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VENDREDI 18 AVRIL 184».
ÉDITION DE PARIS.
NUMERO 108.
JOUlUWi'' m COStHIECB, JPOMTïfIFS BT LITTERAIRE.
AJMS, RUE MONTMARTRE, N* «1.
», eaux us DiMcmmt dm postw,
TOUTSg LES KBS9À6SRIM.
Cowie et fiU, Saint-Anne'* Lane.
PÀMS,
40 R.
«II K0I3....80
TBOMHOU.10
DÉPAfiTEMENS ET ÉTRANGER.
im AU.......
ni mois
non sois...
48 re.
34
13
ANNONCES.
1 frano SO cent, la petite ligne; — 3 francs la ligna d« réclam».
TOtm IHSERTIOH DOIT ftTH AflRMl HI U 6É1AHT.
Lu lettre* non affranchie! seront rigoureusement refutèei.
SPAHIS ,19 AVHIIJ.
L'amendement de M. Gouin au projet de loi sur les caisses d'é
pargne avait été adopté avec quelques modifications etpar la com
mission et par le ministre des finances. Cet amendement, après
avoir été longuement débattu et vivement défendu par M. Lacave-
Laplagce, a été rejeté par la chambre après deux épreuves dou-
teusës.' Les épreuves étaient-elles réellement douteuses? Nous
n'en s*vons rien ; mais ce qu'il y a de certain c'est qu'au scrutin
par division l'amendement a été repoussé, à une majorité de 77
voix, le nombre des votans était de 247. Ce qu'il y a déplaisant
dans ce résultat, c'est que M, Lacave-LapJagnfi se donne une^ peine
Infinie pour découvrir lés défaites qui pourraient l'atteindre, et,
Eoiir les éviter, il soutient toutes les propositions excepté la sienne.
e premier article de son projet est modifié par la commission;—il
sef range à. l'avis de la commission ; — cet article éprouve de nou
veaux changemens par l'intervention de M. Gouin. M. Lacave-La-
plagne aussitôt défend le nouvel amendement avec autant de chaleur
que s'il avait été question de son propre projet. La chambre a été
sans pitié ; elle n'a tenu aucun compte à M. Laplagne dé cette ab
négation stoïque ; son propre parti a pris à tâche de l'humilier :
MM. Fulchiron, d'Hôudetot, Pagane), et beaucoup d'autres dépu
tés ministériels, l'ont accablé de boules noires et ont contribué à
faire ce sort fatal à l'amendement qu'il avait accepté avec tant de
mansuétude. On est arrivé à ce résultat à travers la discussion la
plus confuse, et les opinions les plus étranges ont été émises à
propos d'une question assez simple en elle-même.
On a beaucoup parlé de classes laborieuses et de capital. Les
classes laborieuses seraient-elles, par hasard, circonscrites, ainsi
qu'on paraissait le croire à la chambre, dans la classe des ou
vriers, et pour être admis à déposer aux caisses d'épargne faut-il
de tonte nécessité être compagnon menuisier ou serrurier ? Nous
ne le pensons pas. Les classes laborieuses comprennent tous les
individus, toutes les familles qui vivent de leur travail, et nous ne
voyons pas pourquoi les nombreux employés de l'administration,
les professions libérales elles-mêmes, ne jouiraient pas des bien
faits des caisses d'épargne.
On a fait implicitement, et peut-être sans !e voaloir, des catégo
ries et des distinctions que noHs ne saurions admettre. Les méde
cins, les artistes, les avocats, peuvent aussi être des hommes la
borieux et par conséquent' appartenir à la classe laborieuse. Vou
drait-on les exclure des caisses d'épargae sous prétexte qu'ils ne
sont pas ouvriers? Cela n'a pas été dit positivement à la chambre,
toàis on paraissait assez disposé à traiter de capitalistes les hom
mes qui exercent des arts libéraux et qui ne demandent pas léèur
existence à des occupations purement manuelles. Encore une fois
cette distinction ou cette exclusion ne saurait se justifier.
' Passons au mot capital si souvent prononcé dans la discussion.
4,500 fr., disait M. Berryer, forment un capital, et comme la
caisse d'épargne ne doit pas recevoir des capitaux, ces 1,500 fr.
formeront le maximum des dépôts. Et pourquoi, s'il vous plaît,
4,000 fr., 500 fr., 200 fr. même ne seraient-ils pas des capitaux?
Si 1,500 fr. suffisent à un ouvrier pour s'établir ii pourra les con
sidérer cpmme un capital et il les retirera da la cai&e d'épargne;
mais s'il luifaut mille écus pour réaliser ses desseins il est évident
qu'il ne considérera pas encore ses économies comme un capital.
Vous ne voulez pas de capitaux à la caisse d'épargne. Mais vous
n'avez que cela; dès qu'une somme d'argent rapporte un intérêt
quelconque elle devient capital dans l'acception pratique et dans
l'acception scientifique d» mot, et aujourd'hui plusieurs orateurs
se sont montrés assez peu clercs én parlant décapitai.
■ Autre affaire; Tous voulez écarter au moyen de la loi nouvelle
les capitaux de placement qui arrivent aux caisses d'épargne. Vous
voulez éviter l'encombrement, fermer l'institution aux gens aisés
qui y mettent une portion-plus ou moins forte de leur avoir. Là
penséè est bonne ;—mais que fait-on pour la réaliser? On introduit
dans la loi un article spécial, particulier, pour favoriser le place
ment d'un capital de 1,500 fr. Le maximum des dépôts, dit l'a
mendement deM. Berryer, adopté pftfja chambre, sera de \ ,500 f.
Toutefois, le crédit pourra s'élever à2,000 fr. par l'accumulation
des intérêts. Voilà 4,500 fr. qui sont placés à intérêt composé. Le
déposant pourra les laisser pendant sept ans et quatre mois à. la
caisse d'épargne sans y touener, et au bout de ce temps il retirera
2,000 fr., ou 500 fr. seulement dans le cas où il voudrait recom
mencer l'opération.
N'est-ce pas là le placement par excellence ? Les capitalistes les
mieux avisés pourraient-ils agir autrement, mieux, avec plus de
prudence ? Noh, certes. Comment un capitaliste ne serait-il pas
content quand on lui dit : Vous mettrez 4,500 francs entre les
mains du gouvernement qui vous paiera les intérêts de cette
somme à ràisoû de 4 0 t 0, et puis les intérêts des intérêts ; cela
durera sept ans; puis auboutdejce temps, en retirant 500 fr.,
vous faites un nouveau bail de sept ans avec la caisse d'épargne,
et ainsi de suite. Le moyen est ingénieux, nous l'avouons, non
pas pour repoussér les plcKemens, mais pour les encourager . On
ne voulait pas de capitaux, on en aura, et des capitaux fixes qui
ne bougeront plus des caisses d'épargne.
La chambre s'égare, et M. le ministre des finances, qui devrait
servir de point d'appui à la discussion, se met à la disposition de
tous les amendemens possibles ; il ce charge de tout, et il consent
à chaque instant à grossir le bagage des propositions. Comme
nous l avons dit hier, la loi nous paraît singulièrement compro
mise; encore quelques votes comme celui d'aujourd'hui, et la
chambre n'aura pas de peine à comprendre que les capitalistes
qu'on vëiit évincer n'oiit rien à craindre, et que les ouvriers qu'on
veut favoriser pourraient bien regretter lé régime qu'on veut mo
difier. *
Nous avons fait tort au ministère en comparant sa situation à
celle du ministère anglais, en trouvant la politique dé sir Robert
Peel supérieure à celle de M Guizot. Nous n'avons pâs rendu jus
tice à celui-ci. Le ministère nous apprend aujourd'hui que la si
tuation de sir Robert Peel n'est pas parlementaire ! Le gouverne
ment parlementaire consiste sans doute à obéir à toutes les influen
ces, à n'accomplir aucun des projets que l'on a conçus, à livrer le
Eouvoir à tous les caprices d'un parti sans direction, à tous les
asàrds d'une majorité contestable et flottante. Robert Peel ignore
tout cela : cet homme quiatrouvé son parti dispersé et anéanti, qui,
à force de patience et d'habileté, l'areconstitué peu à peu, puis l'a
transformé en majorité et l'a conduit à la victoire, cet homme n'en
tend rien sans doute au gouvernement parlementaire ; et s'il n'é
pouse pas toutes les passions des ultra-tories, s'il lutté quelque
fois contre la majorité, pour l'honneur de l'Angleterre, c'est pure
inhabileté de sa part; nos ministres ne s'aviseraient jamais dépa
reille chose !
Cependant, au fond, nous ne le nions pas, les deux cabinets
sont dans une situation fausse. Robert Peel gouverne contre les
principes dé son parti, dément les opinions des tories dont il est
le chef, proclame la vérité des idées de ceux qui le combattent ;
il oblige une partie de la chambre à le suivre malgré elle, et l'au»
tre à 1 applaudir à regret. Notre ministère est gouverné par tout le
monde ; une moitié de la chambre est contre lui, l'autre le dédai
gne ; l'opposition, le combat souvent avec succès; la majorité re
jette ses lois, déchire ses traités et détruit tout ce qu'il ose ëntrë-
prendre. Robert Peel arrive à confondre les partis par excès dp
volonté et d'énergie ; M. Guizot arrive souvent à l'unanimité par
excès de faiblesse et d'impuissance. ~ '
Est-il besoin de demander lequel des deux gouvernemens ren
trera le plus aisément dans l'état normal, et lequel honoréle
mieux et lui-même et son pays ? - j
►M+
Nous recevons une lettre de Taïti, en date .du 31 octobre, qui
nous permet de compléter les nouvelles que nous avons publiées,
il v a deux jours.
Nos officiers et nos soldats attendaient avec impatience l'amiral
Hamelinet se flattaient d'uné fort singulière espérance. Ils sup
posaient que les rapports de M. Braat sur les affaires de Taravao
et de Mahahéna auraient modifié la résolution du ministère et quë
l'amiral aurait reçu ou ne tarderait pas à recevoir des instructions
nouvelles, ayant pour effet d'ajourner le rétablissement du,protec
torat et la restauration de Pomaré. Il est impossible, se (lisaient
nos officiers, que le gouvernement consenteainsi à reculer, lorsquç
l'insurrection est flagrante et lorsque l'influence] désastreuse des
résidens anglais se fait encore sentir. Céder ainsi, serait une honte;
d'ailleurs , le protectorat est un état de choses impossible.' Il est
probable, concluait-on, que le gouvernement aura changé d'avisé
On voit bien que les marins et les soldats qui raisonnent ainsi *
ignorent depuis long-temps ce qui se passe en France. «
Nous avons dit que les insurgés sont toujours rassemblés à Pa-
Senào et à Pounavia, sans coïnbattte,mais sans vouldir rentres;,
ans leurs habitations. "
Quant à Pomaré, les Français ont renoncé provisoirement à la
poursuivre, et, comme nous l'avions prévu, les Anglais prennent
l'affaire à leur compte. Depuis lë 12 octobre , le Salamander, na
vire anglais, était parti pour Raïatea avec 'le ,colisul général an
glais, M. Miller, qui s'était fait fort de décider Pomaré à re venir ,à ;
Papeïti, et qui offrait à M. Bruat delà ramener, plus docile, à bord
du Salamander. M. Bruat, par un sentiment honorable, a'déclaré,
qu'il ne recevrait pas la souveraine fogitive de Taïti, Si elle se
présentait à bord d'un bâtiment étranger. Le commandant du Sa
lamander et M. Miller avaient alors modéré leur zèle et poursuivi,
leur mission, sous forme purement diplomatique. Ils n'étaient pas
encore de retour le 31 octobre, et ils s'employaient sans doute ac
tivement à protéger notre protectorat auprès de notre protégée.
Certainement cette intervention anglaise ne peut être considérée
comme un mauvais procédé. Mais est-il une situation plus ridicûlfr
et plus triste que la nôtre dans ces parages ?
Des nouvelles nous arrivent d'Haïti, différentes de celles qu'on
a récemment publiées. Toute l'île jouit de la tranquillité, et rien
n'indique une reprise des hostilités. Les Dominicains, convaincus,
xvxuàxon eeiffSïmJTIONBTEï, bu 18 AVBXL 1945.
Toutes les personnes qui prendront un abonne-
anent nouveau, à dater da 1 S avril, recevront
Clans frais tout ce qui aura paru de li'ÂLLÉE DES
VEUVES, c'est-à-dire toute la première partie.
. Après la publication de l'AILÉE »E§ VESUVES
nous reprendrons le JUIF EISKABîT, dont il ne
nous reste plus que trois volumes à publier et qui
paraîtront sans interruption.
L'ALLEE DES VEUVES
M
DEUXIEME PARTIE.
CHAFIXH.E V.
Plus heureux que ne l'avait été Chevillard, en nous rendant mainte
nant rue de Provence, à l'hôtel habilé par Morizot le munitionnaire et
l'assassin, nous y serons tout d'abord introduits.
Là, nous apparaîtra réalisée dans un effrayant relief, selon les uns la
plus criante négation de la Providence, selon les autres qui voient plus
loin et plus juste, la plus solide démonstration d'une vie à venir et d'un
îhonde meilleur, à savoir la félicité du méchant dans celui-ci.
Car ce n'était pas seulement par une large et plantureuse possession
4]Un'immense bien-être matériel que ce meurtrier semblait insulter à
Diéu et Justice. A ses somptueux appartenons, à ses riches équipages,
à sdn portefeuille regorgeant de bonnes et solides valeurs, à ses ta
bleaux, à ses bronzes, à ses maisons de vil'e et de campagne, il fallait
ajouter dans le compte de son scandaleux bonheur, les bénédictions et les
joies de la famille, qui à elles seules auraient pu faire de lui un objet
d'envie, s'il avait été capable de les goûter et de les comprendre.
Venue dé bon lieu et tombée on ne sait comment aux mains de ce
misérable, une femme douce, dévouée, aimable par la culture de l'esprit
et par l'élégance des manières, l'avait fait père de deux charmantes fil
les. Belles de leur beauté et belles de leur dot, ces deux aimables per
sonnes paraissaient destinées à de brilians mariages, et dans l'aristo
cratie impériale qui tout-à-l'heure allait prendre naissance, rien n'était
au-dessus des hautes aspirations qu'il était permis de leur supposer.
Un matin même ce fastueux scélérat, qu'on aurait presque pu appeler
(f) Toate reproduction, mémo partielle de ce feuilleton , est interdite.
Voir pour la première partie, notre numéro du 13 |avril, et pour la
deuxième partie nos numéros des 16 et 17 avril.
un Turcaret dans le crime, était occupé avec un personnage très haut
placé, à ébaucher au profit de sa fille aînée, une alliance ae cette es
pèce, lorsqu'un domestique, venant l'interrompre, lui annonça quelque
chose d'assez étrange : M. le marquis de Brevannes est là qui demande
à parler à Monsieur.
Entendre annoncer chez soi un homme, le dernier de son nom, et que,
plusieurs semaines avant, on croit avoir de sa main envoyé dans l'autre
monde, n'est point un cas très ordinaire, et naturellement cette singu
larité a en soi quelque chose d'assez émouvant. Morizot fit donc répéter
le maladroit qui lui procurait cette désagréable surprise et presqu'aus-
sitôt, se persuadant, pour de bonnes raisons; qu'il était impossible que
le marquis de Brévannes se trouvât réellement dans son antichambre,
il pensa à une méprise de nom qui aurait tout expliqué.
Un petit débat, qui s'éleva à ce sujet entre le maître et le valet, en
gagea la personne assise dans le cabinet du munitionnaire à lever la
séance, et comme Morizot, vu l'état de sa conscience , ne laissait pas
d'être intrigué par l'insistance que mettait son domestique à soutenir
qu'il ne se trompait pas, il laissa aller le visiteur, en lui disant qu'il
aurait bientôt l'honneur de le voir chez lui pour reprendre leur conver
sation, puis ordonna que l'on fît entrer celui qui s'était fait annoncer.
Le fournisseur, en voyant paraître un jeune hommed'un extérieur as
sez vulgaire, fut aussitôt rassuré; il reprit donc toute la morgue de ses
façons habituelles et, en montrant à l'inconnu un siège, pour l'engager à
s'asseoir, il lui demanda à qui il avait l'honneur de parler.
Vainement nous essayerions de donner le change à nos lecteurs. Dans
l'audacieux survenant, ils ont deviné le dépositaire des sanglantes révé
lations de l'Agneau d'or. Comme nous l'avons dit dans le premier chapi
tre de cette histoire, « médiocrement élevé par le cœur et par les senti-
» mens, mais doué du plus imperturbable aplomb que l'on puisse ima-
» giner », Chabouillant n'a pas pensé qu'un secret de cette importance
dût rester entre ses mains un capital improductif. Quoique sachant le
terrible adversaire qu'il vient affronter face à face, dégagé dans.ses ma
nières et l'esprit aussi libre que s'il venait faire la démarche la plus
simple et la plus naturelle du monde, de ce ton jovial et malencontreu
sement élégant quo nous lui connaissons, le commis-voyageur, à la
question qui lui est faite, répond sans hésiter :
— Monsieur, je suis porteur d'un nom qui ne vous est pas étranger
et indifférent : le marquis de Brévannes.
— De Bravannes? — fit Morizot, comme s'il n'était pas sûr d'avoir
bien entendu.
— Non... Brévannes, B-r é, Bré, — reprend le commis-voyageur en
épelant.
—Vous xn'étounez beaucoup,—dit alors le munitionnaire,—j'ai connu,
en effet, avant la révolution, an marquis de Brévannes qui est parti des
premiers pour l'émigration; mais dabord, je crois savoir de bonne
source qu il est mort en pays étrangër, et, dans tous les cas, il aurait
maintenant plus près de soixante ans que de cinquante ; ce n'est donc
pas lui que j'ai l'honneur de recevoir en ce moment.
— La personne en question, Monsieur, était mon père, je suis Bré-,
vannes fils.
Le munitionnaire jeta sur celui qui lui faisait cette étrange révéla
tion, un long regard scrutateur, puis il reprit : ! : l
— Je crois être assez au courant des affaires et de la famille da ci-
devant marquis de Brévannes, et je n'avais jamais ouï dire qu'il eût lin'
fils, et surtout un fils portant son nom ; car, vous le savez sans doute, il
n'a jamais été marié.
—Faites excuse, le marquis a eu deux enfans, Esther de Brévannes
qu'il avait reconnue, et moi, qui étais l'aîné, et auquel, pour empêcher
le nom de s'éteindre, il a faitle même avantage en pays étranger.
— C'est possible. Monsieur, —repartit Morizot; — mais enfin quel est'
l'objet de votre visite?
—Monsieur, comme seul et unique héritier de là fortune paternelle, je
voudrais d'abord, en votre qualité d'ancien intendantdu marquis, vous
demander quelques légers renseignemens sur la situation de ladite for
tune.
—Mais le marquis était émigré ; ses biens ont d'abord été mis sous le
séquestre, puis ensuite vendus nationalement...
—Et achetés par vous, je le sais—interrompit le faux Brévannes, —
dans l'intention bien évidente de les restituer aux héritiers : c'est un
beau trait, Monsieur! «
—Il m'est impossible d'accepter cet éloge, —répondit sèchement Mo
rizot, — car l'existence de ces héritiers m'était complètement inconnue.
— Comment ! même celle de ma sœur Esther? —• demanda Chabouil
lant d'un ton doucereusement ironique qui donna à penser au munition*
naire.
—Je parle des héritiers mâles. Quant à Mlle Esther, le marquis ma
l'avait confiée avant son départ ; il me serait donc difficile d'avoir igno
ré son existence.
—Et je pense aussi son décès, — continua le commis-voyageur sur
ce même ton qui avait déjà déplu à son interlocuteur.
— En effet, — dit le munitionnaire prenant un air pénétré, — nous
avons perdu cette pauvre enfant il y a quelques semaines.
— Ce serait donc déjà, cher Monsieur, un petit compte à faire entre
nous ; car, à ma connaissance, mon père avait laissé dans vos mains,
une somme d'argent fort rondelette destinée à devenir la dot de ma
pauvre sœur. Or, comme elle est morte au bout de deux mois de ma
riage, et avant que vous eussiez le temps de régler avec elle, cet ar
gent doit naturellement se trouver en vos honorables mains.
— Sans nier ou sans affirmer la réalité de ce dépôt, au sujet duquel
vous pouvez avoir été mal informé, j'aurai l'honneur de vous faire re- ,
marquer, — repartit le. fournisseur avec une présence d'esprit qui de
moment en moment lui devenait plus nécessaire, — que les enfans na
turels, s'ils héritent de leur père et mère, n'héritent pas l'un de l'autre.
Dans tous les cas, eussé-je une réponsé à faire à votre demande, vous le
concevez, la qualité que vous prenez vis-à-vis de moi aurait encore be
soin de quelque justification.
— C'est-à-dire que je devrais vous prouver, d'une façon quelconque,
que je suis le fils de mon père?
— Mais, — répondit Morizot, qui, croyant démêler de l'embarras dans
cette réponse, prit aussitôt un air dégagé, —c'est ainsi qu'il est d'usage
71
fl
VENDREDI 18 AVRIL 184».
ÉDITION DE PARIS.
NUMERO 108.
JOUlUWi'' m COStHIECB, JPOMTïfIFS BT LITTERAIRE.
AJMS, RUE MONTMARTRE, N* «1.
», eaux us DiMcmmt dm postw,
TOUTSg LES KBS9À6SRIM.
Cowie et fiU, Saint-Anne'* Lane.
PÀMS,
40 R.
«II K0I3....80
TBOMHOU.10
DÉPAfiTEMENS ET ÉTRANGER.
im AU.......
ni mois
non sois...
48 re.
34
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ANNONCES.
1 frano SO cent, la petite ligne; — 3 francs la ligna d« réclam».
TOtm IHSERTIOH DOIT ftTH AflRMl HI U 6É1AHT.
Lu lettre* non affranchie! seront rigoureusement refutèei.
SPAHIS ,19 AVHIIJ.
L'amendement de M. Gouin au projet de loi sur les caisses d'é
pargne avait été adopté avec quelques modifications etpar la com
mission et par le ministre des finances. Cet amendement, après
avoir été longuement débattu et vivement défendu par M. Lacave-
Laplagce, a été rejeté par la chambre après deux épreuves dou-
teusës.' Les épreuves étaient-elles réellement douteuses? Nous
n'en s*vons rien ; mais ce qu'il y a de certain c'est qu'au scrutin
par division l'amendement a été repoussé, à une majorité de 77
voix, le nombre des votans était de 247. Ce qu'il y a déplaisant
dans ce résultat, c'est que M, Lacave-LapJagnfi se donne une^ peine
Infinie pour découvrir lés défaites qui pourraient l'atteindre, et,
Eoiir les éviter, il soutient toutes les propositions excepté la sienne.
e premier article de son projet est modifié par la commission;—il
sef range à. l'avis de la commission ; — cet article éprouve de nou
veaux changemens par l'intervention de M. Gouin. M. Lacave-La-
plagne aussitôt défend le nouvel amendement avec autant de chaleur
que s'il avait été question de son propre projet. La chambre a été
sans pitié ; elle n'a tenu aucun compte à M. Laplagne dé cette ab
négation stoïque ; son propre parti a pris à tâche de l'humilier :
MM. Fulchiron, d'Hôudetot, Pagane), et beaucoup d'autres dépu
tés ministériels, l'ont accablé de boules noires et ont contribué à
faire ce sort fatal à l'amendement qu'il avait accepté avec tant de
mansuétude. On est arrivé à ce résultat à travers la discussion la
plus confuse, et les opinions les plus étranges ont été émises à
propos d'une question assez simple en elle-même.
On a beaucoup parlé de classes laborieuses et de capital. Les
classes laborieuses seraient-elles, par hasard, circonscrites, ainsi
qu'on paraissait le croire à la chambre, dans la classe des ou
vriers, et pour être admis à déposer aux caisses d'épargne faut-il
de tonte nécessité être compagnon menuisier ou serrurier ? Nous
ne le pensons pas. Les classes laborieuses comprennent tous les
individus, toutes les familles qui vivent de leur travail, et nous ne
voyons pas pourquoi les nombreux employés de l'administration,
les professions libérales elles-mêmes, ne jouiraient pas des bien
faits des caisses d'épargne.
On a fait implicitement, et peut-être sans !e voaloir, des catégo
ries et des distinctions que noHs ne saurions admettre. Les méde
cins, les artistes, les avocats, peuvent aussi être des hommes la
borieux et par conséquent' appartenir à la classe laborieuse. Vou
drait-on les exclure des caisses d'épargae sous prétexte qu'ils ne
sont pas ouvriers? Cela n'a pas été dit positivement à la chambre,
toàis on paraissait assez disposé à traiter de capitalistes les hom
mes qui exercent des arts libéraux et qui ne demandent pas léèur
existence à des occupations purement manuelles. Encore une fois
cette distinction ou cette exclusion ne saurait se justifier.
' Passons au mot capital si souvent prononcé dans la discussion.
4,500 fr., disait M. Berryer, forment un capital, et comme la
caisse d'épargne ne doit pas recevoir des capitaux, ces 1,500 fr.
formeront le maximum des dépôts. Et pourquoi, s'il vous plaît,
4,000 fr., 500 fr., 200 fr. même ne seraient-ils pas des capitaux?
Si 1,500 fr. suffisent à un ouvrier pour s'établir ii pourra les con
sidérer cpmme un capital et il les retirera da la cai&e d'épargne;
mais s'il luifaut mille écus pour réaliser ses desseins il est évident
qu'il ne considérera pas encore ses économies comme un capital.
Vous ne voulez pas de capitaux à la caisse d'épargne. Mais vous
n'avez que cela; dès qu'une somme d'argent rapporte un intérêt
quelconque elle devient capital dans l'acception pratique et dans
l'acception scientifique d» mot, et aujourd'hui plusieurs orateurs
se sont montrés assez peu clercs én parlant décapitai.
■ Autre affaire; Tous voulez écarter au moyen de la loi nouvelle
les capitaux de placement qui arrivent aux caisses d'épargne. Vous
voulez éviter l'encombrement, fermer l'institution aux gens aisés
qui y mettent une portion-plus ou moins forte de leur avoir. Là
penséè est bonne ;—mais que fait-on pour la réaliser? On introduit
dans la loi un article spécial, particulier, pour favoriser le place
ment d'un capital de 1,500 fr. Le maximum des dépôts, dit l'a
mendement deM. Berryer, adopté pftfja chambre, sera de \ ,500 f.
Toutefois, le crédit pourra s'élever à2,000 fr. par l'accumulation
des intérêts. Voilà 4,500 fr. qui sont placés à intérêt composé. Le
déposant pourra les laisser pendant sept ans et quatre mois à. la
caisse d'épargne sans y touener, et au bout de ce temps il retirera
2,000 fr., ou 500 fr. seulement dans le cas où il voudrait recom
mencer l'opération.
N'est-ce pas là le placement par excellence ? Les capitalistes les
mieux avisés pourraient-ils agir autrement, mieux, avec plus de
prudence ? Noh, certes. Comment un capitaliste ne serait-il pas
content quand on lui dit : Vous mettrez 4,500 francs entre les
mains du gouvernement qui vous paiera les intérêts de cette
somme à ràisoû de 4 0 t 0, et puis les intérêts des intérêts ; cela
durera sept ans; puis auboutdejce temps, en retirant 500 fr.,
vous faites un nouveau bail de sept ans avec la caisse d'épargne,
et ainsi de suite. Le moyen est ingénieux, nous l'avouons, non
pas pour repoussér les plcKemens, mais pour les encourager . On
ne voulait pas de capitaux, on en aura, et des capitaux fixes qui
ne bougeront plus des caisses d'épargne.
La chambre s'égare, et M. le ministre des finances, qui devrait
servir de point d'appui à la discussion, se met à la disposition de
tous les amendemens possibles ; il ce charge de tout, et il consent
à chaque instant à grossir le bagage des propositions. Comme
nous l avons dit hier, la loi nous paraît singulièrement compro
mise; encore quelques votes comme celui d'aujourd'hui, et la
chambre n'aura pas de peine à comprendre que les capitalistes
qu'on vëiit évincer n'oiit rien à craindre, et que les ouvriers qu'on
veut favoriser pourraient bien regretter lé régime qu'on veut mo
difier. *
Nous avons fait tort au ministère en comparant sa situation à
celle du ministère anglais, en trouvant la politique dé sir Robert
Peel supérieure à celle de M Guizot. Nous n'avons pâs rendu jus
tice à celui-ci. Le ministère nous apprend aujourd'hui que la si
tuation de sir Robert Peel n'est pas parlementaire ! Le gouverne
ment parlementaire consiste sans doute à obéir à toutes les influen
ces, à n'accomplir aucun des projets que l'on a conçus, à livrer le
Eouvoir à tous les caprices d'un parti sans direction, à tous les
asàrds d'une majorité contestable et flottante. Robert Peel ignore
tout cela : cet homme quiatrouvé son parti dispersé et anéanti, qui,
à force de patience et d'habileté, l'areconstitué peu à peu, puis l'a
transformé en majorité et l'a conduit à la victoire, cet homme n'en
tend rien sans doute au gouvernement parlementaire ; et s'il n'é
pouse pas toutes les passions des ultra-tories, s'il lutté quelque
fois contre la majorité, pour l'honneur de l'Angleterre, c'est pure
inhabileté de sa part; nos ministres ne s'aviseraient jamais dépa
reille chose !
Cependant, au fond, nous ne le nions pas, les deux cabinets
sont dans une situation fausse. Robert Peel gouverne contre les
principes dé son parti, dément les opinions des tories dont il est
le chef, proclame la vérité des idées de ceux qui le combattent ;
il oblige une partie de la chambre à le suivre malgré elle, et l'au»
tre à 1 applaudir à regret. Notre ministère est gouverné par tout le
monde ; une moitié de la chambre est contre lui, l'autre le dédai
gne ; l'opposition, le combat souvent avec succès; la majorité re
jette ses lois, déchire ses traités et détruit tout ce qu'il ose ëntrë-
prendre. Robert Peel arrive à confondre les partis par excès dp
volonté et d'énergie ; M. Guizot arrive souvent à l'unanimité par
excès de faiblesse et d'impuissance. ~ '
Est-il besoin de demander lequel des deux gouvernemens ren
trera le plus aisément dans l'état normal, et lequel honoréle
mieux et lui-même et son pays ? - j
►M+
Nous recevons une lettre de Taïti, en date .du 31 octobre, qui
nous permet de compléter les nouvelles que nous avons publiées,
il v a deux jours.
Nos officiers et nos soldats attendaient avec impatience l'amiral
Hamelinet se flattaient d'uné fort singulière espérance. Ils sup
posaient que les rapports de M. Braat sur les affaires de Taravao
et de Mahahéna auraient modifié la résolution du ministère et quë
l'amiral aurait reçu ou ne tarderait pas à recevoir des instructions
nouvelles, ayant pour effet d'ajourner le rétablissement du,protec
torat et la restauration de Pomaré. Il est impossible, se (lisaient
nos officiers, que le gouvernement consenteainsi à reculer, lorsquç
l'insurrection est flagrante et lorsque l'influence] désastreuse des
résidens anglais se fait encore sentir. Céder ainsi, serait une honte;
d'ailleurs , le protectorat est un état de choses impossible.' Il est
probable, concluait-on, que le gouvernement aura changé d'avisé
On voit bien que les marins et les soldats qui raisonnent ainsi *
ignorent depuis long-temps ce qui se passe en France. «
Nous avons dit que les insurgés sont toujours rassemblés à Pa-
Senào et à Pounavia, sans coïnbattte,mais sans vouldir rentres;,
ans leurs habitations. "
Quant à Pomaré, les Français ont renoncé provisoirement à la
poursuivre, et, comme nous l'avions prévu, les Anglais prennent
l'affaire à leur compte. Depuis lë 12 octobre , le Salamander, na
vire anglais, était parti pour Raïatea avec 'le ,colisul général an
glais, M. Miller, qui s'était fait fort de décider Pomaré à re venir ,à ;
Papeïti, et qui offrait à M. Bruat delà ramener, plus docile, à bord
du Salamander. M. Bruat, par un sentiment honorable, a'déclaré,
qu'il ne recevrait pas la souveraine fogitive de Taïti, Si elle se
présentait à bord d'un bâtiment étranger. Le commandant du Sa
lamander et M. Miller avaient alors modéré leur zèle et poursuivi,
leur mission, sous forme purement diplomatique. Ils n'étaient pas
encore de retour le 31 octobre, et ils s'employaient sans doute ac
tivement à protéger notre protectorat auprès de notre protégée.
Certainement cette intervention anglaise ne peut être considérée
comme un mauvais procédé. Mais est-il une situation plus ridicûlfr
et plus triste que la nôtre dans ces parages ?
Des nouvelles nous arrivent d'Haïti, différentes de celles qu'on
a récemment publiées. Toute l'île jouit de la tranquillité, et rien
n'indique une reprise des hostilités. Les Dominicains, convaincus,
xvxuàxon eeiffSïmJTIONBTEï, bu 18 AVBXL 1945.
Toutes les personnes qui prendront un abonne-
anent nouveau, à dater da 1 S avril, recevront
Clans frais tout ce qui aura paru de li'ÂLLÉE DES
VEUVES, c'est-à-dire toute la première partie.
. Après la publication de l'AILÉE »E§ VESUVES
nous reprendrons le JUIF EISKABîT, dont il ne
nous reste plus que trois volumes à publier et qui
paraîtront sans interruption.
L'ALLEE DES VEUVES
M
DEUXIEME PARTIE.
CHAFIXH.E V.
Plus heureux que ne l'avait été Chevillard, en nous rendant mainte
nant rue de Provence, à l'hôtel habilé par Morizot le munitionnaire et
l'assassin, nous y serons tout d'abord introduits.
Là, nous apparaîtra réalisée dans un effrayant relief, selon les uns la
plus criante négation de la Providence, selon les autres qui voient plus
loin et plus juste, la plus solide démonstration d'une vie à venir et d'un
îhonde meilleur, à savoir la félicité du méchant dans celui-ci.
Car ce n'était pas seulement par une large et plantureuse possession
4]Un'immense bien-être matériel que ce meurtrier semblait insulter à
Diéu et Justice. A ses somptueux appartenons, à ses riches équipages,
à sdn portefeuille regorgeant de bonnes et solides valeurs, à ses ta
bleaux, à ses bronzes, à ses maisons de vil'e et de campagne, il fallait
ajouter dans le compte de son scandaleux bonheur, les bénédictions et les
joies de la famille, qui à elles seules auraient pu faire de lui un objet
d'envie, s'il avait été capable de les goûter et de les comprendre.
Venue dé bon lieu et tombée on ne sait comment aux mains de ce
misérable, une femme douce, dévouée, aimable par la culture de l'esprit
et par l'élégance des manières, l'avait fait père de deux charmantes fil
les. Belles de leur beauté et belles de leur dot, ces deux aimables per
sonnes paraissaient destinées à de brilians mariages, et dans l'aristo
cratie impériale qui tout-à-l'heure allait prendre naissance, rien n'était
au-dessus des hautes aspirations qu'il était permis de leur supposer.
Un matin même ce fastueux scélérat, qu'on aurait presque pu appeler
(f) Toate reproduction, mémo partielle de ce feuilleton , est interdite.
Voir pour la première partie, notre numéro du 13 |avril, et pour la
deuxième partie nos numéros des 16 et 17 avril.
un Turcaret dans le crime, était occupé avec un personnage très haut
placé, à ébaucher au profit de sa fille aînée, une alliance ae cette es
pèce, lorsqu'un domestique, venant l'interrompre, lui annonça quelque
chose d'assez étrange : M. le marquis de Brevannes est là qui demande
à parler à Monsieur.
Entendre annoncer chez soi un homme, le dernier de son nom, et que,
plusieurs semaines avant, on croit avoir de sa main envoyé dans l'autre
monde, n'est point un cas très ordinaire, et naturellement cette singu
larité a en soi quelque chose d'assez émouvant. Morizot fit donc répéter
le maladroit qui lui procurait cette désagréable surprise et presqu'aus-
sitôt, se persuadant, pour de bonnes raisons; qu'il était impossible que
le marquis de Brévannes se trouvât réellement dans son antichambre,
il pensa à une méprise de nom qui aurait tout expliqué.
Un petit débat, qui s'éleva à ce sujet entre le maître et le valet, en
gagea la personne assise dans le cabinet du munitionnaire à lever la
séance, et comme Morizot, vu l'état de sa conscience , ne laissait pas
d'être intrigué par l'insistance que mettait son domestique à soutenir
qu'il ne se trompait pas, il laissa aller le visiteur, en lui disant qu'il
aurait bientôt l'honneur de le voir chez lui pour reprendre leur conver
sation, puis ordonna que l'on fît entrer celui qui s'était fait annoncer.
Le fournisseur, en voyant paraître un jeune hommed'un extérieur as
sez vulgaire, fut aussitôt rassuré; il reprit donc toute la morgue de ses
façons habituelles et, en montrant à l'inconnu un siège, pour l'engager à
s'asseoir, il lui demanda à qui il avait l'honneur de parler.
Vainement nous essayerions de donner le change à nos lecteurs. Dans
l'audacieux survenant, ils ont deviné le dépositaire des sanglantes révé
lations de l'Agneau d'or. Comme nous l'avons dit dans le premier chapi
tre de cette histoire, « médiocrement élevé par le cœur et par les senti-
» mens, mais doué du plus imperturbable aplomb que l'on puisse ima-
» giner », Chabouillant n'a pas pensé qu'un secret de cette importance
dût rester entre ses mains un capital improductif. Quoique sachant le
terrible adversaire qu'il vient affronter face à face, dégagé dans.ses ma
nières et l'esprit aussi libre que s'il venait faire la démarche la plus
simple et la plus naturelle du monde, de ce ton jovial et malencontreu
sement élégant quo nous lui connaissons, le commis-voyageur, à la
question qui lui est faite, répond sans hésiter :
— Monsieur, je suis porteur d'un nom qui ne vous est pas étranger
et indifférent : le marquis de Brévannes.
— De Bravannes? — fit Morizot, comme s'il n'était pas sûr d'avoir
bien entendu.
— Non... Brévannes, B-r é, Bré, — reprend le commis-voyageur en
épelant.
—Vous xn'étounez beaucoup,—dit alors le munitionnaire,—j'ai connu,
en effet, avant la révolution, an marquis de Brévannes qui est parti des
premiers pour l'émigration; mais dabord, je crois savoir de bonne
source qu il est mort en pays étrangër, et, dans tous les cas, il aurait
maintenant plus près de soixante ans que de cinquante ; ce n'est donc
pas lui que j'ai l'honneur de recevoir en ce moment.
— La personne en question, Monsieur, était mon père, je suis Bré-,
vannes fils.
Le munitionnaire jeta sur celui qui lui faisait cette étrange révéla
tion, un long regard scrutateur, puis il reprit : ! : l
— Je crois être assez au courant des affaires et de la famille da ci-
devant marquis de Brévannes, et je n'avais jamais ouï dire qu'il eût lin'
fils, et surtout un fils portant son nom ; car, vous le savez sans doute, il
n'a jamais été marié.
—Faites excuse, le marquis a eu deux enfans, Esther de Brévannes
qu'il avait reconnue, et moi, qui étais l'aîné, et auquel, pour empêcher
le nom de s'éteindre, il a faitle même avantage en pays étranger.
— C'est possible. Monsieur, —repartit Morizot; — mais enfin quel est'
l'objet de votre visite?
—Monsieur, comme seul et unique héritier de là fortune paternelle, je
voudrais d'abord, en votre qualité d'ancien intendantdu marquis, vous
demander quelques légers renseignemens sur la situation de ladite for
tune.
—Mais le marquis était émigré ; ses biens ont d'abord été mis sous le
séquestre, puis ensuite vendus nationalement...
—Et achetés par vous, je le sais—interrompit le faux Brévannes, —
dans l'intention bien évidente de les restituer aux héritiers : c'est un
beau trait, Monsieur! «
—Il m'est impossible d'accepter cet éloge, —répondit sèchement Mo
rizot, — car l'existence de ces héritiers m'était complètement inconnue.
— Comment ! même celle de ma sœur Esther? —• demanda Chabouil
lant d'un ton doucereusement ironique qui donna à penser au munition*
naire.
—Je parle des héritiers mâles. Quant à Mlle Esther, le marquis ma
l'avait confiée avant son départ ; il me serait donc difficile d'avoir igno
ré son existence.
—Et je pense aussi son décès, — continua le commis-voyageur sur
ce même ton qui avait déjà déplu à son interlocuteur.
— En effet, — dit le munitionnaire prenant un air pénétré, — nous
avons perdu cette pauvre enfant il y a quelques semaines.
— Ce serait donc déjà, cher Monsieur, un petit compte à faire entre
nous ; car, à ma connaissance, mon père avait laissé dans vos mains,
une somme d'argent fort rondelette destinée à devenir la dot de ma
pauvre sœur. Or, comme elle est morte au bout de deux mois de ma
riage, et avant que vous eussiez le temps de régler avec elle, cet ar
gent doit naturellement se trouver en vos honorables mains.
— Sans nier ou sans affirmer la réalité de ce dépôt, au sujet duquel
vous pouvez avoir été mal informé, j'aurai l'honneur de vous faire re- ,
marquer, — repartit le. fournisseur avec une présence d'esprit qui de
moment en moment lui devenait plus nécessaire, — que les enfans na
turels, s'ils héritent de leur père et mère, n'héritent pas l'un de l'autre.
Dans tous les cas, eussé-je une réponsé à faire à votre demande, vous le
concevez, la qualité que vous prenez vis-à-vis de moi aurait encore be
soin de quelque justification.
— C'est-à-dire que je devrais vous prouver, d'une façon quelconque,
que je suis le fils de mon père?
— Mais, — répondit Morizot, qui, croyant démêler de l'embarras dans
cette réponse, prit aussitôt un air dégagé, —c'est ainsi qu'il est d'usage
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