Titre : Le Constitutionnel : journal du commerce, politique et littéraire
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1845-03-28
Contributeur : Véron, Louis (1798-1867). Rédacteur
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32747578p
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 28 mars 1845 28 mars 1845
Description : 1845/03/28 (Numéro 87). 1845/03/28 (Numéro 87).
Description : Collection numérique : Grande collecte... Collection numérique : Grande collecte d'archives. Femmes au travail
Description : Collection numérique : La Grande Collecte Collection numérique : La Grande Collecte
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6670391
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
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VENDREDI 28 MARS 1843.
ÉDITION DE PARIS.
NUMERO 87.
PARIS,
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DIX FRANCS.
MA& DU COMMlfiGB. P(^$IÔ0B ET LITTERAIRE.
ON S'ABONNE A PARIS, RUE MOP _
■t, DAK» UH BiPARTKmWl, CHXX LB8 DIRKCTKOMD1U *0»tM,
i M,jà TOU1U LIS KBSSASWIH.
A Londres, ehet MM. Cowia et fit, Saint-Anna's Lam.
PARIS.
. un AIT40 nu
in «ois 20
«ois HOU 10
DÉPARTEMENS ET ÉTRANGER.
mf ait ......
SIX MOB....
IKOIS KOI»..
....... 48 nti -
34
.......13
ANNONCES. ,
1 frtno 80 oent. la petite ligna; —,3 francs la.ligne,4« réolam*«
TOBTR DWBKTIOH BOIT *TM AfiRttM.ÏjU» M SfaUST. ,
Iài lettre» non affranchie» teronirtgàvnutmtnt rtflaitt.*
avis.
Xe rapide sucecs une ïe CpSTKriITIOIÏJSEl a
obtenu, depuis un an, et le grand nombre d'nlton.
nés qu'il compte aujourd'hui, lui permettent de
.iaire de Jdouveaux sacrifiées pour propager les
opinions politiques dont il est l'organe. •
' Nous annoncerons très prochainement leâ j¥OH-
BREUSES ET OIPOUVAXTES IBÏWOirAMOIïS que
ME («ISTITlITIOmÉL compte réaliser dans le
courant du trimestre qui va commencer.
PABKS, «9 SURS.
" Après la question du traité bèlge, la loi des douanes soulevait
4a question du sésame, cette graine oléagineuse qui nous vient sur
tout d'Egypte, et au nom de laquelle les contes des Mille et Une
Nuitsmi fait depuis si long-temps une poétique célébrité.
Il s'agissait, comme nous l'avons vu, de déterminer le droit qui
serait frappé, à l'entrée de nos ports, sur les 100 kilog. de sésame
par navire français. On se rappelle que, dans l'état actuel des
choses, ce droit était de 2 fr. 50 c.
La commission chargée de l'examen du projet, trouvant le droit
. trop faible , l'avait porté à ij fr. 30 c. Le gouvernement, qui ad-
-hèreà toute chose , parce qu'il ne peut, rien vouloir , ni rien em-
- pêcher, avait accepté cette proposition , et devait l'appuyer devant
la chambre.
* Enfin, deux amendemens principaux étaient présentés : l'un de
M- Garnier Pagès, qui fixait le droit à 8 fr. ; l'autre de M. Dar
blay, quil'élevait à 10.
C'était entre ces quatre termes différens que la chambre devait
Îirononcer. Voici, quels intérêts de localité pouvaient -diviser
'assemblée. Les advesaires du sésame étaient les plus nombreux.
Au premier rang se distinguaient les départemens du Nord,
cultivateurs* de graines oléagineuses et fabricans d'huiles. Ceux
qui cultivent le colza et l'œillette voient avec déplaisir l'introduc
tion d'une graine étrangère qui fait baisser le prix de leurs pro-
' doits et par ,conséquent le revenu de leurs terres. Ceux qui fabri
quent l'huile extraite des graines provenant du pays même ou im-
Îiortées par la frontière-du Nord, redoutent la concurrence des hui-
es du Midi dont le sésame accroît la production et diminue le prix
de vente. Le Nord, alléguant donc que la graine égyptienne
rend beaucoup plus d'huile, sur cent kilog. que les graines indi
gènes, demandait qu'an droit élevé vînt compenser celte différence
et égaliser le prix de ces graines rivales.
. venaient ensuite tous les autres départemens où la terre est as
sez fertile et où les engrais sont assez abondans pour que le
«olza, l'œillette, etc., y soient cultivés avec quelque avantage.
L'Ouest a aussi ses huileries, ses savonneries, ennemies au même
titre, du sésame.
On voit que le nombre et la force étaient de ce côté.
Le Midi seul prenait parti pour le sésame, et encore en présence
du Nord fermement uni, lé Midi était divisé. Les oliviers avaient
des intérêts analogues à ceux du colza, et contraires, par consé
quent à ceux des fabriques de savon et d'huiles. < ,
L'agriculture penchait d'un côté, l'industrie de l'autre.; l'agri
culture voulait maintenir , l'avantage pour lès produits indigènes ;
l'industrie répondait que, si l'on repoussait par un droit excessif
la matière première, des usines s'établiraient bientôt en Egypte
même et dansles pays voisins, et que le ség|me, âinsi broyé dans
sa patrie, se présenterait biëntôt dans nos ports sous formé d'huile,
au détriment dë l'huile française ; de telle sorte que nos graines,"à
leur tour, souffriraient de cette concurrence industrielle et seraient
punies par où elles avaient péché. La navigation penchait aussi
pour l'abaissement du tarif, mais se consolait dans l'espérance
d'établir demain un droit différent'el qui donnera aux navires fran
çais une part plus grande que celle qu'ils ont obtenue jusqu'à ce
jour dans le transport de la graine objet de tant de controverse:
La question-était ainsi compliquée ; les esprits s'échauffaient
depuis deux jours ; les 1 orateurs discutaient la question avec talent
et avec véhémence ; la 'chambre était émue, comme aux grands
jours du combat des deux sucres, et bien plus profondément peut-
être que pour la plupart des questions exclusivement politiques.
Il était temps que le gouvernement intervînt.
Lorsque les intérêts locaux sont ainsi en rivalité et que la ba
lance paraît incertaine, il faut pour appoint le vote des députés dé
sintéressés ou n'ayant qu'un faible intérêt privé, afin que l'intérêt
général l'emporte. C'est le devoir du gouvernement de déterminer
ce mouvement par l'autorité de sa parole et l'entraînement de sa
résolution.
Le gouvernement qui avait jadis fixé îechiffre à2fr.50c., s'était
réuni au projet de la commission. Mais commelegouvernementest
si faible que son action est nulle sur la chambre, la crainte d'être bat
tus avec éclat s'empara encore une fois des ministres . Hier dans un
conseil, tenu à. cet effet, ils supputèrent les forces parlementaires des
adversaires du sésame et le sésame, fut. sacrifié. La majorité du
cabinet se prononça pour l'amendement Darblay. Cependant on
faisait ainsi une position impossible à M. Cunin-Gridainé, minis
tre de l'agriculture et du commerce et auteur du projet de loi.
Cette adhésion successive à des chiffres de plus en pltis élevés,
sans autres motifs que la volonté tantôt d'une commission, tantôt
d'une majorité probable, montrait clairement ou que le mi
nistère n'avait su ce qu'il faisait en rédigeant la loi, ou qu'il
était impuissant, non-seulement jusqu'à faire l'aveu de son im
puissance, mais jusqu'à sanctionner sa défaite par son propre
vote. M. Cunin-Gridàine ne put pas d'abord se résoudre à jouer
un pareil rôle, et. ii déposa son portefeuille, ce,qui lui arrive,
comme on sait, assez souvent. Mais ses collègues parvinrent à le
calmer, en lui conseillant de proposer une sorte de transaction et
d'obtenir de la chambre l'abandon de l'amendement Darblay et
l'adoption du chiffre inférieur proposé par M. Garniër-Pagès, de
venu sans s'en douter le dernier espoir du ministre du commerce:
C'était un piège, comme nous allons voir.
Aujourd'hui, au moment du vote, M. Berryer, unique et invo
lontaire orateur du gouvernement, comme M. Garnier-Pagèsen
était l'unique appui, a demandé si ; le projet ministérielitdont H
était par hasard le défenseur, ne trouverait pas quçlque.al^t.^
banc des ministres. »'•< :• **•-•; •••■-m,-, r . ■■>*: ,r!i ;Kn w..*
Alors M. Cunin-Gridaine, embarrassé et malheureux,-tristement à la tribune. L» question intéressait ie fisc ; elle inté^
ressait la navigation ; et cependant, ni M. Lacave-Laplagne, m _M.'
de Maçkau n'ont pris la parole. Quant à MM. Guizot et Duchafel,
dès hiérJtls recueillaient des voixeontresle-projet ^"OSàairti«wtt
commerce. Nous ne dirons pas par quel discours le ministre trou-»
blé a défendu le projet dë 'la cômmission,;au nom de t sa«wi-
viction particulière, et a proposé, en désespoir de cause, le chiffre
de M. Garnier-Pagès. ' :i •' . . . i : ! 'i
Le vote a eu lieu enfin au milieu d'une agitation extrême, et
l'amendement Darblay a été adopté.
Qu'ont fait cependant les ministres ?
M. Cunin-Gridaine a voté contre..
M. Martin (du Nord) a voté pour. . . •
M. Guizot et M. de Salvandy se sont abstenus. '- 1
M. Duchâtel a pris la fuite et a quitté Ja salle, soft que le pro
priétaire ait entraîné le ministre, soit que le ministre ait empêché
le propriétaire de voter. . .
Voilà quatre altitudes bien différentes prises par les membres
du cabinet. Où était cependant le gonvërneméât? A la tribune
avec le ministre du commerce? debout avec le ministre de la jus
tice? assis avec le ministre des affaires étrangères? absent avec le
miniêtre des financés? en fuite avec le ministre de l'intérieur ? ,
' Et dites à présent que le ministère est battu ! Nous répondrons
que cela est impossible: Le ministère n'est jamais évidemment ni
vainqueur, ni vaincu; il se dérobe, il disparaît ; il est insaisissable,
impalpable, invisible; il est nul, il.n ; existe pas. Mais yoiIà,1i>
-chambre bien dirigée, et la France bien gouvernée1 , r
; i S. | Q | ig" il '' ' 1 " ' ■ '
La chambre des pairs s'est encore occupée aujourd'hui de la
proposition de M. Daru sur les chemins de fer. Après nn discours
où M. Teste, rapporteur, s'est attaché à démontrer qu'il fallait
faire quelque chose, parce que ne rien faire serait donner un en
couragement à tous les abus, la chambre a prononcé la clôture de
la discussion ; mais âu înoment de voter, ; MM. les pairs ;n'était
plus en nombre. .
■ S» Q ligim . J . —
Le rapport remarquable présenté au conseil-d'état par M. Vi
vien, vice-président du comité de législation., dans l'appel comme
d'abus dirigé contre le mandement ae.M. deBonald , sera publié
démain dans ie Moniteur. Ce rapport contient d'abord l'analyse'
fidèle et développée du mandement déféré au conseil. Le rappor
teur démontre par de nombreuses citations que le mandement, se-
Ion les termes employés par M. le garde-des-sceaux :
« Contient la critique et la censure des anciennes libertés de l'église
gallicane, de la déclaration de 1682, devenue loi de l'état, des articles or
ganiques publiés avec le concordat de 1801 et du décret da '28 février
1810, et l'atteinte la plus formelle àu droit appartenant au roi en son
conseil d'état de connaître des abus commis par les supérieurs et autres
personnes ecclésiastiques.
IPPUOTO» Bïï COlîSTXTDTlOIffHXX. DU 28 MAHS 1845.
avis.
Après le rortian L'ALLÉE DES VEUVES, par M. Charles Rabou,
le Constitutionnel reprendra, dans le courant d'avril, la publication du
JUIF ERRANT, dont les trois derniers volumes paraîtront dans un
court espace de temps.
LE JUIF ERRANT publié, nousdonnerons un roman deSI. ALEXAiV-
.DRE DUMAS en plusieurs volumes. M. Alexandre Dumas, devenu li-
" bre par le décès de M. Dnjarier, avec qui il avait traité de l'exploitation
: de tous ses ouvrages, vient de signer avec le Constitutionnel, un traité
•- qui assure sa collaboration exclusive au Constitutionnel ainsi qu'au jour
nal la Presse; pendant plusieurs années.
Après le roman de M. Alexandre Dumas, et avant la fin-de l'an-
' née 1845, nous commencerons la publication des SEPT PÉCHÉS
CAPITAUX, par M. EUGÈNE SUE.
- En outre de toutes ces grandes publications, le Constitutionnel con
tinuera de donner en feuilletons des articles sur les théâtres, par M. H.
Rolle ; une Chronique de Paris, par M. Charle de Boigne, et plusieurs
nouvelles plus ou moins étendues, signées de noms connus par les plus
nombreux succès en littérature.
Le. feuilleton du Constitutionnel ne sera donc plus consacré qu'aux
Théâtres, à la Chronique de Paris, aux Nouvelles et aux Romans.
La Chronique du Palais, la Revue scientifique, les articles sur les
■ Beaux-Arts seront désormais classés dans une autre partie du journal,
. ainsi que nous l'indiquerons en faisant connaître les nombreuses in~
. novattons qui seront réalisées dans le courant du trimestre qui va com
mencer.
l'allée des veuves
(i)
PREMIERE PARTIE.
CHAPITRE X".
Au moment où éclata la révolution de 89, le sieur Joseph Lebeau te
nait à Paris, de père en fils, l'une des plus fortes maisons de rubane-
rie qui fût alors dans le quartier Saint-Denis.
. Sans être très chaud partisan des idées nouvelles, il s'était assez vite
convaincu de leur triomphe inévitable, et considérant, surtout au point
de vue commercial, le mouvement politique dont ii entrevoyait toute la
(1) Toute reproduction, même partielle, de ce feuilleton, est interdite.
Voir no? numéros des 2B et 27 mars,
portée, il s'était d'abord demandé quel parti il y avait à tirer pour son
négoce, de ce grand bouleversement de tout le passé.
Un hommé aussi attentif à la marche des choses et aussi préoccupé de
la prospérité de ses affaires ne pouvait pas facilement être pris au dé-,
pourvu. Lors donc que furent arborées les premières cocardes vertes,
comme signe de ralliement révolutionnaire, il se trouva immédiatement
en mesure d'en jeter sur la place une partie considérable, et il l'écoulà
avec cette rapidité de débit, dont un commerçant est d'avance assuré
quand l'article qu'il vend, a le bonheur de satisfaire à un besoin et mieux
encore, à une passion du moment.
Mais la cocarde verte ne fit que passer et céda presqu'aussitôt la place
aux trois couleurs qu'attendait une fortune bien autrement solide et bien
autrement glorieuse. Toutes les mesures de Joseph Lebeau étaient prises
pour opérer dans le sens de cette grande manifestation nationale, et
pour en défrayer avec un rare à -propos toutes les nécessités, voire même
toutes les fantaisies.
Ainsi, après qu'il eut amplement pourvu à la décoration civique d'un
nombre immense de coiffures, personne ne se trouva comme lui, assorti
en écharpes et rubans à gros grains, pour ceintures et insignes d'auto
rités constituées; puis, lorsqu'enfin, descendant du domaine de la politi
que dans celui de la mode, 1 e tricolor envahit les ajustemens de femmes,
par, une variété et une élégance sans pareilles, du dessin, du tissu, du
broché, du reflet et de la nuance, l'habile et industrieux metteur en œu
vre parvint à lui prêter des aspects d'une fraîcheur et d'une séduction
infinies.
Tant d'activité et d'intelligence commerciales devaient avoir leur ré
compense, et dans une catastrophe qui fut fatale à bien des industries et
à bien des fortunes, bien avant la fin de l'Assemblée constituante; Joseph
Lebeau avait réalisé d'assez importans bénéfices. Du reste, il ne fut pas
ingrat envers les nobles couleurs qni avaient ainsi porté bonheur à sa
maison; car, la plaçant sous leur invocation spéciale, à son ancienne et
insignifiante enseigne du Ruban moiré, il s'empressa de substituer l'en
seigne du prisme tricolor , dénomination sous laquelle son établisse
ment demeura connu depuis.
Toutefois, durant les jours désastreux de la Terreur, Joseph Lebeau ,
comme la plupart des commerçans ses confrères, eut beaucoup à souf
frir de la stagnation des affaires , et son ingénieux instinct de.spécula-
tion s'évertua vainement à découvrir dans l'entourage des circonstan
ces, quelque occasion utile de s'exercer.
A l'époque du Directoire, le luxe, commençant à reparaître, rendit à
sa maison un peu d'activité ; mais ses espérances furent surtout relevées
par la loi du 29 floréal an X ( 19 mai 1802 ) , qui créa la Légion-d'Hon-
neur (I ). ,
Sous cette institution, d'abord purement civique, notre clairvoyant
industriel éut bientôt flairé un bel et bon ordre de chevalerie, dont
on jetait à petit bruit les fonda meus , et il calculait déjà un magni
(1) Nous disons la. Légion-d'Honneur, et non l'ordre de la légion-
d'Honneur, parce qne la Légion-d'Honncur, créée sous )■> Consulat, lie
fut pas d'abord on ordre, à .proprement parler. Aucun insigne n'était
affecté à ses membres qui juraient de s'opposer à tout rétablissement du
régime féodal, et à toate reproduction des titres qui en étaient l'attri
but. En juillet 1804, Napoléon devenu empereur, créa la décoration, et
en 1808, le titre de chevalier.
fique coup de commerce qu'il y aurait à faire sur son ruban,; dès que l
couleur en aurait été décrétée. Malheuréusement il -ne lui fut pas donné
d'atteindre jusqu'à l'ère impériale qui devait lui procurer la réalisation
de ce beau rêve. Dans le courant du mois de juillet 4 802, Joseph Lebeau
fut atteint d'une fièvre maligne et putride'qui, en l'espace de quelques
jours, le conduisit au tombeau.
Aussitôt que la nouvelle de cette fin prématurée fut portée à la con
naissance du quartier Saint-Denis, dans toute la circonscription de ce
quartier et lé jour de l'enterrement surtout, parmi les nombreux négo-
cians qu'avait réunis cette triste, cérémonie, il n'y eut qu'une voix pour
célébrer la probité et la haute capacité commerciale de celui que l'on
venait de perdre. Seulement une triste conclusion couronnait cette belle
oraison funèbre : d'un commun accord, l'on reconnaissait, qu'une fois
le défunt mort, la maison élevée par ses talens à un aussi haut degré de
prospérité, était ce que l'on pouvait appeler une maison perdue.
« En effet, remarquaient quelques fins observateurs, déjà depuis le
décès de Mme Lebeau, femme très entendue, enlevée à son mari et à
son commerce quelques années avant, les choses ne marchaient plus
comme de son vivant. Maintenant, Lebeau parti pour aller la rejoindre,
que restait-il pour le remplacer?"Une fille de vingt ans à peine qui n'a
vait ni expérience ni idée du négoce, et qui, bien certainement, ne s'y
formerait pas.
» Car enfin, continuaient les discoureurs, il n'est pas absolument sans
exemple que de jeunes personnes se soient tirées à leur honneur de la
conduite de maisons assez importantes. Mais c'estqu'aussi, il y a femme
et femme ; c'est que les exceptions à citer, avaient été,- comme on dit,
élevées au commerce ; c'est qu'avant de mettre la main à la pâte, elles se
doutaient un peu de ce que c'est que des écritures, une clientelle, une
échéance, que les affaires enfin.
a En pouvait-on dire autant du la jeune Annette Lebeau, que son
père, avec les singulières idées qu'il avait sur elle, avait fait élever com
me une princesse? Ne paraissant jamais au magasin, mise toujours avec
la dernière recherche, avait-elle de sa vie remué seulement un carton,
et, en fait de rubans, connaissait-elle autre chose que ceux qu'elle
portait en ceinture ou dans ses cheveux? »
Tous ces faits, à les bien contrôler, étaient de la plus rigoureuse exac
titude, et quelques amis de la famille se hasardèrent seulement à faire
entendre que Mlle Lebeau était une personne fort distinguée et d'un
jugement très droit. — Eh bien! oui; leur répondait-on, — de l'esprit,
de la conversation, Cela peut- être ; mais ce n'est pas avec de l'esprit
que l'on fait les affaires; c'est avec da gros bon sens, de l'activité, des
qualités solides; — et ceux qui parlaient ainsi, ne trouvant autour d'eux
qu'assentiment et approbation, mieux que jamais ils en revenaient à
dire qu'il n'y avait pas d'illusion à se faire, et que, par la mort de son
chef, la maison du Prisme tricolor venait de recevoir un coup ter
rible, dont bien certainement elle ne se relèverait pas.
Il arriva pourtant que tous ces tireurs d'horoscopes ne se trouvèrent
pas avoir prédit si juste qu'ils se Je figuraient.
Soit qu'en la personne de Mlle Lebeau se justifiât cette consolante re
marque, que l'intelligence est un instrument plein de ressources qu'une
yolonté énergique peut indistinctement appliquer à tous les usages ; soit
encore, qu'ayant eu vent des préventions peu bienveillantes dont elle
était l'objet, la jeune fille si sévèrement jugée eût trouvé dans une
vive réaction de son amour-propre, la force nécessaire pour soulever la
l ■ ■
s '
VENDREDI 28 MARS 1843.
ÉDITION DE PARIS.
NUMERO 87.
PARIS,
iVBxaacf*
DIX FRANCS.
MA& DU COMMlfiGB. P(^$IÔ0B ET LITTERAIRE.
ON S'ABONNE A PARIS, RUE MOP _
■t, DAK» UH BiPARTKmWl, CHXX LB8 DIRKCTKOMD1U *0»tM,
i M,jà TOU1U LIS KBSSASWIH.
A Londres, ehet MM. Cowia et fit, Saint-Anna's Lam.
PARIS.
. un AIT40 nu
in «ois 20
«ois HOU 10
DÉPARTEMENS ET ÉTRANGER.
mf ait ......
SIX MOB....
IKOIS KOI»..
....... 48 nti -
34
.......13
ANNONCES. ,
1 frtno 80 oent. la petite ligna; —,3 francs la.ligne,4« réolam*«
TOBTR DWBKTIOH BOIT *TM AfiRttM.ÏjU» M SfaUST. ,
Iài lettre» non affranchie» teronirtgàvnutmtnt rtflaitt.*
avis.
Xe rapide sucecs une ïe CpSTKriITIOIÏJSEl a
obtenu, depuis un an, et le grand nombre d'nlton.
nés qu'il compte aujourd'hui, lui permettent de
.iaire de Jdouveaux sacrifiées pour propager les
opinions politiques dont il est l'organe. •
' Nous annoncerons très prochainement leâ j¥OH-
BREUSES ET OIPOUVAXTES IBÏWOirAMOIïS que
ME («ISTITlITIOmÉL compte réaliser dans le
courant du trimestre qui va commencer.
PABKS, «9 SURS.
" Après la question du traité bèlge, la loi des douanes soulevait
4a question du sésame, cette graine oléagineuse qui nous vient sur
tout d'Egypte, et au nom de laquelle les contes des Mille et Une
Nuitsmi fait depuis si long-temps une poétique célébrité.
Il s'agissait, comme nous l'avons vu, de déterminer le droit qui
serait frappé, à l'entrée de nos ports, sur les 100 kilog. de sésame
par navire français. On se rappelle que, dans l'état actuel des
choses, ce droit était de 2 fr. 50 c.
La commission chargée de l'examen du projet, trouvant le droit
. trop faible , l'avait porté à ij fr. 30 c. Le gouvernement, qui ad-
-hèreà toute chose , parce qu'il ne peut, rien vouloir , ni rien em-
- pêcher, avait accepté cette proposition , et devait l'appuyer devant
la chambre.
* Enfin, deux amendemens principaux étaient présentés : l'un de
M- Garnier Pagès, qui fixait le droit à 8 fr. ; l'autre de M. Dar
blay, quil'élevait à 10.
C'était entre ces quatre termes différens que la chambre devait
Îirononcer. Voici, quels intérêts de localité pouvaient -diviser
'assemblée. Les advesaires du sésame étaient les plus nombreux.
Au premier rang se distinguaient les départemens du Nord,
cultivateurs* de graines oléagineuses et fabricans d'huiles. Ceux
qui cultivent le colza et l'œillette voient avec déplaisir l'introduc
tion d'une graine étrangère qui fait baisser le prix de leurs pro-
' doits et par ,conséquent le revenu de leurs terres. Ceux qui fabri
quent l'huile extraite des graines provenant du pays même ou im-
Îiortées par la frontière-du Nord, redoutent la concurrence des hui-
es du Midi dont le sésame accroît la production et diminue le prix
de vente. Le Nord, alléguant donc que la graine égyptienne
rend beaucoup plus d'huile, sur cent kilog. que les graines indi
gènes, demandait qu'an droit élevé vînt compenser celte différence
et égaliser le prix de ces graines rivales.
. venaient ensuite tous les autres départemens où la terre est as
sez fertile et où les engrais sont assez abondans pour que le
«olza, l'œillette, etc., y soient cultivés avec quelque avantage.
L'Ouest a aussi ses huileries, ses savonneries, ennemies au même
titre, du sésame.
On voit que le nombre et la force étaient de ce côté.
Le Midi seul prenait parti pour le sésame, et encore en présence
du Nord fermement uni, lé Midi était divisé. Les oliviers avaient
des intérêts analogues à ceux du colza, et contraires, par consé
quent à ceux des fabriques de savon et d'huiles. < ,
L'agriculture penchait d'un côté, l'industrie de l'autre.; l'agri
culture voulait maintenir , l'avantage pour lès produits indigènes ;
l'industrie répondait que, si l'on repoussait par un droit excessif
la matière première, des usines s'établiraient bientôt en Egypte
même et dansles pays voisins, et que le ség|me, âinsi broyé dans
sa patrie, se présenterait biëntôt dans nos ports sous formé d'huile,
au détriment dë l'huile française ; de telle sorte que nos graines,"à
leur tour, souffriraient de cette concurrence industrielle et seraient
punies par où elles avaient péché. La navigation penchait aussi
pour l'abaissement du tarif, mais se consolait dans l'espérance
d'établir demain un droit différent'el qui donnera aux navires fran
çais une part plus grande que celle qu'ils ont obtenue jusqu'à ce
jour dans le transport de la graine objet de tant de controverse:
La question-était ainsi compliquée ; les esprits s'échauffaient
depuis deux jours ; les 1 orateurs discutaient la question avec talent
et avec véhémence ; la 'chambre était émue, comme aux grands
jours du combat des deux sucres, et bien plus profondément peut-
être que pour la plupart des questions exclusivement politiques.
Il était temps que le gouvernement intervînt.
Lorsque les intérêts locaux sont ainsi en rivalité et que la ba
lance paraît incertaine, il faut pour appoint le vote des députés dé
sintéressés ou n'ayant qu'un faible intérêt privé, afin que l'intérêt
général l'emporte. C'est le devoir du gouvernement de déterminer
ce mouvement par l'autorité de sa parole et l'entraînement de sa
résolution.
Le gouvernement qui avait jadis fixé îechiffre à2fr.50c., s'était
réuni au projet de la commission. Mais commelegouvernementest
si faible que son action est nulle sur la chambre, la crainte d'être bat
tus avec éclat s'empara encore une fois des ministres . Hier dans un
conseil, tenu à. cet effet, ils supputèrent les forces parlementaires des
adversaires du sésame et le sésame, fut. sacrifié. La majorité du
cabinet se prononça pour l'amendement Darblay. Cependant on
faisait ainsi une position impossible à M. Cunin-Gridainé, minis
tre de l'agriculture et du commerce et auteur du projet de loi.
Cette adhésion successive à des chiffres de plus en pltis élevés,
sans autres motifs que la volonté tantôt d'une commission, tantôt
d'une majorité probable, montrait clairement ou que le mi
nistère n'avait su ce qu'il faisait en rédigeant la loi, ou qu'il
était impuissant, non-seulement jusqu'à faire l'aveu de son im
puissance, mais jusqu'à sanctionner sa défaite par son propre
vote. M. Cunin-Gridàine ne put pas d'abord se résoudre à jouer
un pareil rôle, et. ii déposa son portefeuille, ce,qui lui arrive,
comme on sait, assez souvent. Mais ses collègues parvinrent à le
calmer, en lui conseillant de proposer une sorte de transaction et
d'obtenir de la chambre l'abandon de l'amendement Darblay et
l'adoption du chiffre inférieur proposé par M. Garniër-Pagès, de
venu sans s'en douter le dernier espoir du ministre du commerce:
C'était un piège, comme nous allons voir.
Aujourd'hui, au moment du vote, M. Berryer, unique et invo
lontaire orateur du gouvernement, comme M. Garnier-Pagèsen
était l'unique appui, a demandé si ; le projet ministérielitdont H
était par hasard le défenseur, ne trouverait pas quçlque.al^t.^
banc des ministres. »'•< :• **•-•; •••■-m,-, r . ■■>*: ,r!i ;Kn w..*
Alors M. Cunin-Gridaine, embarrassé et malheureux,-
ressait la navigation ; et cependant, ni M. Lacave-Laplagne, m _M.'
de Maçkau n'ont pris la parole. Quant à MM. Guizot et Duchafel,
dès hiérJtls recueillaient des voixeontresle-projet ^"OSàairti«wtt
commerce. Nous ne dirons pas par quel discours le ministre trou-»
blé a défendu le projet dë 'la cômmission,;au nom de t sa«wi-
viction particulière, et a proposé, en désespoir de cause, le chiffre
de M. Garnier-Pagès. ' :i •' . . . i : ! 'i
Le vote a eu lieu enfin au milieu d'une agitation extrême, et
l'amendement Darblay a été adopté.
Qu'ont fait cependant les ministres ?
M. Cunin-Gridaine a voté contre..
M. Martin (du Nord) a voté pour. . . •
M. Guizot et M. de Salvandy se sont abstenus. '- 1
M. Duchâtel a pris la fuite et a quitté Ja salle, soft que le pro
priétaire ait entraîné le ministre, soit que le ministre ait empêché
le propriétaire de voter. . .
Voilà quatre altitudes bien différentes prises par les membres
du cabinet. Où était cependant le gonvërneméât? A la tribune
avec le ministre du commerce? debout avec le ministre de la jus
tice? assis avec le ministre des affaires étrangères? absent avec le
miniêtre des financés? en fuite avec le ministre de l'intérieur ? ,
' Et dites à présent que le ministère est battu ! Nous répondrons
que cela est impossible: Le ministère n'est jamais évidemment ni
vainqueur, ni vaincu; il se dérobe, il disparaît ; il est insaisissable,
impalpable, invisible; il est nul, il.n ; existe pas. Mais yoiIà,1i>
-chambre bien dirigée, et la France bien gouvernée1 , r
; i S. | Q | ig" il '' ' 1 " ' ■ '
La chambre des pairs s'est encore occupée aujourd'hui de la
proposition de M. Daru sur les chemins de fer. Après nn discours
où M. Teste, rapporteur, s'est attaché à démontrer qu'il fallait
faire quelque chose, parce que ne rien faire serait donner un en
couragement à tous les abus, la chambre a prononcé la clôture de
la discussion ; mais âu înoment de voter, ; MM. les pairs ;n'était
plus en nombre. .
■ S» Q ligim . J . —
Le rapport remarquable présenté au conseil-d'état par M. Vi
vien, vice-président du comité de législation., dans l'appel comme
d'abus dirigé contre le mandement ae.M. deBonald , sera publié
démain dans ie Moniteur. Ce rapport contient d'abord l'analyse'
fidèle et développée du mandement déféré au conseil. Le rappor
teur démontre par de nombreuses citations que le mandement, se-
Ion les termes employés par M. le garde-des-sceaux :
« Contient la critique et la censure des anciennes libertés de l'église
gallicane, de la déclaration de 1682, devenue loi de l'état, des articles or
ganiques publiés avec le concordat de 1801 et du décret da '28 février
1810, et l'atteinte la plus formelle àu droit appartenant au roi en son
conseil d'état de connaître des abus commis par les supérieurs et autres
personnes ecclésiastiques.
IPPUOTO» Bïï COlîSTXTDTlOIffHXX. DU 28 MAHS 1845.
avis.
Après le rortian L'ALLÉE DES VEUVES, par M. Charles Rabou,
le Constitutionnel reprendra, dans le courant d'avril, la publication du
JUIF ERRANT, dont les trois derniers volumes paraîtront dans un
court espace de temps.
LE JUIF ERRANT publié, nousdonnerons un roman deSI. ALEXAiV-
.DRE DUMAS en plusieurs volumes. M. Alexandre Dumas, devenu li-
" bre par le décès de M. Dnjarier, avec qui il avait traité de l'exploitation
: de tous ses ouvrages, vient de signer avec le Constitutionnel, un traité
•- qui assure sa collaboration exclusive au Constitutionnel ainsi qu'au jour
nal la Presse; pendant plusieurs années.
Après le roman de M. Alexandre Dumas, et avant la fin-de l'an-
' née 1845, nous commencerons la publication des SEPT PÉCHÉS
CAPITAUX, par M. EUGÈNE SUE.
- En outre de toutes ces grandes publications, le Constitutionnel con
tinuera de donner en feuilletons des articles sur les théâtres, par M. H.
Rolle ; une Chronique de Paris, par M. Charle de Boigne, et plusieurs
nouvelles plus ou moins étendues, signées de noms connus par les plus
nombreux succès en littérature.
Le. feuilleton du Constitutionnel ne sera donc plus consacré qu'aux
Théâtres, à la Chronique de Paris, aux Nouvelles et aux Romans.
La Chronique du Palais, la Revue scientifique, les articles sur les
■ Beaux-Arts seront désormais classés dans une autre partie du journal,
. ainsi que nous l'indiquerons en faisant connaître les nombreuses in~
. novattons qui seront réalisées dans le courant du trimestre qui va com
mencer.
l'allée des veuves
(i)
PREMIERE PARTIE.
CHAPITRE X".
Au moment où éclata la révolution de 89, le sieur Joseph Lebeau te
nait à Paris, de père en fils, l'une des plus fortes maisons de rubane-
rie qui fût alors dans le quartier Saint-Denis.
. Sans être très chaud partisan des idées nouvelles, il s'était assez vite
convaincu de leur triomphe inévitable, et considérant, surtout au point
de vue commercial, le mouvement politique dont ii entrevoyait toute la
(1) Toute reproduction, même partielle, de ce feuilleton, est interdite.
Voir no? numéros des 2B et 27 mars,
portée, il s'était d'abord demandé quel parti il y avait à tirer pour son
négoce, de ce grand bouleversement de tout le passé.
Un hommé aussi attentif à la marche des choses et aussi préoccupé de
la prospérité de ses affaires ne pouvait pas facilement être pris au dé-,
pourvu. Lors donc que furent arborées les premières cocardes vertes,
comme signe de ralliement révolutionnaire, il se trouva immédiatement
en mesure d'en jeter sur la place une partie considérable, et il l'écoulà
avec cette rapidité de débit, dont un commerçant est d'avance assuré
quand l'article qu'il vend, a le bonheur de satisfaire à un besoin et mieux
encore, à une passion du moment.
Mais la cocarde verte ne fit que passer et céda presqu'aussitôt la place
aux trois couleurs qu'attendait une fortune bien autrement solide et bien
autrement glorieuse. Toutes les mesures de Joseph Lebeau étaient prises
pour opérer dans le sens de cette grande manifestation nationale, et
pour en défrayer avec un rare à -propos toutes les nécessités, voire même
toutes les fantaisies.
Ainsi, après qu'il eut amplement pourvu à la décoration civique d'un
nombre immense de coiffures, personne ne se trouva comme lui, assorti
en écharpes et rubans à gros grains, pour ceintures et insignes d'auto
rités constituées; puis, lorsqu'enfin, descendant du domaine de la politi
que dans celui de la mode, 1 e tricolor envahit les ajustemens de femmes,
par, une variété et une élégance sans pareilles, du dessin, du tissu, du
broché, du reflet et de la nuance, l'habile et industrieux metteur en œu
vre parvint à lui prêter des aspects d'une fraîcheur et d'une séduction
infinies.
Tant d'activité et d'intelligence commerciales devaient avoir leur ré
compense, et dans une catastrophe qui fut fatale à bien des industries et
à bien des fortunes, bien avant la fin de l'Assemblée constituante; Joseph
Lebeau avait réalisé d'assez importans bénéfices. Du reste, il ne fut pas
ingrat envers les nobles couleurs qni avaient ainsi porté bonheur à sa
maison; car, la plaçant sous leur invocation spéciale, à son ancienne et
insignifiante enseigne du Ruban moiré, il s'empressa de substituer l'en
seigne du prisme tricolor , dénomination sous laquelle son établisse
ment demeura connu depuis.
Toutefois, durant les jours désastreux de la Terreur, Joseph Lebeau ,
comme la plupart des commerçans ses confrères, eut beaucoup à souf
frir de la stagnation des affaires , et son ingénieux instinct de.spécula-
tion s'évertua vainement à découvrir dans l'entourage des circonstan
ces, quelque occasion utile de s'exercer.
A l'époque du Directoire, le luxe, commençant à reparaître, rendit à
sa maison un peu d'activité ; mais ses espérances furent surtout relevées
par la loi du 29 floréal an X ( 19 mai 1802 ) , qui créa la Légion-d'Hon-
neur (I ). ,
Sous cette institution, d'abord purement civique, notre clairvoyant
industriel éut bientôt flairé un bel et bon ordre de chevalerie, dont
on jetait à petit bruit les fonda meus , et il calculait déjà un magni
(1) Nous disons la. Légion-d'Honneur, et non l'ordre de la légion-
d'Honneur, parce qne la Légion-d'Honncur, créée sous )■> Consulat, lie
fut pas d'abord on ordre, à .proprement parler. Aucun insigne n'était
affecté à ses membres qui juraient de s'opposer à tout rétablissement du
régime féodal, et à toate reproduction des titres qui en étaient l'attri
but. En juillet 1804, Napoléon devenu empereur, créa la décoration, et
en 1808, le titre de chevalier.
fique coup de commerce qu'il y aurait à faire sur son ruban,; dès que l
couleur en aurait été décrétée. Malheuréusement il -ne lui fut pas donné
d'atteindre jusqu'à l'ère impériale qui devait lui procurer la réalisation
de ce beau rêve. Dans le courant du mois de juillet 4 802, Joseph Lebeau
fut atteint d'une fièvre maligne et putride'qui, en l'espace de quelques
jours, le conduisit au tombeau.
Aussitôt que la nouvelle de cette fin prématurée fut portée à la con
naissance du quartier Saint-Denis, dans toute la circonscription de ce
quartier et lé jour de l'enterrement surtout, parmi les nombreux négo-
cians qu'avait réunis cette triste, cérémonie, il n'y eut qu'une voix pour
célébrer la probité et la haute capacité commerciale de celui que l'on
venait de perdre. Seulement une triste conclusion couronnait cette belle
oraison funèbre : d'un commun accord, l'on reconnaissait, qu'une fois
le défunt mort, la maison élevée par ses talens à un aussi haut degré de
prospérité, était ce que l'on pouvait appeler une maison perdue.
« En effet, remarquaient quelques fins observateurs, déjà depuis le
décès de Mme Lebeau, femme très entendue, enlevée à son mari et à
son commerce quelques années avant, les choses ne marchaient plus
comme de son vivant. Maintenant, Lebeau parti pour aller la rejoindre,
que restait-il pour le remplacer?"Une fille de vingt ans à peine qui n'a
vait ni expérience ni idée du négoce, et qui, bien certainement, ne s'y
formerait pas.
» Car enfin, continuaient les discoureurs, il n'est pas absolument sans
exemple que de jeunes personnes se soient tirées à leur honneur de la
conduite de maisons assez importantes. Mais c'estqu'aussi, il y a femme
et femme ; c'est que les exceptions à citer, avaient été,- comme on dit,
élevées au commerce ; c'est qu'avant de mettre la main à la pâte, elles se
doutaient un peu de ce que c'est que des écritures, une clientelle, une
échéance, que les affaires enfin.
a En pouvait-on dire autant du la jeune Annette Lebeau, que son
père, avec les singulières idées qu'il avait sur elle, avait fait élever com
me une princesse? Ne paraissant jamais au magasin, mise toujours avec
la dernière recherche, avait-elle de sa vie remué seulement un carton,
et, en fait de rubans, connaissait-elle autre chose que ceux qu'elle
portait en ceinture ou dans ses cheveux? »
Tous ces faits, à les bien contrôler, étaient de la plus rigoureuse exac
titude, et quelques amis de la famille se hasardèrent seulement à faire
entendre que Mlle Lebeau était une personne fort distinguée et d'un
jugement très droit. — Eh bien! oui; leur répondait-on, — de l'esprit,
de la conversation, Cela peut- être ; mais ce n'est pas avec de l'esprit
que l'on fait les affaires; c'est avec da gros bon sens, de l'activité, des
qualités solides; — et ceux qui parlaient ainsi, ne trouvant autour d'eux
qu'assentiment et approbation, mieux que jamais ils en revenaient à
dire qu'il n'y avait pas d'illusion à se faire, et que, par la mort de son
chef, la maison du Prisme tricolor venait de recevoir un coup ter
rible, dont bien certainement elle ne se relèverait pas.
Il arriva pourtant que tous ces tireurs d'horoscopes ne se trouvèrent
pas avoir prédit si juste qu'ils se Je figuraient.
Soit qu'en la personne de Mlle Lebeau se justifiât cette consolante re
marque, que l'intelligence est un instrument plein de ressources qu'une
yolonté énergique peut indistinctement appliquer à tous les usages ; soit
encore, qu'ayant eu vent des préventions peu bienveillantes dont elle
était l'objet, la jeune fille si sévèrement jugée eût trouvé dans une
vive réaction de son amour-propre, la force nécessaire pour soulever la
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