Titre : Le Constitutionnel : journal du commerce, politique et littéraire
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1845-04-17
Contributeur : Véron, Louis (1798-1867). Rédacteur
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32747578p
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 17 avril 1845 17 avril 1845
Description : 1845/04/17 (Numéro 107). 1845/04/17 (Numéro 107).
Description : Collection numérique : Grande collecte... Collection numérique : Grande collecte d'archives. Femmes au travail
Description : Collection numérique : La Grande Collecte Collection numérique : La Grande Collecte
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k667059q
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
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1 frano 80 cent. 1* petite ligne; — 8 frtnoi 1* ligue de réelajne.]
TOCTH DHEKTIO» DOIT ftru AS Rttl tÀ.% t> ei *>KT.
Le* lettrei non affranehiet feront rigoureuietnent refutiet.
PARIS, 16 AVBII.
LA POLITIQUE DES INTÉRÊTS.
Chaque affaire nouvelle qui passe sous les yeux des chambres,
apporte des révélations peu glorieuses pour la politique du minis
tère. Il semble que lorsqu'il ne blesse pas l'honneur et la dignité
da pays, il prenne à tâche de montrer la plus inconcevable incu
rie pour ses intérêts matériels au dehors. Grande est l'illusion de
ces modestes conservateurs, qui veulent croire que la politique de
fit' Guizot brave les sentimens pouf défendre les intérêts, et que
l'influence perdue rapporte des avantages pécuniaires. Dans son
inépuisable ambition de paraître modéré et désintéressé pour la
France, le grand ministre français, comme dit sir Robert Peel,
abandonne aussi volontiers notre commerce extérieur que notre
influence, ^et les esprits les plus calculateurs et les plus froids,
ont eux-mêmes un compte sévère à lui demander.
! Après là discussion de la loi de douanes, il n'est plus possible
de nier que tandis que tous .les autres pays de l'Europe augmen
tent leurs exportations, celles de la France restent tout au moins,
s.tationnaires ; elles diminuent, et notre navigation décline dans
une proportion plus alarmante encore. L'état de notre industrie
est-il la cause de ces funestes résultats ? doit-on l'accuser de déca
dence ? Non, certes. Ses progrès sont manifestes, et chaque jour
constatés. Faut-il s'en prendre k la défectueuse économie aè quel-
Îues-uns de nos tarifs de douanes, établis généralement-sans vue
'ensemble, et réglés quelquefois sous l'impression de circons
tances accidentelles ?
Peut-être; mais presque tous nos tarifs sont anciens, et les
vieilles causes n'ont pu amener seules les résultats nouveaux.
Pourquoi donc ce déclin matériel qui suit de si près le déclin poli
tique et moral? Nous pourrions dire, non sans raison, que l'in
fluence politique et l'influence commerciale réagissent l une sur
l'autre ; elles se prêteat un appui réciproque ou s'affaissent simul
tanément. Le prestige de l'influence morale opère sur le comptoir
du négociant autant que dans le cabinet du diplomate étranger.
Quand tous les yeux sont tournés vers une nation, on est dis
posé à venir chercher chez elle les marchandises comme les
idées. D'ailleurs, le plus grand stimulant de l'esprit d'entreprises
lointaines, stimulant qui nous manque aujourd'hui, n'est-ce pas
la confiance inspirée par la fermeté et la fierté de son propre gou
vernement ? La.certitude que les individus et les richesses exposés
dans mille contrées diverses , seront toujours protégés d'une ma
nière efficace et vigoureuse, donne seule la hardiesse dé risquer
sa fortune et sa personne dans la carrière des aventures lucrati
ves. Ainsi, le long abandon des intérêts français à Buénos-Ayres,
à Montevideo et au Mexique, le peu d'empressement que Ion a
rçiis à faire rendre justice aux armateurs au Marabout , ont ar
rêté l'activité de notre commerce, ailleurs encore que sur les rives
de la Plata, au golfe du Mexique et dans les zônes où s'exerçait
le droit de visite.
C'est ce que soutient l'opposition depuis cinq ans ; c'est ce que
conteste le ministère. Les faits sont venus donner raison à l'oppo
sition. Mais qu' mporte à un esprit aussi élevé que celui de M.
Guizot . cette petite chose qui s'appelle les faits? Il dédaigne de
tel# détails, et se tient toujours, par goût, aussi par nécessité, dans
la sphère des idées générales. A tout, il répond par des phrases
pompeuses, indistinctement les mêmes, il est vrai, et, à ce qu'il
paraît, d'autant plus aveuglément acceptées par ses amis, qu'elles
leur sont plus souvent répétées. Il ne s'agit jamais de rieu moins
que de sauver la bonne politique. C'est toujours la bonne politique
qui est en péril, dès que les intérêts ouïes sentimens du pays font
entendre leurs plaintes, et cette expression est un talisman qui a
le privilège constant d'éblouir le parti conservateur. Soit ; il est
mesquin de juger la bonne politique par ses œuvres ; mais que
M. le ministre des affaires étrangères ait donc la prudence de ne
pas dévoiler lui-même les résultats pratiques de ses théories nébu
leuses. Il a dû s'apercevoir au malaise qu'éprouvait le parti con-
semleur, de l'impression fâcheuse produite sur les esprits par la
manière' dont ont été défendus le traité belge et le traité sarde.
Qu'a dit M. Guizot? Le traité belge est mauvais, très mauvais ;
l'exécution en est pirè que le texte ; je ne l'ai pas moins signé et je
m'en glorifie, parce que le gouvernement belge émane d'un prin
cipe politique conforme au nôtre ; il faut savoir faire quelques sa
crifices d'intérêt pour conserver ses amis. Du reste, exigez qu'il
ne puisse être renouvelé, j'en serai recoonaissant, cela me donnera
de la force. Le traité sarde n'est pas bon non plus ; je trouverai le
moyen de le fausser dans l'application ; mais le gouvernement
sarde a un principe différent du nôtre, et il faut savoir se concilier
ses ennemis. Exigez qu'il ne puisse être renouvelé au bout des
quatre ans ;"vous aurez raison, et le gouvernement en saura gré à
la chambre.
Nous n'insistons pas en ce moment sur la singulière humilité
du ministère qui a accepté avec gratitude le blâme des chambres ;
nous ne parlons pas ici d'honneur et de fierté, depuis l'affaire du
traité de 1841, il ne saurait en être question pour le ministère.
Mais quelle étrange révélation ! Nous devons sacrifier nos intérêts
matériels à ceux de la Belgique, parce qu'elle a un principe con
forme au nôtre ; à ceux du Piémont, parce qu'il a un principe dif
férent du nôtre. La bonne politique veut donc que nous sacrifions
toujours nos intérêts à ceux des àutrespuissances, grandes ou pe
tites, constitutionnelles ou absolutistes." Par la proclamation de la
Saix à tout prix, partout et toujours, les esprits généreux ont été
fessés. Le langage du ministère a paru alors imprudent et peu di
gne. Eh bien ! l'excessive humilité de ces paroles était encore une
vanterie ; il aurait fallu dire : la faiblesse partout, toujours, et sur
tous les objets. Crédules serviteurs de lai politique des intérêts, in-
différens systématiques pour ce que nous appelons la dignité, ap
préciateurs des résultats positifs, que dites-vous de ce Lie politique
de seatiment dans laquelle vous entraîne M. Gjizot?I! est vrai qu'il
ne s'agit pas ici de ménager le sentimert national que l'opposi
tion a, suivant vous, la faiblesse et l'imprudence de ne pas vouloir
dédaigner et blesser. Est-ce une consolation? Recherchez-vous la
paix productive ou la paix ruineuse? Celle-ci est la conséquence
extrême et matérielle de la politique modeste, résignée et subal
terne. Il y a quatre ans vous col sidériez M. Guizot comme un
instrument éloquent, comme le défenseur breveté de votre cause.
Les rôles sont aujourd'hui intervertis ; vous êtes devenus les ins-
truméns aveugles d'une ambition égoïste, et les soldats d'une
cause qui n'était pas la vôtre. Vous consentiez à, sacrifier l'in
fluence ; on vous a amenés à ce point de sacrifier les intérêts.
On en est toujours à la chambre des députés à l'article premier
du projet de loi sur les caisses d'épargne. Après avoir repoussé
hier l'amendement de MM. Lanjuinais, Fould, Rivet et Betnmont,
la chambre était appelée à se prononcer sur un autre amende
ment des. mêmes auteurs, et dans lequel on supprimait le para
graphe relatif à la réduction de l'intérêt. Mais au moment où la
discussion allait s'engager, M. Gouin a présenté une autre pro
position en cinq articles qui' modifiait entièrement le système de
la loi. Elle est ainsi conçue :
« Art. 1 er . Les versemens d'an franc à 300 francs continueront à être
admis aux caisses d'épargne.
» Ces sommes seront portées, suivant la demande du déposant, soit à
un compte courant, soit à un compte à échéance fixe.
» 2. Un compte-courant ne pourra jamais être créditeur de pics de
SCO fr. de capital.
» 3. Les sommes vtrsées à un compte à échéance fixe pourront s'élever
jusqu'i 2,000 fr., y compris l'accumulation des intérêts; chaque verse
ment effectué à ce compte devra être fait par coupures de 100, 200 ou
300 fr.
» 4. Les retraits d'un compte courant continueront à avoir lieu qqinze
jours après la demande du déposant.
» 3. Les sommes portées au crédit d'un compte i échéaneç fixe seront
remboursées à six mois de date à partir du jour du verseppBijt ; toutefois,,
ces sommes, sur la demande du déposant, qui devra avoir lieu quinze 1
jours avant leur échéance, pourront être laissées, en tout où en partie, au
mémo compte, avec prolongation d'une nonvclle échéance de six mois,'
Cette prolongation aura lieu de droit si le déposant n'a pas, dix jours
après l'échéance, usé de la facilité d'être remboursé. »
Cette combinaison avait déjà été soumise à la commission insti«
tuée par M. le ministre des finances pour examiner la question des
caisses d'épargne ; mais comme elle renfermait alors une clause
d'après laquelle les fonds du compte courant devaient recevoir uni
intérêt plus élevé que les fonds du compte à échéance, elle a été
repousséé par la commission, parce quelle faisait naître de sé
rieuses difficultés pour la comptabilité. La forme nouvelle que
l'honorable M. Gouin donne à son amendement fait tomber les
principales objections, et le ministère, toujours prêt à faire bon-
marché de ses propres lois, a consenti au renvoi de l'amendement'
à la commission. Dans cet état de choses la discussion a dû êtr®
ajournée à demain. ~ i
Dans le système proposé par M. Gouin, les dépôts se divisent eu»
deux catégories bien distinctes. Les dépôts , en compte courant
continueront à se faire sous l'empire de la législation actuelle. Le»
sommes portées au crédit des comptes à échéance fixe ne seront
au contraire remboursées qu'à six mois de date à partir du jour
du versement, et recevront, comme les sommes du compte cou
rant, un intérêt de 4 0/0. Quel est le but qu'on se propose? De:
favoriser l'épargne et d'écarter, autant que possible, les dépôts qui
se présentent sous forme de placemens. Or, il nous semble que les
petits capitalistes qui font des placemens aux caisses d'épargne ne
v* wm» f m» uvvv ut uqvu uvv»v a vu vi lutiuu au VA UUUtiw UuLlij |g i
de la disponibilité, d'autant moins qu'ils trouveront toujours Hana
le compte courant des ressources pour les besoins imprévus. Ainsi
le trésor continuerait à être embarrassé de sommes considérable^
pour lesquelles il paierait un intérêt assez élevé. Le problème,,
nous en convenons, présente de très graves difficultés, et sa solu
tion sera d'autant plus difficile, qu'on ne peut pas, sous ce rapport,
assimiler les caisses d'épargne de France aux caisses d'épargne
des autres pays. En Angleterre, les économies entrent facilement
dans' la rente, et, à cet égard, les habitudes des çlasseslaborieu-,
ses sont formées. En donnant cette direction aux petits capi-r,
taux, le gouvernement échappe aux inconvéniens qui se roanife-
tent chez nous. Au reste, la solution ne se trouve pas plus dans le
projet de loi que dans l'amendement, et il est très possible que lV
chambre écarte l'un et l'autre.
La discussion du projet de loi sur la police des chemins de fer a
commencé aujourd'hui à la chambre des pairs. Le débat a été
un moment interrompu par M. le chancelier, qui a donné lecture
de six ordonnances qui élèvent à la pairie MM. le lieutenants-
général baron Achard, Bertin de Vaux, Martell, le comte Charles'
ae Mornay, le duc de Trévise, le vicomte Victor Hugo.
L'ARCHIPEL DE SOULOU. — L'ILE DE BASILAIV.
Nous avons raconté l'événement tragique dont M. de Ménars,
officier de la corvette la Sabine, et plusieurs matelots du même
navire, tombèrent victimes d&ns l'île malaise de Basilan. La mort
de cet officier avait été depuis révoquée en doute ; mais de
nouvelles lettres écrites par des personnes attachées à l'expédi
tion de Chine, confirment pleinement les premiers détails. Le guét-
àpens qui coûta la vie ou la liberté à plusieurs de nos braves ma
rins, demandait' une vengeance éclatarte. Nous avions annoncé
que le contre-amiral Cécile fesait constmre à Manille une dou
zaine de bateaux plats nécessaires pour remonter la rivière, rem
plie de bas fonds, qui se jette dans la baie de Maluza (ou Maloza).
rauisssvos bu cowBsmfirexowwesi n avbjx. ras. i
. Toutes les peïsonnes qui prendront un abonne
ment nouveau, à dates* du 15 avril, recevront
sans frais tout ce qui aura paru de L'ALLÉE 59ES
VEUVES, c'est-à-dire toute la première partie..
■ Après la publication de l'ALLÉE DES VEUVES
nous reprendrons le JUIF EKBAKÏ, dent il ne
noufi reste plus que trois volumes à publier et qui
paraîtront sans interruption.
.L'ALLÉE DES VEUVES w .
DEUXIEME PARTIE.
CHAPITRE III.
Le lendemain, ayant tâché de ne faire aucun bruit qui pût trahir sa
présence dans le cabinet où il avait couché de contrebande, le commis-
voyageur descendit à la salle commune et se fit servir à déjeûner. Pen
dant qu'il fonctionnait avec son entrain accoutumé, l'hôtelier vint lui
demander des nouvelles de sa nuit ; puis, comme il "était aussi au cou
rant de la monomanie do Chabouillant :
' —Et cette famille ! —lui dit-il, —l'avons-nous trouvée cette fois?
— Eh ! eh ! — répondit le bâtard , — j'ai recueilli durant ce voyage
des renseignemens qui me portent à croire que je ne suis pas très loin
de grandes découvertes.
— Allons I tant mieux, — dit maître Schaiidt,— pourvu qu'au moins
cela ne vous empêche pas de venir nous voir de temps en temps.
— Au contraire, j'aurai plus que jamais le goût de la locomotion,
— repartit Chabouillant. — Et ayant, peu après, payé sa dépense, il ne
C" 1 ■ 1 ..■■■■ i .i - .i— - ■ —.
(1) Toute reproduction, même partielle, de ce feuilleton, est interdite.
Voir, pour la première partie notre numéro do 13 avril, et, pour les
deux premier* chapitrés de la deuxième partie noire numéro du 16.
tarda pas à monter en voiture pour regagner la frontière de France et
prendre en droite ligne la route de Paris.
Pendant qu'il s'avance vers le terme de son voyage, nos lecteurs vou
dront bien nous suivre un moment à la maison du Prisme iricolor, où
nous trouverons Mlle Lebeau à peine remise de l'épouvantable malheur
qui avait frappé Chevillard; nous avons vu qu'elle en avait été instruite
par la lettre contenue dans le portefeuille du pauvre insensé lors de son
arrestation.
Au milieu du récit circonstancié, mais néanmoins assez confus, que
dans cette lettre l'ex-teneur de livres lui faisait de "ses infortunes con
jugales, la jeune marchande avait cru comprendre que l'hésitation mise
par elle à lui procurer sa liberté n'avait pas été sans influence sur la
production de la terrible catastrophe qui avait dénoué son mariage.
Bien qu'elle eût racheté par une généreuse détermination la faute d'un
premier mouvement trop naturel pour n'être pas excusable et que
l'affreux malheur dont elle apprenait la nouvelle dût réellement être
laissé au compte de la fatalité, elle ne s'en était pas moin3 reproché de
la manière la plus amère la fin douloureuse de la malheureuse Esther ;
comme toutes les natures élevées qui pensent beaucoup au mal et ja
mais au bien qu'elles ont pu faire, la jeune marchande avait vu cette
femme, si jeune, si belle, périssant à la llenr de l'âge, faute d'un peu de
pitié obtenue à temps, et elle ne s'était pas rappelé toutes les raisons
qu'elle avait eues d'accueillir froidement sa demande, non plus que son
prompt repentir et le sacrifice onéreux devant lequel elle n'avait pas
reculé.
On se figure bien que, dans cette situation d'esprit, les conséquences
possibles du veuvage de Chevillard ne se présentèrent pas.même à la
pensée de Mlle Lebeau. Dans tous les cas, elle eût repoussé cette idée
comme un sacrilège, et dans l'hôte déplorable de la maison de Chareu-
ton, elle n'avait plus vu qu'un malheureux ayant un droit particulier
à ses soins et à sa compassion qu'elle lui accorda, dévouée et entière, sans
aucune arrière-pensée personnelle et intéressée.
Un dimanche, tous les employés, jusqu'aux domestiques de la maison,
ayant obtenu la permission de sortir, la triste jeune fille était chez elle
absolument seule, plus que jamais abîmée dans ses pensées et dans ses
souvenirs, quand, à une heure déjà avancée de la soirée; elle entendit
sonner à la porte de son appartement. Quelqu'un de ses gens pouvait
avoir oublié.de se munir d'une clé; elle s'empressa donc d'aller ouvrir;
mais elle eut un mouvement d'effroi en trouvant à sa porte un homme
enveloppé d'un manteau qui lui cachait jusqu'au visage, et ne fut pas
maîtresse de cacher son émotion. •
Heureusement, une voix à elle connue la rassura presque aussitôt :
— N'ayez pas peur, Mademoiselle, — lui dit l'homme au manteau —■
je suis Chabouillant. '
— J'avoue que Vous m'avez effrayée : votre manière de vous pré
senter, et l'heure assez singulière que vous choisissez pour vos visites...
— Vous saurez, Mademoiselle, le pourquoi du mystère dont je m'en
toure ; je voudrais vous parler à huis-clos et sans témoins.
— Entrez, je suis seule, — repartit MIJe Lebeau, qui savait toujours
tenir les gens assez à distance pour ne rien craindre du tôte-à-téte
qu'elle accordait.
Chabouillant l'ayant suivie, elle jugea cependant convenable de le re
cevoir dans son magasin, qui n'avait pas été chauffé ce jour-là, pensant
que l'entretien, qu'elle ne voulait pas prolonger, durerait d'autant moins'
long-temps.
— D'abord, — dit Chabouillant, — permettez-moi, Madsmoiselle do
vous demander comment va l'état de cette chère santé. '
—Pas trop bien, je suis souffrante depuis quelque temps.
— C'est vrai, je vous trouve légèrement changée et maigrie. Voua
vous donnez trop de peine, et vous n'êtes pas assez secondée. Et Che
villard , — ajouta-t-il, voulant savoir si celui dont le nom avait été mêlé
aux horribles confidences de F Agneau d'or, était bien le Chevillard qu'il
connaissait, — qu'est-ce que vous faites de lui?
Ainsi interrogée, si Mlle Lebeau avait pu se douter delà terrible in
fluence que le commis-voyageur avait eue sur la destinée du pauvre in
sensé, au lieu de répondre au commis-voyageur, elle l'eût accablé des
plus sanglans reproches et l'eût éconduit avec indignation ; mais le
teneur de livres, dans Ialettre qu'il avait écrite à son ancienne patronné'
n'avait pas jugé utile de lui faire la confidence de l'abus de confiance dont
il s'était rendu coupable vis-à-vis d'elle, et sans dire la manière dont il
était entré en relation avec Legros, il avait donné pour point de départ
à ses infortunes la fatale connaissance qu'il avait faite de ce misérable.
Le commis-voyageur se trouvant donc ainsi en dehors de toute cette
triste histoire :
— Oh ! Monsieur Chabouillant, — lui dit-elle,
l'affreux malheur qui a frappé votre amil
• vous ne savez pas
— Qu'est-ce donc? — demanda Chabouillant avec une curiosité dont"
l'empressement aurait pu passer pour de l'intérêt.
— L'infortuné est à Charenton ; il a perdu la raison.
— C'était bien lui, — pensa le commis-voyageur ; remarque intima
qu'il traduisit à l'extérieur en s'écriant : ■
— Ah ! bonté du ciel ! que m'apprenez-vous là !
PÀ'ÎUS, RUS bjontmabt&E, N- 121,
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DÈPAB.XEMHNS El ÉTRANGER.
OH Alf18 FM.
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TOCTH DHEKTIO» DOIT ftru AS Rttl tÀ.% t> ei *>KT.
Le* lettrei non affranehiet feront rigoureuietnent refutiet.
PARIS, 16 AVBII.
LA POLITIQUE DES INTÉRÊTS.
Chaque affaire nouvelle qui passe sous les yeux des chambres,
apporte des révélations peu glorieuses pour la politique du minis
tère. Il semble que lorsqu'il ne blesse pas l'honneur et la dignité
da pays, il prenne à tâche de montrer la plus inconcevable incu
rie pour ses intérêts matériels au dehors. Grande est l'illusion de
ces modestes conservateurs, qui veulent croire que la politique de
fit' Guizot brave les sentimens pouf défendre les intérêts, et que
l'influence perdue rapporte des avantages pécuniaires. Dans son
inépuisable ambition de paraître modéré et désintéressé pour la
France, le grand ministre français, comme dit sir Robert Peel,
abandonne aussi volontiers notre commerce extérieur que notre
influence, ^et les esprits les plus calculateurs et les plus froids,
ont eux-mêmes un compte sévère à lui demander.
! Après là discussion de la loi de douanes, il n'est plus possible
de nier que tandis que tous .les autres pays de l'Europe augmen
tent leurs exportations, celles de la France restent tout au moins,
s.tationnaires ; elles diminuent, et notre navigation décline dans
une proportion plus alarmante encore. L'état de notre industrie
est-il la cause de ces funestes résultats ? doit-on l'accuser de déca
dence ? Non, certes. Ses progrès sont manifestes, et chaque jour
constatés. Faut-il s'en prendre k la défectueuse économie aè quel-
Îues-uns de nos tarifs de douanes, établis généralement-sans vue
'ensemble, et réglés quelquefois sous l'impression de circons
tances accidentelles ?
Peut-être; mais presque tous nos tarifs sont anciens, et les
vieilles causes n'ont pu amener seules les résultats nouveaux.
Pourquoi donc ce déclin matériel qui suit de si près le déclin poli
tique et moral? Nous pourrions dire, non sans raison, que l'in
fluence politique et l'influence commerciale réagissent l une sur
l'autre ; elles se prêteat un appui réciproque ou s'affaissent simul
tanément. Le prestige de l'influence morale opère sur le comptoir
du négociant autant que dans le cabinet du diplomate étranger.
Quand tous les yeux sont tournés vers une nation, on est dis
posé à venir chercher chez elle les marchandises comme les
idées. D'ailleurs, le plus grand stimulant de l'esprit d'entreprises
lointaines, stimulant qui nous manque aujourd'hui, n'est-ce pas
la confiance inspirée par la fermeté et la fierté de son propre gou
vernement ? La.certitude que les individus et les richesses exposés
dans mille contrées diverses , seront toujours protégés d'une ma
nière efficace et vigoureuse, donne seule la hardiesse dé risquer
sa fortune et sa personne dans la carrière des aventures lucrati
ves. Ainsi, le long abandon des intérêts français à Buénos-Ayres,
à Montevideo et au Mexique, le peu d'empressement que Ion a
rçiis à faire rendre justice aux armateurs au Marabout , ont ar
rêté l'activité de notre commerce, ailleurs encore que sur les rives
de la Plata, au golfe du Mexique et dans les zônes où s'exerçait
le droit de visite.
C'est ce que soutient l'opposition depuis cinq ans ; c'est ce que
conteste le ministère. Les faits sont venus donner raison à l'oppo
sition. Mais qu' mporte à un esprit aussi élevé que celui de M.
Guizot . cette petite chose qui s'appelle les faits? Il dédaigne de
tel# détails, et se tient toujours, par goût, aussi par nécessité, dans
la sphère des idées générales. A tout, il répond par des phrases
pompeuses, indistinctement les mêmes, il est vrai, et, à ce qu'il
paraît, d'autant plus aveuglément acceptées par ses amis, qu'elles
leur sont plus souvent répétées. Il ne s'agit jamais de rieu moins
que de sauver la bonne politique. C'est toujours la bonne politique
qui est en péril, dès que les intérêts ouïes sentimens du pays font
entendre leurs plaintes, et cette expression est un talisman qui a
le privilège constant d'éblouir le parti conservateur. Soit ; il est
mesquin de juger la bonne politique par ses œuvres ; mais que
M. le ministre des affaires étrangères ait donc la prudence de ne
pas dévoiler lui-même les résultats pratiques de ses théories nébu
leuses. Il a dû s'apercevoir au malaise qu'éprouvait le parti con-
semleur, de l'impression fâcheuse produite sur les esprits par la
manière' dont ont été défendus le traité belge et le traité sarde.
Qu'a dit M. Guizot? Le traité belge est mauvais, très mauvais ;
l'exécution en est pirè que le texte ; je ne l'ai pas moins signé et je
m'en glorifie, parce que le gouvernement belge émane d'un prin
cipe politique conforme au nôtre ; il faut savoir faire quelques sa
crifices d'intérêt pour conserver ses amis. Du reste, exigez qu'il
ne puisse être renouvelé, j'en serai recoonaissant, cela me donnera
de la force. Le traité sarde n'est pas bon non plus ; je trouverai le
moyen de le fausser dans l'application ; mais le gouvernement
sarde a un principe différent du nôtre, et il faut savoir se concilier
ses ennemis. Exigez qu'il ne puisse être renouvelé au bout des
quatre ans ;"vous aurez raison, et le gouvernement en saura gré à
la chambre.
Nous n'insistons pas en ce moment sur la singulière humilité
du ministère qui a accepté avec gratitude le blâme des chambres ;
nous ne parlons pas ici d'honneur et de fierté, depuis l'affaire du
traité de 1841, il ne saurait en être question pour le ministère.
Mais quelle étrange révélation ! Nous devons sacrifier nos intérêts
matériels à ceux de la Belgique, parce qu'elle a un principe con
forme au nôtre ; à ceux du Piémont, parce qu'il a un principe dif
férent du nôtre. La bonne politique veut donc que nous sacrifions
toujours nos intérêts à ceux des àutrespuissances, grandes ou pe
tites, constitutionnelles ou absolutistes." Par la proclamation de la
Saix à tout prix, partout et toujours, les esprits généreux ont été
fessés. Le langage du ministère a paru alors imprudent et peu di
gne. Eh bien ! l'excessive humilité de ces paroles était encore une
vanterie ; il aurait fallu dire : la faiblesse partout, toujours, et sur
tous les objets. Crédules serviteurs de lai politique des intérêts, in-
différens systématiques pour ce que nous appelons la dignité, ap
préciateurs des résultats positifs, que dites-vous de ce Lie politique
de seatiment dans laquelle vous entraîne M. Gjizot?I! est vrai qu'il
ne s'agit pas ici de ménager le sentimert national que l'opposi
tion a, suivant vous, la faiblesse et l'imprudence de ne pas vouloir
dédaigner et blesser. Est-ce une consolation? Recherchez-vous la
paix productive ou la paix ruineuse? Celle-ci est la conséquence
extrême et matérielle de la politique modeste, résignée et subal
terne. Il y a quatre ans vous col sidériez M. Guizot comme un
instrument éloquent, comme le défenseur breveté de votre cause.
Les rôles sont aujourd'hui intervertis ; vous êtes devenus les ins-
truméns aveugles d'une ambition égoïste, et les soldats d'une
cause qui n'était pas la vôtre. Vous consentiez à, sacrifier l'in
fluence ; on vous a amenés à ce point de sacrifier les intérêts.
On en est toujours à la chambre des députés à l'article premier
du projet de loi sur les caisses d'épargne. Après avoir repoussé
hier l'amendement de MM. Lanjuinais, Fould, Rivet et Betnmont,
la chambre était appelée à se prononcer sur un autre amende
ment des. mêmes auteurs, et dans lequel on supprimait le para
graphe relatif à la réduction de l'intérêt. Mais au moment où la
discussion allait s'engager, M. Gouin a présenté une autre pro
position en cinq articles qui' modifiait entièrement le système de
la loi. Elle est ainsi conçue :
« Art. 1 er . Les versemens d'an franc à 300 francs continueront à être
admis aux caisses d'épargne.
» Ces sommes seront portées, suivant la demande du déposant, soit à
un compte courant, soit à un compte à échéance fixe.
» 2. Un compte-courant ne pourra jamais être créditeur de pics de
SCO fr. de capital.
» 3. Les sommes vtrsées à un compte à échéance fixe pourront s'élever
jusqu'i 2,000 fr., y compris l'accumulation des intérêts; chaque verse
ment effectué à ce compte devra être fait par coupures de 100, 200 ou
300 fr.
» 4. Les retraits d'un compte courant continueront à avoir lieu qqinze
jours après la demande du déposant.
» 3. Les sommes portées au crédit d'un compte i échéaneç fixe seront
remboursées à six mois de date à partir du jour du verseppBijt ; toutefois,,
ces sommes, sur la demande du déposant, qui devra avoir lieu quinze 1
jours avant leur échéance, pourront être laissées, en tout où en partie, au
mémo compte, avec prolongation d'une nonvclle échéance de six mois,'
Cette prolongation aura lieu de droit si le déposant n'a pas, dix jours
après l'échéance, usé de la facilité d'être remboursé. »
Cette combinaison avait déjà été soumise à la commission insti«
tuée par M. le ministre des finances pour examiner la question des
caisses d'épargne ; mais comme elle renfermait alors une clause
d'après laquelle les fonds du compte courant devaient recevoir uni
intérêt plus élevé que les fonds du compte à échéance, elle a été
repousséé par la commission, parce quelle faisait naître de sé
rieuses difficultés pour la comptabilité. La forme nouvelle que
l'honorable M. Gouin donne à son amendement fait tomber les
principales objections, et le ministère, toujours prêt à faire bon-
marché de ses propres lois, a consenti au renvoi de l'amendement'
à la commission. Dans cet état de choses la discussion a dû êtr®
ajournée à demain. ~ i
Dans le système proposé par M. Gouin, les dépôts se divisent eu»
deux catégories bien distinctes. Les dépôts , en compte courant
continueront à se faire sous l'empire de la législation actuelle. Le»
sommes portées au crédit des comptes à échéance fixe ne seront
au contraire remboursées qu'à six mois de date à partir du jour
du versement, et recevront, comme les sommes du compte cou
rant, un intérêt de 4 0/0. Quel est le but qu'on se propose? De:
favoriser l'épargne et d'écarter, autant que possible, les dépôts qui
se présentent sous forme de placemens. Or, il nous semble que les
petits capitalistes qui font des placemens aux caisses d'épargne ne
v* wm» f m» uvvv ut uqvu uvv»v a vu vi lutiuu au VA UUUtiw UuLlij |g i
de la disponibilité, d'autant moins qu'ils trouveront toujours Hana
le compte courant des ressources pour les besoins imprévus. Ainsi
le trésor continuerait à être embarrassé de sommes considérable^
pour lesquelles il paierait un intérêt assez élevé. Le problème,,
nous en convenons, présente de très graves difficultés, et sa solu
tion sera d'autant plus difficile, qu'on ne peut pas, sous ce rapport,
assimiler les caisses d'épargne de France aux caisses d'épargne
des autres pays. En Angleterre, les économies entrent facilement
dans' la rente, et, à cet égard, les habitudes des çlasseslaborieu-,
ses sont formées. En donnant cette direction aux petits capi-r,
taux, le gouvernement échappe aux inconvéniens qui se roanife-
tent chez nous. Au reste, la solution ne se trouve pas plus dans le
projet de loi que dans l'amendement, et il est très possible que lV
chambre écarte l'un et l'autre.
La discussion du projet de loi sur la police des chemins de fer a
commencé aujourd'hui à la chambre des pairs. Le débat a été
un moment interrompu par M. le chancelier, qui a donné lecture
de six ordonnances qui élèvent à la pairie MM. le lieutenants-
général baron Achard, Bertin de Vaux, Martell, le comte Charles'
ae Mornay, le duc de Trévise, le vicomte Victor Hugo.
L'ARCHIPEL DE SOULOU. — L'ILE DE BASILAIV.
Nous avons raconté l'événement tragique dont M. de Ménars,
officier de la corvette la Sabine, et plusieurs matelots du même
navire, tombèrent victimes d&ns l'île malaise de Basilan. La mort
de cet officier avait été depuis révoquée en doute ; mais de
nouvelles lettres écrites par des personnes attachées à l'expédi
tion de Chine, confirment pleinement les premiers détails. Le guét-
àpens qui coûta la vie ou la liberté à plusieurs de nos braves ma
rins, demandait' une vengeance éclatarte. Nous avions annoncé
que le contre-amiral Cécile fesait constmre à Manille une dou
zaine de bateaux plats nécessaires pour remonter la rivière, rem
plie de bas fonds, qui se jette dans la baie de Maluza (ou Maloza).
rauisssvos bu cowBsmfirexowwesi n avbjx. ras. i
. Toutes les peïsonnes qui prendront un abonne
ment nouveau, à dates* du 15 avril, recevront
sans frais tout ce qui aura paru de L'ALLÉE 59ES
VEUVES, c'est-à-dire toute la première partie..
■ Après la publication de l'ALLÉE DES VEUVES
nous reprendrons le JUIF EKBAKÏ, dent il ne
noufi reste plus que trois volumes à publier et qui
paraîtront sans interruption.
.L'ALLÉE DES VEUVES w .
DEUXIEME PARTIE.
CHAPITRE III.
Le lendemain, ayant tâché de ne faire aucun bruit qui pût trahir sa
présence dans le cabinet où il avait couché de contrebande, le commis-
voyageur descendit à la salle commune et se fit servir à déjeûner. Pen
dant qu'il fonctionnait avec son entrain accoutumé, l'hôtelier vint lui
demander des nouvelles de sa nuit ; puis, comme il "était aussi au cou
rant de la monomanie do Chabouillant :
' —Et cette famille ! —lui dit-il, —l'avons-nous trouvée cette fois?
— Eh ! eh ! — répondit le bâtard , — j'ai recueilli durant ce voyage
des renseignemens qui me portent à croire que je ne suis pas très loin
de grandes découvertes.
— Allons I tant mieux, — dit maître Schaiidt,— pourvu qu'au moins
cela ne vous empêche pas de venir nous voir de temps en temps.
— Au contraire, j'aurai plus que jamais le goût de la locomotion,
— repartit Chabouillant. — Et ayant, peu après, payé sa dépense, il ne
C" 1 ■ 1 ..■■■■ i .i - .i— - ■ —.
(1) Toute reproduction, même partielle, de ce feuilleton, est interdite.
Voir, pour la première partie notre numéro do 13 avril, et, pour les
deux premier* chapitrés de la deuxième partie noire numéro du 16.
tarda pas à monter en voiture pour regagner la frontière de France et
prendre en droite ligne la route de Paris.
Pendant qu'il s'avance vers le terme de son voyage, nos lecteurs vou
dront bien nous suivre un moment à la maison du Prisme iricolor, où
nous trouverons Mlle Lebeau à peine remise de l'épouvantable malheur
qui avait frappé Chevillard; nous avons vu qu'elle en avait été instruite
par la lettre contenue dans le portefeuille du pauvre insensé lors de son
arrestation.
Au milieu du récit circonstancié, mais néanmoins assez confus, que
dans cette lettre l'ex-teneur de livres lui faisait de "ses infortunes con
jugales, la jeune marchande avait cru comprendre que l'hésitation mise
par elle à lui procurer sa liberté n'avait pas été sans influence sur la
production de la terrible catastrophe qui avait dénoué son mariage.
Bien qu'elle eût racheté par une généreuse détermination la faute d'un
premier mouvement trop naturel pour n'être pas excusable et que
l'affreux malheur dont elle apprenait la nouvelle dût réellement être
laissé au compte de la fatalité, elle ne s'en était pas moin3 reproché de
la manière la plus amère la fin douloureuse de la malheureuse Esther ;
comme toutes les natures élevées qui pensent beaucoup au mal et ja
mais au bien qu'elles ont pu faire, la jeune marchande avait vu cette
femme, si jeune, si belle, périssant à la llenr de l'âge, faute d'un peu de
pitié obtenue à temps, et elle ne s'était pas rappelé toutes les raisons
qu'elle avait eues d'accueillir froidement sa demande, non plus que son
prompt repentir et le sacrifice onéreux devant lequel elle n'avait pas
reculé.
On se figure bien que, dans cette situation d'esprit, les conséquences
possibles du veuvage de Chevillard ne se présentèrent pas.même à la
pensée de Mlle Lebeau. Dans tous les cas, elle eût repoussé cette idée
comme un sacrilège, et dans l'hôte déplorable de la maison de Chareu-
ton, elle n'avait plus vu qu'un malheureux ayant un droit particulier
à ses soins et à sa compassion qu'elle lui accorda, dévouée et entière, sans
aucune arrière-pensée personnelle et intéressée.
Un dimanche, tous les employés, jusqu'aux domestiques de la maison,
ayant obtenu la permission de sortir, la triste jeune fille était chez elle
absolument seule, plus que jamais abîmée dans ses pensées et dans ses
souvenirs, quand, à une heure déjà avancée de la soirée; elle entendit
sonner à la porte de son appartement. Quelqu'un de ses gens pouvait
avoir oublié.de se munir d'une clé; elle s'empressa donc d'aller ouvrir;
mais elle eut un mouvement d'effroi en trouvant à sa porte un homme
enveloppé d'un manteau qui lui cachait jusqu'au visage, et ne fut pas
maîtresse de cacher son émotion. •
Heureusement, une voix à elle connue la rassura presque aussitôt :
— N'ayez pas peur, Mademoiselle, — lui dit l'homme au manteau —■
je suis Chabouillant. '
— J'avoue que Vous m'avez effrayée : votre manière de vous pré
senter, et l'heure assez singulière que vous choisissez pour vos visites...
— Vous saurez, Mademoiselle, le pourquoi du mystère dont je m'en
toure ; je voudrais vous parler à huis-clos et sans témoins.
— Entrez, je suis seule, — repartit MIJe Lebeau, qui savait toujours
tenir les gens assez à distance pour ne rien craindre du tôte-à-téte
qu'elle accordait.
Chabouillant l'ayant suivie, elle jugea cependant convenable de le re
cevoir dans son magasin, qui n'avait pas été chauffé ce jour-là, pensant
que l'entretien, qu'elle ne voulait pas prolonger, durerait d'autant moins'
long-temps.
— D'abord, — dit Chabouillant, — permettez-moi, Madsmoiselle do
vous demander comment va l'état de cette chère santé. '
—Pas trop bien, je suis souffrante depuis quelque temps.
— C'est vrai, je vous trouve légèrement changée et maigrie. Voua
vous donnez trop de peine, et vous n'êtes pas assez secondée. Et Che
villard , — ajouta-t-il, voulant savoir si celui dont le nom avait été mêlé
aux horribles confidences de F Agneau d'or, était bien le Chevillard qu'il
connaissait, — qu'est-ce que vous faites de lui?
Ainsi interrogée, si Mlle Lebeau avait pu se douter delà terrible in
fluence que le commis-voyageur avait eue sur la destinée du pauvre in
sensé, au lieu de répondre au commis-voyageur, elle l'eût accablé des
plus sanglans reproches et l'eût éconduit avec indignation ; mais le
teneur de livres, dans Ialettre qu'il avait écrite à son ancienne patronné'
n'avait pas jugé utile de lui faire la confidence de l'abus de confiance dont
il s'était rendu coupable vis-à-vis d'elle, et sans dire la manière dont il
était entré en relation avec Legros, il avait donné pour point de départ
à ses infortunes la fatale connaissance qu'il avait faite de ce misérable.
Le commis-voyageur se trouvant donc ainsi en dehors de toute cette
triste histoire :
— Oh ! Monsieur Chabouillant, — lui dit-elle,
l'affreux malheur qui a frappé votre amil
• vous ne savez pas
— Qu'est-ce donc? — demanda Chabouillant avec une curiosité dont"
l'empressement aurait pu passer pour de l'intérêt.
— L'infortuné est à Charenton ; il a perdu la raison.
— C'était bien lui, — pensa le commis-voyageur ; remarque intima
qu'il traduisit à l'extérieur en s'écriant : ■
— Ah ! bonté du ciel ! que m'apprenez-vous là !
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