Titre : Le Constitutionnel : journal du commerce, politique et littéraire
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1845-04-12
Contributeur : Véron, Louis (1798-1867). Rédacteur
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32747578p
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 12 avril 1845 12 avril 1845
Description : 1845/04/12 (Numéro 102). 1845/04/12 (Numéro 102).
Description : Collection numérique : Grande collecte... Collection numérique : Grande collecte d'archives. Femmes au travail
Description : Collection numérique : La Grande Collecte Collection numérique : La Grande Collecte
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k667054t
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
SAMEDI 12 AVRIL1M3.
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T25t£— •
EDITION DE PARIS
NUMERO 102.
APPRIS, RUE MONTMARTRE, N» 151.
'** non», toast, uu mmchotj mm tosn*
tout*» tu tmsatttkp».; ;
A Londres, ehex MM. Cowie et fils , Saint-Annïs tant, •
- ■ - •• ' . -
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ANNONCES. .♦ ••
firano BO cent. la-petits ligna; — 3 frsnc» It ligne dt ifdauk
tout! ihsk*tioh doit atm a6réïb pab m «4 *Airr.
Les lettres non affranchies seront rigoureusement refusées.
S»AMa,fl ATRHi. .
La précipitation inusitée avec laquelle on a fait procéder à LvH
cerne au jugement des principaux chefs de la malheureuse exH
: pédition au 34 mars, avait fait crairdre à la commission de Ia !
diète réuiiie en ce moment à Zurich, quele parti vainqueur ne fît
£ exécuter des condamnations capitales avant que la diète eût pu
5rendre une décision. Cette circonstance l'avait engagée k laisser
« côté momentanément toutes les questions pour ne s'occuper
que de celle de l'amnistie, et, les membres de la diète avaient été
prévenus le 7 qu'il y aurait séance le lendemain- j ;
- Mais, le 8 avril, lu commission a fait, appeler dans son sein deux
des députés de Lucerne, MM. Siegwart et A'.tenhofer, et sur l'as-,
surance qu'ils ont donnée qu'il n'y aurait aucune exécution capi
tale dans la semaine, la commission-a décidé qu'elle reprendrait
* l'examen simultané des questions pendantes, et le rapport a dû être
soumis lé 10 à la diète. Gomme il n'est pas probable qu'on puisse
obtenir une majorité pour l'interdiction des jésuites, sous forme de
sommation ou d'invitation, on laissera dormir celte question jus-j
qu'à la réunion de la diète ordinaire qui aura lieu au mois de juil
let. Lucerne jugera, en attendant, s'il lui convient d'appeler les;
(tons pères au milieu des flots de sang qu'ils ont'déjà fait couler. ;
L'effet désastreux produit en Suisse par la note de M. Guizot,
.> qui, loin de calmer les esprits, a plutôt contribué à précipiter les
cantons dans la guerre civile, a fait reculer notre gouvernement]
M. lé comte Reinhard a communiqué le 7, au président de la
diète, une nouvelle lettre. de M. le ministre des affairés étrangères;
on la dit conçue dans un autre esprit et écrite d'un autre style
que l'inqualifiable dépêche dn 3 mars.
Nous rficeyons de notrè correspondant le texte du rapport qu'ont fait
à la-diète, à leur retour à Zurich, les commissaires fédéraux qui avaient
été envoyés à Lucerne. En voici les principaux passages :
' Rapport des commissaire» fédéraux au directoire fédéral.
: Conformément à la demande ;da gonveraement da canton d'Argorie,
nong . intercédàmes en favenr de plusieurs Argovieos qui, n'étant ou
trés dans le canton de Lucerne que par simple curiosité, et ponr recueillir
des informations sur les érénemens, avaient été faits prisonniers et étaient
traités comme d'autres volontaires.
A leur arrivée à Luçërné, lés commissaires furent surpris de voir que les
troupes ne portaient pas le brassard fédéral, et que M. lo colonel Zelger
n'était pas encore entré en fonction (1J. On nous assure que les disposi
tions prises par le directoire, n'étaient rendues publiques que dépnis ven
dredi, 3 avril, et qu'on ne se souciait pas de reconnaître le commande
ment fédéral. Nous eûmes en .général l'occasion de nous oonvaincre que
les .commissaires fédéraux étaient reçus avec défiance, et qn'on était en-
clinà voir dans chacune 4e leurs démarchés un- commencement d'inter~
yenjion fédérale. . ,
' Afin de dissiper de? inquiétudes dénuées de fout fondement, et dè ras-
Çl) ^Toutes lés troupes cant'onales qui entrent au service fédéral, doivent
porter le brassard fédéral. Que penser d'un état où les ordres de l'autorité
exécutive centrale ne sont pas même ëxésntés six jours après avoir été
..donné»? ...... ■ ,.
snrer en même temps le- gouvernement sor tes intentions loyales du haut
dirëctoire'et des commissaires, nous demandâmes à avoir une conférence
avec des délégués du gouvernement, et ceite conférence eut lieu samedi à
midi. Nous espérons' qne cette démarohe contribuera à ce qu'on ne décliné
pins le commandement fédéral, et à rétablir plus de confiance dans les
communications entre le pouvoir fédéral et le canton.
On ne pept se dissimuler ce qu'il y a d'alarmant dans le fait de là pré
sence de deux corps de tronpes placés sous ides commandemens différens,
animés de sentimens politiques contraires et postés l'un et,l'autre sur
l'extrême frontière, en sorte que le plus léger incident suffirait pour en
traîner des conséquènces dé la plus haute gravité. Nous pensons donc
qu'il est urgent d'obtenir que ces troujJesrsoient rappelées, et nous nous
sommes efforcés d'atteindre ce bnt. Si, ce qne nous avons lieu d'espérer,
le commandement fédéral ne tarde pas i être accepté, ces appréhensions
se dissiperont.
Les diverses informations qne nous avons recueillies nous donnent la
conviction qs'il n'existe plus aujourd'hui aucun vestige des corps-francs
armés. En ce qui concerne les réfugiés laeernois, le gouvernement d'Ar-
govie a pris des mesures,/soit pour les interner, soit ponr les faire passer
dans d'autres cantons. - . ' i .
Dans cet état de choses, les commissaires ont examiné de concert la
convenance de procéder déjà actuellement au licenciement des tronpes
mises sur pied*, Cependant l'exécution dès sentences rigoureuses' contre
les chefs et fauteurs de la dernière entreprise pourrait fairè naître de nou
veaux troubles ; le canton d'Argovie n'est pas sans inquiétude sur l'éven
tualité d'une ' invasion du canton de Lùçernë dans le Fréiamt, d'autant
plus que les troupes argoviènnes qui occupaient l'extrême^ frontière sont
déjà licenciées ; en tout cas, le canton de Lucerne ne peut guère se prê
ter à un licenciement des troupes fédérales mises sur pied; nous jugeons
donc plus prudent de laisser pour quelques jours encore les troupes fédé
rales aux postes qu'elles occupent actuellement.
; La possibilité d'un licenciement complet des troupes est subordonnée
essentiellement aux décisions de la liante diète, et à la détermination que
Lucerne prendra dans la question de l'amnistie ; « car il est certain que
» l'exécution de sentences rigoureuses contre tel ou tel des prisonniers qui
» sont le plus gravement impliqués dans la dernière expédition des corps-
» franc?, provoquerait inévitablement de l'agitation et de l'exaspération'
» dans les cantons limitrophes. » En revenant à ses tribunaux ordinaires,
le gouvernement de Lncerne ne ferait qu'user d'un droit 1 qui lui appar
tient incontestablement; mais il ne devrait pas perdre de vuéque l'appli
cation de peines excessives, en matière de délits politiqnes, n'a que trop
souvent produit un effet opposé à celui qu'on en attendait; l'histoire en
fournit des preuves irréfragables. Ce gonvernement devrait se convaincre
que la mort de plusieurs centaines de victimes qui ont succombé sur le
champ de bataille, peut être envisagée comme une expiation suffisante de
l'attentat commis.
Les commissaires ont déjà eu l'honneur de mentionner les démarches
qu'ils ont faites à Lucerne dans le£bat d'adoucir en tout que possible le'
sort des prisonniers. C'est J la haute diète qu'il appartient de décider si
on devra adresser des représentations au canton de Lucerne au sujet de
la question d'amnistie; toutefois, le succès de cette démarche dépendra
essentiellement de la question de savoir si les décisions de la diète et les
mesures prises par les cantons offriront ou non à l'état de I^icerne une
garantie suffisante contre le renTersemenid'egressioas telles que celles
qui ont malheureusement été effectuées.
D'un autre côté, on ne sanrait disconvenir que l'attitude des coTps or
ganisés depuis'le 8 décembre dernier dans les cantons voisins, n'ait oc-
casioné au canton de Lucerne et aux états ses alliés des sacrifices pécu
niaires considérables; il n'est dès-lors pas surprenant que, fort de sa posi
tion actuelle, ce canton croie devoir réclamer des indemnités ponr les
frais auxquels il a été obligé de faire face. « Pins les autorités du _c«ton
: de Lucernp'auront de chance de parvenir à leur but à cetégard.plu»
» aussi est la perspective d'une amnistie large et même de la grâce de»
» condamnés reposera sur des espérances fondées. » . ■ , ,
Agréez, Messieurs, etc. ' .
Les commissaires fédéranx :
Signé» ivoeit , landamman. >
- mossu , chancelier. ■ <
——taioiw ' ■
L'affaire du droit de visite doit être considérée comme réglée.
Elle l'était déjà sans doute dès avant l'ouverture des conférences.
M. le duc de Brôglie n'aurait certainement pas accepté la mission
qu'il a été remplir à Londres, si les deux gouvernemens ne tyi
avaient pas donné l'assurance que son voyage ne serait pas in
fructueux. . . s
Quelques journaux anglais ont annoncé, fit l'on doit croire' qne
le négociateur a stipulé pour la France une situation semblable' à
celle que les Etats-Unis se sont faite par le traité Ashburton. L'U
nion, tout en prouvant son désir dç participer à la répression de la
traite, s'est resérvé à cet égard Une position tout-à-fait indépeni-
dante. C'est la seule qui convienne & la France.
Les difficultés qui pouvaient venir du parlement anglais se goût
fort aplanies. Le cabinet tory-"semble' aujourd'hui tout puissant.
Il a soumis et discipliné ses amis; il a pris à ses ennemis le^r
politique. Il gouverne comme les whigs avec l'assentiment des
tories; là majorité, malgré quelques velléités de résistance,
accepte ce qu'il fait, et il fait ce qu aurait conseillé la minorité: Il
est difficile d'avoir une situation plus forte. .
le ministère anglais avait encore à ménager l'oïgueil maritimp de
l'Angleterre et la philanthropie des déyots. Nous avons dit, dans
un récent article, comment ce premier sentiment se trouvait
calmé par les complaisances et l'abnégation perpétuelles de notre
gouvernement, et comment le second serait satisfait ; par la pro
messe d'une répression non moins efficace de la traite, et par l'es
poir d une prochaine émancipation dans nos colonies. Ainsrnous
ne tarderons probablement pas à connaître les termes positifs'de
l'arrangement qui aura été conclu. L'espoir de maintenir quelques
mois de plus M. Guizot, l'homme aux -indemnités etaux désa
veux, vaut bien, pour le gouvernement anglais, le facile sacrifice
qu'il va faire. ,
Cependant des bruits singuliets se sont répandus sur la nature
de cet arrangement. On a dit d'abord que les traités du droit de
visite seraient seulementsuspendus pendant deux ans, et que cette
suspension ne pourrait être prolongée que du consentement des
deux parties, de telle Sorte qu'il dépendrait dé l'Angleterre, par
exemple, de les rendre de nouveau exécutoires. Une telle solu
tion est impossible. Elle impliquerait l'abandon, formel de notre
part du droit qui appartient à chacune des parties contractantes,
d'invoquer le bénéfice de l'article qui remet chaque année eh
question la délivrance des mandats de croisières, et d'annuler
XtrXtXXTCBT B0 COHSTITÏJÏIOIVKrKX, BU 12 AVKU, 1845.
L'ALLÉE DES VEUVES J,) .
PREMIERE PARTIE.
CHAPITRE XX.
Pendant un moment le furieux jeune homme délibéra avec lui-même
sur la manière dont il s'introduirait ; il avait beau regarder et prêter
l'oreille ; pas une lueur ne brillait, pas un bruit ne se faisait entendre
qui pût le diriger dans son dessein.,
A la fin il calcula que ne pouvant point être attendu par ceux qu'il ve
nait: surprendre, il n'y avait aucune apparence qu'ils fussent contre lui
en défiance; ceci considéré, il se décida pour le procédé le plus naïf et
le plus simple et s'annonça par deux ou trois coups de marteau vigou
reusement frappés. /
Quelques minutes s'étant écoulées , il entendit marcher dans la cour
et, vit une clarté qui s'avançait de son côté.
La porte s'ouvre ; mais au lieu de celui qu'il prévoyait, c'est Esther
qui se trouve face à face avec lui ; celle-ci, en l'apercevant, jette un cri,
laisse échapper la lumière qu'elle tenait à la main, et tout rentre da,ns le
silence et dans l'obscurité.
S'occupant d'abord de couper toute retraite à son énnemi, Chevillard
a soin de fermer la porte qui vient de lui livrer, accès, et de la verrouil
ler; puis, sans savoir ce qu'est devenue sa femme, il va droit au per
ron, traverse rapidement Je vestibule et pénètre dans le salon, où il voit
des bougies allumées.
Do reste, la pièce est déserte, et en jetant les yeux autour de lui, il
s'assure qu'aucun meuble ni aucun recoin n'a pu servir à cacher lè
misérable qu'jl espérait y rencontrer..
. H prend alors un flambeau, repasse dans le vestibule et se dispose à
visiter les chambres supérieures, quand une étrange et lugubre vision
le fixe par l'épouvante à la place où elle le surprend.
Marchant comme une femme ivre, le visage défait et pâle , les yéux
éteints et fixes, Esther monte avec effort les marches du perron , fait
quelques pas encore, puis vient tomber lourdement aux pieds dé" son
ïn?ri en poussant un lourd gémissement.
Entraîné par un mouvement de pitiéquifait taire tout autre sentiment,
.Chevillard court pour relever la malheureuse qu'il croit évanouie ; mais,
à sa grande surprise,. au lieu de trouver chez elle cet affaiblissement
marqué de la force vitale qui, d'ordinaire, accompagne l'état de syncope,
il entend le cœur et le pouls battre avec violence et donner des pulsa
tions précipitées, et cependant, en quelques secondes , un sommeil de
plomb s'est emparé du reste de l'économie. '
Effrayé de ces symptômes dont la singularité 1e.confond, l'époux éper
du laisse dôrmir ses idées de vengeance; il prend la malade dans ses bras,
la transporte dans le salon où il la dépose sur un siège, et s'agenouillant
devant, elle et lui frappant dans les mains, il lui demande si elle ne le
reconnaît pas?
— Oui, —répond la pauvre femme en laissant tomber avec peine ses
HJ.Toute reprodnetion, même partielle de ce fenilleton , est interdite-
! Voir nos numéros dss 26, 27, 28, 29 et 30 mars, 1", 2, 3 , 4, 5,6, 7,
9,10 et 11 avril.
paroles qu'elle peut à peine articuler, — je reconnais votre voix, mais je
ne vous vois pas, il y a un brouillard entre nous.
Cela dit; elle referme les yeux et rentre dans son assoupissement qu'à
la régularité de sa respiration, on pourrait prendre pour un sommeil
normal et paisible , n'était le tremblement convulsif dont, par mo-
mens, tous ses membres sont agités.
Tbut-à-coup une idée vient à Chevillard :
—Oh! les misérables,— se dit-il,—ils lui auront fait prendre'un
narcotique; on est coutumier de ces abominables pratiques dans cette
maison,—et à cette idée, qui le rassure un peu, sentant renaître toute
sa colère , il s'élance hors de l'appartement, un flambeau à la main ,
résolu de visiter toute la maison , jusqu'à ce qu'il ait trouvé l'odieux
Morizot, qu'il suppose caché en quelqu'endroit.
Après avoir parcouru toutes les chambres du haut, il redescendait
l'escalier sans avoir rien trouvé ; tout- à-coup plusieurs coups retentis
sent à la porte extérieure. '
—Ah! enfin, — s'écrie-t-il en courant ouvrir, — c'est lui! j'aurai ma
vengeance, et il n'aura pas commis le crime. Le ciel est donc juste!
Mais il était apparemment écrit que, dans cette maison maudite, ne
se rencontreraient ce soir—là, que ceux qu'on n'y attendait pas ; Che
villard eut encore un mécompte : ce n'était pas Morizot qui avait frap
pé, c'était sa digne confidente, Mme de Saint-Martin. e
A la vue du mari, contre lequel elle n'avait cessé de conspirer, elle
se rejeta en arrière avec épouvante ; mais s'élançant sur elle et lui étrei-
gnant un bras avec force :
— Entrez, entrez, honnête créature, — lui dit Chevillard, — et ve
nez voir vos œuvres; après cela... nous compterons.
Et en même temps, l'entraînant jusque dans le salon, et la plaçant
devant Esther (fui continuait son lourd sommeil :
— Qu'avez'-vons donné à cette malheureuse"? — demanda-t-il avec
une indignation qui se contenait à peine, — Allons!., parlez... répon
dez !..
— Parbleu, — répondit l'entremetteuse sans se déconcerter, —il n'y
a pas besoin de rien donner aux gens pour les faire dormir quand ils
s'ennuient... Il y a au moins deux heures que la pauvre enfant attend
ici une personne avec laquelle elle devait se rencontrer, pour parler de
vos affaires, et qui n'a pu se trouver au rendez-vous; elle se géra as-'
soupie pendant le temps que j'ai mis à venir l'informer de ce contre
temps. -
— Et cette personne, vous ne la nommez pas, — dit Chevillard avec
une ironie menaçante, et en élevant la voix.
- Le bruit qu'il avait fait, parut être entendu d'Esther, qui sortit en
core une fois de son état comateux.
— Tenez, la voilà qui se réveille , — dit alors la Saint-Martin , —
vous pouvez l'interroger, et ellô vous dira si on lui a fait avaler quelque
drogue, comme vous le pensez.
— Esther! voyons , parlez-moi ! dit alors Chevillard , — est-ce que
vous souffrez de quelque parl't
Ouvrant des yeux auxquels une prodigieuse dilatation de la prunelle
donne un regard d'une expression que rien ne peut rendre, la malade
porte ses deux mains à sa tête , comme pour dire qu'elle y ressent de la
douleur, et elle paraît prête à retomber dans sa léthargie.
— Réveillez-vous donc ! — lui cria alors la Saint-Martin , en la se
couant , voilà votre mari qui dit qu'on vous a fait prendre un narco
tique.
— Non,... c'est moi.... qui ai pris... — répondit la patiente avec ef
fort, et en retombant toujours dans son'sommeil.
— Ah! mon Dieu! ■*— dit tout à coupla Saint-Martin, en approchant
une bougie du visage d'Esther, — voyez-vous ces taches jaunes qu'ella a
à la bouche ?
— Ehbien!—fit Chevillard avec la dernière anxiété.
— La malheureuse) bien sûr! elle aura avalé du laudanum pour s'em
poisonner.
' — Oh ! priez- Dieu que ce ne soit pas vrai, —s'écria Chevillard,;—
car votre vie répond de la sienne. ' . ;
— Laissez-donc ! avec vos menaces! Vous feriez bien mieux d'aller
chercher du secours. Depuis le temps que vous laissez le poison travail
ler à son aise, il ne sera peut-être plus temps de la sauver. ' .
— Où trouver un médecin dans ce quartier? — demanda Chevillard
se disposant à sortir dans le plus grand émoi.
—Rue des Gourdes, presqu'en tournant la ruelle qui va de cette ave
nue à Chaillot, dans une maison qui a pour entrée une grille;... où
plutôt, j'y vais moi-même, car vous perdriez peut-être au temps-à
chercher. ' •
— Mais d'ici à votre retour, n'y aurait-il pas quelque chose à faire?
— Je ne sais, pas bien, —répondit la Saint-Martin,—ce qui pour
rait convenir à son état ; mais ce sera déjà beaucoup si vous parvenez 3t
secouer ce terrible sommeil qui aboutit à la mort. ' ;
Et elle sortit en toute hâte après avoir jeté cette prescription qui ne
laissait pas d'être sage et éclairée.
S'efforçant de la mettre en pratique Chevillard usa de tous les moyens
qu'il put imaginer pour combattre le coma de plus en plus invincible qui
se manifestait. Mais le poison, ingéré depuis plusieurs heures sans que
son action eût été combattue, était maintenant installé en maître, et les
courtes intermittences qu'il fut possible d'obtenir à son action narcoti
que, manifestèrent dans les paroles de la malade un trouble des facultés
intellectuelles qui ne permit plus d'attendre d'elle aucun renseignement
sur les circonstances et sur le fait de sa funeste résolution.
Peu de temps s'était écoulé depuis le départ de Mme de Saint-Martin;
toutefois l'impatience qu'avait Chevillard de voir arriver du secours lui
faisait prendre des minutes pour des heures, et il en venait déjà à" em
brasser l'horrible supposition que, trop heureuse de s'échapper de ses
mains, l'entremetteuse l'avait inhumainement abandonné, lui et la ma
lade, quand il la vit entrer accompagnée du docteur qu'elle était allée
chercher. , . . ' :
Les symptômes* de l'empoisonnement par l'opium pris à forte dose,
étaient si évidens, que.Ie docteur ne fut pas embarrassé déporter son
diagnostic.
Le café et l'eau vinaigrée dont il s'était muni, et qui furent adminis
trés à la malade, ne produisirent aucun effet, et quant au dernier moyen
de la saignée, auquel, après plusieurs heùres de soins inutiles, on se dé
cida à avoir recours, il fut suivi vers minuit, d'une crise finale, où-la
mort s'entremêla si étroitement.au sommeil, qu'on ne sut dire au juste
le moment où la pauvre femme avait rendu le dernier soupir.
Mme de Saint-Martin, dont les soins n'avaientpas cessé d'être dévoués
et intelligens, par ce procédé fort conciliable au reste avec sa conduite 1
passée, s était un peu rétablie dans l'esprit de Chevillard, et tout -la
temps que l'on put espérer de sauver la malheureuse Esther, sur le ter
rain d'un malheur et d'une sympathie éprouvés en commun, on aurait pu
les croire de très bonne intelligence.
Mais au moment où l'on s'aperçut que tout espoir était perdu, saisi
d'une sorte de désespoir frénétique, après s'être jeté sur le cadavre de
sa femme qu'il tint long-temps embrassé en poussant des cris inarticu
lés, Chevillard tourna sa fureur sur la Saint-Martin, et si le médecin ne
fûtintervenu, on ne peut dire ce qui serait arrivé.. ; . f '.
Sans bien comprendre la portée des sanglans reproches qui étaient
i»MMK
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EDITION DE PARIS
NUMERO 102.
APPRIS, RUE MONTMARTRE, N» 151.
'** non», toast, uu mmchotj mm tosn*
tout*» tu tmsatttkp».; ;
A Londres, ehex MM. Cowie et fils , Saint-Annïs tant, •
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firano BO cent. la-petits ligna; — 3 frsnc» It ligne dt ifdauk
tout! ihsk*tioh doit atm a6réïb pab m «4 *Airr.
Les lettres non affranchies seront rigoureusement refusées.
S»AMa,fl ATRHi. .
La précipitation inusitée avec laquelle on a fait procéder à LvH
cerne au jugement des principaux chefs de la malheureuse exH
: pédition au 34 mars, avait fait crairdre à la commission de Ia !
diète réuiiie en ce moment à Zurich, quele parti vainqueur ne fît
£ exécuter des condamnations capitales avant que la diète eût pu
5rendre une décision. Cette circonstance l'avait engagée k laisser
« côté momentanément toutes les questions pour ne s'occuper
que de celle de l'amnistie, et, les membres de la diète avaient été
prévenus le 7 qu'il y aurait séance le lendemain- j ;
- Mais, le 8 avril, lu commission a fait, appeler dans son sein deux
des députés de Lucerne, MM. Siegwart et A'.tenhofer, et sur l'as-,
surance qu'ils ont donnée qu'il n'y aurait aucune exécution capi
tale dans la semaine, la commission-a décidé qu'elle reprendrait
* l'examen simultané des questions pendantes, et le rapport a dû être
soumis lé 10 à la diète. Gomme il n'est pas probable qu'on puisse
obtenir une majorité pour l'interdiction des jésuites, sous forme de
sommation ou d'invitation, on laissera dormir celte question jus-j
qu'à la réunion de la diète ordinaire qui aura lieu au mois de juil
let. Lucerne jugera, en attendant, s'il lui convient d'appeler les;
(tons pères au milieu des flots de sang qu'ils ont'déjà fait couler. ;
L'effet désastreux produit en Suisse par la note de M. Guizot,
.> qui, loin de calmer les esprits, a plutôt contribué à précipiter les
cantons dans la guerre civile, a fait reculer notre gouvernement]
M. lé comte Reinhard a communiqué le 7, au président de la
diète, une nouvelle lettre. de M. le ministre des affairés étrangères;
on la dit conçue dans un autre esprit et écrite d'un autre style
que l'inqualifiable dépêche dn 3 mars.
Nous rficeyons de notrè correspondant le texte du rapport qu'ont fait
à la-diète, à leur retour à Zurich, les commissaires fédéraux qui avaient
été envoyés à Lucerne. En voici les principaux passages :
' Rapport des commissaire» fédéraux au directoire fédéral.
: Conformément à la demande ;da gonveraement da canton d'Argorie,
nong . intercédàmes en favenr de plusieurs Argovieos qui, n'étant ou
trés dans le canton de Lucerne que par simple curiosité, et ponr recueillir
des informations sur les érénemens, avaient été faits prisonniers et étaient
traités comme d'autres volontaires.
A leur arrivée à Luçërné, lés commissaires furent surpris de voir que les
troupes ne portaient pas le brassard fédéral, et que M. lo colonel Zelger
n'était pas encore entré en fonction (1J. On nous assure que les disposi
tions prises par le directoire, n'étaient rendues publiques que dépnis ven
dredi, 3 avril, et qu'on ne se souciait pas de reconnaître le commande
ment fédéral. Nous eûmes en .général l'occasion de nous oonvaincre que
les .commissaires fédéraux étaient reçus avec défiance, et qn'on était en-
clinà voir dans chacune 4e leurs démarchés un- commencement d'inter~
yenjion fédérale. . ,
' Afin de dissiper de? inquiétudes dénuées de fout fondement, et dè ras-
Çl) ^Toutes lés troupes cant'onales qui entrent au service fédéral, doivent
porter le brassard fédéral. Que penser d'un état où les ordres de l'autorité
exécutive centrale ne sont pas même ëxésntés six jours après avoir été
..donné»? ...... ■ ,.
snrer en même temps le- gouvernement sor tes intentions loyales du haut
dirëctoire'et des commissaires, nous demandâmes à avoir une conférence
avec des délégués du gouvernement, et ceite conférence eut lieu samedi à
midi. Nous espérons' qne cette démarohe contribuera à ce qu'on ne décliné
pins le commandement fédéral, et à rétablir plus de confiance dans les
communications entre le pouvoir fédéral et le canton.
On ne pept se dissimuler ce qu'il y a d'alarmant dans le fait de là pré
sence de deux corps de tronpes placés sous ides commandemens différens,
animés de sentimens politiques contraires et postés l'un et,l'autre sur
l'extrême frontière, en sorte que le plus léger incident suffirait pour en
traîner des conséquènces dé la plus haute gravité. Nous pensons donc
qu'il est urgent d'obtenir que ces troujJesrsoient rappelées, et nous nous
sommes efforcés d'atteindre ce bnt. Si, ce qne nous avons lieu d'espérer,
le commandement fédéral ne tarde pas i être accepté, ces appréhensions
se dissiperont.
Les diverses informations qne nous avons recueillies nous donnent la
conviction qs'il n'existe plus aujourd'hui aucun vestige des corps-francs
armés. En ce qui concerne les réfugiés laeernois, le gouvernement d'Ar-
govie a pris des mesures,/soit pour les interner, soit ponr les faire passer
dans d'autres cantons. - . ' i .
Dans cet état de choses, les commissaires ont examiné de concert la
convenance de procéder déjà actuellement au licenciement des tronpes
mises sur pied*, Cependant l'exécution dès sentences rigoureuses' contre
les chefs et fauteurs de la dernière entreprise pourrait fairè naître de nou
veaux troubles ; le canton d'Argovie n'est pas sans inquiétude sur l'éven
tualité d'une ' invasion du canton de Lùçernë dans le Fréiamt, d'autant
plus que les troupes argoviènnes qui occupaient l'extrême^ frontière sont
déjà licenciées ; en tout cas, le canton de Lucerne ne peut guère se prê
ter à un licenciement des troupes fédérales mises sur pied; nous jugeons
donc plus prudent de laisser pour quelques jours encore les troupes fédé
rales aux postes qu'elles occupent actuellement.
; La possibilité d'un licenciement complet des troupes est subordonnée
essentiellement aux décisions de la liante diète, et à la détermination que
Lucerne prendra dans la question de l'amnistie ; « car il est certain que
» l'exécution de sentences rigoureuses contre tel ou tel des prisonniers qui
» sont le plus gravement impliqués dans la dernière expédition des corps-
» franc?, provoquerait inévitablement de l'agitation et de l'exaspération'
» dans les cantons limitrophes. » En revenant à ses tribunaux ordinaires,
le gouvernement de Lncerne ne ferait qu'user d'un droit 1 qui lui appar
tient incontestablement; mais il ne devrait pas perdre de vuéque l'appli
cation de peines excessives, en matière de délits politiqnes, n'a que trop
souvent produit un effet opposé à celui qu'on en attendait; l'histoire en
fournit des preuves irréfragables. Ce gonvernement devrait se convaincre
que la mort de plusieurs centaines de victimes qui ont succombé sur le
champ de bataille, peut être envisagée comme une expiation suffisante de
l'attentat commis.
Les commissaires ont déjà eu l'honneur de mentionner les démarches
qu'ils ont faites à Lucerne dans le£bat d'adoucir en tout que possible le'
sort des prisonniers. C'est J la haute diète qu'il appartient de décider si
on devra adresser des représentations au canton de Lucerne au sujet de
la question d'amnistie; toutefois, le succès de cette démarche dépendra
essentiellement de la question de savoir si les décisions de la diète et les
mesures prises par les cantons offriront ou non à l'état de I^icerne une
garantie suffisante contre le renTersemenid'egressioas telles que celles
qui ont malheureusement été effectuées.
D'un autre côté, on ne sanrait disconvenir que l'attitude des coTps or
ganisés depuis'le 8 décembre dernier dans les cantons voisins, n'ait oc-
casioné au canton de Lucerne et aux états ses alliés des sacrifices pécu
niaires considérables; il n'est dès-lors pas surprenant que, fort de sa posi
tion actuelle, ce canton croie devoir réclamer des indemnités ponr les
frais auxquels il a été obligé de faire face. « Pins les autorités du _c«ton
: de Lucernp'auront de chance de parvenir à leur but à cetégard.plu»
» aussi est la perspective d'une amnistie large et même de la grâce de»
» condamnés reposera sur des espérances fondées. » . ■ , ,
Agréez, Messieurs, etc. ' .
Les commissaires fédéranx :
Signé» ivoeit , landamman. >
- mossu , chancelier. ■ <
——taioiw ' ■
L'affaire du droit de visite doit être considérée comme réglée.
Elle l'était déjà sans doute dès avant l'ouverture des conférences.
M. le duc de Brôglie n'aurait certainement pas accepté la mission
qu'il a été remplir à Londres, si les deux gouvernemens ne tyi
avaient pas donné l'assurance que son voyage ne serait pas in
fructueux. . . s
Quelques journaux anglais ont annoncé, fit l'on doit croire' qne
le négociateur a stipulé pour la France une situation semblable' à
celle que les Etats-Unis se sont faite par le traité Ashburton. L'U
nion, tout en prouvant son désir dç participer à la répression de la
traite, s'est resérvé à cet égard Une position tout-à-fait indépeni-
dante. C'est la seule qui convienne & la France.
Les difficultés qui pouvaient venir du parlement anglais se goût
fort aplanies. Le cabinet tory-"semble' aujourd'hui tout puissant.
Il a soumis et discipliné ses amis; il a pris à ses ennemis le^r
politique. Il gouverne comme les whigs avec l'assentiment des
tories; là majorité, malgré quelques velléités de résistance,
accepte ce qu'il fait, et il fait ce qu aurait conseillé la minorité: Il
est difficile d'avoir une situation plus forte. .
le ministère anglais avait encore à ménager l'oïgueil maritimp de
l'Angleterre et la philanthropie des déyots. Nous avons dit, dans
un récent article, comment ce premier sentiment se trouvait
calmé par les complaisances et l'abnégation perpétuelles de notre
gouvernement, et comment le second serait satisfait ; par la pro
messe d'une répression non moins efficace de la traite, et par l'es
poir d une prochaine émancipation dans nos colonies. Ainsrnous
ne tarderons probablement pas à connaître les termes positifs'de
l'arrangement qui aura été conclu. L'espoir de maintenir quelques
mois de plus M. Guizot, l'homme aux -indemnités etaux désa
veux, vaut bien, pour le gouvernement anglais, le facile sacrifice
qu'il va faire. ,
Cependant des bruits singuliets se sont répandus sur la nature
de cet arrangement. On a dit d'abord que les traités du droit de
visite seraient seulementsuspendus pendant deux ans, et que cette
suspension ne pourrait être prolongée que du consentement des
deux parties, de telle Sorte qu'il dépendrait dé l'Angleterre, par
exemple, de les rendre de nouveau exécutoires. Une telle solu
tion est impossible. Elle impliquerait l'abandon, formel de notre
part du droit qui appartient à chacune des parties contractantes,
d'invoquer le bénéfice de l'article qui remet chaque année eh
question la délivrance des mandats de croisières, et d'annuler
XtrXtXXTCBT B0 COHSTITÏJÏIOIVKrKX, BU 12 AVKU, 1845.
L'ALLÉE DES VEUVES J,) .
PREMIERE PARTIE.
CHAPITRE XX.
Pendant un moment le furieux jeune homme délibéra avec lui-même
sur la manière dont il s'introduirait ; il avait beau regarder et prêter
l'oreille ; pas une lueur ne brillait, pas un bruit ne se faisait entendre
qui pût le diriger dans son dessein.,
A la fin il calcula que ne pouvant point être attendu par ceux qu'il ve
nait: surprendre, il n'y avait aucune apparence qu'ils fussent contre lui
en défiance; ceci considéré, il se décida pour le procédé le plus naïf et
le plus simple et s'annonça par deux ou trois coups de marteau vigou
reusement frappés. /
Quelques minutes s'étant écoulées , il entendit marcher dans la cour
et, vit une clarté qui s'avançait de son côté.
La porte s'ouvre ; mais au lieu de celui qu'il prévoyait, c'est Esther
qui se trouve face à face avec lui ; celle-ci, en l'apercevant, jette un cri,
laisse échapper la lumière qu'elle tenait à la main, et tout rentre da,ns le
silence et dans l'obscurité.
S'occupant d'abord de couper toute retraite à son énnemi, Chevillard
a soin de fermer la porte qui vient de lui livrer, accès, et de la verrouil
ler; puis, sans savoir ce qu'est devenue sa femme, il va droit au per
ron, traverse rapidement Je vestibule et pénètre dans le salon, où il voit
des bougies allumées.
Do reste, la pièce est déserte, et en jetant les yeux autour de lui, il
s'assure qu'aucun meuble ni aucun recoin n'a pu servir à cacher lè
misérable qu'jl espérait y rencontrer..
. H prend alors un flambeau, repasse dans le vestibule et se dispose à
visiter les chambres supérieures, quand une étrange et lugubre vision
le fixe par l'épouvante à la place où elle le surprend.
Marchant comme une femme ivre, le visage défait et pâle , les yéux
éteints et fixes, Esther monte avec effort les marches du perron , fait
quelques pas encore, puis vient tomber lourdement aux pieds dé" son
ïn?ri en poussant un lourd gémissement.
Entraîné par un mouvement de pitiéquifait taire tout autre sentiment,
.Chevillard court pour relever la malheureuse qu'il croit évanouie ; mais,
à sa grande surprise,. au lieu de trouver chez elle cet affaiblissement
marqué de la force vitale qui, d'ordinaire, accompagne l'état de syncope,
il entend le cœur et le pouls battre avec violence et donner des pulsa
tions précipitées, et cependant, en quelques secondes , un sommeil de
plomb s'est emparé du reste de l'économie. '
Effrayé de ces symptômes dont la singularité 1e.confond, l'époux éper
du laisse dôrmir ses idées de vengeance; il prend la malade dans ses bras,
la transporte dans le salon où il la dépose sur un siège, et s'agenouillant
devant, elle et lui frappant dans les mains, il lui demande si elle ne le
reconnaît pas?
— Oui, —répond la pauvre femme en laissant tomber avec peine ses
HJ.Toute reprodnetion, même partielle de ce fenilleton , est interdite-
! Voir nos numéros dss 26, 27, 28, 29 et 30 mars, 1", 2, 3 , 4, 5,6, 7,
9,10 et 11 avril.
paroles qu'elle peut à peine articuler, — je reconnais votre voix, mais je
ne vous vois pas, il y a un brouillard entre nous.
Cela dit; elle referme les yeux et rentre dans son assoupissement qu'à
la régularité de sa respiration, on pourrait prendre pour un sommeil
normal et paisible , n'était le tremblement convulsif dont, par mo-
mens, tous ses membres sont agités.
Tbut-à-coup une idée vient à Chevillard :
—Oh! les misérables,— se dit-il,—ils lui auront fait prendre'un
narcotique; on est coutumier de ces abominables pratiques dans cette
maison,—et à cette idée, qui le rassure un peu, sentant renaître toute
sa colère , il s'élance hors de l'appartement, un flambeau à la main ,
résolu de visiter toute la maison , jusqu'à ce qu'il ait trouvé l'odieux
Morizot, qu'il suppose caché en quelqu'endroit.
Après avoir parcouru toutes les chambres du haut, il redescendait
l'escalier sans avoir rien trouvé ; tout- à-coup plusieurs coups retentis
sent à la porte extérieure. '
—Ah! enfin, — s'écrie-t-il en courant ouvrir, — c'est lui! j'aurai ma
vengeance, et il n'aura pas commis le crime. Le ciel est donc juste!
Mais il était apparemment écrit que, dans cette maison maudite, ne
se rencontreraient ce soir—là, que ceux qu'on n'y attendait pas ; Che
villard eut encore un mécompte : ce n'était pas Morizot qui avait frap
pé, c'était sa digne confidente, Mme de Saint-Martin. e
A la vue du mari, contre lequel elle n'avait cessé de conspirer, elle
se rejeta en arrière avec épouvante ; mais s'élançant sur elle et lui étrei-
gnant un bras avec force :
— Entrez, entrez, honnête créature, — lui dit Chevillard, — et ve
nez voir vos œuvres; après cela... nous compterons.
Et en même temps, l'entraînant jusque dans le salon, et la plaçant
devant Esther (fui continuait son lourd sommeil :
— Qu'avez'-vons donné à cette malheureuse"? — demanda-t-il avec
une indignation qui se contenait à peine, — Allons!., parlez... répon
dez !..
— Parbleu, — répondit l'entremetteuse sans se déconcerter, —il n'y
a pas besoin de rien donner aux gens pour les faire dormir quand ils
s'ennuient... Il y a au moins deux heures que la pauvre enfant attend
ici une personne avec laquelle elle devait se rencontrer, pour parler de
vos affaires, et qui n'a pu se trouver au rendez-vous; elle se géra as-'
soupie pendant le temps que j'ai mis à venir l'informer de ce contre
temps. -
— Et cette personne, vous ne la nommez pas, — dit Chevillard avec
une ironie menaçante, et en élevant la voix.
- Le bruit qu'il avait fait, parut être entendu d'Esther, qui sortit en
core une fois de son état comateux.
— Tenez, la voilà qui se réveille , — dit alors la Saint-Martin , —
vous pouvez l'interroger, et ellô vous dira si on lui a fait avaler quelque
drogue, comme vous le pensez.
— Esther! voyons , parlez-moi ! dit alors Chevillard , — est-ce que
vous souffrez de quelque parl't
Ouvrant des yeux auxquels une prodigieuse dilatation de la prunelle
donne un regard d'une expression que rien ne peut rendre, la malade
porte ses deux mains à sa tête , comme pour dire qu'elle y ressent de la
douleur, et elle paraît prête à retomber dans sa léthargie.
— Réveillez-vous donc ! — lui cria alors la Saint-Martin , en la se
couant , voilà votre mari qui dit qu'on vous a fait prendre un narco
tique.
— Non,... c'est moi.... qui ai pris... — répondit la patiente avec ef
fort, et en retombant toujours dans son'sommeil.
— Ah! mon Dieu! ■*— dit tout à coupla Saint-Martin, en approchant
une bougie du visage d'Esther, — voyez-vous ces taches jaunes qu'ella a
à la bouche ?
— Ehbien!—fit Chevillard avec la dernière anxiété.
— La malheureuse) bien sûr! elle aura avalé du laudanum pour s'em
poisonner.
' — Oh ! priez- Dieu que ce ne soit pas vrai, —s'écria Chevillard,;—
car votre vie répond de la sienne. ' . ;
— Laissez-donc ! avec vos menaces! Vous feriez bien mieux d'aller
chercher du secours. Depuis le temps que vous laissez le poison travail
ler à son aise, il ne sera peut-être plus temps de la sauver. ' .
— Où trouver un médecin dans ce quartier? — demanda Chevillard
se disposant à sortir dans le plus grand émoi.
—Rue des Gourdes, presqu'en tournant la ruelle qui va de cette ave
nue à Chaillot, dans une maison qui a pour entrée une grille;... où
plutôt, j'y vais moi-même, car vous perdriez peut-être au temps-à
chercher. ' •
— Mais d'ici à votre retour, n'y aurait-il pas quelque chose à faire?
— Je ne sais, pas bien, —répondit la Saint-Martin,—ce qui pour
rait convenir à son état ; mais ce sera déjà beaucoup si vous parvenez 3t
secouer ce terrible sommeil qui aboutit à la mort. ' ;
Et elle sortit en toute hâte après avoir jeté cette prescription qui ne
laissait pas d'être sage et éclairée.
S'efforçant de la mettre en pratique Chevillard usa de tous les moyens
qu'il put imaginer pour combattre le coma de plus en plus invincible qui
se manifestait. Mais le poison, ingéré depuis plusieurs heures sans que
son action eût été combattue, était maintenant installé en maître, et les
courtes intermittences qu'il fut possible d'obtenir à son action narcoti
que, manifestèrent dans les paroles de la malade un trouble des facultés
intellectuelles qui ne permit plus d'attendre d'elle aucun renseignement
sur les circonstances et sur le fait de sa funeste résolution.
Peu de temps s'était écoulé depuis le départ de Mme de Saint-Martin;
toutefois l'impatience qu'avait Chevillard de voir arriver du secours lui
faisait prendre des minutes pour des heures, et il en venait déjà à" em
brasser l'horrible supposition que, trop heureuse de s'échapper de ses
mains, l'entremetteuse l'avait inhumainement abandonné, lui et la ma
lade, quand il la vit entrer accompagnée du docteur qu'elle était allée
chercher. , . . ' :
Les symptômes* de l'empoisonnement par l'opium pris à forte dose,
étaient si évidens, que.Ie docteur ne fut pas embarrassé déporter son
diagnostic.
Le café et l'eau vinaigrée dont il s'était muni, et qui furent adminis
trés à la malade, ne produisirent aucun effet, et quant au dernier moyen
de la saignée, auquel, après plusieurs heùres de soins inutiles, on se dé
cida à avoir recours, il fut suivi vers minuit, d'une crise finale, où-la
mort s'entremêla si étroitement.au sommeil, qu'on ne sut dire au juste
le moment où la pauvre femme avait rendu le dernier soupir.
Mme de Saint-Martin, dont les soins n'avaientpas cessé d'être dévoués
et intelligens, par ce procédé fort conciliable au reste avec sa conduite 1
passée, s était un peu rétablie dans l'esprit de Chevillard, et tout -la
temps que l'on put espérer de sauver la malheureuse Esther, sur le ter
rain d'un malheur et d'une sympathie éprouvés en commun, on aurait pu
les croire de très bonne intelligence.
Mais au moment où l'on s'aperçut que tout espoir était perdu, saisi
d'une sorte de désespoir frénétique, après s'être jeté sur le cadavre de
sa femme qu'il tint long-temps embrassé en poussant des cris inarticu
lés, Chevillard tourna sa fureur sur la Saint-Martin, et si le médecin ne
fûtintervenu, on ne peut dire ce qui serait arrivé.. ; . f '.
Sans bien comprendre la portée des sanglans reproches qui étaient
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