Titre : Le Constitutionnel : journal du commerce, politique et littéraire
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1845-04-05
Contributeur : Véron, Louis (1798-1867). Rédacteur
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32747578p
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 05 avril 1845 05 avril 1845
Description : 1845/04/05 (Numéro 95). 1845/04/05 (Numéro 95).
Description : Collection numérique : Grande collecte... Collection numérique : Grande collecte d'archives. Femmes au travail
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
SAMEDI S AVRIL 1845. * ÉDITION DE PARIS. NUMÉRO 9S.
;»LE CONSTITUTIONNEL, Jg)
; ~ JOCRRAt D0 COMMKRCB,^POIiITIQBB BT LITTKRAIRB.
^ ~~~ AHHONGES.._ ''
n, » aiu lu pirABTMuiw, can lu onacntoBf dm rosn», m AH . 40 n. oh as .... 48 ni. I! 1 frano 80 cent. 1* petite ligne; — S franos 1* ligne de réclam».
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ALondres, ehtx MM. Courts el fiti. Saint-Anne'i Lane. tkoii mou , 10 - 'mou hou ..... 13 || tu littru non a/franchies liront rigowtusement refusées.
. P&ECI8, 4 AVIIII..
: Le journal ministériel annonçait ce matin, d'après des nouvel
les reçues par voie extraordinaire, que les réfugiés lucernois et
les volontaires, après deux tentatives inutiles et des pertes énor
mes, étaient restés maîtres de Lucerne, et que de tous côtés des
volontaires libéraux du catholiques cotiraieut au secours de leur
parti. Une dépêché télégraphique de Besançea apprend au con
traire que les insurgés auraient essuyé une défaite à Lucerne, et
Sorte lé nombre des morts au chiffre de six lents. Une dépêche de
trasboai^g-cocfirme celle de Ik^cÇonT et ajoute que le.général.
Sonnenberg s'est emparé de: l'artillerie des oQjps-ffajiçs et les
poursuitdao?loutes.lesilirectioiis.. ; . ......
Ces dépêches," dont on parlait aujourd'hui à la chambre, font
connaître le résultat actuel de lalntiequi s'est engsgée^en.Suisse.
Nous croyons cependant qu'on ne lira pas sans intérêt les détails
suivans sur les faits déjà: accomplis ; ils serviront à mieux faire
apprécier les événemeos. Nous ajoutons quelques explications
destinées à faire connaître à nos lecteurs le théâtre de la guerre.
Lucerne est située à peu près au centre de la Suisse, et sa po
sition semblait désigner ce canton comme "le /champ de bataille
naturel des deux grands partis qui divisent la confédération. Lu
cerne est placé éa effet à l'une des extrémités du lac des Quatre-
Cantons sur les bords duquel soot situés les cantons primitifs
d'Unterwa'd, Uri et Scbwyz. Au nord de ceux-ci se trouve le
canton catholique de Zug. Lucerne, au levant, touche donc aux
cantons les plus prononcés en faveur des jésuites, et le lac des
Quatre Cantons lui offre une communication directe et facile avec
eux. A l'ouest, Lucerne touche au coatraire aux cantons les p'us
prononcés diins le sens libéra!, et qui sont rangés dans l'ordre
suivant autour de ses frontières : A'govie, . Baie-Campagne et
Soleure, Berne. Enfin, entre le canton de Zug et celui d'Argovie,.
au nord de Lucerne, se trouve,le canton-directeur Zurich. Ainsi
placé entre ses alliés d'uu côté, et ses adversaires de i'aulre, Lu
cerne devenait le champ de bataille nécessaire des deux partis.
Pour couvrir la ville,' le gouvernement lucernois avait établi une
partie de ses forces à Surzée, à cinq lieues de Lucerne, à l'endroit
où se confondent, pour se diriger sur Lucerne, la route qui vient
de Sjleure et d'Argovie au nord, et cel'e qui vieut de Berne à
l 'ouest. Le point de ralliement .des volontaires étaient Zoffiogue,
sur la route de Soleure à Lucerne,-et Huitwyl sur celle de Berne ;
maisjes volontaires de So'eure et d'Argovie, abandonnant la
route qui les imenait direclemeat k Surzée, ont dévié à l'oaest et
sont allés faire leu- Jonction.avex; l .es volontaires bernois à moitié
chemin de Huitwyl et de Surzéé, éîsonf r àtnsi venuâprendre à re
vers les Lucernois établis à Surzée.
Le secours fourni au gouvernement de Lucerne par les cantons
primitifs, a donné sans doute la victoire au général Sonnenberg.
Ce n'est là que le début d'une guerre civile. Les jésuites qui
n 'ont encore fait aucune déclaratioa publique pour renoncer à en
trer dans Lucerne, trouveut à ce qu'il paraît qu'il n'a pas encore
assez coulé de sang pour leur cause.
Voici les lettres que nous recevons :
Àrau, le 1" avril.
Nous avons des nouvelles du commencement de l'expédition lucernoise.
Les deux -villes de Zofflngue et de Hutwyl, situées, la première, sur la
frontière argovieace, la seconde, sur le lirriloire bernois, avaient élé dé
signées pour points de rassemblement des réfugiés lucernois et des volon-
taioes auxiliaires.
Le 30 mars , on vit déboucher sur Zofûngue, depuis le malin jiisqu'au
soir, de nombreux détachemens venant essentiellement des cantons d'Ar
govie, de Bâle-Campagne et de Soleure. Tous les chemins qui aboutis
sent à Zo/fiogue étaient couverts de centaines de volontaires bien ar
més, et la ville ne tarda pas à prendre toute l'apparence d'un camp
de gutrrf. Ce spectacle inusité avait, en ontre , attiré uoe affluence
de curieux telle qu'on ne se rappelle pas en avoir tant tus dans ces con-
MBKEa3iga^B^twiaM?^BBîg3»93iam'aiMiaaassiiBffl3»P^s8BasB3giîaaBgaag3aa
trées. Les volontaires de Bâle-Campagne, au nombre de 800, appelaient
surtout l'attention par leur belle tenue; ils avaient amené avec eux deux
canons. , .
L'appel fut battu jusques bien avant dans la nuit sur ces divers points
de rassemblement, et on leur fit lecture d'une publication portant que
les corps-francs seraient, dès ce.moment, régis par des lois militaires-en
harmonie avec le code fédéral, et qu'un conseil de guerre avait été insti
tué dans ce but.
A huit heures dn soir , les volontaires se rendirent tous daps leurs
quartiers respectif* pour prendre quelque repos. il ne cessa de leur
arriver des renforts jusqu'au moment t. ' * .
» Les réftogitfs eux-mêmes avaient déjà , dans l'aprôs-thîdi du'dimanche
30 mars, erfectuéen. partie leur entrée dans le canlon de Lucerne. Ilsperenl, conjointement arec quelques hommes do liàle-Campagne, Reiden, :
Dagmersetten et Altishofen, sans rencontrer do résistance. Seulement, ils
firent prisonniers quelques membres du conseil communal de Dagmer
setten, au momentoù ceux-ci se disposaient à sonner le tocsin. A sept
heures du soir, de. grands feux forent allumés sur les hautenrs et renou
velés à minoit; :ils étaient destinés à annoncer que l'expédition élait com
mencée, tant aux habilans du canton qu'à la colonne qui devait -partir do
territoire bernois.,
, Quant au corps principal de volontaires , il était déjà sar pied à mi
nuit. À une heure, le rappel battit à Zolîingue t-t dans les localités avoi-
sm'antes. Réunis tous à deux heures en dehors de la porte supérieure de
la ville, ils furent répartis en plusieurs bataillons , et, chose incroyable ,
le même public que celui- de la veille , et dans ce nombre une quantité
prodigieuse de dames, assistèrent au départ des troupes. C'était, du resté,
un spectacle imposant que celui de ces masses mouvantes au milieu des
ténèbres de la .nuit ; on voyait seulement briller les armes à la lueur
de quelques flambeaux ; tous les volontaires portaient une casquette uni
forme ornée de la croix fédérale. .
Lorsque tonte la truupe fut rangée , el qu'on ordre du jour, aussi re
marquable par les sentimens patriotiques qu'il respire que par les re
commandations les plus instantes d'observer une sévère discipline, eût été
lu d'une voix forte par le commandant en elief, la troupe commença a s'é
branler, ayant en tête deux canons escorté par vingt carabiniers argoviens.
L'arrière-garde se composait d'un détachement de cavalerie. Le'corps en
tier formait un effectif de 4,000 à 5,000 hommes , dont un tiers environ
sont d'excellens tireurs.. Le.rcste de la troupe était partagé en quatre ba- '
taillons, plus une espèce de batterie d'artillerie composée de deux pièces
de huit et de quatre obusiers. Les trois colonnes principales sont comman
dées par JIM. Ochsenbein, capitaine du génie dans l'état major-fédéral,
Rotbpletz,colonel,inspecteur-général des milices argovienues, et un offi
cier supérieur lucernois. <»
. Parvenu sur le territoire lucernois , ce corps se divisa en deux colon-
iks dont l'une prit la direction de Ettiswyl et l 'autre-de Egotswyl, pour
faire leur jonction plos tard avec les vo'ontaires et les réfugiés entrés par
Huitwyl et dont on porte le nombre à dix-huit cents hommes , munis de
deux canons provenant du château de Nidau. '
Pour celui qui a été témoin de l'organisation de ces corps et des prépa
ratifs qui ont été faits, ilest évident qu'il ne s'agit pas seulement d'un coup
demain désespéré sur Lucerne, mais que toute l'entreprise repose sur un
plembabilemè&tcODçaet -aon moins habilement conduit et qui dénote dé
la part de son auteur des connaissances militaires profondes. On a pourvu
à tout ce dont une armée pentavoir besoin pendant sa marche; les blessés
sout certains de recevoir les soins les plus prompts. La colonne est suivie
d'une masse du chars de bagages et de vivres en abondance.
Notre gouvernement continue à prendre toutes les mesures militaires
de nature à parer aux éventualités d'une défaite des réfugiés; car si cette
défaite avait lieu par le concours des cantons primitifs , nul doute que
ceux-ci ne cherchassent à pénétrer dans le Freiaml pour se venger de la
sympathie que la cause des réfugiés a rencontrée chez nous.
Zurich, le 1" avril.
Neuf heures du matin. — Aucnne nouvelle positive n'est encore parve
nue sur le résultat de la lutte qui s'est engagée hier. La malle-poste, qui
devait avoir quitté Lucerne hier à neuf heures du soir, et qui à l'ordinaire
remet lès dépêches à Zurich entre trois ou quatre heures du matin, n'est
pas arrivée à l'heure où je vous écris, bien que les routes soient dans un
parfait état. On peut inférer de ce fait que les hostilités n'étaient pas ter
minées hier au soir. L'opinion générale est que si les réfugiés n'avaient
eu à lutter que contre les troupes gouvernementales, la crise aurait pris
fin en vingt-quatre heures, et cela au désavantage de ces dernières ; mais
l'appui que le conseil-d'état de Lucerne avait sollicité des cantons d'Uri,
de Schwyz, d'Unterwald et de Zug, peut, s'il a été donné à temps, faire
tourner momentanément les chances contre les insurgés. Je dis momen
tanément, attendu que si les troupes des petits cantons ont réellement
rsovasfsossiv oosravxtcratxgiairax bu 5 avrix. 1845.
IiE CONSTITUTIONNEL donnera aux abonnés non-
veaux qui s'inseriront à dater du 1 er avril 1845,
tous les chapitres «le I/AIiljlEE £JES VEUVES |»ii~
bliés avant cette époque.
L'ALLÉE.DES VEUVES
PRFMlkllE PARTIE.
chapitre ix.
Tout se simplifiants'! bien pour Chevillard, il crut devoir en finir avec
la seule sollicitude qu'il se connût dans -Je moment.
Comme il n'avait jamais cru aux tendres sentimens que l'on prêtait à
Mlle Lebeau, il ne pensait pas que le cœur de l'aimable .fille pût être in
téressé douloureusement dans ia confidence matrimoniale qu'il avait à
lui faire. Mais, au point de vue marchand, elle lui paraissait devoir être
fort sensible à la perte d'un commis intelligent et éprouvé comme lui ;
en conséquence, u prévoyait des représentations, des conseils.et, à tout
le moins , une froideur d'approbation qui , par avance, ho lui promet
taient rien d'agréable. Bref, et pour trancher le mot, annoncer à sa pa
tronne son mariage lui paraissait une vraie corvée; il voulait s'e-n dé
barrasser le plus tôt possible, puisqu'il n'y avait pas moyen de l'éviter.
Aussitôt donc qu'il fut rentré, prenant l'air solennel que comportait
l'importance de la révélation , il demanda à Mlle Lebeau un entretien
particulier, qui lui fut aussitôt accordé.
La bonne et naïve jeune Clie se figura que l'état d'hostilité latente
dans lequel Chevillard et elle vivaient depuis quelques jours, commençait
à le lasser, et, comme, de son côté, l'aigreur et la bouderie étaient à mille
lieues de son caractère, bien qu'elle ne se connût aucun tort, elle se
promit de faire bon marché de sa clémence , et de se montrer ou
blieuse et désarmée à la moindre parole de paix qui lui serait portée.
— Mademoiselle, — dit Chevillard en commençant, — j'ai eu trop
constamment à me louer des bontés de M. votre père et des vôtres, pour
(1J Toute reproduction, même partielle, de ,po feuilleton, est interdite.
Voir nos numéros des 26, 27, 28, 29, 30 mars et 2, 3 et 4 avril.
n'en être pas profondément reconnaissant.
— Mais, Monsieur Chevillard , — répondit la jeune marchande, — si
vous avez élé satisfait de, nos procédés, nous avoDS toujours été parfai
tement contens de vos services, et je saisis avec plaisir l'occasion de
vous le témoigner.
■— Toutefois , — continua le compfable , — et quelqn'agréable que
puisse être la position que j'occupe dans votre maison, je n'ai pu me
dispenser de songer à mon avenir ; car, enfin telle situation qui convient
à un jeune homme n'est plus celle dont on peut s'arranger quand on
voit arriver la maturité.
Mlle Lebeau fut aussitôt frappée de la tournure assez selon ses vues
que lui paraissait vouloir prendre cette conversation ; aussi répondit-elle
gaiement:
— Vous êtes heureusement un vieillanj qui avez encore devant vous
quelques années.
— Sans doute ; mais souvent les circonstances déterminent. Ainsi
croyez qu'il a fallu une occasion bien inattendue et bien particulière,
pour me décider à quitter cette maison.
— Quitter d'ici I — s'écria Mlle Lebeau, — mais vous n'y pensez pas !
— Je vous demande pardon ; ma résolution est prise,- et je suis engagé
de manière à ne plus pouvoir reculer, quand je le voudrais.
^-Allons, décidément. Monsieur Chevillard, vous n'avez pas un bon ca
ractère, et je n'aurais jamais cru que pour quelques difficultés qui se
sont élevées entre nous, il pût vous venir une idée pareille à celle que
vous me dites là de sang-froid. -
— Vous avez tout-à-fait tort, Mademoiselle, de me croire infldencé
par les petites mésintelligences dont vous parlez. Au moment de nous
séparer, j'éprouve un regret trop réel pour me décider ainsi à propos do
.rien. •
— Eh bien alors f — dit Mlle Lebeau, d'une voix caressante , car elle
croyait qu'il revenait sur ses pas.
—,Mais je pense, Mademoiselle, que vous apprécierez l'importance de
mon motif, puisque je ne sors de chez vous que pour... me marier.
 celte parole, Mlle Lebeau changea de.visage; niais cette impression
ne fut qu'un éclair, et aussitôt la force de l'émotion fut contenue et com
primée par la force de la volonté.
— Ali!... vous vous mariez!... c'est différent C'est à merveille !
Monsieur, — dit-elle d'une voix légèrement entrecoupée.
Chevillard s'aperçut bien d'un peu d'agitation que sa confidence avait
produite, mais n'ayant rien en lui qui pût lui faire comprendre l'éner
gique résistance que certaines natures puissantes savent opposer à la
manifestation de leurs impressions extérieures, il jugea au peu de trou
ble de la surface que l'épiderme commerciale, si l'on ose le dire, avait
pénétré à Lucerne, le gouvernement de Berne, selon toutes les probabili"
tés, y fera aussi entrer incontinent les siennes, Tel est sans doute le bu 1
de la mise sur pied, décrétée par ce gouvernement lui-même, le 30 et le
31 mars, de six bataillons d'infanterie d'élite, de plusieurs compagnies de '
cavalerie et de carabiniers, et de quatre batteries d'artillerie. ,
Le chef-lieu même du directoire a pris depuis hier l'aspect d'une place
de guerre. On ne rencontre que troupes, canons, chars de munitions,etc.
Le conseil-d'état directorial vient d'adresser à tons les cantons confé
dérés, une circulaire destinée à expliquer et justifier les mesures militai
res dont il a cru devoir assumer sur lui 1s responsabilité. ; .
; Les mesures annoncées, par cette circulaire contre les corps-francs sont
subordonnées aux- décisions de la diète, car d'ici à ce qaè celle antorité
soit réunie, il est difficile dé croire que les troopes fédérales entreront
dans le canton.
: Les troupes mises sur piei forment un effectif d'à peu près 18,000
hommes, et se composent de deux divisions. M. le colonel-fédéral Gmiïr",
de Saint-Gall, commande celle de la Suisse orientale, et M. le colonel-
féiéral Zimmerli, de Berne, la division de la Suisse occidentale. Les cheft
de brigade sont les colonels-fédéraux Salis, Eglofî, Ziegler, Hauzèr et
Zelger. Tous ces choix ont été faits par le conseil-fédéral de la guerre.
Trois heures dv soir. — Le courrier de Lucerne Tient enfin d'arriver.
Il aVait été retardé parce que les bateaux à vapeur qui apportent les dé
pêches de l'Italie, avaient été employés exclusivement au passage" des
troupes des cantons primitifs, appelés en masse au secours du gouverne-
mont de Lucerne. Cette capitale était en conséquence remplie de milices
des cantons d'Uri et d'Unterwald. quand l'armée expéditionnaire est
arrivée sous les murs de Lucerne, après avoir eu plusieurs engage-
mens dans lesquels elle avait eu l'avaptage.
Elle n'était point découragée 4e la perspective d'avoir plus d'ennemis
à combattre qu'elle ne s'y attendait; il s'agissait pour elle de se rendre
maîtresse de quelques-unes des hauteurs qui dominent Lucerne et c'était
le but de ses efforts. Jusqu'à sept heures du matin aujourd'hui, aucune
sortie ne s'était effectuée de la ville même; maison a entendu, sans in
terruption et distinctement, le bruit de la canonnaee depuis tinq heures
du matin jasqu'à neuf heures, de l'Utliberg, montagne voisine de Zurich.
Alors, le vent ayant changé, on n'a plus rien entendu.
La Gazette fédérale, d'ici, feoille aristocratique, d'un cynisme inconnu
dans la presse opposée, annonçait hier qoe les corps-francs Avaient si-,
gnalé leur entrée par le meurtre , le pillage et l'incendie, et cela quoi
qu'il lni fût matériellement-impossible, vu la distance, de rien savoir de
ce qui se passait. Aujourd'hui, elle est- obligée de constater leur excel
lente conduite, la discipline et l'ordre qu'ils;ohseryent. Il est vrai qu'elle
triomphe de l'apparition des secours des petits cantons, et qu'elle espère
annoncer demain 1) déroute complète de l'armée insurrectionnelle; mais
son parti pourrait bien payer eher son triomphe acheté par l'appui de
quatre cantons. , .
Le premier des commissaires fédéraux désignés pour se rendre, à Lu
cerne -vient d'arriver; c'est M. le landammann NœFT, de Saint-Gall, hom
me personnellement fort libéral, comme il l'a prouvé dans tout le cours
des débats de la diète, maig qui représente un canton flottant. Son collè
gue, M. Violi, est un catholique du canton dès'Grisons, qui à plusieurs
fois été député à la diète et dont les opinions politiques sont encore moins
prononcées que celles de M. ISuifT. Le vorort a en soin d'écarter les hom
mes extrêmes. Reste à savoir si la diète confirmera ces choix.. Qnàut à
ceux des officiers supérieurs des troupes fédérales mises sur pied, le vo
rort a montré la- plus insigne partialité en faveur des conservateurs, ce
qui mécontentera beaucoup les milices appelées sous les drapeaux.
Le gouvernement qui, contrairement aux bruits répandus hier
dans Paris sur les nouvelles apportées par le télégraphe, avait fait-
annoncer l'occupation de Luceroe par les corps-francs, fait insé
rer ce soir ce peu de lignes dans les journaux ministériels :
« La nouvelle de l'entrée des corps-francs à Lucerne est dé
mentie. Un balletin officiel, publié par le gouvernement de Lu
cerne, en dïte du 1 er , annonce la déroute des corps-francs, qui
auraient laissé plus de 600 hommes sur le champ de bataille, aux
portes de Lucerne. »
La chambré des députés a voté aujourd'hui différens articles
du projet de loi sur les douanes. Un amendement proposé au tarif
des laines et un autre relatif à la préemption ont été repoussés.
M. Berryer, en rappe ant la prime allouée aux machines à vapeur
de fabrication française employées à, bord des navires français ser-
seule été attaquée, et dès lors, entrant résolument dans le détail de son
mariage :
— Oui, Mademoiselle, — reprit-il, —je trouve un parti fort conve
nable et très au-dessus de mes espérances, une jeune personne, douée
de tous les avantages extérieurs, et qui me met dans une position de
fortune
— Et c'est bientôt que ce mariage se fait? — interrompit sèchement
Mlle Lebeau, qui ne se crut pas le devoir de subir avec une patience à
toute épreuve le récit circonstancié que Chevillard paraissait disposé
à lui faire de sa bonne fortune.
— Mais dans une quinzaine environ.
— C'est bien ! — dit la jeune marchande d'un ton qu'elle s'étudiait à
rendre le plus indifférent possible, — je vais m'occuper immédiatement
de chercher "quelqu'un pour vous remplacer;... et même, comme il n'est
pas difficile.de se procurer un teneur ae livres, et que je puis, moi, pro
visoirement me charger de la caisse, vous- êtes libre dès ce moment si
cela vous convient.
Chevillard n'avait pss prévu ce dénoûment si leste et Cette approba
tion froide et silencieuse; il auraif de beaucoup préféré une âpre opposi
tion qui du moins lui eût permis de discourir de son mariage et de
croire ses services un peu regrettés. Ne pouvant donc consentir à se lais
ser pour ainsi dire enterrer sans cérémonie ;
— Pour un homme qui, d'après vous-même, n'a pas démérité , je
trouve, — dit-il, —Mademoiselle, que c'est me mettre hors de chez vous
avec bien de l'empressement I
— Je ne vous mets pas hors de chez moi et vous y resterez tout le
temps que vous voudrez; mais comme je sais qu'en pareil cas oh a tou
jours beaucoup d'affaires, je croyais vous être agréable en vous donnant
le plus tôt possible votre liberté.
— Vous pensez bien, Mademoiselle, que je ne prends pas votre mai
son pour un hôtel garni, et si je ne vous rends plus aucun service, je ne
consentirai certainement pas à y rester.
— Eh bien! Monsieur Chevillard, — répondit avec douceur la jeune
marchande, — si vous croyez pouvoir encore, sans trop vous déranger,
vous occuper un peu de mes affaires, je suis loin de m'y opposer; ainsi,
faites absolument comme vous l'entendrez;
— C'est singulier, — dit alors notre désappointé commis, qui voulait
à tout prix que les choses tournassent à l'explication; — je me figurais,
par l'intérêt dont vous m'avez souvent donné des preuves, que vous
prendriez une part plus vive à l'événement heureux dont je venais vous
parler.
— Ah! mon cher Monsieur, — reprit Mlle Lebeau,—c'est toujours
une grande question de savoir si un mariage est une bonne ou une
;»LE CONSTITUTIONNEL, Jg)
; ~ JOCRRAt D0 COMMKRCB,^POIiITIQBB BT LITTKRAIRB.
^ ~~~ AHHONGES.._ ''
n, » aiu lu pirABTMuiw, can lu onacntoBf dm rosn», m AH . 40 n. oh as .... 48 ni. I! 1 frano 80 cent. 1* petite ligne; — S franos 1* ligne de réclam».
,*t a toutsj ijtf ksssaâhaibf. _ t[x Koll SB ■ tfX 34 iobib immtiom boit *t«« a«tt« *a* u «à*aht.
ALondres, ehtx MM. Courts el fiti. Saint-Anne'i Lane. tkoii mou , 10 - 'mou hou ..... 13 || tu littru non a/franchies liront rigowtusement refusées.
. P&ECI8, 4 AVIIII..
: Le journal ministériel annonçait ce matin, d'après des nouvel
les reçues par voie extraordinaire, que les réfugiés lucernois et
les volontaires, après deux tentatives inutiles et des pertes énor
mes, étaient restés maîtres de Lucerne, et que de tous côtés des
volontaires libéraux du catholiques cotiraieut au secours de leur
parti. Une dépêché télégraphique de Besançea apprend au con
traire que les insurgés auraient essuyé une défaite à Lucerne, et
Sorte lé nombre des morts au chiffre de six lents. Une dépêche de
trasboai^g-cocfirme celle de Ik^cÇonT et ajoute que le.général.
Sonnenberg s'est emparé de: l'artillerie des oQjps-ffajiçs et les
poursuitdao?loutes.lesilirectioiis.. ; . ......
Ces dépêches," dont on parlait aujourd'hui à la chambre, font
connaître le résultat actuel de lalntiequi s'est engsgée^en.Suisse.
Nous croyons cependant qu'on ne lira pas sans intérêt les détails
suivans sur les faits déjà: accomplis ; ils serviront à mieux faire
apprécier les événemeos. Nous ajoutons quelques explications
destinées à faire connaître à nos lecteurs le théâtre de la guerre.
Lucerne est située à peu près au centre de la Suisse, et sa po
sition semblait désigner ce canton comme "le /champ de bataille
naturel des deux grands partis qui divisent la confédération. Lu
cerne est placé éa effet à l'une des extrémités du lac des Quatre-
Cantons sur les bords duquel soot situés les cantons primitifs
d'Unterwa'd, Uri et Scbwyz. Au nord de ceux-ci se trouve le
canton catholique de Zug. Lucerne, au levant, touche donc aux
cantons les plus prononcés en faveur des jésuites, et le lac des
Quatre Cantons lui offre une communication directe et facile avec
eux. A l'ouest, Lucerne touche au coatraire aux cantons les p'us
prononcés diins le sens libéra!, et qui sont rangés dans l'ordre
suivant autour de ses frontières : A'govie, . Baie-Campagne et
Soleure, Berne. Enfin, entre le canton de Zug et celui d'Argovie,.
au nord de Lucerne, se trouve,le canton-directeur Zurich. Ainsi
placé entre ses alliés d'uu côté, et ses adversaires de i'aulre, Lu
cerne devenait le champ de bataille nécessaire des deux partis.
Pour couvrir la ville,' le gouvernement lucernois avait établi une
partie de ses forces à Surzée, à cinq lieues de Lucerne, à l'endroit
où se confondent, pour se diriger sur Lucerne, la route qui vient
de Sjleure et d'Argovie au nord, et cel'e qui vieut de Berne à
l 'ouest. Le point de ralliement .des volontaires étaient Zoffiogue,
sur la route de Soleure à Lucerne,-et Huitwyl sur celle de Berne ;
maisjes volontaires de So'eure et d'Argovie, abandonnant la
route qui les imenait direclemeat k Surzée, ont dévié à l'oaest et
sont allés faire leu- Jonction.avex; l .es volontaires bernois à moitié
chemin de Huitwyl et de Surzéé, éîsonf r àtnsi venuâprendre à re
vers les Lucernois établis à Surzée.
Le secours fourni au gouvernement de Lucerne par les cantons
primitifs, a donné sans doute la victoire au général Sonnenberg.
Ce n'est là que le début d'une guerre civile. Les jésuites qui
n 'ont encore fait aucune déclaratioa publique pour renoncer à en
trer dans Lucerne, trouveut à ce qu'il paraît qu'il n'a pas encore
assez coulé de sang pour leur cause.
Voici les lettres que nous recevons :
Àrau, le 1" avril.
Nous avons des nouvelles du commencement de l'expédition lucernoise.
Les deux -villes de Zofflngue et de Hutwyl, situées, la première, sur la
frontière argovieace, la seconde, sur le lirriloire bernois, avaient élé dé
signées pour points de rassemblement des réfugiés lucernois et des volon-
taioes auxiliaires.
Le 30 mars , on vit déboucher sur Zofûngue, depuis le malin jiisqu'au
soir, de nombreux détachemens venant essentiellement des cantons d'Ar
govie, de Bâle-Campagne et de Soleure. Tous les chemins qui aboutis
sent à Zo/fiogue étaient couverts de centaines de volontaires bien ar
més, et la ville ne tarda pas à prendre toute l'apparence d'un camp
de gutrrf. Ce spectacle inusité avait, en ontre , attiré uoe affluence
de curieux telle qu'on ne se rappelle pas en avoir tant tus dans ces con-
MBKEa3iga^B^twiaM?^BBîg3»93iam'aiMiaaassiiBffl3»P^s8BasB3giîaaBgaag3aa
trées. Les volontaires de Bâle-Campagne, au nombre de 800, appelaient
surtout l'attention par leur belle tenue; ils avaient amené avec eux deux
canons. , .
L'appel fut battu jusques bien avant dans la nuit sur ces divers points
de rassemblement, et on leur fit lecture d'une publication portant que
les corps-francs seraient, dès ce.moment, régis par des lois militaires-en
harmonie avec le code fédéral, et qu'un conseil de guerre avait été insti
tué dans ce but.
A huit heures dn soir , les volontaires se rendirent tous daps leurs
quartiers respectif* pour prendre quelque repos. il ne cessa de leur
arriver des renforts jusqu'au moment t. ' * .
» Les réftogitfs eux-mêmes avaient déjà , dans l'aprôs-thîdi du'dimanche
30 mars, erfectuéen. partie leur entrée dans le canlon de Lucerne. Ils
Dagmersetten et Altishofen, sans rencontrer do résistance. Seulement, ils
firent prisonniers quelques membres du conseil communal de Dagmer
setten, au momentoù ceux-ci se disposaient à sonner le tocsin. A sept
heures du soir, de. grands feux forent allumés sur les hautenrs et renou
velés à minoit; :ils étaient destinés à annoncer que l'expédition élait com
mencée, tant aux habilans du canton qu'à la colonne qui devait -partir do
territoire bernois.,
, Quant au corps principal de volontaires , il était déjà sar pied à mi
nuit. À une heure, le rappel battit à Zolîingue t-t dans les localités avoi-
sm'antes. Réunis tous à deux heures en dehors de la porte supérieure de
la ville, ils furent répartis en plusieurs bataillons , et, chose incroyable ,
le même public que celui- de la veille , et dans ce nombre une quantité
prodigieuse de dames, assistèrent au départ des troupes. C'était, du resté,
un spectacle imposant que celui de ces masses mouvantes au milieu des
ténèbres de la .nuit ; on voyait seulement briller les armes à la lueur
de quelques flambeaux ; tous les volontaires portaient une casquette uni
forme ornée de la croix fédérale. .
Lorsque tonte la truupe fut rangée , el qu'on ordre du jour, aussi re
marquable par les sentimens patriotiques qu'il respire que par les re
commandations les plus instantes d'observer une sévère discipline, eût été
lu d'une voix forte par le commandant en elief, la troupe commença a s'é
branler, ayant en tête deux canons escorté par vingt carabiniers argoviens.
L'arrière-garde se composait d'un détachement de cavalerie. Le'corps en
tier formait un effectif de 4,000 à 5,000 hommes , dont un tiers environ
sont d'excellens tireurs.. Le.rcste de la troupe était partagé en quatre ba- '
taillons, plus une espèce de batterie d'artillerie composée de deux pièces
de huit et de quatre obusiers. Les trois colonnes principales sont comman
dées par JIM. Ochsenbein, capitaine du génie dans l'état major-fédéral,
Rotbpletz,colonel,inspecteur-général des milices argovienues, et un offi
cier supérieur lucernois. <»
. Parvenu sur le territoire lucernois , ce corps se divisa en deux colon-
iks dont l'une prit la direction de Ettiswyl et l 'autre-de Egotswyl, pour
faire leur jonction plos tard avec les vo'ontaires et les réfugiés entrés par
Huitwyl et dont on porte le nombre à dix-huit cents hommes , munis de
deux canons provenant du château de Nidau. '
Pour celui qui a été témoin de l'organisation de ces corps et des prépa
ratifs qui ont été faits, ilest évident qu'il ne s'agit pas seulement d'un coup
demain désespéré sur Lucerne, mais que toute l'entreprise repose sur un
plembabilemè&tcODçaet -aon moins habilement conduit et qui dénote dé
la part de son auteur des connaissances militaires profondes. On a pourvu
à tout ce dont une armée pentavoir besoin pendant sa marche; les blessés
sout certains de recevoir les soins les plus prompts. La colonne est suivie
d'une masse du chars de bagages et de vivres en abondance.
Notre gouvernement continue à prendre toutes les mesures militaires
de nature à parer aux éventualités d'une défaite des réfugiés; car si cette
défaite avait lieu par le concours des cantons primitifs , nul doute que
ceux-ci ne cherchassent à pénétrer dans le Freiaml pour se venger de la
sympathie que la cause des réfugiés a rencontrée chez nous.
Zurich, le 1" avril.
Neuf heures du matin. — Aucnne nouvelle positive n'est encore parve
nue sur le résultat de la lutte qui s'est engagée hier. La malle-poste, qui
devait avoir quitté Lucerne hier à neuf heures du soir, et qui à l'ordinaire
remet lès dépêches à Zurich entre trois ou quatre heures du matin, n'est
pas arrivée à l'heure où je vous écris, bien que les routes soient dans un
parfait état. On peut inférer de ce fait que les hostilités n'étaient pas ter
minées hier au soir. L'opinion générale est que si les réfugiés n'avaient
eu à lutter que contre les troupes gouvernementales, la crise aurait pris
fin en vingt-quatre heures, et cela au désavantage de ces dernières ; mais
l'appui que le conseil-d'état de Lucerne avait sollicité des cantons d'Uri,
de Schwyz, d'Unterwald et de Zug, peut, s'il a été donné à temps, faire
tourner momentanément les chances contre les insurgés. Je dis momen
tanément, attendu que si les troupes des petits cantons ont réellement
rsovasfsossiv oosravxtcratxgiairax bu 5 avrix. 1845.
IiE CONSTITUTIONNEL donnera aux abonnés non-
veaux qui s'inseriront à dater du 1 er avril 1845,
tous les chapitres «le I/AIiljlEE £JES VEUVES |»ii~
bliés avant cette époque.
L'ALLÉE.DES VEUVES
PRFMlkllE PARTIE.
chapitre ix.
Tout se simplifiants'! bien pour Chevillard, il crut devoir en finir avec
la seule sollicitude qu'il se connût dans -Je moment.
Comme il n'avait jamais cru aux tendres sentimens que l'on prêtait à
Mlle Lebeau, il ne pensait pas que le cœur de l'aimable .fille pût être in
téressé douloureusement dans ia confidence matrimoniale qu'il avait à
lui faire. Mais, au point de vue marchand, elle lui paraissait devoir être
fort sensible à la perte d'un commis intelligent et éprouvé comme lui ;
en conséquence, u prévoyait des représentations, des conseils.et, à tout
le moins , une froideur d'approbation qui , par avance, ho lui promet
taient rien d'agréable. Bref, et pour trancher le mot, annoncer à sa pa
tronne son mariage lui paraissait une vraie corvée; il voulait s'e-n dé
barrasser le plus tôt possible, puisqu'il n'y avait pas moyen de l'éviter.
Aussitôt donc qu'il fut rentré, prenant l'air solennel que comportait
l'importance de la révélation , il demanda à Mlle Lebeau un entretien
particulier, qui lui fut aussitôt accordé.
La bonne et naïve jeune Clie se figura que l'état d'hostilité latente
dans lequel Chevillard et elle vivaient depuis quelques jours, commençait
à le lasser, et, comme, de son côté, l'aigreur et la bouderie étaient à mille
lieues de son caractère, bien qu'elle ne se connût aucun tort, elle se
promit de faire bon marché de sa clémence , et de se montrer ou
blieuse et désarmée à la moindre parole de paix qui lui serait portée.
— Mademoiselle, — dit Chevillard en commençant, — j'ai eu trop
constamment à me louer des bontés de M. votre père et des vôtres, pour
(1J Toute reproduction, même partielle, de ,po feuilleton, est interdite.
Voir nos numéros des 26, 27, 28, 29, 30 mars et 2, 3 et 4 avril.
n'en être pas profondément reconnaissant.
— Mais, Monsieur Chevillard , — répondit la jeune marchande, — si
vous avez élé satisfait de, nos procédés, nous avoDS toujours été parfai
tement contens de vos services, et je saisis avec plaisir l'occasion de
vous le témoigner.
■— Toutefois , — continua le compfable , — et quelqn'agréable que
puisse être la position que j'occupe dans votre maison, je n'ai pu me
dispenser de songer à mon avenir ; car, enfin telle situation qui convient
à un jeune homme n'est plus celle dont on peut s'arranger quand on
voit arriver la maturité.
Mlle Lebeau fut aussitôt frappée de la tournure assez selon ses vues
que lui paraissait vouloir prendre cette conversation ; aussi répondit-elle
gaiement:
— Vous êtes heureusement un vieillanj qui avez encore devant vous
quelques années.
— Sans doute ; mais souvent les circonstances déterminent. Ainsi
croyez qu'il a fallu une occasion bien inattendue et bien particulière,
pour me décider à quitter cette maison.
— Quitter d'ici I — s'écria Mlle Lebeau, — mais vous n'y pensez pas !
— Je vous demande pardon ; ma résolution est prise,- et je suis engagé
de manière à ne plus pouvoir reculer, quand je le voudrais.
^-Allons, décidément. Monsieur Chevillard, vous n'avez pas un bon ca
ractère, et je n'aurais jamais cru que pour quelques difficultés qui se
sont élevées entre nous, il pût vous venir une idée pareille à celle que
vous me dites là de sang-froid. -
— Vous avez tout-à-fait tort, Mademoiselle, de me croire infldencé
par les petites mésintelligences dont vous parlez. Au moment de nous
séparer, j'éprouve un regret trop réel pour me décider ainsi à propos do
.rien. •
— Eh bien alors f — dit Mlle Lebeau, d'une voix caressante , car elle
croyait qu'il revenait sur ses pas.
—,Mais je pense, Mademoiselle, que vous apprécierez l'importance de
mon motif, puisque je ne sors de chez vous que pour... me marier.
 celte parole, Mlle Lebeau changea de.visage; niais cette impression
ne fut qu'un éclair, et aussitôt la force de l'émotion fut contenue et com
primée par la force de la volonté.
— Ali!... vous vous mariez!... c'est différent C'est à merveille !
Monsieur, — dit-elle d'une voix légèrement entrecoupée.
Chevillard s'aperçut bien d'un peu d'agitation que sa confidence avait
produite, mais n'ayant rien en lui qui pût lui faire comprendre l'éner
gique résistance que certaines natures puissantes savent opposer à la
manifestation de leurs impressions extérieures, il jugea au peu de trou
ble de la surface que l'épiderme commerciale, si l'on ose le dire, avait
pénétré à Lucerne, le gouvernement de Berne, selon toutes les probabili"
tés, y fera aussi entrer incontinent les siennes, Tel est sans doute le bu 1
de la mise sur pied, décrétée par ce gouvernement lui-même, le 30 et le
31 mars, de six bataillons d'infanterie d'élite, de plusieurs compagnies de '
cavalerie et de carabiniers, et de quatre batteries d'artillerie. ,
Le chef-lieu même du directoire a pris depuis hier l'aspect d'une place
de guerre. On ne rencontre que troupes, canons, chars de munitions,etc.
Le conseil-d'état directorial vient d'adresser à tons les cantons confé
dérés, une circulaire destinée à expliquer et justifier les mesures militai
res dont il a cru devoir assumer sur lui 1s responsabilité. ; .
; Les mesures annoncées, par cette circulaire contre les corps-francs sont
subordonnées aux- décisions de la diète, car d'ici à ce qaè celle antorité
soit réunie, il est difficile dé croire que les troopes fédérales entreront
dans le canton.
: Les troupes mises sur piei forment un effectif d'à peu près 18,000
hommes, et se composent de deux divisions. M. le colonel-fédéral Gmiïr",
de Saint-Gall, commande celle de la Suisse orientale, et M. le colonel-
féiéral Zimmerli, de Berne, la division de la Suisse occidentale. Les cheft
de brigade sont les colonels-fédéraux Salis, Eglofî, Ziegler, Hauzèr et
Zelger. Tous ces choix ont été faits par le conseil-fédéral de la guerre.
Trois heures dv soir. — Le courrier de Lucerne Tient enfin d'arriver.
Il aVait été retardé parce que les bateaux à vapeur qui apportent les dé
pêches de l'Italie, avaient été employés exclusivement au passage" des
troupes des cantons primitifs, appelés en masse au secours du gouverne-
mont de Lucerne. Cette capitale était en conséquence remplie de milices
des cantons d'Uri et d'Unterwald. quand l'armée expéditionnaire est
arrivée sous les murs de Lucerne, après avoir eu plusieurs engage-
mens dans lesquels elle avait eu l'avaptage.
Elle n'était point découragée 4e la perspective d'avoir plus d'ennemis
à combattre qu'elle ne s'y attendait; il s'agissait pour elle de se rendre
maîtresse de quelques-unes des hauteurs qui dominent Lucerne et c'était
le but de ses efforts. Jusqu'à sept heures du matin aujourd'hui, aucune
sortie ne s'était effectuée de la ville même; maison a entendu, sans in
terruption et distinctement, le bruit de la canonnaee depuis tinq heures
du matin jasqu'à neuf heures, de l'Utliberg, montagne voisine de Zurich.
Alors, le vent ayant changé, on n'a plus rien entendu.
La Gazette fédérale, d'ici, feoille aristocratique, d'un cynisme inconnu
dans la presse opposée, annonçait hier qoe les corps-francs Avaient si-,
gnalé leur entrée par le meurtre , le pillage et l'incendie, et cela quoi
qu'il lni fût matériellement-impossible, vu la distance, de rien savoir de
ce qui se passait. Aujourd'hui, elle est- obligée de constater leur excel
lente conduite, la discipline et l'ordre qu'ils;ohseryent. Il est vrai qu'elle
triomphe de l'apparition des secours des petits cantons, et qu'elle espère
annoncer demain 1) déroute complète de l'armée insurrectionnelle; mais
son parti pourrait bien payer eher son triomphe acheté par l'appui de
quatre cantons. , .
Le premier des commissaires fédéraux désignés pour se rendre, à Lu
cerne -vient d'arriver; c'est M. le landammann NœFT, de Saint-Gall, hom
me personnellement fort libéral, comme il l'a prouvé dans tout le cours
des débats de la diète, maig qui représente un canton flottant. Son collè
gue, M. Violi, est un catholique du canton dès'Grisons, qui à plusieurs
fois été député à la diète et dont les opinions politiques sont encore moins
prononcées que celles de M. ISuifT. Le vorort a en soin d'écarter les hom
mes extrêmes. Reste à savoir si la diète confirmera ces choix.. Qnàut à
ceux des officiers supérieurs des troupes fédérales mises sur pied, le vo
rort a montré la- plus insigne partialité en faveur des conservateurs, ce
qui mécontentera beaucoup les milices appelées sous les drapeaux.
Le gouvernement qui, contrairement aux bruits répandus hier
dans Paris sur les nouvelles apportées par le télégraphe, avait fait-
annoncer l'occupation de Luceroe par les corps-francs, fait insé
rer ce soir ce peu de lignes dans les journaux ministériels :
« La nouvelle de l'entrée des corps-francs à Lucerne est dé
mentie. Un balletin officiel, publié par le gouvernement de Lu
cerne, en dïte du 1 er , annonce la déroute des corps-francs, qui
auraient laissé plus de 600 hommes sur le champ de bataille, aux
portes de Lucerne. »
La chambré des députés a voté aujourd'hui différens articles
du projet de loi sur les douanes. Un amendement proposé au tarif
des laines et un autre relatif à la préemption ont été repoussés.
M. Berryer, en rappe ant la prime allouée aux machines à vapeur
de fabrication française employées à, bord des navires français ser-
seule été attaquée, et dès lors, entrant résolument dans le détail de son
mariage :
— Oui, Mademoiselle, — reprit-il, —je trouve un parti fort conve
nable et très au-dessus de mes espérances, une jeune personne, douée
de tous les avantages extérieurs, et qui me met dans une position de
fortune
— Et c'est bientôt que ce mariage se fait? — interrompit sèchement
Mlle Lebeau, qui ne se crut pas le devoir de subir avec une patience à
toute épreuve le récit circonstancié que Chevillard paraissait disposé
à lui faire de sa bonne fortune.
— Mais dans une quinzaine environ.
— C'est bien ! — dit la jeune marchande d'un ton qu'elle s'étudiait à
rendre le plus indifférent possible, — je vais m'occuper immédiatement
de chercher "quelqu'un pour vous remplacer;... et même, comme il n'est
pas difficile.de se procurer un teneur ae livres, et que je puis, moi, pro
visoirement me charger de la caisse, vous- êtes libre dès ce moment si
cela vous convient.
Chevillard n'avait pss prévu ce dénoûment si leste et Cette approba
tion froide et silencieuse; il auraif de beaucoup préféré une âpre opposi
tion qui du moins lui eût permis de discourir de son mariage et de
croire ses services un peu regrettés. Ne pouvant donc consentir à se lais
ser pour ainsi dire enterrer sans cérémonie ;
— Pour un homme qui, d'après vous-même, n'a pas démérité , je
trouve, — dit-il, —Mademoiselle, que c'est me mettre hors de chez vous
avec bien de l'empressement I
— Je ne vous mets pas hors de chez moi et vous y resterez tout le
temps que vous voudrez; mais comme je sais qu'en pareil cas oh a tou
jours beaucoup d'affaires, je croyais vous être agréable en vous donnant
le plus tôt possible votre liberté.
— Vous pensez bien, Mademoiselle, que je ne prends pas votre mai
son pour un hôtel garni, et si je ne vous rends plus aucun service, je ne
consentirai certainement pas à y rester.
— Eh bien! Monsieur Chevillard, — répondit avec douceur la jeune
marchande, — si vous croyez pouvoir encore, sans trop vous déranger,
vous occuper un peu de mes affaires, je suis loin de m'y opposer; ainsi,
faites absolument comme vous l'entendrez;
— C'est singulier, — dit alors notre désappointé commis, qui voulait
à tout prix que les choses tournassent à l'explication; — je me figurais,
par l'intérêt dont vous m'avez souvent donné des preuves, que vous
prendriez une part plus vive à l'événement heureux dont je venais vous
parler.
— Ah! mon cher Monsieur, — reprit Mlle Lebeau,—c'est toujours
une grande question de savoir si un mariage est une bonne ou une
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