Titre : L'Aurore : littéraire, artistique, sociale / dir. Ernest Vaughan ; réd. Georges Clemenceau
Éditeur : L'Aurore (Paris)
Date d'édition : 1897-12-18
Contributeur : Vaughan, Ernest (1841-1929). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 18 décembre 1897 18 décembre 1897
Description : 1897/12/18 (Numéro 61). 1897/12/18 (Numéro 61).
Description : Collection numérique : Grande collecte... Collection numérique : Grande collecte d'archives. Femmes au travail
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Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
Première Annie. - Numéro 6!
Cincj Centimes
SAMEDI 18 DÉCEMBRE 139»
Directeur
ERNEST VAUGHAN
ABONNEMENTS
Sî* Trai*
Un nn mois moi»
PAIUS . . . . 7T . . T . 20 » 10 » B »
DÉPARTEMENTS ET ALGÉRIE, 24 » 12 ? B »
ÉTRANGER(U«IOKPOSTALE), AS » «8 » IO »
POUR LA RÉDACTION !
S'adresser à M. A. BERTHIER
Secrétaire dé la Rédaction
ADRESSE TÉI.ÉFLRAPHÏQIRA : AURORE-PARIS
L'AURORE
Littéraire, Artistique, Sociale
Dlrectaur ,
ERNEST VAUGHAN
LES ANNONCES SONT REÇUES :
142 - Rue Montmartre ~~ 142
AUX BUREAUX DU JOURNAL
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ADRESSER LETTRES ET MANDATS :
à M. A. BOUIT, Administrateur
Téléphone : 102-BB
SOUVENIRS
Un grand charme a disparu du monde, j
Alphonse Daudet n'est plus.
Ceux qui étaient ses amis, qui l'ai- ?
maient tendrement et qui se sentaient j
aimés de lui. ont senti en eux un brusque ,
écroulement fi la brutale nouvelle de sa ,
disparition. Malgré sa maladie, sa souf-
france, il nous semblait qu'il devait être ,
la longtemps encore. Il aimait tant la vie !
il se défendait si bien contre la Mort qui
rôdait autour de lui, qui rôde autour de
tous! Il était animé d'une volonté qui
paraissait si invincible ! Il résistait,
faisait sa part au mal, lui livrait son
pauvre corps douloureux. Il n'avait qu'un
Lut : garder sa tête, sa pensée lucide,
sa parole de flamme. Combien de fois
m'a-t-il dit énergiquement ce vouloir, ce
refus et cette peur de céder ce qui était
lui, son intelligence et sa passion. 11 était
admirable d'acharnement et de gaieté
dans ce combat de tous les jours. Je le
revois, je le reverrai sans cesses derrière
son rempart de livres et de papiers, assis
dans son grand fauteuil, frileusement enve-
loppé dans ses couvertures, vêtu d'étoffes
souples.
CVst là qu'il se démenait, qu'il vivait
une vie d'action intense, toujours prêt à
la causerie, à l'éloquence, toujours curieux
de ce que lui apportait chaque nouveau
venu. C'était comme une vague d'exis-
tence qui s'en venait déferler jusqu'à lui,
dans son cabinet de travail silencieux. De
quelle joie il accueillait cette aubaine,
comme il savait faire jaillir la comédie et
le drame des récits qu'on lui faisait,
comme il découvrait le sens secret des
mots! Sa force était une force simple :
c'était l'amour et le sens de la vérité -de la
vie. Il possédait une sorti!, de divina-
tion. qu'il exerçait perpétuellement, mal-
gré lui pour ainsi dire, sur tous le-s gens
et sur toutes les choses, sur le caractère
caché des individus et sur le fait public
dénaturé par les racontars, faussé par les
polémiques. 11 y avait vraiment en lui un
investigateur supérieur, une manière de
juge d'instruction de la littérature. On le
lui disait parfois, et il en riait, en mon-
trait un certain orgueil. Puis, se ravisant,
il vous racontait ses méprises, ses erreurs
d'observation, et comment le psychologue
avisé et savant pouvait se transformer en
astrologue qui se laisse tomber dans un
puits.
Avec ses amis, il était incomparable.
A sa conversation vivante, il ajoutait une
chaude atmosphère de tendresse dont il
vous enveloppait tout entier. Sa merveil-
leuse improvisation ne séduisait pas seu-
lement 1 esprit, elle prenait le coeur, ré-
chauffait tout l'être, communiquait une
allégresse particulière. On pouvait, à toute
heure du jour, aller chercher auprès de
lui un conseil, un réconfort. Aucune mo-
rosité, aucun stupide ennui de la vie, ne
pouvait résister a cette chaleur commu-
nicative qui émanait de lui. On avait la
sensation, au premier mot qui lui était dit,
qu'une étincelle l'avait touché : immédia-
tement le foyer flambait. Ses mains dia-
phanes tremblaient d'émotion, son beau
visage intelligent rayonnait, ses yeux fins
semblaient sourire pendant qu'il parlait,
toute sa personne exprimait admirable-
ment ce mélange singulier et délicieux de
rires et de larmes qui fait frémir toutes
les pages de son oeuvre.
Cette oeuvre, je n'en dis rien, mais c'est
parler d'elle que de parler de lui. Il n'avait
pas séparé cette oeuvre de la vie, et elle
était sans cesse présente dans les vives
confidences de sa sensibilité. Ceux qui
n'ont connu de Daudet que ses livres
éprouvent tout de même, à lire ses phrases,
un tressaillement particulier, ils ont la
sensation d'une voix et d'un geste inou-
bliables, ils devinent un être tout proche, à
peine séparé d'eux par la feuille de pa-
pier. Il est pour ainsi dire là, derrière ces
caractères d'imprimerie, c'est lui qui
donne cette vibration à la page, c'est lui
qui enchante le paysage, c'est lui qui vi-
bre, qui souffre, qui s'alanguit avec les
personnages. Tous les écrivains se met-
tent, qu'ils le veuillent ou non, dans leurs
livres. Mais, chez certains, on sent la ré-
sistance, un dédoublement, un désir d'être
considérés comme absents de leur oeuvre.
Chez celui-ci, rien de pareil. Il sait, il
juge, il devine, il est maître de son art,
il a l'exquise mesure, le rien de trop de
l'écrivain de race. Mais avec son émo-
tion, il ne discute pas, il ne compte pas.
Il se refuse à rien céler des tumultes et
des ivresses qui l'envahissent. Ce qui
l a ému directement, ce qu'il a reconnu
beau, touchant, attendrissant, par le con-
tact immédiat, il le confesse par la page
écrite au risque de l'accusation de sensi-
blerie. 11 possède d'ailleurs une arme acé-
rée dont il écarte, menace, frappe ceux qui
seraient tentés de se méprendre sur la
qualité de ses apitoiements : il est un
maître de l'ironie,, en même temps qu'il
est un poète pitoyable. De cette ironie, il
n'a jamais transpercé IPS faibles, il n'a
parlé des bonnes gens qu'avec bonne hu-
meur, il n'a souligné les ridicules inoffen-
sifs que d'amusante gouaillerie. La fine
lame si bien ajustée à sa main n'a été cre-
ver et dégonfler que les apparences despo-
tiques, les conventions vaines, la sottise
nuisible, l'égoïsme féroce. Il y a une char-
mante intrépidité dans nombre de pages
de Daudet. Ce n'est pas qu'il eut l'esprit
de révolte, il s'avouait volontiers tradi-
tionnaliste, conservateur, n'aimant rien à
changer au décor social. Mais; pourtant,
le giût île la vérité était trop fort chez lui,
aboutissant malgré tout à l'irrévérence et
à la violence.
On reconnaîtra tout cela en relisant
ses livres. Par cet esprit de vérité qui
avait raison de tous les préjugés, de
toutes les prudences, il appartient bien
à cette grande école des romanciers de ce
siècle qui a pour chefs Balzac et-Stendhal,
qui s'est prolongée en forte phalange jus-
qu'à nos jours, qui a créé vraiment uae
littérature. Chez ces hommes, les instincts,
les formes d'éducation, les opinions, les
intérêts peuvent être à l'opposé. Celui-ci
peut être un monarchiste catholique, cet
autre nn libéral athée, ce troisième un
indifférent. Rién n'y fait. Us se rejoignent
au même rendez-vous. Ils ont la passion,
la frénésie du vrai. Leur réalisme, pour
avoir pris une autre forme que, le réalisme
des classiques, est de la même source
française. Une volonté ardente les anime
vers la vérité. Ils sont passionnés de sa-
voir, Tous les nuages du rêve, toutes les
fumées de la mysticité, ils veulent les
écarter pour chercher à apercevoir le réel.
Ce qui est, voilà leur poésie. Avoir com-
pris, avoir deviné, cest la grande joie
de leur esprit. Chercher, c'est leur tour-
ment, Zola donnait encore hier une noble
preuve de cet état d'esprit. Ce fut aussi
l'état d'esprit permanent d'Alphonse
Daudet, comme ce fut celui des Goncourt,
de Flaubert, de Barbey d'Aurevilly.
Chez Daudet, ce fut une allégresse. Il
adorait les véridiques, les maîtres qui
avaient été les témoins magnifiques de la
vie. Il fallait l'entendre parler de Mon-
taigne, de Rousseau, il fallait l'entendre
discerner le vrai du faux dans une oeuvre,
séparer ce qui était venu de source de ce
qui était rapporté, factice. Comme il dé-
couvrait le vrai visage sous le fard ! Quel-
les leçons de vie il faisait sortir de tout, de
la page d'un livre, d'un fait journalier, de
l'apparition d'Un passant ! Combien de
souvenirs se pressent en foule dans ma
mémoire, lorsque j'évoque vivant, mon
maître et mon ami de seize années, que
j'ai vu ce matin, tristement souriant, ina-
nimé, hélas ! sur le lit de fleurs où il
repose. Nous n'aurons plus les causeries
de crépuscule au coin de son feu, je n'en-
tendrai plus l'éloquence de sa gaieté héroï-
que.' Et comment revoir ces allées de
Champrosay, désormais désertes, ces sen-
tiers de Sénart, parcourus avec lui, alors
qu'aux splendeurs de l'automne s'ajoutait
la féerie de sa conversation '? Tout cela est
fini. De vous, Daudet, comme de Gon-
court, il reste vos livres que je viens
d'étaler sur ma table : c'est là que conti-
nue de vivre le poète passionne, l'histo-
rien de moeurs savant et brûlant, qui a
porté partout le renom de la France. Il
reste aussi chez ceux qui le pleurent, sa
femme, ses enfants, tous les siens, ses
amis, le souvenir impérissable de la bonté
la plu .H haute, de la plus ardente ten-
dresse.
Gustave Geffroy.
LETTRE OUVERTE
A M. JOSSE, JUGE D'INSTRUCTION
Vo?« êtes orfèvre, monsieur,, et, comme
vos confrères, mus ne devez éprouver
qu'une sympathie tout à fait restreinte pour
la loi qui supprime le secret de l'instruction
en vous obligeant à interroger le prévenu en
présence de son défenseur. Sans doute, vo-
tre besogne est simplifiée, puisque Carrara
et sa complice ont avoué, et que vous n'avez
plus qu'à reconstituer, sur les indications
d'assassins qui ne demandent qu'à « jas-
piner », les détails du crime. ,
Mais c'est précisément là, il faut bien le
reconnaître, ce qu'il y a de vexant dans vo-
tre cas. Naguère vos collègues se faisaient
gloire d'arracher l'aveu de leurs forfaits
auoe criminels les plus retors, et il semble
bien d'ailleurs que l'avancement de ces ma-
gistrats dépendît du nombre des poursuites
qu'ils réussissaient â obtenir. Aussi n'hési-
taient-ils point â recourir aux moyens les
moins avouables pour faire parler l'accusé,
le retournant sur te gril des interrogatoires,
le laissant pendant des mois cuire dans son
jus - mariner, comme disent ces messieurs
de la sûreté - et il arrivait toujours en fin j
de compte que le prévenu, las de résister, !
confessait son crime. Même il s'en était ren-
contré, comme la femme Boise, qui s'étaient
reconnus coupables d'actes qu'ils n'avaient
pas commis.
Cet art supérieur de « cuisiner » le pré-
venu, comme on dit encore boulevard du
Palais, ne serait plus désormais que l'apa-
nage des commissaires de police, et les par-
tisans d'une justice forte se lamentent, en
insistant sur l'inégalité à laquelle on con-
damne la magistrature. Les officiers de po-
lice judiciaire continueront à exercer sur le
prévenu la plus odieuse des pressions ; ils
essayeront de lui extorquer des aveux par
les promesses, les menaces et le mensonge;
comme Esau vendant son droit d'aînesse
pour un plat de lentilles, le faussaire ou
l'assassin payera du bagne ou de la gu illo-
tine un navarin aura pommes ou une entre-
côte garnie ?- cela s'est fait de façon cou-
rantc, M. Goron nous l'a raconté dans ses
Mémoires - et le juge instructeur devra
opérer avec la correction ta plus absolue,
sous l'oeil méfiant du défenseur.
Véritablement, il y a là une injustice
criante, et c'est à dégoûter du métier du juge
d'instruction. Je sais bien qu'un député va
demander que le bénéfice de la suppression
du secret s'étende auoe interrogatoires faits
par les commissaires. Mais cette mesure se-
rait le renversement de toute police, et so?i
adoption est aussi invraisemblable que la
suppression du passage û tabac.
LÉON MILLOT.
Coup double
Le ministre libéral Sagasta, ses juges et
ses policiers-bourreaux doivent s'estimer bien
heureux. Ils frappent un innocent, ils marty-
risent une victime,, et, & chaque fois, ils font
au moins coup double.
Francisco Callis, que les juges à tout faire
de Barcelone viennent de condamner^ au
bagne h perpétuité, a une vieille mère, dont
il était le gagne-pain. Il lui restait tout seul
de ses dix-sept enfants.
A soixante-dix ans, quand son Francisco
fut enfermé à, Montjuich, livré aux Portas et
aux Marzo, cette mure en larmes s'en alla par
les routes, mendiant sa nourriture. l£t, sur ce
qu'on lui donnait, elle prélevait le meilleur,
mettait de côté quelque argent, pour l'en-
voyer à. son fils.
Elle espérait qu'on pliait le lui rendre.
Cette pensée la soutenait, la faisait vivre, j
plus que le pain amer de l'aumône.
La condamnation de Francisco au bagne
perpétuel lui a porté le coup suprême. Elle
n'a plus ia force ni le courage de mendier
encore.
M. Sagasta le sait, car toute une nuée de
policiers tourbillonne sans cesse autour de
cetie femme desoixante-dix ans. lisait qu'elle
va mourir de faim.
M, Sagasta fait de grandes choses. Il doit
être bien heureux.
B. A
LA. MORT
D'ALPHONSE DAUDET
Avec Alphonse Daudet, c'est de la pen-
sée française qui s'en va, de ia belle,
de la claire pensée française. A côté de '
Geffroy qui l'a aimé, comme je l'ai
aimé moi-même, comme l'ont aimé tous
ceux qui l'ont connu, je veux dire un
mot, non de l'écrivain qui n'a pas besoin i
d'être expliqué, mais de l'homme que je |
n'ai pu apprécier pleinement que dans \
ces dernières années. 1
Nous commençâmes la vie de Paris .
bien loin l'un de l'autre, lui secrétaire de
Morny, moi agitateur du quartier Latin
emprisonné dès 1861 pour avoir proclamé
la République neuf ans trop tôt au pied ;
de la colonne de Juillet. Je le voyais pas- 1
ser parfois, dans sa beauté latine, sous les :
galeries de l'Odéon, et nous échangions, j
j'en ai peur, des regards ennemis. Ce- ,
pendant, je me faisais gloire de distin- ;
guer entre l'homme politique - que !
je le supposais, le pauvre - et l'écri-
vain que je goûtais fort. L'un de mes
premiers articles fut une critique de la .
Dernière Idole, où nous applaudissions
Tisserand et Rousseil. Ne me demandez ;
pas le nom du journal. C'était peut-être 1
le Travail, peut-être le Matin, peut-être
un autre.
Ce fut alors notre dernier point de contact.
Il ne fallut pas moins de trente ans pour
nous rejoindre. Combien changés, tous
deux, des belles années. Il était devenu im
Maître. Je m'étais fait,dans la mêlée poli-
tique, plus d'ennemis que d'amis. J'étais
un combattant, pour l'heure hors de com-
bat. Je commençai d'écrire, et, dès le dé- !
but, son encouragement m'a m va. J'ai
plaisir, dans ma peine d'aujourd'hui, à en
dire ma reconnaissance. Son encourage-
ment m'arriva, cordial et chaud, frater-
nel. J'en fus grandement réconforté. Ce
fut lui qui insista - devant des amis qui
n'aimaient guère cotte idée - pour que je
prisse ia parole au banquet de Goncourt.
Hier encore dès les premières pages d'un
j essai de roman, il m'envoyait a Carlsbad
un affectueux bravo qui me mettait du
courage au coeur. Jamais je ne l'ai vu sans
une parole amie. D'autant plus méritoire
qu'il exécrait la politique, et particulière-
ment la mienne. Il me le disait parfois,
avec un beau rire, concluant ; « Nous pas-
sons les uns à côté des autres sans nous
connaître. »
Sa sensation de grande pitié humaine
l'en traînait aux revendications de bonté, de
générosité, de justice, Son besoin d'ordre
et de paix le faisait autoritaire. En cela,
bien Français. J'en fis la remarque un jour,
dans un article. - Vous avez bien jugé,
me dit-il en riant quelques jours plus tard.
Je suis un vieux réactionnaire, avec un
grand besoin d'humanité tout de même.
- Quand ce sera là le programme de la
réaction, répondis-je, tout le monde sera
bien près d'être d'accord.
II était bon tout simplement, admira-
blement bon, tout vibrant de la dou-
leur des autres, lui dont la souffrance
d'un mal impitoyable usa férocement la
vie. Il tombe après un grand labeur, en
pleine force de volonté. II. travaillait
encore une heure avant de mourir. Quand
je perdis mon père, il m'écrivit une lettre
du sentiment le plus délicat, qui se termi-
nait par ces mots : « Lorsque je mourrai,
vous serez à côté de mon fils. » Hélas!
l'heure est venue plus tôt qu'on ne
pouvait croire. L'oeuvre survit. Elle sur-
I vivra aussi longtemps que notre langue
par la claire filtration de pensée, par le
charme exquis d'une intelligence limpide,
éprise de beauté, parfumée d'un subtil
amour de tout ce qui est-, et de tout ce qui
voudrait être.
Cet été, je le laissai dans son Champ-
1 rosay, heureux parmi les siens, sous le
vigilant regard de l'affection la plus belle
qui lui fit ie plus beau foyer. H voulut
marcher jusqu'au bout du parc. Il marcha,
imposant à ses pauvres membres inertes
l'obéissance douloureuse. Il buvait la nar
ture, chantait les arbres, les fleurs, la lu-
mière du ciel, sa Seine vierge encore dès
souillures de Paris. Le soir, à table, il
était le plus gai, évoquait des souvenirs,
citait tout un^ passage de Chateaubriand,
blaguait avec tendresse son Midi bien-ai-
mé. C'est là rjne je lui dis adieu, pour no
plus le revoir que sur son lit de mort.
Il venait de quitter la rue de Bellechasse
pour la rue de l'Université. J'avais dif-
féré ma visite par crainte de le sur-
prendre dans le trouble d'un déménage-
ment. Léon Daudet, rencontré à la
première des Mauvais Bergers, m'avait
dit que son père aurait plaisir à me voir, et
j'avais annoncé ma visite pour aujourd'hui
même, au moment précis où j'écris ces li-
gnes. Ainsi nous sommes les jouets de la
vie et de la mort.
Par sa noble pensée, la France, malgré
ses armes vaincues, est encore reine du
monde. Le télégraphe a déjà porté dans
tous les pays civilisés la nouvelle qu'un
esprit vient de s'éteindre parmi nous. Tra-
vaille, jeunesse, et tâcheae remplacer ceux
qui s'en vont.
Dans la douleur de notre perte, nous
ne songeons qu'au maître regretté, à l'a-
mi, à sa noble compagne, vers qui vont
nos hommages, aux entants qui se mon-
? treront dignes de leur nom, comme l'un
ji d'eux déjà l'a su faire. Sur la foule loin-
taine, une inquiétude passe. Des hommes
? disparaissent dont nous avions besoin
pour être nous-mémes.Travaille, jeunesse,
et tâche de remplacer ceux qui s'en vont.
Gr, Clemenceau,
(Échos et Nouvelles
CALENDRIER. - Vendredi 18 décembre, 352* jour.
Temps d'hier : Beau et doux.
Thermomètre do l'Aurore : Maximum, 11» au-
dessus; minimum, ?>4 au-dessus.
Baromètre de l'ingénieur Secretàn : À midi,
768" ; à minuit, 709-.
Vent du sud-est.
LA POLITIQUE
On commence à se. demander, dans les mi-
lieux gouvernementaux, si l'on parviendra à
voter le budget avant la fin de la législature. ;
Vraiment, en laissant ledit budget en plan,
cette Chambre impuissante couronnerait di-
gnement son oeuvre de quatre années. Par
exemple, nous voyons d'ici la grimace des
députés à venir, en trouvant dans le testa-
ment de leurs prédécesseurs ce budget dif-
forme, mutilé, et. que l'on avoue déjà ne pou-
voir jamais équilibrer,
En ce qui concerne le déficit, les journaux
officieux s'indignent volontiers contre les
braves gens qui creusent chaque jour quel-
ques trous de plus en faisant augmenter les
traitements des petits fonctionnaires. Il y au-
rait portant un moyen de tout concilier, Ce
serait d'augmenter les petits en réduisant les
gros. Le diable, c'est de trouver un député
pour proposer la chose. Dame! à la veille des
élections, on a besoin de tout le monde. -
An. M.
L'OR DES LIVRES
Voici venir le jour de l'An. Les étalages des
libraires sont tout flambants d'or - d'or sur
tranches. « Que d'or! que d'or! » eût dit Mac-
Mahon. Pour combien d'argent peut-il y en
avoir'?
Pour une vraie fortune : la valeur des feuil-
les d'or employées à l'habillement dos livres
d'étrennes atteint, à Paris, plus de 400,000
francs!
Cette année, près de- deux cents ouvrages
ont vu le jour à. l'occasion de Noël et du jour
de l'An.
Avec les anciens qu'on réédite, cela fait
plus de deux millions de volumes dorés, mis
en circulation ce mois-ci.
Deux cent cinquante-cinq relieurs travail-
lent, à Paris, en vue de cette période dorée.
Tel grand atelier de la rive gauche occupe
cinq cents ouvriers qui, chaque jour, prépa-
rent pour la vente une moyenne de cinq mille
volumes. Plusieurs milliers de brocheuses ap-
portent à ce gigantesque travail l'aide ae
ours agiles petites mains.
PAS DE FEMME .
Rien ne pésc tant qu'un secret,
Le porter loin est difficile aux dames.
Ainsi, dans sa cellule, pourrait s'exprimer
Carrara. Et si l'on a mis à sa disposition
quelques volumes d'annales judiciaires, il
doit comprendre combien il fut imprudent de
mêler sa femme à ses affaires. C'est toujours
par les femmes que les assassins succombent.
Sans Eugénie forestier et Mauricette Cou-
ronneau, Prado serait encore de ce monde ;
Gabrielle Bompard a vendu Eyraud ; Antoi-
nette Sabatier a perdu Pranzini ; Jeanne Blin
a livré Marchandon.
Abadie, qui connaissait ses auteurs, Savait
! ce qu'on devait attendre des délations fémi-
nines. Aussi avait-il imposé à ceux de sa
bande un règlement en soixante articles, par-
mi lesquels il en était un ainsi conçu :
« Les chefs seuls ont le droit d'avoir une
femme : les autres associés ne pourront avoir
, que des maîtresses d'un jour. >>
| Cette faveur intéressée à l'égard des chefs
| perdit Abardie. Une femme le dénonça.
1 Règle générale â l'usage des assassins :
' Quand on veut supprimer un homme, il faut
i commencer par supprimer sa femme.
RAMOLLOT CUEZ GUIGNOL
Non seulement on ne songe pas à chasser
Guignol des Tuileries, comme le bruit en
avait couru, mais encore un journal du soir
nous apprend qu'au contraire on se préoccupe
d'élever, par le Guignol, « le niveau intellec-
tuel des enfants et d'exalter dans les âmes des
jeunes générations le sentiment du patrio-
tisme )>.
Aile/, aux Tuileries, conseille notre con-
frère. Vous y assisterez à la représentation
du Colonel, * pièce militaire en quatre ta-
bleaux.
Ramollot chez Guignol. Cela devait ar-
river. ^
L'ECLIPSE CHEZ SOI
Une mission anglaise, ayant à sa tête sir
Morman Lockyer, "vient de partir pour Co-
lombo (Ceylan), afin d'observer l'éclipsé de
soleil qui "sera visible le 21 Janvier prochain
en Afrique et en Asie.
Parmi les appareils scientifiques qu'emporte
cette mission, se trouve un énorme cinéma-
tographe qui donnera cinq à six clichés à la
secondé.
On,espère ainsi pouvoir se rendre compte
exactement des modifications qui se produi-
ront dans le cercle solaire pendant la courte
durée {l'une éclipse.
On pourra aussi donner dans les salons an-
glais, à la prochaine season, des représenta-
tions â domicile, du phénomène observé à
Ceylan.
L'ENQUÊTE CONTINUE
La Revue bleue poursuit son enquête sur
la presse.
M. Leroy-Beaulieu, dans le numéro d'au-
jourd'hui.'déclare que « la décadence delà
presse est manifeste ».
Tia presse s'est abaissée et s'est corrompue, écrit-
il, en se vulgarisant. Autrefois elle était rédigée [vxr
une élite pour une élite.... Les journaux sont trop
bon marché....
M. Leroy-Beaulieu écrivait aux Débats lors-
que ce journal coûtait vingt centimes.
M. Èmile Zola répond à l'enquêteur :
Je suis pour la liberté illimitée. Je la réclame
pour moi et je tache de la tolérer chez les autres.
C'est pourquoi je ne veut pas qu'on touche à la li-
berté d'écrire.
M, Jules Case dit : « La liberté vint à la
presse, quand elle fut morte, et, après la
mort, c'est la décomposition. La presse pour-
lit. «M
M. Marc donne d'intéressants renseigne-
ments sur l'industrie journalistique.
A U PA Y S ROUGE
Notre confrère Jean Carol poursuit ses inté-
ressantes études sur Madagascar.
Il déclare que, parmi celles de nos lois dont
nous avons gratifié les Hovas, « bon nombre
leur seront funestes...r>.
Et, en comparant le Code malgache à celui
qui nous régit, il trouve que « ce Codé de sau-
vages est moins barbare que le nôtre ».
Ce' quikrevient â dire que, ai Madagascar
est « le pays rouge », la France est le pays
qui devrait rougir.
CHOSE VUE
Dans un jardin public.
Un invalo, ayant une jambe de bois, assis
sur un banc, se repose.
Arrive un autre bonhomme incomplet. Ce-
lui-ci possède ses deux guiboles, mais il a un
nez en argon t.
L'énasé voit le monopode, va s'asseoir â
coté de lui. Pris d une compassion réciproque,
ils .se serrent silencieusement la main.
Puis l'amputé, frappant sur sa quille en
bois, laconique, dit ; «70! » L'autre, posant le
doigt sur sou blaire en métal, donne une date
antérieure. Les deux détériorés se mettent à
rire ; et, fraternels, ils" ae racontent leurs
campagnes.
^ ÇA ET LA
LA SOCIÉTÉ FUTURE - Georges Renard, dana la
Revive socialiste, continue sa série d'études sur le
Régime socialiste, ci achève dans le numéro du
I"> décembre d'en esquisser l'organisation politi-
mte. Que vaut le système parlementaire ; que faut-
il penser do la représentation proportionnelle, du
référendum, du droit d'initiative populaire, du
fédéralisme et de la décentralisation ; tels sont
quelques-uns des problèmes qu'il aborde.
Ao MUSÉE GUIMET. - Dimanche prochain, 19 dé-
cembre, â deux heures et demie, au musée Guimet:
Conférence publique et gratuite sur le Dogme de
l'Incarnation chos les Bouddhistes, Bouddhas
vivants, par M. de Milloué, conservateur du mu-
sée.
Uî* TRUC. - Hier sont partis de Marseille
les membres du dix-septième pèlerinage populaire
de pénitence à Jérusalem, Bethléem et Jéricho,.
C'est le paquebot Notre-Dame-dû-Salut qui empor-
tera ces pèlerins ; ils seront de retour vers le
15 janvier.
Inutile de dire que c'est là pour tous ces bigots
le moyen de remplacer par un agréable voyage ïa
corvée des étrennes,
BALIVERNES
Modernité.
Tout le monde connaît cette espèce de petits
psitteques dont le mâle et la femelle vivent
toujours côte à côte et ne peuvent se passer
l'un de l'autre. Aussi les nomme-t-on com-
munément des inséparables.
Dufourneau, marchand d'oiseaux, a trouvé
que cette appellation n'était plus d'accord
avec l'état actuel de notre législation; et, sur
la cage où il tient enfermées les bestioles de
ce genre, il a écrit :
PERRUCHES.. INDIVORC,ABLES !
A la sortie de l'école maternelle :
Un gosse de trois ans pleure à chaudes lar-
mes en poussant des cris lamentables.
- Qu'est-ce que tu as ? demande un pas-
sant.
- Hi ! hi ! C'est un vieux qui m'a battu.
On fait une enquête rapide.
Le coupable est découvert, Le vieux a cinq
ans !
Scaramouche.
((Ennemi de l'Armée))
Une feuille qu'il est inutile de nommer,
parce qu'elle existe à peine, avait pris l'habi- :
tude « d'emprunter » ma prose en étant la
signature. J'ai rappelé le directeur à la pro-
bité; il s'en venge par la calomnie.
Découpant mes articles de l'Aurore avec
une perfidie policière, il m'accuse tous les
deux jours d'être l'ennemi de l'armée, d'atta-
quer l'armée, de vouloir détruire l'armée. Par
ce temps de lois martiales et de procès à huis
clos, on devine où tendent les insinuations du
personnage et ce qu'elles peuvent préparer.
Je les dédaignerais toutefois si, en ne les
réprimant pas, je ne devais craindre d'en en-
courager d'autres. Je répondrai donc aux Ja-
nicots de l'avenir en même temps qu'au Jani-
cot d'aujourd'hui.
M'accuser d'attaquer l'armée, d'abord, c'est
imbécile. Je ne connais pas d'armée en
France hors des trois millions de citoyens
soldats dont je suis, et dont n'est pas le Ja-
nicot.
Ensuite, c'est faux. J'attaque le militarisme
dégradant ; j'attaque les abus et les concus-
sions qui ruinent â l'avance la défense natio-
nale ; j'attaque les syndicats do chefs intri-
gants'et de fournisseurs cupides qui livreront
la patrie désarmée ; j'attaque les usurpations
d'un Pouvoir militaire qui nous écrasera de-
main.
Quiconque a dit que j'attaquais « l'armée »
en a menti. Quiconque le répétera en aura
menti.
Urbain Gohier.
FEUILLES VOLANTES
IMPRESSION
... La façade, toute illuminée, flamboyante,
incendiant le boulevard extérieur..."Dans
îa salle, également, des lumières, des lu-
mières... Des cordons de verres de cou-
leurs... L'éclairage à l'huile combiné avec
l'éclairage électrique. - - Du bruit, du bruit...
Des cris, des cris..'. Des rires, de la joie...
Du bruit, du bruit... Le chahut de l'orches-
tre de bal, rythmant -violemment les dan-
ses, quadrilles, valses, polkas, mêlé aux
roulements de tambour et aux beuglements
de cuivre des parades... D'où une cacopho-
nie terrible, une symphonie en zut majeur,
réjouissante par son agression même...
Foule com.pacte,.. Une cohue... Di fficulté
de circuler... Pourquoi s'en plaindre ? De
ïà, des frottements, des tutoiements de ro-
tondités et de bosses qui ne sont point des
difformités... Des habits noirs, aes redin-
gotes, des vestons... Des costumes, aussi...
Beaucoup... De pittoresques; d'amusants...
Surtout ceux des femmes déguisées, elles,
presque toutes... Des moines, des moines-
ses, des clowns, des clownesses. des pier-
rots, des pierrettes, des marquises, des dé-
bardeurs et des dominos, des dominos...
Beaucoup de travestis... Dame! par ce
temps d émancipation féminine, les fem-
mes aiment à enfiler des culottes, et l'aspect
qu'alors elles nous offrent n'est pas, certes,
pour nous déplaire... D'aucunes, unique-
ment vêtues comme de simples Clara Ward,
de maillots, tout blancs, qui les faisaient
statues... Celles-ci s'étiquetaient femmes de
marbre... De marbre? Est-ce bien sûr?
| N'y avait-il pas, dans le défilé sous l'étoffe,
un tremblement gélatineux, qui révélait,
non du marbre, mais de la chair? - Ceci
n'est pas un reproche : là chair vaut mieux.
Vivante, chaude, combien préférable au
marbre, froid, mort!../
A noter, une très jolie fille, toute en
| rouge. Chaperon ? Non : Moulin - com-
me l'indiquait l'aile, rouge, qui devant elle
allait, obliquement, de son épaule nue, à
sa jambe, nue aussi...
Tout cela, au bout de quelques instants»
formant, pour les yeux, pour les oreilles*
un ensemble papillotant, éblouissant, aveu-
glant, assourdissant, ahurissant, grisant et
ravissant...
Tel a été, très réussi, au Moulin-Rouge,
le bal du Déficit, organisé par le comité de
la Vachalcade.
Des lumières, des lumières, du bruit, du
bruit, des cris, des rires, de la joie, - et ce
qui vaut mieux que tout, de belles filles...
L. G.
Histoire do rlro
Le procès intenté par la bande de Gournay
contre l'Union républicaine, et dont noua
avons déjà parlé hier, remet aujourd'hui en
lumière Je cas de ces deux ingénieurs Saverot
et de Bellefond, condamnés le 12 avril 1895#
l'un à 400 et l'autre à 51)0 francs d'amende»
pour avoir négligé de prendre les mesures
commandées par la sécurité des ouvriers.
Or ces deux ingénieurs sont encore en
place; et cela, depuis le mois d'avril 1895,
de par la Volonté de la toute-puissante com*
pagnie Chagot, qui a montré une fois d«
plus, en les maintenant à leur poste, soft
peu de souci de la vie des ouvriers dont
elle a charge.
Une telle attitude est révoltante, et ces
jours derniers, â la Chambré, M. Dejeante
signalait le fait à notre étonnant ministre des
travaux publics et 'des vins fins.
- Dans deux mois, lui répondit ce derj
nier, ils s'en iront.
L'important à retenir de cette déclaration
est la nécessité reconnue de leur renvoi. Il
faut qu'ils partent; leur présence n'assure
pas aux ouvriers le minimum des garanties
que le gouvernement leur doit: la pré-
voyance. On en déduit immédiatement que,
pendant deux mois ils en seront privés.
Qu'un accident arrive ? Les ingénieurs pour-
ront être à nouveau condamnés. Une amende
de plus ou de moins, peu importe.
Mais les victimes T On no meurt qu'une
fois et l'imprévoyance de ces deux ingénieurs
ea frappera de nouvelles, le moins qu'elle,
puisse faire étant d'atteindre des éclopés, des
récalcitrants, des ratés de la première fois.
Pendant deux mois ! Le ministre a certai-
nement voulu rire.
G. Lh,
LE FAIT DU JOUR
i la Maison mortuaire
Conversation avec M. L. Hennique
A l'hôtel de ïa rue de l'Université.- Pieux
pèlerinage. - L.9s derniers moments du
maître. - Foudroyé £ - La chambra
mortuaire. - Quelques anecdotes
touchantes. - Pas de testament.
Léon Daudet et l'Académie des
Goncourt. - Les obsèques.
Devant le numéro 41 de la rue de l'Univer-
sité, plusieurs voitures stationnent. Sur lu
trottoir d'en face, des hommes sont arrêtes et
regardent la maison.
C'est dans cette maison que. depuis quel-
ques semaines, demeurait Alphonse Daudet.
Il en avait loué le premier étage. Comme il
marchait avec des difficultés toujours crois-
santes, l'ascension. de ses cinq étages de la
rue de Bellechasse était vraiment devenue trop
pénible pour qu'il puisse continuer â la sup-
porter.
L'appartement de la rue de l'Université, ou
il était à peine installé, lui plaisait,d'ailleurs,
Son cabinet de travail, danslequel il passait,
chaque j our, des heures nombreuses, s'ou-
vrait sur le jardin du ministère de s travaux pu-
blics, et ces arbres lui rappelaient vaguement
la forêt de Sénart, tant aimée, et aussi la
maison do Champrosay, où il passa encore
l'été dernier.
Il avait présidé lui-même à son emménage*
ment et il avait projeté de pend m la crémail-
lère la nuit de Noël, en invitantRéjane e|
Calvé, les admirables interprètes de ses deux
Sapho, à réveillonner avec les siens. Tou-
chante idée qu'il n'allait, hélas ! pouvoir réa-
liser.
Depuis te matin, c'est un va-et-vient de
gens qui viennent s'inscrire ou qui apportent
des fleurs. Un registre, déposé chez le con-
cierge, est presque rempli déjà. Les familiers
montent à l'appartement pour présenter de
vive voix leurs condoléances aux parents du
cher mort.
Dans l'antichambre, je trouve M. Léon
Hennique, qui, prévenu l'un des premiers de
l'affreux événement, est aussitôt accouru de
Passy et a passé la nuit auprès de son illustre
ami.
Les yeux voilés par les pleurs et l'insomnie,
M. Hennique me dit, avec des sanglots dana
la voix : i
- Celte mort est survenue comme un coup
de foudre. Rien n'avait permis de la faire
prévoir. Hier, j'avais passe l'aprés-midi avec
Daudet. Suivant son habitude, il s'était mon-
tré gai, enjoué. l>e deux à six heures, ncus
avions rèîu ensemble la Petite Paroisse, la
pièce tirée de son roman, qui était achevée
do la veille. A six heures je le quittais plein
do vie. Une heure après, il tombait foudroyé.
Les derniers moments de Daudet
Brièvement on me conté les derniers mo*'
ments du maître regrettée Appuyé sur le bras
de son fils Léon, Daudet venait de prendre
place à table, ayant à ses cotés Mme Daudet,
ses fils sa fille Edmée et sa:belle-mère, Mme
Allard. Au moment où il achevait son potage/
il poussa tout â coup un cri étouffe - et ren-
versa la tête, le corps affaissé sur le dossier
de sa chaire. ^ m
Muie Daudet, Léon et Lucien, qui sont le»
! plus rapprochés, se précipitent vera lui. On
relève sa pauvre tête et les paupières âe fer-
| ment, Mme Daudet l'appelle, avec des mots
tendres et doux, sans qu'il tressaille. '
Les domestiques, affolés, courent à la re-
cherche de médecins : le docteur Gilles de la
Tourelle, qui habite dans l'hôtél voisin, ou le
docteur Potaîn. En attendant qu'ils viennent,
Alphonse Daudet est transporté, k travers lo
salon, dans sa chambre- à coucher, et, avec
mille précautions, déposé sur son lit
Hélas! quand le? médecins arrivent, le lit
ne contient plus qu'un moribond, et c'est
uniquement pour complaire à cette famille
éperdue qu'ils tentent l'impossible. MM. Gilles
de la Tourette et Potain essayent d'abord da
provoquer ta respira lion artificielle au moyen
de tractions rythmées de la langue. Enfin, ils
tentent la faradisation du diaphragme. Leurs
efforts sont vains. Le maître s'éteint^ douce-
ment, sans souffrance, comme une lampe k
laquelle l'huile vient à manquer.
La chambre mortuaire
En compagnie de M. Léon Hennique, j*
traverse le salon, d'ordinaire si hospitalier,
où Daudet aimait tant à réunir ses ami»/
?f ine <*t Mlle Edmée Daudet y reçoivent e»
Cincj Centimes
SAMEDI 18 DÉCEMBRE 139»
Directeur
ERNEST VAUGHAN
ABONNEMENTS
Sî* Trai*
Un nn mois moi»
PAIUS . . . . 7T . . T . 20 » 10 » B »
DÉPARTEMENTS ET ALGÉRIE, 24 » 12 ? B »
ÉTRANGER(U«IOKPOSTALE), AS » «8 » IO »
POUR LA RÉDACTION !
S'adresser à M. A. BERTHIER
Secrétaire dé la Rédaction
ADRESSE TÉI.ÉFLRAPHÏQIRA : AURORE-PARIS
L'AURORE
Littéraire, Artistique, Sociale
Dlrectaur ,
ERNEST VAUGHAN
LES ANNONCES SONT REÇUES :
142 - Rue Montmartre ~~ 142
AUX BUREAUX DU JOURNAL
jLé# manuscrits non insérés ne sont pat rendus
ADRESSER LETTRES ET MANDATS :
à M. A. BOUIT, Administrateur
Téléphone : 102-BB
SOUVENIRS
Un grand charme a disparu du monde, j
Alphonse Daudet n'est plus.
Ceux qui étaient ses amis, qui l'ai- ?
maient tendrement et qui se sentaient j
aimés de lui. ont senti en eux un brusque ,
écroulement fi la brutale nouvelle de sa ,
disparition. Malgré sa maladie, sa souf-
france, il nous semblait qu'il devait être ,
la longtemps encore. Il aimait tant la vie !
il se défendait si bien contre la Mort qui
rôdait autour de lui, qui rôde autour de
tous! Il était animé d'une volonté qui
paraissait si invincible ! Il résistait,
faisait sa part au mal, lui livrait son
pauvre corps douloureux. Il n'avait qu'un
Lut : garder sa tête, sa pensée lucide,
sa parole de flamme. Combien de fois
m'a-t-il dit énergiquement ce vouloir, ce
refus et cette peur de céder ce qui était
lui, son intelligence et sa passion. 11 était
admirable d'acharnement et de gaieté
dans ce combat de tous les jours. Je le
revois, je le reverrai sans cesses derrière
son rempart de livres et de papiers, assis
dans son grand fauteuil, frileusement enve-
loppé dans ses couvertures, vêtu d'étoffes
souples.
CVst là qu'il se démenait, qu'il vivait
une vie d'action intense, toujours prêt à
la causerie, à l'éloquence, toujours curieux
de ce que lui apportait chaque nouveau
venu. C'était comme une vague d'exis-
tence qui s'en venait déferler jusqu'à lui,
dans son cabinet de travail silencieux. De
quelle joie il accueillait cette aubaine,
comme il savait faire jaillir la comédie et
le drame des récits qu'on lui faisait,
comme il découvrait le sens secret des
mots! Sa force était une force simple :
c'était l'amour et le sens de la vérité -de la
vie. Il possédait une sorti!, de divina-
tion. qu'il exerçait perpétuellement, mal-
gré lui pour ainsi dire, sur tous le-s gens
et sur toutes les choses, sur le caractère
caché des individus et sur le fait public
dénaturé par les racontars, faussé par les
polémiques. 11 y avait vraiment en lui un
investigateur supérieur, une manière de
juge d'instruction de la littérature. On le
lui disait parfois, et il en riait, en mon-
trait un certain orgueil. Puis, se ravisant,
il vous racontait ses méprises, ses erreurs
d'observation, et comment le psychologue
avisé et savant pouvait se transformer en
astrologue qui se laisse tomber dans un
puits.
Avec ses amis, il était incomparable.
A sa conversation vivante, il ajoutait une
chaude atmosphère de tendresse dont il
vous enveloppait tout entier. Sa merveil-
leuse improvisation ne séduisait pas seu-
lement 1 esprit, elle prenait le coeur, ré-
chauffait tout l'être, communiquait une
allégresse particulière. On pouvait, à toute
heure du jour, aller chercher auprès de
lui un conseil, un réconfort. Aucune mo-
rosité, aucun stupide ennui de la vie, ne
pouvait résister a cette chaleur commu-
nicative qui émanait de lui. On avait la
sensation, au premier mot qui lui était dit,
qu'une étincelle l'avait touché : immédia-
tement le foyer flambait. Ses mains dia-
phanes tremblaient d'émotion, son beau
visage intelligent rayonnait, ses yeux fins
semblaient sourire pendant qu'il parlait,
toute sa personne exprimait admirable-
ment ce mélange singulier et délicieux de
rires et de larmes qui fait frémir toutes
les pages de son oeuvre.
Cette oeuvre, je n'en dis rien, mais c'est
parler d'elle que de parler de lui. Il n'avait
pas séparé cette oeuvre de la vie, et elle
était sans cesse présente dans les vives
confidences de sa sensibilité. Ceux qui
n'ont connu de Daudet que ses livres
éprouvent tout de même, à lire ses phrases,
un tressaillement particulier, ils ont la
sensation d'une voix et d'un geste inou-
bliables, ils devinent un être tout proche, à
peine séparé d'eux par la feuille de pa-
pier. Il est pour ainsi dire là, derrière ces
caractères d'imprimerie, c'est lui qui
donne cette vibration à la page, c'est lui
qui enchante le paysage, c'est lui qui vi-
bre, qui souffre, qui s'alanguit avec les
personnages. Tous les écrivains se met-
tent, qu'ils le veuillent ou non, dans leurs
livres. Mais, chez certains, on sent la ré-
sistance, un dédoublement, un désir d'être
considérés comme absents de leur oeuvre.
Chez celui-ci, rien de pareil. Il sait, il
juge, il devine, il est maître de son art,
il a l'exquise mesure, le rien de trop de
l'écrivain de race. Mais avec son émo-
tion, il ne discute pas, il ne compte pas.
Il se refuse à rien céler des tumultes et
des ivresses qui l'envahissent. Ce qui
l a ému directement, ce qu'il a reconnu
beau, touchant, attendrissant, par le con-
tact immédiat, il le confesse par la page
écrite au risque de l'accusation de sensi-
blerie. 11 possède d'ailleurs une arme acé-
rée dont il écarte, menace, frappe ceux qui
seraient tentés de se méprendre sur la
qualité de ses apitoiements : il est un
maître de l'ironie,, en même temps qu'il
est un poète pitoyable. De cette ironie, il
n'a jamais transpercé IPS faibles, il n'a
parlé des bonnes gens qu'avec bonne hu-
meur, il n'a souligné les ridicules inoffen-
sifs que d'amusante gouaillerie. La fine
lame si bien ajustée à sa main n'a été cre-
ver et dégonfler que les apparences despo-
tiques, les conventions vaines, la sottise
nuisible, l'égoïsme féroce. Il y a une char-
mante intrépidité dans nombre de pages
de Daudet. Ce n'est pas qu'il eut l'esprit
de révolte, il s'avouait volontiers tradi-
tionnaliste, conservateur, n'aimant rien à
changer au décor social. Mais; pourtant,
le giût île la vérité était trop fort chez lui,
aboutissant malgré tout à l'irrévérence et
à la violence.
On reconnaîtra tout cela en relisant
ses livres. Par cet esprit de vérité qui
avait raison de tous les préjugés, de
toutes les prudences, il appartient bien
à cette grande école des romanciers de ce
siècle qui a pour chefs Balzac et-Stendhal,
qui s'est prolongée en forte phalange jus-
qu'à nos jours, qui a créé vraiment uae
littérature. Chez ces hommes, les instincts,
les formes d'éducation, les opinions, les
intérêts peuvent être à l'opposé. Celui-ci
peut être un monarchiste catholique, cet
autre nn libéral athée, ce troisième un
indifférent. Rién n'y fait. Us se rejoignent
au même rendez-vous. Ils ont la passion,
la frénésie du vrai. Leur réalisme, pour
avoir pris une autre forme que, le réalisme
des classiques, est de la même source
française. Une volonté ardente les anime
vers la vérité. Ils sont passionnés de sa-
voir, Tous les nuages du rêve, toutes les
fumées de la mysticité, ils veulent les
écarter pour chercher à apercevoir le réel.
Ce qui est, voilà leur poésie. Avoir com-
pris, avoir deviné, cest la grande joie
de leur esprit. Chercher, c'est leur tour-
ment, Zola donnait encore hier une noble
preuve de cet état d'esprit. Ce fut aussi
l'état d'esprit permanent d'Alphonse
Daudet, comme ce fut celui des Goncourt,
de Flaubert, de Barbey d'Aurevilly.
Chez Daudet, ce fut une allégresse. Il
adorait les véridiques, les maîtres qui
avaient été les témoins magnifiques de la
vie. Il fallait l'entendre parler de Mon-
taigne, de Rousseau, il fallait l'entendre
discerner le vrai du faux dans une oeuvre,
séparer ce qui était venu de source de ce
qui était rapporté, factice. Comme il dé-
couvrait le vrai visage sous le fard ! Quel-
les leçons de vie il faisait sortir de tout, de
la page d'un livre, d'un fait journalier, de
l'apparition d'Un passant ! Combien de
souvenirs se pressent en foule dans ma
mémoire, lorsque j'évoque vivant, mon
maître et mon ami de seize années, que
j'ai vu ce matin, tristement souriant, ina-
nimé, hélas ! sur le lit de fleurs où il
repose. Nous n'aurons plus les causeries
de crépuscule au coin de son feu, je n'en-
tendrai plus l'éloquence de sa gaieté héroï-
que.' Et comment revoir ces allées de
Champrosay, désormais désertes, ces sen-
tiers de Sénart, parcourus avec lui, alors
qu'aux splendeurs de l'automne s'ajoutait
la féerie de sa conversation '? Tout cela est
fini. De vous, Daudet, comme de Gon-
court, il reste vos livres que je viens
d'étaler sur ma table : c'est là que conti-
nue de vivre le poète passionne, l'histo-
rien de moeurs savant et brûlant, qui a
porté partout le renom de la France. Il
reste aussi chez ceux qui le pleurent, sa
femme, ses enfants, tous les siens, ses
amis, le souvenir impérissable de la bonté
la plu .H haute, de la plus ardente ten-
dresse.
Gustave Geffroy.
LETTRE OUVERTE
A M. JOSSE, JUGE D'INSTRUCTION
Vo?« êtes orfèvre, monsieur,, et, comme
vos confrères, mus ne devez éprouver
qu'une sympathie tout à fait restreinte pour
la loi qui supprime le secret de l'instruction
en vous obligeant à interroger le prévenu en
présence de son défenseur. Sans doute, vo-
tre besogne est simplifiée, puisque Carrara
et sa complice ont avoué, et que vous n'avez
plus qu'à reconstituer, sur les indications
d'assassins qui ne demandent qu'à « jas-
piner », les détails du crime. ,
Mais c'est précisément là, il faut bien le
reconnaître, ce qu'il y a de vexant dans vo-
tre cas. Naguère vos collègues se faisaient
gloire d'arracher l'aveu de leurs forfaits
auoe criminels les plus retors, et il semble
bien d'ailleurs que l'avancement de ces ma-
gistrats dépendît du nombre des poursuites
qu'ils réussissaient â obtenir. Aussi n'hési-
taient-ils point â recourir aux moyens les
moins avouables pour faire parler l'accusé,
le retournant sur te gril des interrogatoires,
le laissant pendant des mois cuire dans son
jus - mariner, comme disent ces messieurs
de la sûreté - et il arrivait toujours en fin j
de compte que le prévenu, las de résister, !
confessait son crime. Même il s'en était ren-
contré, comme la femme Boise, qui s'étaient
reconnus coupables d'actes qu'ils n'avaient
pas commis.
Cet art supérieur de « cuisiner » le pré-
venu, comme on dit encore boulevard du
Palais, ne serait plus désormais que l'apa-
nage des commissaires de police, et les par-
tisans d'une justice forte se lamentent, en
insistant sur l'inégalité à laquelle on con-
damne la magistrature. Les officiers de po-
lice judiciaire continueront à exercer sur le
prévenu la plus odieuse des pressions ; ils
essayeront de lui extorquer des aveux par
les promesses, les menaces et le mensonge;
comme Esau vendant son droit d'aînesse
pour un plat de lentilles, le faussaire ou
l'assassin payera du bagne ou de la gu illo-
tine un navarin aura pommes ou une entre-
côte garnie ?- cela s'est fait de façon cou-
rantc, M. Goron nous l'a raconté dans ses
Mémoires - et le juge instructeur devra
opérer avec la correction ta plus absolue,
sous l'oeil méfiant du défenseur.
Véritablement, il y a là une injustice
criante, et c'est à dégoûter du métier du juge
d'instruction. Je sais bien qu'un député va
demander que le bénéfice de la suppression
du secret s'étende auoe interrogatoires faits
par les commissaires. Mais cette mesure se-
rait le renversement de toute police, et so?i
adoption est aussi invraisemblable que la
suppression du passage û tabac.
LÉON MILLOT.
Coup double
Le ministre libéral Sagasta, ses juges et
ses policiers-bourreaux doivent s'estimer bien
heureux. Ils frappent un innocent, ils marty-
risent une victime,, et, & chaque fois, ils font
au moins coup double.
Francisco Callis, que les juges à tout faire
de Barcelone viennent de condamner^ au
bagne h perpétuité, a une vieille mère, dont
il était le gagne-pain. Il lui restait tout seul
de ses dix-sept enfants.
A soixante-dix ans, quand son Francisco
fut enfermé à, Montjuich, livré aux Portas et
aux Marzo, cette mure en larmes s'en alla par
les routes, mendiant sa nourriture. l£t, sur ce
qu'on lui donnait, elle prélevait le meilleur,
mettait de côté quelque argent, pour l'en-
voyer à. son fils.
Elle espérait qu'on pliait le lui rendre.
Cette pensée la soutenait, la faisait vivre, j
plus que le pain amer de l'aumône.
La condamnation de Francisco au bagne
perpétuel lui a porté le coup suprême. Elle
n'a plus ia force ni le courage de mendier
encore.
M. Sagasta le sait, car toute une nuée de
policiers tourbillonne sans cesse autour de
cetie femme desoixante-dix ans. lisait qu'elle
va mourir de faim.
M, Sagasta fait de grandes choses. Il doit
être bien heureux.
B. A
LA. MORT
D'ALPHONSE DAUDET
Avec Alphonse Daudet, c'est de la pen-
sée française qui s'en va, de ia belle,
de la claire pensée française. A côté de '
Geffroy qui l'a aimé, comme je l'ai
aimé moi-même, comme l'ont aimé tous
ceux qui l'ont connu, je veux dire un
mot, non de l'écrivain qui n'a pas besoin i
d'être expliqué, mais de l'homme que je |
n'ai pu apprécier pleinement que dans \
ces dernières années. 1
Nous commençâmes la vie de Paris .
bien loin l'un de l'autre, lui secrétaire de
Morny, moi agitateur du quartier Latin
emprisonné dès 1861 pour avoir proclamé
la République neuf ans trop tôt au pied ;
de la colonne de Juillet. Je le voyais pas- 1
ser parfois, dans sa beauté latine, sous les :
galeries de l'Odéon, et nous échangions, j
j'en ai peur, des regards ennemis. Ce- ,
pendant, je me faisais gloire de distin- ;
guer entre l'homme politique - que !
je le supposais, le pauvre - et l'écri-
vain que je goûtais fort. L'un de mes
premiers articles fut une critique de la .
Dernière Idole, où nous applaudissions
Tisserand et Rousseil. Ne me demandez ;
pas le nom du journal. C'était peut-être 1
le Travail, peut-être le Matin, peut-être
un autre.
Ce fut alors notre dernier point de contact.
Il ne fallut pas moins de trente ans pour
nous rejoindre. Combien changés, tous
deux, des belles années. Il était devenu im
Maître. Je m'étais fait,dans la mêlée poli-
tique, plus d'ennemis que d'amis. J'étais
un combattant, pour l'heure hors de com-
bat. Je commençai d'écrire, et, dès le dé- !
but, son encouragement m'a m va. J'ai
plaisir, dans ma peine d'aujourd'hui, à en
dire ma reconnaissance. Son encourage-
ment m'arriva, cordial et chaud, frater-
nel. J'en fus grandement réconforté. Ce
fut lui qui insista - devant des amis qui
n'aimaient guère cotte idée - pour que je
prisse ia parole au banquet de Goncourt.
Hier encore dès les premières pages d'un
j essai de roman, il m'envoyait a Carlsbad
un affectueux bravo qui me mettait du
courage au coeur. Jamais je ne l'ai vu sans
une parole amie. D'autant plus méritoire
qu'il exécrait la politique, et particulière-
ment la mienne. Il me le disait parfois,
avec un beau rire, concluant ; « Nous pas-
sons les uns à côté des autres sans nous
connaître. »
Sa sensation de grande pitié humaine
l'en traînait aux revendications de bonté, de
générosité, de justice, Son besoin d'ordre
et de paix le faisait autoritaire. En cela,
bien Français. J'en fis la remarque un jour,
dans un article. - Vous avez bien jugé,
me dit-il en riant quelques jours plus tard.
Je suis un vieux réactionnaire, avec un
grand besoin d'humanité tout de même.
- Quand ce sera là le programme de la
réaction, répondis-je, tout le monde sera
bien près d'être d'accord.
II était bon tout simplement, admira-
blement bon, tout vibrant de la dou-
leur des autres, lui dont la souffrance
d'un mal impitoyable usa férocement la
vie. Il tombe après un grand labeur, en
pleine force de volonté. II. travaillait
encore une heure avant de mourir. Quand
je perdis mon père, il m'écrivit une lettre
du sentiment le plus délicat, qui se termi-
nait par ces mots : « Lorsque je mourrai,
vous serez à côté de mon fils. » Hélas!
l'heure est venue plus tôt qu'on ne
pouvait croire. L'oeuvre survit. Elle sur-
I vivra aussi longtemps que notre langue
par la claire filtration de pensée, par le
charme exquis d'une intelligence limpide,
éprise de beauté, parfumée d'un subtil
amour de tout ce qui est-, et de tout ce qui
voudrait être.
Cet été, je le laissai dans son Champ-
1 rosay, heureux parmi les siens, sous le
vigilant regard de l'affection la plus belle
qui lui fit ie plus beau foyer. H voulut
marcher jusqu'au bout du parc. Il marcha,
imposant à ses pauvres membres inertes
l'obéissance douloureuse. Il buvait la nar
ture, chantait les arbres, les fleurs, la lu-
mière du ciel, sa Seine vierge encore dès
souillures de Paris. Le soir, à table, il
était le plus gai, évoquait des souvenirs,
citait tout un^ passage de Chateaubriand,
blaguait avec tendresse son Midi bien-ai-
mé. C'est là rjne je lui dis adieu, pour no
plus le revoir que sur son lit de mort.
Il venait de quitter la rue de Bellechasse
pour la rue de l'Université. J'avais dif-
féré ma visite par crainte de le sur-
prendre dans le trouble d'un déménage-
ment. Léon Daudet, rencontré à la
première des Mauvais Bergers, m'avait
dit que son père aurait plaisir à me voir, et
j'avais annoncé ma visite pour aujourd'hui
même, au moment précis où j'écris ces li-
gnes. Ainsi nous sommes les jouets de la
vie et de la mort.
Par sa noble pensée, la France, malgré
ses armes vaincues, est encore reine du
monde. Le télégraphe a déjà porté dans
tous les pays civilisés la nouvelle qu'un
esprit vient de s'éteindre parmi nous. Tra-
vaille, jeunesse, et tâcheae remplacer ceux
qui s'en vont.
Dans la douleur de notre perte, nous
ne songeons qu'au maître regretté, à l'a-
mi, à sa noble compagne, vers qui vont
nos hommages, aux entants qui se mon-
? treront dignes de leur nom, comme l'un
ji d'eux déjà l'a su faire. Sur la foule loin-
taine, une inquiétude passe. Des hommes
? disparaissent dont nous avions besoin
pour être nous-mémes.Travaille, jeunesse,
et tâche de remplacer ceux qui s'en vont.
Gr, Clemenceau,
(Échos et Nouvelles
CALENDRIER. - Vendredi 18 décembre, 352* jour.
Temps d'hier : Beau et doux.
Thermomètre do l'Aurore : Maximum, 11» au-
dessus; minimum, ?>4 au-dessus.
Baromètre de l'ingénieur Secretàn : À midi,
768" ; à minuit, 709-.
Vent du sud-est.
LA POLITIQUE
On commence à se. demander, dans les mi-
lieux gouvernementaux, si l'on parviendra à
voter le budget avant la fin de la législature. ;
Vraiment, en laissant ledit budget en plan,
cette Chambre impuissante couronnerait di-
gnement son oeuvre de quatre années. Par
exemple, nous voyons d'ici la grimace des
députés à venir, en trouvant dans le testa-
ment de leurs prédécesseurs ce budget dif-
forme, mutilé, et. que l'on avoue déjà ne pou-
voir jamais équilibrer,
En ce qui concerne le déficit, les journaux
officieux s'indignent volontiers contre les
braves gens qui creusent chaque jour quel-
ques trous de plus en faisant augmenter les
traitements des petits fonctionnaires. Il y au-
rait portant un moyen de tout concilier, Ce
serait d'augmenter les petits en réduisant les
gros. Le diable, c'est de trouver un député
pour proposer la chose. Dame! à la veille des
élections, on a besoin de tout le monde. -
An. M.
L'OR DES LIVRES
Voici venir le jour de l'An. Les étalages des
libraires sont tout flambants d'or - d'or sur
tranches. « Que d'or! que d'or! » eût dit Mac-
Mahon. Pour combien d'argent peut-il y en
avoir'?
Pour une vraie fortune : la valeur des feuil-
les d'or employées à l'habillement dos livres
d'étrennes atteint, à Paris, plus de 400,000
francs!
Cette année, près de- deux cents ouvrages
ont vu le jour à. l'occasion de Noël et du jour
de l'An.
Avec les anciens qu'on réédite, cela fait
plus de deux millions de volumes dorés, mis
en circulation ce mois-ci.
Deux cent cinquante-cinq relieurs travail-
lent, à Paris, en vue de cette période dorée.
Tel grand atelier de la rive gauche occupe
cinq cents ouvriers qui, chaque jour, prépa-
rent pour la vente une moyenne de cinq mille
volumes. Plusieurs milliers de brocheuses ap-
portent à ce gigantesque travail l'aide ae
ours agiles petites mains.
PAS DE FEMME .
Rien ne pésc tant qu'un secret,
Le porter loin est difficile aux dames.
Ainsi, dans sa cellule, pourrait s'exprimer
Carrara. Et si l'on a mis à sa disposition
quelques volumes d'annales judiciaires, il
doit comprendre combien il fut imprudent de
mêler sa femme à ses affaires. C'est toujours
par les femmes que les assassins succombent.
Sans Eugénie forestier et Mauricette Cou-
ronneau, Prado serait encore de ce monde ;
Gabrielle Bompard a vendu Eyraud ; Antoi-
nette Sabatier a perdu Pranzini ; Jeanne Blin
a livré Marchandon.
Abadie, qui connaissait ses auteurs, Savait
! ce qu'on devait attendre des délations fémi-
nines. Aussi avait-il imposé à ceux de sa
bande un règlement en soixante articles, par-
mi lesquels il en était un ainsi conçu :
« Les chefs seuls ont le droit d'avoir une
femme : les autres associés ne pourront avoir
, que des maîtresses d'un jour. >>
| Cette faveur intéressée à l'égard des chefs
| perdit Abardie. Une femme le dénonça.
1 Règle générale â l'usage des assassins :
' Quand on veut supprimer un homme, il faut
i commencer par supprimer sa femme.
RAMOLLOT CUEZ GUIGNOL
Non seulement on ne songe pas à chasser
Guignol des Tuileries, comme le bruit en
avait couru, mais encore un journal du soir
nous apprend qu'au contraire on se préoccupe
d'élever, par le Guignol, « le niveau intellec-
tuel des enfants et d'exalter dans les âmes des
jeunes générations le sentiment du patrio-
tisme )>.
Aile/, aux Tuileries, conseille notre con-
frère. Vous y assisterez à la représentation
du Colonel, * pièce militaire en quatre ta-
bleaux.
Ramollot chez Guignol. Cela devait ar-
river. ^
L'ECLIPSE CHEZ SOI
Une mission anglaise, ayant à sa tête sir
Morman Lockyer, "vient de partir pour Co-
lombo (Ceylan), afin d'observer l'éclipsé de
soleil qui "sera visible le 21 Janvier prochain
en Afrique et en Asie.
Parmi les appareils scientifiques qu'emporte
cette mission, se trouve un énorme cinéma-
tographe qui donnera cinq à six clichés à la
secondé.
On,espère ainsi pouvoir se rendre compte
exactement des modifications qui se produi-
ront dans le cercle solaire pendant la courte
durée {l'une éclipse.
On pourra aussi donner dans les salons an-
glais, à la prochaine season, des représenta-
tions â domicile, du phénomène observé à
Ceylan.
L'ENQUÊTE CONTINUE
La Revue bleue poursuit son enquête sur
la presse.
M. Leroy-Beaulieu, dans le numéro d'au-
jourd'hui.'déclare que « la décadence delà
presse est manifeste ».
Tia presse s'est abaissée et s'est corrompue, écrit-
il, en se vulgarisant. Autrefois elle était rédigée [vxr
une élite pour une élite.... Les journaux sont trop
bon marché....
M. Leroy-Beaulieu écrivait aux Débats lors-
que ce journal coûtait vingt centimes.
M. Èmile Zola répond à l'enquêteur :
Je suis pour la liberté illimitée. Je la réclame
pour moi et je tache de la tolérer chez les autres.
C'est pourquoi je ne veut pas qu'on touche à la li-
berté d'écrire.
M, Jules Case dit : « La liberté vint à la
presse, quand elle fut morte, et, après la
mort, c'est la décomposition. La presse pour-
lit. «M
M. Marc donne d'intéressants renseigne-
ments sur l'industrie journalistique.
A U PA Y S ROUGE
Notre confrère Jean Carol poursuit ses inté-
ressantes études sur Madagascar.
Il déclare que, parmi celles de nos lois dont
nous avons gratifié les Hovas, « bon nombre
leur seront funestes...r>.
Et, en comparant le Code malgache à celui
qui nous régit, il trouve que « ce Codé de sau-
vages est moins barbare que le nôtre ».
Ce' quikrevient â dire que, ai Madagascar
est « le pays rouge », la France est le pays
qui devrait rougir.
CHOSE VUE
Dans un jardin public.
Un invalo, ayant une jambe de bois, assis
sur un banc, se repose.
Arrive un autre bonhomme incomplet. Ce-
lui-ci possède ses deux guiboles, mais il a un
nez en argon t.
L'énasé voit le monopode, va s'asseoir â
coté de lui. Pris d une compassion réciproque,
ils .se serrent silencieusement la main.
Puis l'amputé, frappant sur sa quille en
bois, laconique, dit ; «70! » L'autre, posant le
doigt sur sou blaire en métal, donne une date
antérieure. Les deux détériorés se mettent à
rire ; et, fraternels, ils" ae racontent leurs
campagnes.
^ ÇA ET LA
LA SOCIÉTÉ FUTURE - Georges Renard, dana la
Revive socialiste, continue sa série d'études sur le
Régime socialiste, ci achève dans le numéro du
I"> décembre d'en esquisser l'organisation politi-
mte. Que vaut le système parlementaire ; que faut-
il penser do la représentation proportionnelle, du
référendum, du droit d'initiative populaire, du
fédéralisme et de la décentralisation ; tels sont
quelques-uns des problèmes qu'il aborde.
Ao MUSÉE GUIMET. - Dimanche prochain, 19 dé-
cembre, â deux heures et demie, au musée Guimet:
Conférence publique et gratuite sur le Dogme de
l'Incarnation chos les Bouddhistes, Bouddhas
vivants, par M. de Milloué, conservateur du mu-
sée.
Uî* TRUC. - Hier sont partis de Marseille
les membres du dix-septième pèlerinage populaire
de pénitence à Jérusalem, Bethléem et Jéricho,.
C'est le paquebot Notre-Dame-dû-Salut qui empor-
tera ces pèlerins ; ils seront de retour vers le
15 janvier.
Inutile de dire que c'est là pour tous ces bigots
le moyen de remplacer par un agréable voyage ïa
corvée des étrennes,
BALIVERNES
Modernité.
Tout le monde connaît cette espèce de petits
psitteques dont le mâle et la femelle vivent
toujours côte à côte et ne peuvent se passer
l'un de l'autre. Aussi les nomme-t-on com-
munément des inséparables.
Dufourneau, marchand d'oiseaux, a trouvé
que cette appellation n'était plus d'accord
avec l'état actuel de notre législation; et, sur
la cage où il tient enfermées les bestioles de
ce genre, il a écrit :
PERRUCHES.. INDIVORC,ABLES !
A la sortie de l'école maternelle :
Un gosse de trois ans pleure à chaudes lar-
mes en poussant des cris lamentables.
- Qu'est-ce que tu as ? demande un pas-
sant.
- Hi ! hi ! C'est un vieux qui m'a battu.
On fait une enquête rapide.
Le coupable est découvert, Le vieux a cinq
ans !
Scaramouche.
((Ennemi de l'Armée))
Une feuille qu'il est inutile de nommer,
parce qu'elle existe à peine, avait pris l'habi- :
tude « d'emprunter » ma prose en étant la
signature. J'ai rappelé le directeur à la pro-
bité; il s'en venge par la calomnie.
Découpant mes articles de l'Aurore avec
une perfidie policière, il m'accuse tous les
deux jours d'être l'ennemi de l'armée, d'atta-
quer l'armée, de vouloir détruire l'armée. Par
ce temps de lois martiales et de procès à huis
clos, on devine où tendent les insinuations du
personnage et ce qu'elles peuvent préparer.
Je les dédaignerais toutefois si, en ne les
réprimant pas, je ne devais craindre d'en en-
courager d'autres. Je répondrai donc aux Ja-
nicots de l'avenir en même temps qu'au Jani-
cot d'aujourd'hui.
M'accuser d'attaquer l'armée, d'abord, c'est
imbécile. Je ne connais pas d'armée en
France hors des trois millions de citoyens
soldats dont je suis, et dont n'est pas le Ja-
nicot.
Ensuite, c'est faux. J'attaque le militarisme
dégradant ; j'attaque les abus et les concus-
sions qui ruinent â l'avance la défense natio-
nale ; j'attaque les syndicats do chefs intri-
gants'et de fournisseurs cupides qui livreront
la patrie désarmée ; j'attaque les usurpations
d'un Pouvoir militaire qui nous écrasera de-
main.
Quiconque a dit que j'attaquais « l'armée »
en a menti. Quiconque le répétera en aura
menti.
Urbain Gohier.
FEUILLES VOLANTES
IMPRESSION
... La façade, toute illuminée, flamboyante,
incendiant le boulevard extérieur..."Dans
îa salle, également, des lumières, des lu-
mières... Des cordons de verres de cou-
leurs... L'éclairage à l'huile combiné avec
l'éclairage électrique. - - Du bruit, du bruit...
Des cris, des cris..'. Des rires, de la joie...
Du bruit, du bruit... Le chahut de l'orches-
tre de bal, rythmant -violemment les dan-
ses, quadrilles, valses, polkas, mêlé aux
roulements de tambour et aux beuglements
de cuivre des parades... D'où une cacopho-
nie terrible, une symphonie en zut majeur,
réjouissante par son agression même...
Foule com.pacte,.. Une cohue... Di fficulté
de circuler... Pourquoi s'en plaindre ? De
ïà, des frottements, des tutoiements de ro-
tondités et de bosses qui ne sont point des
difformités... Des habits noirs, aes redin-
gotes, des vestons... Des costumes, aussi...
Beaucoup... De pittoresques; d'amusants...
Surtout ceux des femmes déguisées, elles,
presque toutes... Des moines, des moines-
ses, des clowns, des clownesses. des pier-
rots, des pierrettes, des marquises, des dé-
bardeurs et des dominos, des dominos...
Beaucoup de travestis... Dame! par ce
temps d émancipation féminine, les fem-
mes aiment à enfiler des culottes, et l'aspect
qu'alors elles nous offrent n'est pas, certes,
pour nous déplaire... D'aucunes, unique-
ment vêtues comme de simples Clara Ward,
de maillots, tout blancs, qui les faisaient
statues... Celles-ci s'étiquetaient femmes de
marbre... De marbre? Est-ce bien sûr?
| N'y avait-il pas, dans le défilé sous l'étoffe,
un tremblement gélatineux, qui révélait,
non du marbre, mais de la chair? - Ceci
n'est pas un reproche : là chair vaut mieux.
Vivante, chaude, combien préférable au
marbre, froid, mort!../
A noter, une très jolie fille, toute en
| rouge. Chaperon ? Non : Moulin - com-
me l'indiquait l'aile, rouge, qui devant elle
allait, obliquement, de son épaule nue, à
sa jambe, nue aussi...
Tout cela, au bout de quelques instants»
formant, pour les yeux, pour les oreilles*
un ensemble papillotant, éblouissant, aveu-
glant, assourdissant, ahurissant, grisant et
ravissant...
Tel a été, très réussi, au Moulin-Rouge,
le bal du Déficit, organisé par le comité de
la Vachalcade.
Des lumières, des lumières, du bruit, du
bruit, des cris, des rires, de la joie, - et ce
qui vaut mieux que tout, de belles filles...
L. G.
Histoire do rlro
Le procès intenté par la bande de Gournay
contre l'Union républicaine, et dont noua
avons déjà parlé hier, remet aujourd'hui en
lumière Je cas de ces deux ingénieurs Saverot
et de Bellefond, condamnés le 12 avril 1895#
l'un à 400 et l'autre à 51)0 francs d'amende»
pour avoir négligé de prendre les mesures
commandées par la sécurité des ouvriers.
Or ces deux ingénieurs sont encore en
place; et cela, depuis le mois d'avril 1895,
de par la Volonté de la toute-puissante com*
pagnie Chagot, qui a montré une fois d«
plus, en les maintenant à leur poste, soft
peu de souci de la vie des ouvriers dont
elle a charge.
Une telle attitude est révoltante, et ces
jours derniers, â la Chambré, M. Dejeante
signalait le fait à notre étonnant ministre des
travaux publics et 'des vins fins.
- Dans deux mois, lui répondit ce derj
nier, ils s'en iront.
L'important à retenir de cette déclaration
est la nécessité reconnue de leur renvoi. Il
faut qu'ils partent; leur présence n'assure
pas aux ouvriers le minimum des garanties
que le gouvernement leur doit: la pré-
voyance. On en déduit immédiatement que,
pendant deux mois ils en seront privés.
Qu'un accident arrive ? Les ingénieurs pour-
ront être à nouveau condamnés. Une amende
de plus ou de moins, peu importe.
Mais les victimes T On no meurt qu'une
fois et l'imprévoyance de ces deux ingénieurs
ea frappera de nouvelles, le moins qu'elle,
puisse faire étant d'atteindre des éclopés, des
récalcitrants, des ratés de la première fois.
Pendant deux mois ! Le ministre a certai-
nement voulu rire.
G. Lh,
LE FAIT DU JOUR
i la Maison mortuaire
Conversation avec M. L. Hennique
A l'hôtel de ïa rue de l'Université.- Pieux
pèlerinage. - L.9s derniers moments du
maître. - Foudroyé £ - La chambra
mortuaire. - Quelques anecdotes
touchantes. - Pas de testament.
Léon Daudet et l'Académie des
Goncourt. - Les obsèques.
Devant le numéro 41 de la rue de l'Univer-
sité, plusieurs voitures stationnent. Sur lu
trottoir d'en face, des hommes sont arrêtes et
regardent la maison.
C'est dans cette maison que. depuis quel-
ques semaines, demeurait Alphonse Daudet.
Il en avait loué le premier étage. Comme il
marchait avec des difficultés toujours crois-
santes, l'ascension. de ses cinq étages de la
rue de Bellechasse était vraiment devenue trop
pénible pour qu'il puisse continuer â la sup-
porter.
L'appartement de la rue de l'Université, ou
il était à peine installé, lui plaisait,d'ailleurs,
Son cabinet de travail, danslequel il passait,
chaque j our, des heures nombreuses, s'ou-
vrait sur le jardin du ministère de s travaux pu-
blics, et ces arbres lui rappelaient vaguement
la forêt de Sénart, tant aimée, et aussi la
maison do Champrosay, où il passa encore
l'été dernier.
Il avait présidé lui-même à son emménage*
ment et il avait projeté de pend m la crémail-
lère la nuit de Noël, en invitantRéjane e|
Calvé, les admirables interprètes de ses deux
Sapho, à réveillonner avec les siens. Tou-
chante idée qu'il n'allait, hélas ! pouvoir réa-
liser.
Depuis te matin, c'est un va-et-vient de
gens qui viennent s'inscrire ou qui apportent
des fleurs. Un registre, déposé chez le con-
cierge, est presque rempli déjà. Les familiers
montent à l'appartement pour présenter de
vive voix leurs condoléances aux parents du
cher mort.
Dans l'antichambre, je trouve M. Léon
Hennique, qui, prévenu l'un des premiers de
l'affreux événement, est aussitôt accouru de
Passy et a passé la nuit auprès de son illustre
ami.
Les yeux voilés par les pleurs et l'insomnie,
M. Hennique me dit, avec des sanglots dana
la voix : i
- Celte mort est survenue comme un coup
de foudre. Rien n'avait permis de la faire
prévoir. Hier, j'avais passe l'aprés-midi avec
Daudet. Suivant son habitude, il s'était mon-
tré gai, enjoué. l>e deux à six heures, ncus
avions rèîu ensemble la Petite Paroisse, la
pièce tirée de son roman, qui était achevée
do la veille. A six heures je le quittais plein
do vie. Une heure après, il tombait foudroyé.
Les derniers moments de Daudet
Brièvement on me conté les derniers mo*'
ments du maître regrettée Appuyé sur le bras
de son fils Léon, Daudet venait de prendre
place à table, ayant à ses cotés Mme Daudet,
ses fils sa fille Edmée et sa:belle-mère, Mme
Allard. Au moment où il achevait son potage/
il poussa tout â coup un cri étouffe - et ren-
versa la tête, le corps affaissé sur le dossier
de sa chaire. ^ m
Muie Daudet, Léon et Lucien, qui sont le»
! plus rapprochés, se précipitent vera lui. On
relève sa pauvre tête et les paupières âe fer-
| ment, Mme Daudet l'appelle, avec des mots
tendres et doux, sans qu'il tressaille. '
Les domestiques, affolés, courent à la re-
cherche de médecins : le docteur Gilles de la
Tourelle, qui habite dans l'hôtél voisin, ou le
docteur Potaîn. En attendant qu'ils viennent,
Alphonse Daudet est transporté, k travers lo
salon, dans sa chambre- à coucher, et, avec
mille précautions, déposé sur son lit
Hélas! quand le? médecins arrivent, le lit
ne contient plus qu'un moribond, et c'est
uniquement pour complaire à cette famille
éperdue qu'ils tentent l'impossible. MM. Gilles
de la Tourette et Potain essayent d'abord da
provoquer ta respira lion artificielle au moyen
de tractions rythmées de la langue. Enfin, ils
tentent la faradisation du diaphragme. Leurs
efforts sont vains. Le maître s'éteint^ douce-
ment, sans souffrance, comme une lampe k
laquelle l'huile vient à manquer.
La chambre mortuaire
En compagnie de M. Léon Hennique, j*
traverse le salon, d'ordinaire si hospitalier,
où Daudet aimait tant à réunir ses ami»/
?f ine <*t Mlle Edmée Daudet y reçoivent e»
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