ap
pel sous les fenêtres de M. Gcnce, notaire,
qui habite sans domestique, et seul. Ré
veillé en sursaut, il se précipite -à sa fenê-
Ire. Venez vitol lui crie la voix, Mlle Bena-
iean, vient de recevoir un coup de pied de
'mulet, elle se meurt à Verzeille, et vous de
mande. Il s'habille à la hâte, descend, suit
■son conducteur inconnu.
' On part de la ville, on entre dans la cam
pagne, la route est déserte, de grands ar
bres la bordent des deux côtés. Tout à coup,
d'un massif, s'élance sur le notaire un hom
me qui lui dit : La bourse ou la vie ! En
vain il essaye de se défendre, le prétendu
métayer qui l'accompagne n'est lui-même
qu'un assassin qui la jeté dans un guet-
apens ; tous deux s'acharnent sur leur vic
time, frappé déjà de deux balles à la tête,
Gence a l'incroyable énergie de saisir la
rame et de lutter encore ; mais la lutte n'est
pas longue. Un des meurtriers l'a criblé do
coups de révolver ; l'autre l'assomme, déjà
palpii^t. à coups de pierros; la tête est
écrasée. Cepéïïdant il respire encore; ils
lui passent une corde au cou, et étouffent
son dernier râle : il est mort.
Les assassins le fouillent, retournent ses
poches, prennent la clé de sa maison, re
couvrent de sarments le cadavre et la mare
de sang qui l'entoure, retournent à Saint-
Hilaire, entrent dans son logis, font main-
basse sur toutes :es valeurs et sur tout
l'argent qui s'y trouve et disparaissent. La
justice cherche partout et d'abord ne dé
couvre rien. Deux innocents sont arrêtés ;
des charges graves semblent, au premier
abord, s'élever contre eux. Erreurs humai
nes ! peut-être eussent-ils étsï condamnés.
Mais voici les vrais coupables devant la
cour d'assises. L'un d'eux avait une fem
me, l'autre une concubine. Toutes les deux
étaient en prison pour vol. L'une détient
des valeurs appartenant au notaire : on les
saisit sur elle ; son témoignage fait arrêter
les assassins. Bos se sent perdu, il avoue,
Caltam et lui se livrent, devant la justice,
à des récriminations toralîlos. On dirait
une lutte au pied de l'échafaud. Elle se ietv
mine par une double condamnation à mort.
Couple effrayant! Ils s'étaient connp.s dans
une maison de correction; et c'est ià quo le
i yo) chez le malheureux Gence, que l'un
d'eux connaissait, avail élé. résolu; et, la
veille de leur condamnation à mort, ils
avaient été condamnés, pour d'autres cri
mes, aux travaux forcés à perpétuité !
Qu'auraient dit les habitants de Saint-
Hilaire, qu'aurait dit ceux du pays tout en
tier, si le lendemain de l'effroyable crime,
ou bien encore le lendemain de la condam
nation, on leur avait dit : les assassins ne
mourront pas do la main du bourreau, ils
méritent la miséricorde humaine ; elle in
ventera des circonstances atténuantes que
lo jury n'avait pas trouvées ; ils seront
commués? Nul n'aurait voulu le croire. Eh
bien, l'impossible est devenue réalité. Les
deux assassins vivront. Ils iront à Nou
méa comme s'ils avaient commis un faux
en écriture de commerce, et peut-être en
seront-ils rappelés un jour par les assassins
qui en reviennent aujourd'hui.
Où trouver un concierge modèle, d'humeur
facile et douce, aimable avec les locataires,
disant du bien de toùtle monde, et étranger
aux commérages, désintéressé comme Cin-
cinnaius et n'acceptant qu'avec un embarras
pudique l'obole qu'il ne demande jamais,
et recevant les visiteurs des habitants de la
maison comme si leurs visites s'adressaient
à lui-même ? Cette perle précieuse pour les
propriétaires, ce bienfaiteur des locataires,
ce phénix de la loge, qui l'a vu jamais ?
Ce qu'il y a de sûr, c'est que le portier
du docteur %... ne lui ressemble guôres. Il
possède, à un degré éminent, tous les défapts
les plus contraires aux vertus que nous ve
nons de citer, et par-dessus le marché il in
vente, avec une ingéniosité rare, les désa
gréments les plus propres à tourmenter les
objets de son antipathie.
Le docteur X... avait été placé par lui
dçns cette catégorie maudite. Qui raeoftlera
ce qu'il l«j a ffjit ,sopffrir? Celle guerre est
une Iliade. Nous n'en citerons que l'épiso
de principale et héorïque. Les escaliers en
furent le théâtre : il est à remarquer que
les escaliers sont, en général, l'occasion de
ces grandes luttes ; parfois même ils en
sontlo champ de bataille. Un locataire peut
ne posséder ni chiens, ni oiseaux, ni chats,
ni enfants, ni rien do ce quo la susceptibi
lité de certains propriétaires repousse, de
co que la rigueur de certains baux défend;
mais dans toutes les maisons il y a dos es
caliers... parfois même il y en a deux : l'es
calier de»serviee et l'autre; ce dernier cas
est le plus grave. Les occasions de choc se
multiplient par le nombre des escaliers.
Le concierge du docteur X... avait l'or
dre, bien entendu, de faire monter tous les
clients par l'escalier principal, mais il s'en
était donné un autre à lui-même, et c'était
celui-ci qu'il exécutait. Il avait imaginé de
séparer on deux la clientèle du docteur : il
fallait bien laisser monter par le grand es
calier les gens dont la toilette était irrépro
chable ;• mais tous ceux dont la mise, sans
être précisément négligée, avait quelque
chose d'équivoque, étaient impitoyablement
renvoyés h l'escalier de service. Vous jugez
d'ici quelle confusion, quels malentendus
et quelles scènes, moitié dramatiques, moi
tié comiques, ont dû s'en suivre. Les incon
vénients qui en résultaient pour le malheu
reux docteur sont plus faciles à compren
dre qu'à exprimer. Les clients dont l'habit
avait déplu au concierge arrivaient furieux
quand ils ne s'en allaient pas tout de suite,
et parfois ne revenaient plus. En vain, le
•pauvre Ilypocrate de locataire s'épuisait
en prévenances pour leur faire oublier l'a
vanie dont ils avaient été l'objet; en vain,
il descendait avec eux le grand escalier, se
confondait en excuses et reprochait, en leur
présence, sa grossièreté au concierge. Mais
cet acte do bonne volonté restait stérile. Il
en résultait do nouvelles scènes et voilà
tout.
Le médecin finit par où il aurait dû com
mencer. 11 fit à son propriétaire un bel et
bon procès, avec demande do dommages-
intérêts. En pareil cas, le propriétaire com
mence toujours par payer pour le portier,
et c'est justice : l'un ne réussit, à être si
méchant que parce que l'autre l'autorise,
quand il ne l'encourage pas. Le tour du con
cierge vient après : on l'expulse, et c'est
justice encore. Voilà justement ce qui est
arriva à celui dont , nous parlons. En vain
il s'est grimé en homme austère et a pré
tendu qu'il n'avait fait que son devoir, avec
lequel il ne savait pas transiger. Il avait
probablement lu les feuilles démocratiques
qui font tenir le même langage à nos hom
mes d'Etat. Il n'ignorait pas que l'austérité
est de mise et porte bonheur en politique.
Mais il paraît qu'elle est moins favorable
aux concierges.
Le tribunal a ordonné son expulsion,
sous peine, pour le propriétaire, de 20
francs par chaque jour de retard. Soyez
sur que malgré toutes ses faiblesses pour
- son concierge, il va le faire déguerpir dès
la première heure, et ne paiera point un
centime pour le garder un jour de plus.
En revanche, il devra payer au médepin
i,500 fr. de dommages-intérêts pour tous
les tourments qu'il a endurés. C'est fort
juste et de bon exemple. L'affaire a fait du
bruit. Plus d'un portier, dans sa loge, en
rêve encore. Que dans les maisons à deux
escaliers on médite sur cet événement :
mieux vaut souffrir'qu'un honnête citoyen,
fût-il moins élégant qu'im gommeux, mon
té par le grand escalier; que de s'exposer
soi-même a été mis à la porte.
Certaines personnes soldent yoloiitiers
qu'on leur fasse, avec un air sérieux, des
reproches d'une certaine gravité ; mais
l'ombre d'une plaisanterie les effarouche,
et l'ironie les mot en fureur. Elles feront,
au besoin, bon marché de leur propre mo
ralité, mais elles ne sauraient supporter le
ridicule. Le gouvernementrépublicain ma
nifeste la même disposition et prend son
parti des plus dures vérités et s'en consola
en pensant qu'il est le plus fort et que le
droit ne prime pas la force ; mais l'éclat de
rire le trouble à un point qu'on no saurait
dire et la caricature lui donne un accès de
rage. Triboulet connaît sa faiblesse et le
nain fait du géant son souffre-douleur. Le
géant, hors de lui, saisit le mirmydon,
essaye do le broyer et de le réduire en pous
sière. Mais sa proie lui glisse entre les
mains comme si elle était revêlue d'une
peau d'anguille: il la croyait morte, et
voilà qu'il la retrouve plus vivante que ja
mais, voltigeant autour de lui comme un
taon autour d'un bœuf, jusqu'à, ce qu 'elle
vienne de nouveau se fixer sur un point
sensible, et tantôt le piquefjusqu'au sang,
tantôt le mordre jusqu'à emporter le mor
ceau. Labatailleen est là et dure toujours.
Auoun des adversaires ne se lasse, ni ce
lui-là de sévir, ni celui-ci de se moquer. A
chaque amende il répond par vingt carica
tures. Lequel se fatiguera le premier ; la
bourse de Triboulet sera-t-elle vide avant,
que la fureur de ses adversaires no soit
assouvie ?
En attendant que l'avenir nous le dise,
remarquez que la haine implacable du gou
vernement contre ce journal-n'avoue pas
franchement son mobile. Chaque poursuite
est voilée sous un prétexte. On ne le cite
pas devant la justice pour un délit qui se
rait justiciahlo de la cour d'assise, mais
pour une contravention qui relève de la po.
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