Titre : Les Annales coloniales : organe de la "France coloniale moderne" / directeur : Marcel Ruedel
Auteur : France coloniale moderne. Auteur du texte
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Éditeur : [s.n.][s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1910-09-01
Contributeur : Ruedel, Marcel. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32693410p
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 01 septembre 1910 01 septembre 1910
Description : 1910/09/01 (A11,N35). 1910/09/01 (A11,N35).
Description : Collection numérique : Bibliothèque Francophone... Collection numérique : Bibliothèque Francophone Numérique
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Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6541057m
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LC12-252
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/09/2013
ONZIÈME ANNÉE N° 35
LE NUMERO : 25 centimes
1" SEPTEMBRE 1910
Les Annales Coloniales
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Le retour de M. Foureau à la Martinique
par J. IvANis, ex-Conseiller général
A Tahiti, par J. AYTET.
La marche de la Pacification à la Côte d'Ivoire
par Henri COSISIEfi, Député de l'Indre.
A Madagascar, par J. LEMAIRE.
Conte Sénégalais. La Belle au Bois Dormant
par Marcel GUlDlmT.
L'Invasion Syrienne en Guinée
Par G. TERNAUX.
Les Fonctionnaires Coloniaux à Vichy.
La Réforme des Poids et Mesures en Indo-Chine.
Ce qui se passe aux Colonies et ailleurs
Informations économiques
Compagnie de l'Ekela-Kadei-Sangha
Mouvement Administratif
Le retour de M. Foureau
A LA MARTINIQUE
Tel un triomphateur de l'ancienne
Rome au milieu d'un grand concours
- de feuillages et de pavois, M. le Gou-
verneur Foureau débarqua le 16 août
1910. Ses amis politiques, ceux qui
espèrent par les guirlandes de fleurs
qu'ils lui ont prodiguées l'enchaîner à
leur politique de représailles,lui avaient
préparé, comme char triomphal, le lan-
dau officiel décoré de fleurs. M. le Gou-
verneur n'eut pas le lact, la réception
terminée, de dégarnir des guirlandes de
feuillages les roues et la capote de ce
char nouveau et il s'en fut, dans la soi-
rée à bord du courrier, comme pour
donner l'impression aux passagers, à
l'équipage, à tous témoins possibles,
que son retour à la Martinique était
accueilli par la population comme l'évé-
nement le plus heureux. Tout de même
il faut savoir gré à M. le Gouverneur
de n'avoir point, derrière son char, traî.
né, poings liés, la théorie des vain-
cus. Serait-ce que le long séjour à Pa-
ris de M. Foureau lui aurait inspiré une
conception coloniale plus exacte ? Les
longues méditations qu'il a eu le loisir
de faire l'ont-elles persuadé de la né-
cessité d'arrondir désormais les angles
de sa politique, de s'élever au-dessus
des coalitions de partis, des compétitions
de personnes, pour n'envisager que
l'intérêt supérieur du pays ?
Nous le souhaitons ardemment pour
le bien de notre colonie, trop souvent
éprouvée par le déchaînement des élé-
ments pour que la passion politique
continue d'y ajouter ses violences et
ses haines. Il est temps en effet que
l'on se rende compte que pour le triom-
phe de quelques arrivistes, il n'y a pas
à ruiner un pays plein de ressources et
de vitalité, ne demandant qu'à prospé-
rer par l'union et la concorde de tous
ses habitants.
Est-ce à la tête de la Martinique du
travail ou à la tête de la Martinique des
passions politiques que revient M. Fou-
reau ? Mystère ! Jusqu'ici nous ne pou-
vons répondre à ce point d'interroga-
tion, qui restera posé encore quelques
jours, jusqu'à ce que le gouverneur
fasse un geste, prononce une parole,
qui nous permette de porter une exacte
appréciation de ses desseins et nous
indiquent la conduite à tenir.
Il est à remarquer que c'est par les
sonneries éclalantes des bonnes vieilles
cloches chrétiennes de la cathédrale de
Fort de France que le gouverneur inté-
rimaire de notre colonie, M. Brun, qui
fut l'ordonnateur de la fête de récep-
tion, a tenu à célébrer son arrivée.
El: pourtant les amis politiques de M.Fou-
reau affectent d'être tous libres pen-
seurs et collectivistes rouges. Que faut-
il voir dans ce geste ? Est-ce l'idée d'as-
socier à la réceplion la partie même
catholique de notre population ? Est-ce
l'intention de souligner une défaite de
l'église, car M. Foureau fut en lutte
avec l'évêque, en la faisant applaudir, de
gré ou de force, au retour de son en-
nemi ? Toujours est-il que l'église reçut
l'ordre de manifester, et que le clergé
s'empressa d'acquiescer, trop heureux
de voir dans cet emprunt des cloches
une reconnaissance de son prestige.
Voilà où nous en sommes : nous ne
savons dans quelle intention, avec quel-
les idées est revenu M. Foureau. S'il
devait reprendre sa politique sectaire,
notre pays serait, hélas ! bien à plain-
dre. Le gouvernement assumerait alors
de lourdes responsabilités, pour avoir
renvoyé ici l'artisan de la politique néfaste
dont nous avons dénoncé les abus de
pouvoir, les coups de force, les viola-
tions de la loi et le gaspillage des linan-
ces. Assagi par l'expérience, M. Foureau
projette, paraît-il, de pacifier et d'apai-
ser. Mais pourra-t-il, dans le milieu
passionné qu'est la Martinique, rester
impartial et juste et se tracer un pro-
gramme administratif propre à concilier
tous les éléments de la population
comme tous les intérêts de la colonie ?
L'ancien explorateur qui a traversé
les déserts et les brousses d'Afrique
saura-t-il reconnaître qu'il a fait fausse
route et traversera-t-il sans s'y perdre,
nos fourrés politiques ?
Nous l'ignorons,et nous le souhaitons
dans l'attente qui est maintenant notre
attitude, car nous avons trop le souci
des intérêts de la colonie pour risquer
d'ouvrir l'ère des conflits. Nous nous
bornons à poser la question : Est-ce
un dictateur qui revient,assoiffé de ven-
geances ? Est-ce,au contraire, un admi-
nistrateur épris de justice ?
La question est posée. A M. Foureau
d'y répondre.
J. IVANÈS.
ex-conseiller général
de la Martinique.
A TAHITI
Simple question
Le dernier courrier de Tahiti nous a
apporté l'écho indigné d'un scandale ad-
ministratif dont fut le théâtre la prison
de Sapeete. C'est là, dans un pavillon
spécial, que sont internés les aliénés, et
le régisseur de la prison est en même
temps l'administrateur et tuteur des dé-
ments qu'il est nécessaire d'interner.
En janvier 1907, un Martiniquais du
nom de Voltaire, marié à une femme ta-
hitienne, dut faire interner celle-ci et lui-
même quitta l'île pour aller chercher du
travail àSan-Francisco. Au cours de son
internement.,en mars 1908,Mme Voltaire
mit au monde une petite fille. Le mari,
informé du crime dont sa femme avait été
viclime, porta, plainte à la fois au Gou-
verneur et au ministre.
On lui répondit que le crime ne reste-
rait pas impuni.
Quelle sanction reçut-il, on est en
droit de le demander, puisque, une se-
conde fois, dans le même établissement,
Mme Voltaire fut l'objet des mêmes sé-
vices. Mais, cette fois, avant qu'elle ne
donnât le jour à son second enfant, elle
fut retirée de l'asile et envoyée à Mevréa,
dans une île voisine, où l'administration
lui alloue, il est vrai, une mensualité de
cinquante francs, afin de l'aider à élever
ses deux misérables enfants, en atten-
dant qu'ils tombent,eux aussi sans doute,
à la charge du budget d'assistance.
A notre tour, en signalant à M. le mi-
nistre ce scandale t nous lui demandons
s'il va le laisser impuni.
J. AYTET.
La marche de la pacification
à la Côte d'ivoire
Sous ce litre, le Journal officiel de
la Côte d'Ivoire, n° 15, du 15 août 1910
contient une note concise et péremp-
Loire, qui jette un jour éclatant sur la
situation de la colonie. Nous reprodui-
sons ci-après la dite note.
1° Le désarmement
Lorsqu'au milieu de l'année laOS, le
gouvernement local lit effectuer le relevé
des armes importées régulièrement dans la
colonie, depuis 10 ans, il fut surpris et
ému du chiffre obtenu. Il se montait, en
effet, à 88.233 se décomposant ainsi, par
année :
189 9 19.808 1904 10.162
190 0 6-457 HJOj. 10.844
1901. 9.539 1906 1.196
H102. 17.728 H)o7. 3.054
190 3 9.706 1908. 369
En ajoutant à ce chiffre, déjà élevé, le
nombre des armes introduites, sans
fraude, par les i routières ouvertes du Sou-
dan et de la Guinée, où s'approvision-
naient plus facilement les habitants de
la Haute Côte, et de celles pénétrant
clandestinement, soit par le littoral, soit
plus vraisemblablement. par les frontiè-
res, fermées théoriquement, de la Gold
Coast et du. Libéria, il était possible d'é-
valuer à un minimum de 200.000 unités le
stock de fusils qu'avaient pu acquérir
nos sujets depuis 10 ans.
Sans doute, une partie de ces armes
avaient disparu, par bris ou vétusté,
mais on pouvait, sans exagération, esti-
mer à plus de 100.000 le nombre des fu-
sils encore détenus par les indigènes en
1008.
Une semblable situation aurait été
anormale, même dans une possession
déjà pacifiée ; elle était inquiétante et
dangereube dans une colonie qui n'avait
pas bénéficié, du moins dans la zone fo-
restière, d'une conquête initiale et d'une
occupation militaire, préalablement à
l'installation du commerce et à l'organi-
sation administrative du pays, qu'on
avait surtout exploré, dont un grand
tiers restait à découvrir et conquérir et
dont un autre tiers avait encore besoin
d'une action énergique. Le nombre élevé
des officiers, fonctionnaires, colons et ti-
railleurs, tués à l'ennemi ou assassinés
traîtreusement et blessés depuis 1894
justifiait toutes les appréhensions.
Dans un pays où-les effectifs de la dé-
fense sont très réduits et où les difficul-
tés naturelles de la forêt rendent toute
action répressive fort dangereuse pour
ceux qui l'accomplissent, il était impos-
sible de ne pas chercher un remède à un
état de choses gros de périls. Une pre-
mière mesure fut donc prise pour établir
un contrôle, en même temps qu'une taxe,
celle-ci de 5 francs et annuelle. Le con-
trôle devait permettre d'établir l'identité
des détenteurs d'armes ; la taxe devait,
par sa quotité et sa répétition, en réduire
le nombre. Or, il n'en fut rien. Les indi-
gènes dissimulaient leurs fusils dans des
cachettes introuvables, ou, riches de la
vente des produits que la sylve leur pro-
digue, acquittaient aisément une rede-
vance pour euxinsignifiante.
Le but était donc manqué. Mais cetin-
succès apparut dans toute sa gravité
lors de deux événements qu'il suffit d'é-
voquer pour rappeler l'émotion qu'ils
provoquèrent dans la colonie, comme
dans la métropole: l'assassinat du com-
mis des affaires indigènes Gourgas, le
lynchage du Sénégalais Ali-Seck. Il n'é-
tait pas douleux que ces deux attentats
n'avaient été perpétrés par les indigènes
que parce que, possédant des armes, ils
se croyaient sûrs de l'impunité. C'est
alors que, pour rendre impossible le re-
tour de pareils forfaits, fut décidé le dé-
sarmement des populations insoumises t
ou douteuses.
L'arrêté, commenté par la circulaire
du 21 août 1909, qui le prescrivit, fit en
effet une distinction très nette entre les
diverses régions de la colonie.. Dans les
cercles de Touba,Mankono (partie nord),
Koroko, Kong, Bondoukou, Indénié, As.
sinié et Bas Cavally, dont les habitants
nous ont donné des gages suffisants de
soumission, la détention des armes à feu,
à titre individuel, continua à être auto-
risée. Toutefois, le retrait du permis de
port d'armes fut admis comme sanction
des fautes commises. Il fut établi égale-
ment que, dans les cercles de l'Indénié,
d'Assinie el du Bas Cavally, limitrophes
des territoires en effervescence, il ne se-
rait pas accordé d'autorisations nou-
velles, pour parer à uu trafic inévitable
avec les rebelles.
Dans toutes les autres circonscriptions
le désarmement commença dès le mois
d'août 1909 ; il s'opéra progressivement,
soit pacifiquement, soit à la suite des ré-
pressions, suivant les régions. Depuis
moins d'un an,plus de 30.000 fusils (exac-
tement 30.673) ont été détruits, ainsi
qu'il ressort des procès-verbaux publiés
au fur et à mesure nu Journal Officiel des
15 et 31 décembre 1009, 31 janvier, 15 fé-
vrier, 15 mars, 15 et 31 juillet, 1:; août
1910. n-iars, 15 et 3@L juillet, août
Si on estime que, sur les 100.000 fusils
environ existant actuellement dans la co-
lonie, la moitié environ a pu demeurer
dans la zone forestière, c'est 20.000 à
30.000 fusils, au plus, qu'il reste à sup-
primer pour voir s'ouvrir enfin l'ère de
la pacification définitive.
Il n'y a pas lieu, en effet, de se préoc-
cuper des armes que détiennent les in-
digènes des cercles du Nord et de l'Est,
tant à cause du caractère paisible des :
habitants que de la supériorité de notre
armement dans les pays de savane.
2° Situation politique des cercles.
Il n'est pas sans intérêt d'examiner
maintenant quelle est la situation politi-
que des diverses circonscriptions en suite
des événements survenus depuis un an.
Les cercles qui n'ont pas été désar-
més sont, cela va de soi, parfaitement
tranquilles. Aucun incident n'a troublé
depuis longtemps la vie politique ou éco-
nomique dans ceux de Touba, Mankono
(partie nord), Koroko, Kong, Bondou-
kou, Indénié et Assinie. Dans le Bas Ca-
vally, quelques difficultés, sans consé-
quence, sont nées du mouvement insur-
rectionnel des Libériens, mais elles n'ont
eu aucune répercussion sur l'état d'es-
prit de nos ressortissants.
Dans le cercle «IHS Lagunes, la répres-
sion qui a suivi l'assassinat du commis
Gourgas et la révolte des Abbeys, ainsi
que la réduction par les armes de la ré-
sistance décennale d'Ossrou, nous met-
tent en présence du résultat suivant : le
territoire est entièrement pacifié, sauf
certaines parties du pays Abbey, où la
présence des troupes est encore néces-
saire pour la reddition totale des fusils
et la poursuite de quelques irréductibles ;
quelques semaines suffiront à parache-
ver l'œuvre entreprise. -
L'échec retentissant que viennent de
subir les N'Gbans ne laisse plus qu'un
point noir dans le Baoulé-Sud, au nord
de Bonzi ; il disparaîtra au moment où se
fera prochainement la colonne du Ban-
dama.
- Les opérations q=.i se poursuivent chez
les Agbas rendront sous peu la vie nor-
male à tout le cercle du N'Zi-Comoé.
Sauf sur la lisière de Bandama, le
Baoulé-Nord est non seulement tran-
quille, mais donne un exemple remar-
quable d'activité économique.
Bien que la région du Dida n'ait été
que très partiellement parcourue par une
compagnie de lirailleurs, il semble qu'il
en soit résulté un effet salutaire sur les
populations qui commencent à se livrer
à l'exploitation des produits naturels :
c'est une perspective favorable pour la
mise en main définitive du Lahou, qui
donne par ailleurs toute quiétude.
if en est de même du Bas Sassaudra
où notre méthode d'apprivoisement
n'aura besoin que d'être appuyée de for-
ces imposant le respect.
Par contre, le Haut Sassandra et le
Haut Cavally devront faire,l'objet d'une
occupation militaire sérieuse.
En résumé, deux cercles à achever de
conquérir, deux à achever de mettre en
main par un léger effort militaire, douze
qui sont pacifiés ou le seront demain ; tel
est le bilan réconfortant de la situation
politique de la colonie.
3° Situation économique fi
Est-elle aussi favorable que la situa-
tionpolitique, et quelle corrélation existe-
t-il entre les deux ?
Des chiffres seuls peuvent répondre à
la question :
Les voici :
Mouvement des importations et des
exportations.
1er semestre 1909. 1er semestre 1910
10.638.298 fr. 16-036 - F-91 fr.
Différence en plus en faveur du 1er se-
mestre 1910 :
5.398.593 fr., soit 50
Quant aux recettes douanières, elles
dépassent celles du 2e semestre 1909 de
416.729 francs, soit 36 en plus.
Un pareil exposé se passe de tous com-
mentaires. Il est éclatant. Il suffirait à
montrer l'excellence de la politique ac-
tive qu'a appliquée le gouverneur An-
goulvant depuis deux ans et à faire jus-
tice des basses critiques dont il a été
l'objet. Nous enregistrons avec joie les
admirables résultats politiques et éco-
nomiques ci-dessus et, pour n'en pas
ternir l'éclat par le spectacle de polémi-
ques, nous renvoyons à une prochaine
époque, plus favorable à la répercus-
sion des coups que nous frapperons,
une critique sur pièces, une condamna-
tion définitive, des attaques auxquelles
l'éminent gouverneur de la Côte d'Ivoire
a été en butte depuis le début de l'an-
née courante.
Henri COSNIER,
Député de l'Indre.
A MADAGASCAR
Y a-t-il 1600 km de routes carrossables ?
M. Augagneur dit OUI.
Les colons disent NON.
Au mois de février dernier M. Auga-
gneur, alors gouverneur général de Ma-
dagascar et commissaire du Gouverne-
ment assistant le Ministre des colonies
dans la discussion de son budget à la
Chambre déclarait à la tribune que la
colonie possédait un réseau de 1600 km.
de routes carrossables et que la route de
Fianarantsoa à Mananjary, du plateau
central à la mer, était empierrée, munie
de ponts métalliques et accessible aux
automobiles.
Ces déclarations, dès qu'elles furent
connues à Madagascar, y provoquèrent
de véhémentes protestations et les colons
deMananjary comme ceux de Fianarant-
soa signèrent des adresses au ministre
des colonies pour contredire de la ma-
nière la plus absolue les affirmations de
M. Augagneur.
Nous ne pouvons mieux faire que de
reproduire ici ces protestations signées
par les habitants de Mananjary et de
Fianarantsoa. Indépendamment de la
contradiction qu'elles opposent aux in-
formations apportées devant la Chambre
par l'ancien gouverneur général, on re-
marquera les déclarations relatives au
sort des populations indigènes « frappées
de lourds impôts qui ont amené un état
de misère inconnue même avant l'occu-
pation française ».
- Nous signalons donc à M. le Gouver-
neur général Picquié avec les doléances
des colons à Madagascar les besoins de
la population indigène.
Voici maintenant les lettres qu'a re-
çues le ministre des colonies et que pu-
blie le Journal de Madagascar du 5 juin
dernier :
Fianarantsoa, le 30 mars 1910.
A Monsieur le Ministre "des Colonies,
Monsieur le Ministre. :
Le Journal Officiel de laRépublique Fran-
çaise du 23 février nous apporte le comp-
te-rendu d'une interpellation de M. le
député Archambaud, au sujet de la si-
tuation économique et des routes de Ma-
dagascar. En réponse à cette-interpella-
tion, M. le Gouverneur général Auga-
gneur, Commissaire du gouvernement., a
affirmé à la tribune de la Chambre que
le réseau de routes de Madagascar était
aussi complet que possible et qu'en par-
ticulier la route de Fianarantsoa-Manan-
jary sur laquelle circulent les - automobi-
les étaient complètement empierrée, mu-
nie de ponts métalliques et qu'il n'y avait
pas eu une seule interruption de service
pendant la saison des pluies.
Nous croyons de notre devoir, M. le
Ministre, de protester avec énergie con-
tre cette déclaration. Nous affirmons
d'une façon absolue que non seulement
la route de Fianarantsoa vers Tanana-
CONTES SÉNÉGAL US
La Belle au Bois Dormant
(11 pologu e admin islralif)
11 y avait une fois, dans une île d'Afri-
que, un très vieux roi dont l'âge, au lieu
de diminuer les facultés, avait augmenté
au contraire la puissance et la force.
Il était jadis venu des montagnes gla-
ciales habitées par la célèbre tribu des
Pique-Mais, dont il était issu. -
Cet illustre monarque avait eu, dans
sa féconde et verte vieillesse, de nom-
breuses filles, belles comme le jour, qu'il
avait mariées à de jeanes seigneurs, ad-
mirablementbeaux et braves. Quand les
uns ou les autres sortaient, la foule se
rangeait respectueuse, éblouie devant les
ornementssplendides d'or et d'argent que
les mains patientes des princesses avaient
artistement brodés sur les manches ou
le chaperon de leur époux.
Et los sages d'entre les sages, admi-
rant cette lignée opulente et magnifique
s'exclamaient : « Heureux celui qui a en-
gendré une si belle famille 1 a.
Le vieux roi, d'ans et d'honneurs char-
gé, était redevenu, dans sa félicité triom-
phante, semblable aux tout petits en-
fants. Il aimait les jeux innocents,riant
aux éclats du son des trompettes, bat-
tant des mains au défilé des coursiers
impétueux ou des somptueux carrosses
que l'Etat entretenait dans son palais.
Aussi s'était-il peu à peu déchargé sur
les jeunes princes, ses gendres, du soin
de conduire les destinées de l'empire.
Ceux-ci occupaient tous les postes im-
portants de la Cour et leur autorité puis-
sante s'étendait jusque sur les provin-
ces les plus reculées où le vieux potentat
les déléguait tour à tour.
Les fonctions de Ministre d'Etat avaient
été confiées à un homme de grand savoir
et d'immense talent, nommé Mahigoda,
venu tout exprès des contrées lointaines
et mystérieuses de l'Inde pour aider à
la direction des Affaires du Royaume.
C'était un brahme saint et savant.
A sa naissance, les fées les plus cé-
lèbres du pays de Lahore et du Bengale
l'avaient tour à tour doté des dons les
plus précieux. L'une lui avait donné la
beauté, l'autre, la sagesse, la troisième
l'esprit, la quatrième, l'éloquence.
La dernière cependant, la vieille fée
« Paperasse, avait dit à son berceau : « 0
« mon fils, toi que les destins appellent
« à l'Administration des Royaumes, je
« te donne le pouvoir charmant et re-
« doutable de faire naître sous tes pas, des
« milliers et des milliers de papiers ! »
Puis elle se retira en ricanant.
Cette prédiction, ignorée de la plupart
des hommes, s'était réalisée et c'est
pourquoi le savant brahme, arrivé à la
maturité, ne pouvait se fixer dans le
gouvernement d'aucun pays.
Il s était en enet donne comme carriè-
re de présider aux destinées des Etats,
mais, hélas ! dès qu'il franchissait le seuil
d'un palais administratif quelconque, le
singulier don de sa marraine Paperasse
se manifestait aussitôt.
Dans les bureaux où jadis la poussiè-
re seule ornait les murs et les tables, on
voyait peu à peu s'amonceler des papiers
et des papiers, Il y en avait de toutes
les formes,de toutes les tailles,de toutes
couleurs.
̃ Sur son passage, les dossiers s'en-
flaient énormes ; les armoires, hier enco-
re vierges de tout encombrement, regor-
geaient soudain de milliers de docu-
ments.
Malgré cela, il apportait dans toutes
les affaires un esprit si clairvoyant que le
vieux roi le gardait à la cour pour para-
chever l'éducation bureaucratique des
jeunes princes,, car il était bien rare
qu'il fit durerjplus de cinq ans les affai-
res ordinaires, et le vieux roi admirait
la diligence, la simplicité, la rapidité
de son fidèle ministre.
Mahigoda n'était pas resté depuis un
an au palais que les papiers avaient en-
vahi celui-ci, depuis les fondations jus-
ques aux combles. On parlait même de
faire édifier de vastes dépendances pour
pouvoir abriter ce flot incessant.
- C'est alors que les jeunes princes for-
mèrent le complot d'écarter de la cour
leur savant précepteur.
Après bien des intrigues, ils réussirent
à le persuader qu'il avait besoin de re-
posât il fut décidé qu'il irait pendant quel-
ques mois goûter en pays hindou la
quiétude heureuse des Temples de Bou-
dha.
Les jeunes princes en éprouvèrent une
joie si grande qu'ils ne purent la taire
et laissèrent échapper ces paroles fata-
les : « Enfin ! nous .voilà pour un temps
à l'abri de la paperasse ! »
Aussitôt on entendit un bruit effroya-
ble.
Dans une nuée d'encre, la fée Paperas-
se apparut et traçant de sa baguette un
cercle magique, elle déchaîna un vent
violent qui emporta dans un tourbillon
irrésistible les myriades de papiers qui
voltigèrent bientôt, tels des flocons de
neige, sur laviile.
« Oh 1 dit-elle, vous avez méconnu les
a bienfaits et la puissance de Paperasse 1
« Vous verrez,jeunes imprudents, si l'on
« peut s'en passer. »
Puis elle disparut.
Quant au savant Mahigoda, épouvanté,
il s'était jeté dans une barque et avait ga-
gné la haute mer, enveloppé dans la
nuée de papiers que sa marraine avait
fait sortir du palais.
Quelques jours s'écoulèrent.
Le vieux roi se trouvant seul, délivré
du danger redoutable de voir naître à
nouveau pour les affaires les plus sim-
ples une effroyable quantité de pièces
officielles, se prit à penser qu'il en était
peut-être mieux ainsi et qu'il n'étaitpeut-
être point nécessaire, somme il l'avait
toujours cru, de persister dnns l'obser-
vation rigoureuse de la maxime adminis-
trative qui avait inspiré sa carrière et
réglait encore la vie de se:? bureaux:
« Ecrire beaucoup, faire très peu. »
L'ingratitude entra alors dans son
cœur. Il réunit son peuple et, après avoir
chanté, avec toute la cour, une hymne
de reconnaissance au Créateur, il discou-
rut en ces termes :
« Il ne vous échappera pas que nous
« venons de parer au danger terrible d'ê-
« tre ensevelis sous la paperasserie.
« Aussi, j'ai cru devoir décider que désor-
« mais chacun écrirait le moins possi-
« ble.
« Je signale tout particulièrement àvo-
« tre attention qu'il vaut bien mieux ne
« point écrire qu'écrire trop. J'attache-
« rai le plus grand prix à l'observation
« de cette règle nouvelle : Soyez-y fidèles,
« je ne saurais trop vous le recomman-
« der, car sans cela, jo me trouverais dans
« la pénible nécessité de prendre des
« sanctions sévères co ntre quiconque ten-
« ter ait d'y contrevenir. »
La foule enthousiasn lée choqua longue-
ment ses paumes, en signe d'approba-
tion.
Mais la fée Paperasse,, qui avait entendu
cette harangue remarq uable, en conçut
un vit dépit.
Elle se retira à quelqi les kilomètres de
la ville et d'un coup dt, sa baguette, fit
revenir à elle la trombe des papiers qui
s'attachait, en mer, aux pas du savant
Mahigoda.
Les ayant rapidement examinés, elle
en aperçut un qui lui ca usa une grande
liesseI: c'était un plan, co uvert de signa-
tures, où était dessinée e, n bleu pâle et
rose tendre l'entrée du r Leuve dont les
eaux baignaient l'île du vi eux Roi.
JA l'embouchure de ce A euve régnait un
génie capricieux qui, suivant son humeur,
empêchait ou favorisait l'accès de navires
étrangers.
La fée Paperasse vint le visiter et dé-
ployant le document qu'elle venait de
trouver, elle lui dit : « 0 Génie de ce
« fleuve, vois sur ce papier, écrit de la
« main des hommes, l'anéantissement de
« ton pouvoir ! Bientôt, au lieu des vallon-
« nements de sable fin que sa main crée
« ou aplanit, d'épaisses digues de pierres
« borneront ton empire. Génie, laisseras-
« tu méconnaître ainsi ta puissance ? »
Le Génie se leva d'un bond. Le fleuve
aussitôt sembla remonter vers sa source,
le bouillonnement impétueux de la mer
reflua jusque sous les fenêtres du Palais
et aux yeux de la foule inquiète de tant de
prodiges, apparut l'effroyable Génie.
Tout noir, couvert d'algues et de limon,
il avançait, assis dans une vaste conque
que traînaient douze énormes requins.
Il se dressa alors devant la Cour épou-
vantée et proféra ces terribles impréca-
tions :
« Paperasse a porté jusqu'à moi les
« plans saerilèges qui révèlent le projet
« de ma destruction. Ah 1 imprudents,
« vous voulez écraser sous de lourds
« blocs de pierre mon indépendance ca-
« pricieuse, vous voulez dompter mon
« royaume et régir mes courants 1 Eh !
« bien, écoutez : Votre punition sera de
« faire, autant que la chose vous paraisse
« impossible, moins encore que vous ne
« faisiez au temps de Mahigoda. Vous
« allez tous tomber endormis et ne vous
« réveillerez que lorsque sonnera l'heure
« de la retraite du roi, ou quand le savant
« brahme, revenu des temples deBoudha,
« aura fait rentrer au palais la multitude
« de papiers que vous en avez laissé sor-
« tir ! 1)
11 dit et aussitôt la cour vacilla de fati-
gue. Le vieux roi s'assit pesamment au
sommet du belvédère où il avait coutume
de se tenir.
Les princesses sentirent se clore invinci-
blement leurs beaux yeux. Le sommeil
s'empara de tout le palais.
Les plantons, les factionnaires, dor-
maient à la porte ; les esclaves chargés de
faire mouvoir les éventails demeuraient
assoupis, les bras levés, et les araignées
qui logeaient dans les plis des rideaux,
restaient suspendues aux longs fils que
rendaient tout dorés, dans un halo de
poussière lumineuse, les rayons éclatants
du soleil tropical.
Dans sa tour, le vieux monarque som-
meillait aussi. Il ne sortait de son extrê-
me somnolence que pour signer instincti-
vement et par habitude, d'un geste las et
vague, les décrets nommant les jeunes
princes de sa famille à des postes magni-
fiques, mais ceux-là ne pouvaient les re-
joindre, car ils dormaient aussi.
Peu à peu, cette torpeur s'étendit sur
tout le royaume.
Depuis, rien plus ne se fait, aucune
décision n'est jamais prise, les affaires
les plus simples ne peuvent se résoudre,
tout traîne désespérément en longueur.
Le peuple, qui jadis admirait l'activité
du gouvernement, se laisse aller aussi à
l'universelle maladie du sommeil.
Si bien que le soir, à l'heure des pala-
bres, sur la dune argentée qu'éclaire la
pâle lune, les vieillards de la nation s'as-
semblent et levant vers le ciel leurs bras
suppliants, ils font entendre tous les soirs
la même prière mélancolique :
« Allah 1 Dieu Tout Puissant qui jugez
« les hommes et les choses, faites souffler
« les vents propices qui ramèneront des
« temples mystérieux de Lahore, le za.
it vant brahme Mahigoda. Mieux vaut
« encore subir l'empire de la fée Paperasse
« que d'être soumis à la léthargie perpé-
« tuelle ! »
Marcel] GUIBERT.
I
LE NUMERO : 25 centimes
1" SEPTEMBRE 1910
Les Annales Coloniales
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Le retour de M. Foureau à la Martinique
par J. IvANis, ex-Conseiller général
A Tahiti, par J. AYTET.
La marche de la Pacification à la Côte d'Ivoire
par Henri COSISIEfi, Député de l'Indre.
A Madagascar, par J. LEMAIRE.
Conte Sénégalais. La Belle au Bois Dormant
par Marcel GUlDlmT.
L'Invasion Syrienne en Guinée
Par G. TERNAUX.
Les Fonctionnaires Coloniaux à Vichy.
La Réforme des Poids et Mesures en Indo-Chine.
Ce qui se passe aux Colonies et ailleurs
Informations économiques
Compagnie de l'Ekela-Kadei-Sangha
Mouvement Administratif
Le retour de M. Foureau
A LA MARTINIQUE
Tel un triomphateur de l'ancienne
Rome au milieu d'un grand concours
- de feuillages et de pavois, M. le Gou-
verneur Foureau débarqua le 16 août
1910. Ses amis politiques, ceux qui
espèrent par les guirlandes de fleurs
qu'ils lui ont prodiguées l'enchaîner à
leur politique de représailles,lui avaient
préparé, comme char triomphal, le lan-
dau officiel décoré de fleurs. M. le Gou-
verneur n'eut pas le lact, la réception
terminée, de dégarnir des guirlandes de
feuillages les roues et la capote de ce
char nouveau et il s'en fut, dans la soi-
rée à bord du courrier, comme pour
donner l'impression aux passagers, à
l'équipage, à tous témoins possibles,
que son retour à la Martinique était
accueilli par la population comme l'évé-
nement le plus heureux. Tout de même
il faut savoir gré à M. le Gouverneur
de n'avoir point, derrière son char, traî.
né, poings liés, la théorie des vain-
cus. Serait-ce que le long séjour à Pa-
ris de M. Foureau lui aurait inspiré une
conception coloniale plus exacte ? Les
longues méditations qu'il a eu le loisir
de faire l'ont-elles persuadé de la né-
cessité d'arrondir désormais les angles
de sa politique, de s'élever au-dessus
des coalitions de partis, des compétitions
de personnes, pour n'envisager que
l'intérêt supérieur du pays ?
Nous le souhaitons ardemment pour
le bien de notre colonie, trop souvent
éprouvée par le déchaînement des élé-
ments pour que la passion politique
continue d'y ajouter ses violences et
ses haines. Il est temps en effet que
l'on se rende compte que pour le triom-
phe de quelques arrivistes, il n'y a pas
à ruiner un pays plein de ressources et
de vitalité, ne demandant qu'à prospé-
rer par l'union et la concorde de tous
ses habitants.
Est-ce à la tête de la Martinique du
travail ou à la tête de la Martinique des
passions politiques que revient M. Fou-
reau ? Mystère ! Jusqu'ici nous ne pou-
vons répondre à ce point d'interroga-
tion, qui restera posé encore quelques
jours, jusqu'à ce que le gouverneur
fasse un geste, prononce une parole,
qui nous permette de porter une exacte
appréciation de ses desseins et nous
indiquent la conduite à tenir.
Il est à remarquer que c'est par les
sonneries éclalantes des bonnes vieilles
cloches chrétiennes de la cathédrale de
Fort de France que le gouverneur inté-
rimaire de notre colonie, M. Brun, qui
fut l'ordonnateur de la fête de récep-
tion, a tenu à célébrer son arrivée.
El: pourtant les amis politiques de M.Fou-
reau affectent d'être tous libres pen-
seurs et collectivistes rouges. Que faut-
il voir dans ce geste ? Est-ce l'idée d'as-
socier à la réceplion la partie même
catholique de notre population ? Est-ce
l'intention de souligner une défaite de
l'église, car M. Foureau fut en lutte
avec l'évêque, en la faisant applaudir, de
gré ou de force, au retour de son en-
nemi ? Toujours est-il que l'église reçut
l'ordre de manifester, et que le clergé
s'empressa d'acquiescer, trop heureux
de voir dans cet emprunt des cloches
une reconnaissance de son prestige.
Voilà où nous en sommes : nous ne
savons dans quelle intention, avec quel-
les idées est revenu M. Foureau. S'il
devait reprendre sa politique sectaire,
notre pays serait, hélas ! bien à plain-
dre. Le gouvernement assumerait alors
de lourdes responsabilités, pour avoir
renvoyé ici l'artisan de la politique néfaste
dont nous avons dénoncé les abus de
pouvoir, les coups de force, les viola-
tions de la loi et le gaspillage des linan-
ces. Assagi par l'expérience, M. Foureau
projette, paraît-il, de pacifier et d'apai-
ser. Mais pourra-t-il, dans le milieu
passionné qu'est la Martinique, rester
impartial et juste et se tracer un pro-
gramme administratif propre à concilier
tous les éléments de la population
comme tous les intérêts de la colonie ?
L'ancien explorateur qui a traversé
les déserts et les brousses d'Afrique
saura-t-il reconnaître qu'il a fait fausse
route et traversera-t-il sans s'y perdre,
nos fourrés politiques ?
Nous l'ignorons,et nous le souhaitons
dans l'attente qui est maintenant notre
attitude, car nous avons trop le souci
des intérêts de la colonie pour risquer
d'ouvrir l'ère des conflits. Nous nous
bornons à poser la question : Est-ce
un dictateur qui revient,assoiffé de ven-
geances ? Est-ce,au contraire, un admi-
nistrateur épris de justice ?
La question est posée. A M. Foureau
d'y répondre.
J. IVANÈS.
ex-conseiller général
de la Martinique.
A TAHITI
Simple question
Le dernier courrier de Tahiti nous a
apporté l'écho indigné d'un scandale ad-
ministratif dont fut le théâtre la prison
de Sapeete. C'est là, dans un pavillon
spécial, que sont internés les aliénés, et
le régisseur de la prison est en même
temps l'administrateur et tuteur des dé-
ments qu'il est nécessaire d'interner.
En janvier 1907, un Martiniquais du
nom de Voltaire, marié à une femme ta-
hitienne, dut faire interner celle-ci et lui-
même quitta l'île pour aller chercher du
travail àSan-Francisco. Au cours de son
internement.,en mars 1908,Mme Voltaire
mit au monde une petite fille. Le mari,
informé du crime dont sa femme avait été
viclime, porta, plainte à la fois au Gou-
verneur et au ministre.
On lui répondit que le crime ne reste-
rait pas impuni.
Quelle sanction reçut-il, on est en
droit de le demander, puisque, une se-
conde fois, dans le même établissement,
Mme Voltaire fut l'objet des mêmes sé-
vices. Mais, cette fois, avant qu'elle ne
donnât le jour à son second enfant, elle
fut retirée de l'asile et envoyée à Mevréa,
dans une île voisine, où l'administration
lui alloue, il est vrai, une mensualité de
cinquante francs, afin de l'aider à élever
ses deux misérables enfants, en atten-
dant qu'ils tombent,eux aussi sans doute,
à la charge du budget d'assistance.
A notre tour, en signalant à M. le mi-
nistre ce scandale t nous lui demandons
s'il va le laisser impuni.
J. AYTET.
La marche de la pacification
à la Côte d'ivoire
Sous ce litre, le Journal officiel de
la Côte d'Ivoire, n° 15, du 15 août 1910
contient une note concise et péremp-
Loire, qui jette un jour éclatant sur la
situation de la colonie. Nous reprodui-
sons ci-après la dite note.
1° Le désarmement
Lorsqu'au milieu de l'année laOS, le
gouvernement local lit effectuer le relevé
des armes importées régulièrement dans la
colonie, depuis 10 ans, il fut surpris et
ému du chiffre obtenu. Il se montait, en
effet, à 88.233 se décomposant ainsi, par
année :
189 9 19.808 1904 10.162
190 0 6-457 HJOj. 10.844
1901. 9.539 1906 1.196
H102. 17.728 H)o7. 3.054
190 3 9.706 1908. 369
En ajoutant à ce chiffre, déjà élevé, le
nombre des armes introduites, sans
fraude, par les i routières ouvertes du Sou-
dan et de la Guinée, où s'approvision-
naient plus facilement les habitants de
la Haute Côte, et de celles pénétrant
clandestinement, soit par le littoral, soit
plus vraisemblablement. par les frontiè-
res, fermées théoriquement, de la Gold
Coast et du. Libéria, il était possible d'é-
valuer à un minimum de 200.000 unités le
stock de fusils qu'avaient pu acquérir
nos sujets depuis 10 ans.
Sans doute, une partie de ces armes
avaient disparu, par bris ou vétusté,
mais on pouvait, sans exagération, esti-
mer à plus de 100.000 le nombre des fu-
sils encore détenus par les indigènes en
1008.
Une semblable situation aurait été
anormale, même dans une possession
déjà pacifiée ; elle était inquiétante et
dangereube dans une colonie qui n'avait
pas bénéficié, du moins dans la zone fo-
restière, d'une conquête initiale et d'une
occupation militaire, préalablement à
l'installation du commerce et à l'organi-
sation administrative du pays, qu'on
avait surtout exploré, dont un grand
tiers restait à découvrir et conquérir et
dont un autre tiers avait encore besoin
d'une action énergique. Le nombre élevé
des officiers, fonctionnaires, colons et ti-
railleurs, tués à l'ennemi ou assassinés
traîtreusement et blessés depuis 1894
justifiait toutes les appréhensions.
Dans un pays où-les effectifs de la dé-
fense sont très réduits et où les difficul-
tés naturelles de la forêt rendent toute
action répressive fort dangereuse pour
ceux qui l'accomplissent, il était impos-
sible de ne pas chercher un remède à un
état de choses gros de périls. Une pre-
mière mesure fut donc prise pour établir
un contrôle, en même temps qu'une taxe,
celle-ci de 5 francs et annuelle. Le con-
trôle devait permettre d'établir l'identité
des détenteurs d'armes ; la taxe devait,
par sa quotité et sa répétition, en réduire
le nombre. Or, il n'en fut rien. Les indi-
gènes dissimulaient leurs fusils dans des
cachettes introuvables, ou, riches de la
vente des produits que la sylve leur pro-
digue, acquittaient aisément une rede-
vance pour euxinsignifiante.
Le but était donc manqué. Mais cetin-
succès apparut dans toute sa gravité
lors de deux événements qu'il suffit d'é-
voquer pour rappeler l'émotion qu'ils
provoquèrent dans la colonie, comme
dans la métropole: l'assassinat du com-
mis des affaires indigènes Gourgas, le
lynchage du Sénégalais Ali-Seck. Il n'é-
tait pas douleux que ces deux attentats
n'avaient été perpétrés par les indigènes
que parce que, possédant des armes, ils
se croyaient sûrs de l'impunité. C'est
alors que, pour rendre impossible le re-
tour de pareils forfaits, fut décidé le dé-
sarmement des populations insoumises t
ou douteuses.
L'arrêté, commenté par la circulaire
du 21 août 1909, qui le prescrivit, fit en
effet une distinction très nette entre les
diverses régions de la colonie.. Dans les
cercles de Touba,Mankono (partie nord),
Koroko, Kong, Bondoukou, Indénié, As.
sinié et Bas Cavally, dont les habitants
nous ont donné des gages suffisants de
soumission, la détention des armes à feu,
à titre individuel, continua à être auto-
risée. Toutefois, le retrait du permis de
port d'armes fut admis comme sanction
des fautes commises. Il fut établi égale-
ment que, dans les cercles de l'Indénié,
d'Assinie el du Bas Cavally, limitrophes
des territoires en effervescence, il ne se-
rait pas accordé d'autorisations nou-
velles, pour parer à uu trafic inévitable
avec les rebelles.
Dans toutes les autres circonscriptions
le désarmement commença dès le mois
d'août 1909 ; il s'opéra progressivement,
soit pacifiquement, soit à la suite des ré-
pressions, suivant les régions. Depuis
moins d'un an,plus de 30.000 fusils (exac-
tement 30.673) ont été détruits, ainsi
qu'il ressort des procès-verbaux publiés
au fur et à mesure nu Journal Officiel des
15 et 31 décembre 1009, 31 janvier, 15 fé-
vrier, 15 mars, 15 et 31 juillet, 1:; août
1910. n-iars, 15 et 3@L juillet, août
Si on estime que, sur les 100.000 fusils
environ existant actuellement dans la co-
lonie, la moitié environ a pu demeurer
dans la zone forestière, c'est 20.000 à
30.000 fusils, au plus, qu'il reste à sup-
primer pour voir s'ouvrir enfin l'ère de
la pacification définitive.
Il n'y a pas lieu, en effet, de se préoc-
cuper des armes que détiennent les in-
digènes des cercles du Nord et de l'Est,
tant à cause du caractère paisible des :
habitants que de la supériorité de notre
armement dans les pays de savane.
2° Situation politique des cercles.
Il n'est pas sans intérêt d'examiner
maintenant quelle est la situation politi-
que des diverses circonscriptions en suite
des événements survenus depuis un an.
Les cercles qui n'ont pas été désar-
més sont, cela va de soi, parfaitement
tranquilles. Aucun incident n'a troublé
depuis longtemps la vie politique ou éco-
nomique dans ceux de Touba, Mankono
(partie nord), Koroko, Kong, Bondou-
kou, Indénié et Assinie. Dans le Bas Ca-
vally, quelques difficultés, sans consé-
quence, sont nées du mouvement insur-
rectionnel des Libériens, mais elles n'ont
eu aucune répercussion sur l'état d'es-
prit de nos ressortissants.
Dans le cercle «IHS Lagunes, la répres-
sion qui a suivi l'assassinat du commis
Gourgas et la révolte des Abbeys, ainsi
que la réduction par les armes de la ré-
sistance décennale d'Ossrou, nous met-
tent en présence du résultat suivant : le
territoire est entièrement pacifié, sauf
certaines parties du pays Abbey, où la
présence des troupes est encore néces-
saire pour la reddition totale des fusils
et la poursuite de quelques irréductibles ;
quelques semaines suffiront à parache-
ver l'œuvre entreprise. -
L'échec retentissant que viennent de
subir les N'Gbans ne laisse plus qu'un
point noir dans le Baoulé-Sud, au nord
de Bonzi ; il disparaîtra au moment où se
fera prochainement la colonne du Ban-
dama.
- Les opérations q=.i se poursuivent chez
les Agbas rendront sous peu la vie nor-
male à tout le cercle du N'Zi-Comoé.
Sauf sur la lisière de Bandama, le
Baoulé-Nord est non seulement tran-
quille, mais donne un exemple remar-
quable d'activité économique.
Bien que la région du Dida n'ait été
que très partiellement parcourue par une
compagnie de lirailleurs, il semble qu'il
en soit résulté un effet salutaire sur les
populations qui commencent à se livrer
à l'exploitation des produits naturels :
c'est une perspective favorable pour la
mise en main définitive du Lahou, qui
donne par ailleurs toute quiétude.
if en est de même du Bas Sassaudra
où notre méthode d'apprivoisement
n'aura besoin que d'être appuyée de for-
ces imposant le respect.
Par contre, le Haut Sassandra et le
Haut Cavally devront faire,l'objet d'une
occupation militaire sérieuse.
En résumé, deux cercles à achever de
conquérir, deux à achever de mettre en
main par un léger effort militaire, douze
qui sont pacifiés ou le seront demain ; tel
est le bilan réconfortant de la situation
politique de la colonie.
3° Situation économique fi
Est-elle aussi favorable que la situa-
tionpolitique, et quelle corrélation existe-
t-il entre les deux ?
Des chiffres seuls peuvent répondre à
la question :
Les voici :
Mouvement des importations et des
exportations.
1er semestre 1909. 1er semestre 1910
10.638.298 fr. 16-036 - F-91 fr.
Différence en plus en faveur du 1er se-
mestre 1910 :
5.398.593 fr., soit 50
Quant aux recettes douanières, elles
dépassent celles du 2e semestre 1909 de
416.729 francs, soit 36 en plus.
Un pareil exposé se passe de tous com-
mentaires. Il est éclatant. Il suffirait à
montrer l'excellence de la politique ac-
tive qu'a appliquée le gouverneur An-
goulvant depuis deux ans et à faire jus-
tice des basses critiques dont il a été
l'objet. Nous enregistrons avec joie les
admirables résultats politiques et éco-
nomiques ci-dessus et, pour n'en pas
ternir l'éclat par le spectacle de polémi-
ques, nous renvoyons à une prochaine
époque, plus favorable à la répercus-
sion des coups que nous frapperons,
une critique sur pièces, une condamna-
tion définitive, des attaques auxquelles
l'éminent gouverneur de la Côte d'Ivoire
a été en butte depuis le début de l'an-
née courante.
Henri COSNIER,
Député de l'Indre.
A MADAGASCAR
Y a-t-il 1600 km de routes carrossables ?
M. Augagneur dit OUI.
Les colons disent NON.
Au mois de février dernier M. Auga-
gneur, alors gouverneur général de Ma-
dagascar et commissaire du Gouverne-
ment assistant le Ministre des colonies
dans la discussion de son budget à la
Chambre déclarait à la tribune que la
colonie possédait un réseau de 1600 km.
de routes carrossables et que la route de
Fianarantsoa à Mananjary, du plateau
central à la mer, était empierrée, munie
de ponts métalliques et accessible aux
automobiles.
Ces déclarations, dès qu'elles furent
connues à Madagascar, y provoquèrent
de véhémentes protestations et les colons
deMananjary comme ceux de Fianarant-
soa signèrent des adresses au ministre
des colonies pour contredire de la ma-
nière la plus absolue les affirmations de
M. Augagneur.
Nous ne pouvons mieux faire que de
reproduire ici ces protestations signées
par les habitants de Mananjary et de
Fianarantsoa. Indépendamment de la
contradiction qu'elles opposent aux in-
formations apportées devant la Chambre
par l'ancien gouverneur général, on re-
marquera les déclarations relatives au
sort des populations indigènes « frappées
de lourds impôts qui ont amené un état
de misère inconnue même avant l'occu-
pation française ».
- Nous signalons donc à M. le Gouver-
neur général Picquié avec les doléances
des colons à Madagascar les besoins de
la population indigène.
Voici maintenant les lettres qu'a re-
çues le ministre des colonies et que pu-
blie le Journal de Madagascar du 5 juin
dernier :
Fianarantsoa, le 30 mars 1910.
A Monsieur le Ministre "des Colonies,
Monsieur le Ministre. :
Le Journal Officiel de laRépublique Fran-
çaise du 23 février nous apporte le comp-
te-rendu d'une interpellation de M. le
député Archambaud, au sujet de la si-
tuation économique et des routes de Ma-
dagascar. En réponse à cette-interpella-
tion, M. le Gouverneur général Auga-
gneur, Commissaire du gouvernement., a
affirmé à la tribune de la Chambre que
le réseau de routes de Madagascar était
aussi complet que possible et qu'en par-
ticulier la route de Fianarantsoa-Manan-
jary sur laquelle circulent les - automobi-
les étaient complètement empierrée, mu-
nie de ponts métalliques et qu'il n'y avait
pas eu une seule interruption de service
pendant la saison des pluies.
Nous croyons de notre devoir, M. le
Ministre, de protester avec énergie con-
tre cette déclaration. Nous affirmons
d'une façon absolue que non seulement
la route de Fianarantsoa vers Tanana-
CONTES SÉNÉGAL US
La Belle au Bois Dormant
(11 pologu e admin islralif)
11 y avait une fois, dans une île d'Afri-
que, un très vieux roi dont l'âge, au lieu
de diminuer les facultés, avait augmenté
au contraire la puissance et la force.
Il était jadis venu des montagnes gla-
ciales habitées par la célèbre tribu des
Pique-Mais, dont il était issu. -
Cet illustre monarque avait eu, dans
sa féconde et verte vieillesse, de nom-
breuses filles, belles comme le jour, qu'il
avait mariées à de jeanes seigneurs, ad-
mirablementbeaux et braves. Quand les
uns ou les autres sortaient, la foule se
rangeait respectueuse, éblouie devant les
ornementssplendides d'or et d'argent que
les mains patientes des princesses avaient
artistement brodés sur les manches ou
le chaperon de leur époux.
Et los sages d'entre les sages, admi-
rant cette lignée opulente et magnifique
s'exclamaient : « Heureux celui qui a en-
gendré une si belle famille 1 a.
Le vieux roi, d'ans et d'honneurs char-
gé, était redevenu, dans sa félicité triom-
phante, semblable aux tout petits en-
fants. Il aimait les jeux innocents,riant
aux éclats du son des trompettes, bat-
tant des mains au défilé des coursiers
impétueux ou des somptueux carrosses
que l'Etat entretenait dans son palais.
Aussi s'était-il peu à peu déchargé sur
les jeunes princes, ses gendres, du soin
de conduire les destinées de l'empire.
Ceux-ci occupaient tous les postes im-
portants de la Cour et leur autorité puis-
sante s'étendait jusque sur les provin-
ces les plus reculées où le vieux potentat
les déléguait tour à tour.
Les fonctions de Ministre d'Etat avaient
été confiées à un homme de grand savoir
et d'immense talent, nommé Mahigoda,
venu tout exprès des contrées lointaines
et mystérieuses de l'Inde pour aider à
la direction des Affaires du Royaume.
C'était un brahme saint et savant.
A sa naissance, les fées les plus cé-
lèbres du pays de Lahore et du Bengale
l'avaient tour à tour doté des dons les
plus précieux. L'une lui avait donné la
beauté, l'autre, la sagesse, la troisième
l'esprit, la quatrième, l'éloquence.
La dernière cependant, la vieille fée
« Paperasse, avait dit à son berceau : « 0
« mon fils, toi que les destins appellent
« à l'Administration des Royaumes, je
« te donne le pouvoir charmant et re-
« doutable de faire naître sous tes pas, des
« milliers et des milliers de papiers ! »
Puis elle se retira en ricanant.
Cette prédiction, ignorée de la plupart
des hommes, s'était réalisée et c'est
pourquoi le savant brahme, arrivé à la
maturité, ne pouvait se fixer dans le
gouvernement d'aucun pays.
Il s était en enet donne comme carriè-
re de présider aux destinées des Etats,
mais, hélas ! dès qu'il franchissait le seuil
d'un palais administratif quelconque, le
singulier don de sa marraine Paperasse
se manifestait aussitôt.
Dans les bureaux où jadis la poussiè-
re seule ornait les murs et les tables, on
voyait peu à peu s'amonceler des papiers
et des papiers, Il y en avait de toutes
les formes,de toutes les tailles,de toutes
couleurs.
̃ Sur son passage, les dossiers s'en-
flaient énormes ; les armoires, hier enco-
re vierges de tout encombrement, regor-
geaient soudain de milliers de docu-
ments.
Malgré cela, il apportait dans toutes
les affaires un esprit si clairvoyant que le
vieux roi le gardait à la cour pour para-
chever l'éducation bureaucratique des
jeunes princes,, car il était bien rare
qu'il fit durerjplus de cinq ans les affai-
res ordinaires, et le vieux roi admirait
la diligence, la simplicité, la rapidité
de son fidèle ministre.
Mahigoda n'était pas resté depuis un
an au palais que les papiers avaient en-
vahi celui-ci, depuis les fondations jus-
ques aux combles. On parlait même de
faire édifier de vastes dépendances pour
pouvoir abriter ce flot incessant.
- C'est alors que les jeunes princes for-
mèrent le complot d'écarter de la cour
leur savant précepteur.
Après bien des intrigues, ils réussirent
à le persuader qu'il avait besoin de re-
posât il fut décidé qu'il irait pendant quel-
ques mois goûter en pays hindou la
quiétude heureuse des Temples de Bou-
dha.
Les jeunes princes en éprouvèrent une
joie si grande qu'ils ne purent la taire
et laissèrent échapper ces paroles fata-
les : « Enfin ! nous .voilà pour un temps
à l'abri de la paperasse ! »
Aussitôt on entendit un bruit effroya-
ble.
Dans une nuée d'encre, la fée Paperas-
se apparut et traçant de sa baguette un
cercle magique, elle déchaîna un vent
violent qui emporta dans un tourbillon
irrésistible les myriades de papiers qui
voltigèrent bientôt, tels des flocons de
neige, sur laviile.
« Oh 1 dit-elle, vous avez méconnu les
a bienfaits et la puissance de Paperasse 1
« Vous verrez,jeunes imprudents, si l'on
« peut s'en passer. »
Puis elle disparut.
Quant au savant Mahigoda, épouvanté,
il s'était jeté dans une barque et avait ga-
gné la haute mer, enveloppé dans la
nuée de papiers que sa marraine avait
fait sortir du palais.
Quelques jours s'écoulèrent.
Le vieux roi se trouvant seul, délivré
du danger redoutable de voir naître à
nouveau pour les affaires les plus sim-
ples une effroyable quantité de pièces
officielles, se prit à penser qu'il en était
peut-être mieux ainsi et qu'il n'étaitpeut-
être point nécessaire, somme il l'avait
toujours cru, de persister dnns l'obser-
vation rigoureuse de la maxime adminis-
trative qui avait inspiré sa carrière et
réglait encore la vie de se:? bureaux:
« Ecrire beaucoup, faire très peu. »
L'ingratitude entra alors dans son
cœur. Il réunit son peuple et, après avoir
chanté, avec toute la cour, une hymne
de reconnaissance au Créateur, il discou-
rut en ces termes :
« Il ne vous échappera pas que nous
« venons de parer au danger terrible d'ê-
« tre ensevelis sous la paperasserie.
« Aussi, j'ai cru devoir décider que désor-
« mais chacun écrirait le moins possi-
« ble.
« Je signale tout particulièrement àvo-
« tre attention qu'il vaut bien mieux ne
« point écrire qu'écrire trop. J'attache-
« rai le plus grand prix à l'observation
« de cette règle nouvelle : Soyez-y fidèles,
« je ne saurais trop vous le recomman-
« der, car sans cela, jo me trouverais dans
« la pénible nécessité de prendre des
« sanctions sévères co ntre quiconque ten-
« ter ait d'y contrevenir. »
La foule enthousiasn lée choqua longue-
ment ses paumes, en signe d'approba-
tion.
Mais la fée Paperasse,, qui avait entendu
cette harangue remarq uable, en conçut
un vit dépit.
Elle se retira à quelqi les kilomètres de
la ville et d'un coup dt, sa baguette, fit
revenir à elle la trombe des papiers qui
s'attachait, en mer, aux pas du savant
Mahigoda.
Les ayant rapidement examinés, elle
en aperçut un qui lui ca usa une grande
liesseI: c'était un plan, co uvert de signa-
tures, où était dessinée e, n bleu pâle et
rose tendre l'entrée du r Leuve dont les
eaux baignaient l'île du vi eux Roi.
JA l'embouchure de ce A euve régnait un
génie capricieux qui, suivant son humeur,
empêchait ou favorisait l'accès de navires
étrangers.
La fée Paperasse vint le visiter et dé-
ployant le document qu'elle venait de
trouver, elle lui dit : « 0 Génie de ce
« fleuve, vois sur ce papier, écrit de la
« main des hommes, l'anéantissement de
« ton pouvoir ! Bientôt, au lieu des vallon-
« nements de sable fin que sa main crée
« ou aplanit, d'épaisses digues de pierres
« borneront ton empire. Génie, laisseras-
« tu méconnaître ainsi ta puissance ? »
Le Génie se leva d'un bond. Le fleuve
aussitôt sembla remonter vers sa source,
le bouillonnement impétueux de la mer
reflua jusque sous les fenêtres du Palais
et aux yeux de la foule inquiète de tant de
prodiges, apparut l'effroyable Génie.
Tout noir, couvert d'algues et de limon,
il avançait, assis dans une vaste conque
que traînaient douze énormes requins.
Il se dressa alors devant la Cour épou-
vantée et proféra ces terribles impréca-
tions :
« Paperasse a porté jusqu'à moi les
« plans saerilèges qui révèlent le projet
« de ma destruction. Ah 1 imprudents,
« vous voulez écraser sous de lourds
« blocs de pierre mon indépendance ca-
« pricieuse, vous voulez dompter mon
« royaume et régir mes courants 1 Eh !
« bien, écoutez : Votre punition sera de
« faire, autant que la chose vous paraisse
« impossible, moins encore que vous ne
« faisiez au temps de Mahigoda. Vous
« allez tous tomber endormis et ne vous
« réveillerez que lorsque sonnera l'heure
« de la retraite du roi, ou quand le savant
« brahme, revenu des temples deBoudha,
« aura fait rentrer au palais la multitude
« de papiers que vous en avez laissé sor-
« tir ! 1)
11 dit et aussitôt la cour vacilla de fati-
gue. Le vieux roi s'assit pesamment au
sommet du belvédère où il avait coutume
de se tenir.
Les princesses sentirent se clore invinci-
blement leurs beaux yeux. Le sommeil
s'empara de tout le palais.
Les plantons, les factionnaires, dor-
maient à la porte ; les esclaves chargés de
faire mouvoir les éventails demeuraient
assoupis, les bras levés, et les araignées
qui logeaient dans les plis des rideaux,
restaient suspendues aux longs fils que
rendaient tout dorés, dans un halo de
poussière lumineuse, les rayons éclatants
du soleil tropical.
Dans sa tour, le vieux monarque som-
meillait aussi. Il ne sortait de son extrê-
me somnolence que pour signer instincti-
vement et par habitude, d'un geste las et
vague, les décrets nommant les jeunes
princes de sa famille à des postes magni-
fiques, mais ceux-là ne pouvaient les re-
joindre, car ils dormaient aussi.
Peu à peu, cette torpeur s'étendit sur
tout le royaume.
Depuis, rien plus ne se fait, aucune
décision n'est jamais prise, les affaires
les plus simples ne peuvent se résoudre,
tout traîne désespérément en longueur.
Le peuple, qui jadis admirait l'activité
du gouvernement, se laisse aller aussi à
l'universelle maladie du sommeil.
Si bien que le soir, à l'heure des pala-
bres, sur la dune argentée qu'éclaire la
pâle lune, les vieillards de la nation s'as-
semblent et levant vers le ciel leurs bras
suppliants, ils font entendre tous les soirs
la même prière mélancolique :
« Allah 1 Dieu Tout Puissant qui jugez
« les hommes et les choses, faites souffler
« les vents propices qui ramèneront des
« temples mystérieux de Lahore, le za.
it vant brahme Mahigoda. Mieux vaut
« encore subir l'empire de la fée Paperasse
« que d'être soumis à la léthargie perpé-
« tuelle ! »
Marcel] GUIBERT.
I
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