Titre : Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques : hebdomadaire d'information, de critique et de bibliographie / direction : Jacques Guenne et Maurice Martin du Gard
Éditeur : Larousse (Paris)
Date d'édition : 1936-01-25
Contributeur : Guenne, Jacques (1896-1945). Directeur de publication
Contributeur : Martin Du Gard, Maurice (1896-1970). Directeur de publication
Contributeur : Gillon, André (1880-1969). Directeur de publication
Contributeur : Charles, Gilbert (18..-19.. ; poète). Directeur de publication
Contributeur : Lefèvre, Frédéric (1889-1949). Directeur de publication
Contributeur : Charensol, Georges (1899-1995). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 25 janvier 1936 25 janvier 1936
Description : 1936/01/25 (A13,N693). 1936/01/25 (A13,N693).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, GR FOL-Z-133
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 14/10/2013
[ Samedi: 25 Janvier 1936
0,75 » N° 693
IF NUMERO nIr 11IYP FRANCS
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LES HOUVELLES LITTERAIRES
ARTISTIQUES ET SCIENTIFIQUES
- DIRECTEUR, : MAURICE MARTIN DU GARD
".:. RÉDACTEUR EN CKE,f »f*ÉDiRIC IEFÊVRE
DIRECTION, RÉDACTION, PUBLICITÊ o'
146, RUE MONTMARTRE (2*)
VÉL CttfTRAL 8013 A 80-U - R. C. Sain. 212.481 A
AOMINIS t kATION ET VENTE.
LAROUSSE - PARIS
I) è 21. tue MONTPARNASSE (VI')
LA LUMIÈRE QUI NE S'ÉTEINT PAS
RUDYARD KIPLING
Homère de t Empire
par André DEMAISON
C'est au cours des années qui précé-
dèrent la guerre que je découvris l'œu-
vre de Kipling. Je venais de faire mon
service militaire à Dakar et à Thiès ;
je fondais de nouveaux comptoirs com-
me les antiques Phéniciens de Tyr et de
Sidon tout au fond d'une sorte d'estuai-
re qui se prolongeait fort loin dans les
terres de l'Afrique occidentale.
Cette Casamance avait vu passer bien
des esclavagistes et des aventuriers,
même des fondateurs d'empire au petit
pied. Au nord et à 1 est de mon habi-
tation, les Mandingues essuyaient leurs
sabres et forgeaient de nouveaux instru-
ments de culture. Au sud, les Balantes
volaient les bœufs de tout le monde
pour sauver leur honneur. Entre ces
peuplades, des marabouts musulmans
racontaient des sornettes. A l'ouest, les
Diolas déclaraient à l'envoyé du gouver-
nement qui leur réclamait l'impôt :
« Dis à ton maître qu'il vienne le pren-
dre ! » Et ces gens-là tiraient des quin-
taux de poudre dans les immenses
« boucaniers mâles » à crosse ronge que
l'Angleterre fabriquait et que nous leur
vendions, afin de procurer du plaisir
aux morts et de montrer leur puissance.
La brise de mer nous amollissait et
le vent d'Est nous desséchait. De-
vant mes yeux, le fleuve mesurait
deux kilomètres de largeur : il trans-
portait des troupes et des marchandi-
ses et nous servait de grand'route : il
- nourrissait -- des - hippopotames, des la-
mantins, des crocodiles et des poissons
à l'infini. Dans notre dos et sur nos tê-
tes, la nature généreube nous encom-
brait d'arbres démesurés. Ça nous parait
du soleil, mais nous étouffait un peu.
Et nous avions la certitude que cette
forêt contenait beaucoup trop de dia-
bles à deux et à quatre pattes. Les bêtes
y étaient diverses et farouches. Quant
aux gens, ils venaient de manger les
restes mortels d'un de nos lieutenants
bien qu'ils eussent des troupeaux nom-
breux, pour la seule raison qu'on ne
rate pas l'occasion de communier avec
la chair d'un homme qui s'est réelle-
ment battu comme plusieurs lions.
000
C'est dans cette situation qu'un cama-
rade rapporta, un jour, de son congé en
France, tout un lot de volumes de Ki-
pling. Personnellement, j'étais en état
de réceptivité, mieux que cela : en état
de grâce pour accueillir ces récits et
cette poésie. Mon émotion fut magnifi-
que. Ainsi, un homme qui avait vécu
notre vie dans les Indes prestigieuses,
s'occupait de nous, les exilés, les aven-
turiers. Il dégageait de cette rude mais
magnifique vie que nous menions toute
une poésie tumultueuse que nous sen-
tions. que nous subissions et qu'il ren-
dait concrète, qu'il rendait humaine.
Toutes les nouvelles publiées à cette
époque y passèrent, ainsi que les deux
Livres de la Jungle et Kim. * On s'en-
voyait des piétons ou des piroguiers
Dour se les arracher, avec des lettres
implorantes ou comminatoires. Et le*
livres merveilleux circulaient sur les
pistes en forêt, pincés entre les deux
lames d'un bâton fendu (à cause de la
sueur) ou par pirogue sous l'œil des ai-
gles au. cul blanc. Nous nous serions
bien réjouis, Marcel de Coppet, et vous,
Gouverneur Brunot. et vous, Edouard
Fouque et E. Laglaise, les grands lettrés
qui fondiez aussi des comptoirs, si l'on
nous eût dit que nous comprenions mal
Kipling. Nous aurions eu ce rire silen-
cieux d'un de mes vieux chasseurs noirs
à la vue d'un gibier rare et difficile.
Les Livres de la Jungle furent pour
nous, hommes de la brousse africaine,
la visite d'une grande dame mystérieu-
se. C'était l'Asie qui venait à nous, char-
gée de ses splendeurs et du secret de
nos origines. Nous avions bien appris
que les bêtes se mêlaient aux dieux de
l'Inde éternelle et qu'elles tenaient leur
ran e dans ces épopées hindoues qui
avaient pour théâtre le ciel le plus di-
vers et la terre la plus élevée du monde.
Mais Kipling rapprochait de nous ce
domaine supérieur et donnait du grade
à celui dans lequel nous vivions,
par des récits où chaque mot était une
création poétique.
Quant à Kim, il fut pour les Dion-
niers que nous étions, le maître-livre.
En ses pages et entre ses lignes, nous
retrouvions la vie de tous les jours que
l'on mène dans l'Inde et en général sous
le Tropique, lorsqu'on n'est pas astreint
à faire trop de rapports et qu'on aime
se déplacer à pied, à cheval, à toute
heure et par toute température. Person-
nellement, j'ai adoré dans Kim ce sens
de la vie tropicale où rarement le che-
min le plus court d'un point à l'autre
est la ligne droite, où la parole n'a pas
été donnée à l'homme et surtout à la
femme pour ne pas être violemment
utilisée.
D'autre part, ce qui m'a toujours en-
chanté dans Kim, c'est que ce sens de la
vie est parfaitement traduit par une as-
sez curieuse liberté du récit. C'est que
la vie, sous le tropique moins qu'ail-
leurs. n'a pas de technique précise. Et
si Kipling, vers la fin de son existence,
a suivi les remarquables travaux de
Dirac, qui font suite à ceux de M. Louis
de Broglie, il a dû s'enthousiasmer pour
la « petite fantaisie Il constatée dans les
lois qui régissent la vie interne de
l'atome.
La technique de Kipling, c'est sa poé-
sie qui atteint comme elle veut a la
grandeur épique, c'est aussi la puissan-
ce concentrée et la couleur inoubliable
du récit. Kim m'a fait comprendre
l'Inde mieux que tous les livres des sa-
vants. C'est le merveilleux reportage
de l'imagination.
Nous n'étions pas que des jeunes gens
qui cherchions l'enchantement de nos
heures de brousse : pareils à des termi-
tes, chacun pour notre part, nous ai-
dions à construire un empire que la
France, trop souvent, faisait passer
après ses querelles politiques, ou même
après une savoureuse histoire d'adul-
tère. Kipling, le poëte cosmique, nous
apparut aussi comme le chantre spécia-
lisé de l'Empire britannique. Ne se di-
sait-il pas lui-même : « the spokesman
of imperialism ».
LA SUITE A LA QUATRIÈME PAGE
LE LIVRE DE LA SEMAINE
SUR L'ART DE LA VIE
Dès 1906, dans le
plus ancien des essais
qui composent ce vo-
lume, Hermann de
Keyserling protestait
que le philosophe
n'est pas un savant,
mais un artiste; il
affirmait qu'une phi-
losophie tire sa va-
leur objective de son
caractère intensément
personnel. Etudiant,
en 1935, le cas de
l'orateur, il observe
H de Keyserling Que « sa personnalité
t vivante 4t présente
est non seulement l'essentiel, elle est tout ».
On lui rendra simplement justice en disant
que Sur l'Art de la Vie (1) ne renferme
point une page où nous ne sentions la pré-
sence vivante de Keyserling.
Pourtant, quatre de ces textes, antérieurs
à 1922, ont été traduits de l'allemand tandis
que les douze autres furent écrits en fran-
çais, l'année dernière. A joutons qu'aucun
ne se présente sous la forme a cne conte-
rence, même si les thèmes qu'il expose
furent d'abord traités de vive voix. Nous
n'en avons pas moins, en lisant ce livre,
avec l'impression d'une unité, celle d'un
perpétuel jaillissement. Cela s'explique
quand on sait que, de son propre aveu,
toute l'activité de Keyserling se définit com-
me « un effort continu de contribution à la
renaissance de l'homme concret ». Mais
cette richesse de points de vue, si stimu-
lante pour le lecteur, s'accommode mal
d'être reûétée dans le miroir du critique.
A ses propres risques, il lui faut se
frayer un chemin jusqu'au centre, malgré
son envie de s'attarder au remarquable cha-
pitre sur l'art chinois, au puissant tableau
du conflit des générations. Je crois cepen-
dant qu'il peut s'arrêter lorsqu'il est par-
venu à cette triple définition: « Etre hu-
main veut dire en premier lieu ne pas être
animal, ne pas être dominé par les ins-
tincts bruts. En second lieu, ne pas être
asservi par les objectivations de l'intellect.
Enfin, avoir sa dernière instance dans le
sujet personnel, dans l'âme qui sent. » Car
ces quelques lignes résument la doctrine
de Keyserling, son personnalisme spiritua-
liste et esthétique.
Elles éclaireront le sens des deux der-
niers chapitres qui justifient le titre de fou-
vrage. Après avoir vigoureusement dénoncé
l'équation socratique et opposé la beauté à
la vérité, Keyserling conclut qu'il « faut
arriver à une nouvelle culture de la Beauté
qui restaurerait l'intégralité humaine, mais
qui embrasserait aussi tout ce que contient
de positif l'élan occidental vers la Vérité ».
Chez les peuples comme cbez les individus.
rart de la vie se manifeste par le progrès
d'une culture qui leur donnera cette su-
prême dignité: incarner un style.
« Un esprit est important, non pas en
raison des idées abstraites qu'il a, mais
de l'être. profond qu'il est » : transcrire
cette phrase de Keyserling me dispensera
de formuler mes objections sur tel détail
de sa vaste synthèse. S'il pousse la haine
de l'inertie jusqu'à déclarer salutaire « la
tension internationale », il reste l'intrépide
apôtre d'un humanisme concret, exhortant
chacun de nous à trouver dans une coura-
geuse stylisation de soi-même son bonheur
René LALOU.
(1) Aux Editions Stock.
LONDRES
entre deux deuils
Par téléphone, de notre envoyé spécial
Hier, M. John Masefield, le poëte lauréat, a
.exhalé sa douleur en un sonnet bien frappé.
Ce matin, c'est M. Drinkwater, un des trois
ou quatre Sacha Guitry de Londres, qui fait
retentir d'un thrène désolé les colonnes du
Daily Mail. Mais la voix que le roi George
eût aimé entendre, la voix familière du grand
brave homme dont l'amitié fut précieuse au
grand brave roi, on ne l'entendra pas aux
obsèques impériales. Rudyard Kipling, le poëte
3e l'empire, est mort deux jours avant son
souverain. Dans tout cœur anglais, se cache
une minuscule cathédrale, une basilique à la
taille de la reine Mab, où l'on prie pour le
roi, pour la couronne et pour l'empire. Ce
temple possède, tout comme Westminster, son
coin des poëtes, où l'on ne s'occupe ni de
Byron, ni de Shelley, ni de Swinburne, ni
d'Oscar Wilde, mais des poëtes bâtisseurs et
constructeurs seulement, des poëtes que Pla-
ton eût admis dans la cité : serviteurs de
l'Etat, prophètes de l'intérêt public, créateurs
de mythes officiels. De ceux-là, Kipling était
le plus illustre, le plus méritant. Et tout un
peuple immense, accablé par la mort du roi,
n'oublie pas dans son chagrin la mort du poëte
national.
Initiative, endurance, curiosité, loyauté com-
merciale: ces qualités forgent les empires et
modèlent les poëtes du genre de celui-ci.
< Dépense bien tes forces » : tout l'art poéti-
que de Kipling. C'est tout à la fois une hy-
giène et une morale.
Sa vie est digne de son œuvre. C'est ce
qui frappe surtout les imaginations anglaises.
Les gazettes sont pleines de précisions bizar-
res, comme nous n'avons pas accoutumé d'en
trouver dans les nécrologies de nos grands
hommes: il laisse sept cent cinquante mille
livres (cinquante-sept millions de francs), la
plus grosse fortune qu'un écrivain ait jamais
amassée. Ses recueils de poëmes ont été tirés à
cent vingt-cinq mille, à cent soixante mille
exemplaires. Ce sont les plus forts tirages qu'un
poëte ait connus. Je ne veux pas jouer au
continental grincheux, mais je parierais bien
que Voltaire fut plus riche, Béranger plus
populaire.
♦ ♦ ♦
De vieux amis racontent .de yieilles histoi-i
res : un jour, Kipling apprend que son' nom
figure sur la liste des nouveaux nobles et
qu'on va le créer baronet. Il se précipite à
la chancellerie: c Seriez-vous satisfait, dit-il
au ministre, si vous appreniez à votre réveil,
par les journaux, que vous avez été fait évê-
que pendant la nuit ? » Ce grand pragmatiste,
épris des seules valeurs humaines, ce pion-
nier, ce conquérant, frère de Cecil Rhodes et
de Lawrence d'Arabie, Kipling de la Jungle,
méprisait les titres, les honneurs.
Il n'avait pas de maison à Londres, il des-
cendait dans ce petit hôtel où j'habite, dans
cette silencieuse Albemarle-Street où Byron
et Walter Scott venaient porter leurs manus-
crits à l'éditeur John Murray, qui y demeure
encore. Il aimait le luxe désuet de ces salons
aux cretonnes fleuries ; et ces grands feux
clairs qui chassent le brouillard. C'est ici que
Mme Kipling et sa fille cachent leur douleur.
Détail touchant et qui montre bien le carac-
tère familial de toutes les émotions anglai-
ses: c'est au gendre de Kipling, au capitaine
Bambridge, qu'il faut s'adresser pour avoir ac-
cès à Westminster jeudi, pendant la cérémonie.
Pour tous les vrais Anglais, le roi et le poëte
étaient comme des parents éloignés, qui oc-
cupent une haute situation dans le monde, que
l'on rencontre rarement ou que l'on n'a jamais
vus, et dont on est quand même très fier. On
- - - - -. -
est heureux de les avoir (les cousins d Amé-
rique en sont assez jaloux). On souffre en les
perdant.
Lundi soir, le roi était au plus mal. Les der-
niers bulletins publiés ne laissaient plus d'es-
poir. Au New Theatre où je me trouvais, un
public très élégant écoutait avec dévotion Ro-
méo et Juliette, admirablement interprété par
Gielgud et Peggy Ashcroft. Le spectacle prit
fin. On applaudit les artistes. L'assistance, de-
bout, attendait: comme on attend tous les soirs,
le God sape the King qui fait le cœur battre
plus fort et la pensée se tourner vers le gar-
dien vénéré des libertés britanniques. On at-
tendit vingt secondes, quarante secondes, une
minute : il n'y eut pas de God save the King.
Alors, silencieusement, les spectateurs se re-
gardèrent. Us avaient compris. A ce moment-
là, ils se sentaient, eux et leurs quatre cent
quarante millions de compatriotes, les passa-
gers d'un même navire, dont le pilote vient de
défaillir.
Le Grand Maréchal d'Angleterre a prescrit
un deuil général qui ne concerne pas seule-
ment l'armée ou les fonctionnaires, mais
s'adresse à c toutes les personnes s,. n faut
que ce deuil soit convenable sans être osten-
tatoire. Hier soir, au grill du Savoy, tous les
dîneurs, sans exception, portaient ce deuil
convenable : robes et chapeaux noirs pour les
dames : vestons noirs, chemises blanches et
Le coin des poëtes
à l'Abbaye de Westminster
cravates noires pour les hommes. Mais l'ani-
mation habituelle du restaurant ne s'était pas
ralentie.
Ce matin, dans toutes les chemiseries de
Londres, il n'y a plus une chemise à trouver.
Le ciel n'observe pas le « deuil convenable ».
Un brouillard de nacre rose tapisse l'écrin de
Westminster. L'étendard de l'Abbaye où l'on
voit sur fond d'or des roses, des colombes,
des léopards et des fleurs de lys, est déployé
sur les ogives. Nous entrons par le Cloître
Vert. Des huissiers en toge, que dirige un
bedeau en perruque à marteau, nous indi-
quent notre place dans les stalles du chœur.
Nous ne voyons pas la foule qui remplit la
nef de la cathédrale et les transepts.
Midi. Le clergé de l'Abbaye, précédé de la
maîtrise, traverse lentement la cathédrale.
Recouvert d'un drapeau britannique, le cer-
cueil porté par des hommes habillés de violet
est déposé au pied de l'autel. Ce cercueil ne
contient qu'une urne de pierre. Le corps da
poëte a été incinéré hier. La liturgie protes-
tante se déroule. L'assistance chante les hym-
nes avec le chœur :
« Nous te remercions du fond du cœur,
Dieu tout-puissant, pour la vie et les œuvres
de notre frère Rudyard. »
Soudain, les voix enfantines chantent en
majeur, comme un péan triomphal, les stro-
phes qui montent vers la voûte : c Le tu-
multe et les clameurs s'apaisent - Les capi-
taines et les rois disparaissent - Dieu de nos
pères, ton ancien sacrifice demeure ». Au
rythme de ses propres vers, le poëte impé-
rial entre dans l'immortalité. Juste en face de
moi, l'ambassadeur d'Italie, M. Grandi, s'in-
cline gravement : c Le spectacle de la gloire
est le plus émouvant qui soit pour une âme
italienne. »
-*- -9> -*.
Les cendres de Rudyard Kipling reposent
dans le Coin des Poëtes. Ses voisins (ils n'ont
pas composé de poëmes) s'appellent Charles
Dickens, Haendel, Thomas Hardy, Addison,
Macaulay.
Sur la place, devant Westminster, des mil-
liers de gens se rangent sur le trottoir pour
voir passer; dans quatre heures, le cortège
funèbre du Roi.
Hier, une prodigieuse cavalcade a parcouru
la,Cité de Londres pour proclamer, au son
des cuivres, Edouard VllI, Roi d'Angleterre
et des Dominions d'au delà des mers, Empe-
reur des Indes. Ces cavaliers portaient des
noms français si surprenants que je les au-
rais crus inventés par les caprices d'un Fa-
brice de la Tour du Pin. C'était le Roi d'Ar-
mes de Norroy et le Roi d'Armes de Claren-
feux, le Poursuivant au rose manteau et le
Poursuivant au manteau d'azur.
C'est un Roi d'Armes sans armure qui
précède George V aux portes de la mort. Son
nom sonne clair à toutes les oreilles humaines.
H s'appelle Rudyard Kipling.
Léon KOCHNITZKY.
En quatrième page :
Leur style : PAUL VALERY
En septième page :
Nos pages anthologiques :
KIPLING
L'HOMME ET L'UNIVBRS
La fittérature et fa doufeur
par Paul HAZARD,
Professeur au Collège de France
Le titre n'est pas bon : Apologie pour
l'anormal ; -et la preuve, c'est qu'il a besoin
d'un sous-titre, Manifeste du dolorisme :
lequel n'est pas bon non plus. Les manifes-
tes et les théories me font toujours penser
au mot de Bernard Shaw : ce qu'on est
capable de faire, on le fait ; ce qu'on n'est
pas capable de faire, on l'enseigne. Cette
brochure que le courrier m'apporte, je ne
l'ouvrirai pas.
Je l'ouvre ; et bientôt je suis saisi par
l'originalité de son accent. En phrases ner-
veuses et inégales, tantôt soulevées par la
passion, tantôt chargées de souvenirs clas-
siques ; dans un vocabulaire qui admet à
la fois les mots rares, les termes médicaux,
l'argot, l'auteur, M. Julien Teppe, soutient
ardemment la thèse que voici. La psycho-
logie de l'homme bien portant est, en géné-
ral, grossière et simpliste. Satisfait de lui-
même, l'homme bien portant ne s'attarde
guère à scruter le cœur d'autrui : à peine
s'occupe-t-il de son propre cœur. Ses acti-
vités de surface prennent tout son temps ;
le sens commun, le bon-sens, suffisent à
diriger sa vie ; la facilité, la tiédeur, le bon
garçonnisme, voilà son climat. Si quelque
passion le tourmente, après un moment de
chagrin il l'oublie, il l'oublie pour recom-
mencer.
Considérez, au contraire, le malheureux
qu'a frappé quelque infirmité grave ; celui
qui est condamné à la subir jusqu'à la fin
de ses jours douloureux ; celui qui cumule
les croix ; celui qui est en vie, et ne peut
pas vivre. Quelle profondeur de vie inté-
rieure ! Angoisses, désespoir, rébellions
vaines ; désir de tyranniser les personnes
qui l'entourent et qui le servent, désir d'au-
tant plus vif que ces personnes lui sont plus
chères : dans son âme tout devient, au sens
précis du mot, pathétique.
Mais surtout, voyez comme ses facultés
s'affinent. Il faut que sa volonté s'exerce à
tout moment, pour dominer et refréner ces
impulsions qui le rendraient odieux. Il faut
que son imagination reconstruise, avec les
rares indices qui arrivent jusqu'à lui, un
monde qu'il ne verra jamais plus. Il est
occupé, du matin au soir, et quelquefois
au long de ses nuits torturées, à s'observer,
à s'analyser, à creuser jusqu'aux couches
profondes où gît l'inconscient. Qui, mieux
que lui, comprend l'étendue de la misère
humaine ? Le sentiment de l'injustice du
sort, qui l'éprouve plus fortement que lui ?
Il prend en horreur les lieux communs, les
banalités qui sont notre monnaie courante :
quel dégoût, quelle révolte, lorsqu'un gail-
lard frais et gros, qui se dit son ami, lui
bourrant l'épaule, s'écrie : « Ça ira mieux.
Allons, un peu de courage, que diable ! Un
peu d'énergie ! » L'existence du malade,
« décantée de l'accessoire, 6'oriente inéluc- j
tablement vers l'essentiel ». En effet, « mu-
tilante d'abord, la souffrance devient vite
rédemptrice, et la captivité forcée de l'al-
gique se muant en libération, la nécessité
de se clapir, de se reclure, de se retrancher
du monde, lui permettent de se donner
complètement à la recherche de l'absolu ».
Or la littérature a trop négligé ces ri-
chesses. Ayant pris l'habitude de s'occu-
per du terme cœur-sens, elle a laissé de
côté le terme cœur-esprit. Le grand malade
60urit de pitié, lorsqu'il voit un romancier
consacrer trois cents ou cinq cents pages
à l'étude d'un amour trompé : un amour
trompé, ce n'est qu'une comédie passagère,
à côté du drame sans fin qui agite son pro-
pre cœur. Qu'elles sont puériles, les lamen-
tations romantiques ! « Loin des troubles
fièvres, des élans indisciplinés, des illumi-
nations suivies de brusques obscurités, c'est
une analyse lucide jusqu'à l'austérité qui
caractérise l'art rigoureux, déterminé, vo-
lontaire, d'une netteté dirai-je métallique,
de l'algique cent pour cent. Pas de lamen-
tations vainement lyriques ; mais, la ma-
ladie développant seule peut-être la faculté
de conserver toujours en soi-même un petit
coin qui ne vibre pas, et à qui rien n'échap-
pe des plus mesquines faiblesses, un déta-
chement unique de soi dans la recherche des
secrets du Moi le plus intime. Dans une
chair désolée l'esprit flambe, et la plus la-
mentable détresse produit seule un livre
incomparablement dur, d'une résonance pro-
pre dans l'expression de déchirements atro-
ces, dans la scrutation tranquille d'une
douleur dénuée de toute emphase ».
Telle est la thèse. Chacun la discutera,
suivant ses goûts particuliers; et le moins
qu'on pourra dire, c'est qu'elle est trop ex-
clusive. Il y a des gens bien portants qui
ont porté si loin l'acuité de leur observa-
tion intérieure, qu'ils ont fini par avoir eux-
mêmes une psychologie d'écorchés. Et puis,
s'il est des activités spirituelles que la ma-
ladie favorise, il en est d'autres qu'elle
anéantit. Je veux bien que les Concourt
aient raison, quand ils écrivent dans leur
Journal : « Pour le rendu des délicates-
ses, des mélancolies exquises, des fantaisies
rares et délicieuses sur la corde vibrante de
l'âme et du cœur, ne faut-il pas. je me le
demande, un coin maladif dans l'homme, et
n'est-il pas nécessaire d'être un peu, à la
façon. de Henri Heine, un crucifié physi-
que ? » Mais je pense aussi que Voltaire
n'avait pas tort, quand il écrivait à la pré-
sidente de Bernières : « Quand on a mnl
à la gorge, il n'y a pas moyen de s'épuiser
en grands sentiments. » -. -
Le qUI est hors de discussion, c est la
noblesse et la grandeur de l'attitude morale
que ces pages nous révèlent. Elles ont été
écrites par un vaillant qui, ne consentant
pas à sa défaite, l'a transformée IOn vic-
toire. Quel est-il ? Je ne sais. Où est-il ?
Etendu dans quelle chambre ? ou sur quel
lit d'hôpital ? Je l'ignore encore : j'ignore
même la nature de son mal. C'est un hom-
me jeune ; on le devinerait à ses vivacités,
à ses partis pris, à ses belles injustices ; et,
d'autre part, le docteur Charles Fiessinger
nous parle dans sa Préface « de l'étude dé. -
solee et clairvoyante que M. Julien Teppe,
qui n'a pas atteint sa vingt-cinquième an-
née, a écrite dans les transes de ses an-
goisses et avec les sueurs de son sang ».
Souffrant, enfermé dans sa geôle, sevré du
monde ce sont toutes ses expressions
il a voulu lancer un cri d'appel vers ses
frères heureux, non pour leur exprimer son
amertume, mais pour leur être utile. pour
les mener à plus de vérité. J'essaye de me
représenter sa figure, dans l'inconnu : je
crois lui parler, en mettant dans ma voix
non pas une nuance de compassion qui con
viendrait mal à son héroïsme, mais d'admi.
ration et de respect ; je crois entendre s:
voix, qui répète les belles et tragiques pa.
roles d'Alphonse Daudet :
0 ma douleur ! sois tout pour moi.
Les pays dont tu me prives.
Que mes yeux les trouvent en toi.
Sors ma philosophie, sois ma science.
Madame Eulalie
ALDO PALAZZESCHI
cette nouvelle d'Aldo lui'l:.:eschi est ex-
traite du recueil intitulé : Estampes du
xixe siècle. Ce conteur est aussi un poëte
de grande valeur et l'un des romanciers les
plus célèbres de la jeune Italie. Il a débuté
dans la prose avec un roman fantaisiste
Le Code de Pevelà et son dernier roman.
une très belle Ceuvre. Les sœurs Materassi
fut en 1934 un grand succès en Italie.
'Ó''Ó'-Ó'
Le 17 novembre 1934. Les Nouvelles Litté-
raires publiaient Une heure avec Aldo Palaz-
zeschi. Voici ce qu'écrivait Frédéric Lefèvre
d'Estampes du xiie siècle : c Avec Es-
tampes du XIXe siècle exquis souvenirs
d'enfance il conquit le grand public
Soumise aux dures lois de la prose, sa sen
sibilité décelait mieux encore ses rares qua-
lités : une prédilection pour le grotesque
pour les fantoches et les monstres ; le goût
ae montrer les êtres dans des conditions de
vie anormales. Dans l'obsenatioll, de per-
sonnages que leur physique, par exemple.
rend un peu ridicules, il perçoit mieux, sem-
ble-t-ll, le mal de vivre. Sous une ironie
d'apparence nonchalante et oint/sée. une
imerlume authentique, une tristesse qui va
rotn. Un écrivain dont l'inspiration est pro-
fondément italienne et en même temps l'un
les plus dignes d'être entendus par delà les
rontières. ».
C'est avec grand'mère que j'allais
là ; et la pauvre soufflait dans l'esca-
lier qui était terriblement raide. Elle
s'arrêtait toutes les trois marches ;
j'avais l'impression qu'on ne bougeait
pas, je regardais continuellement en
l'air. Elle veillait à ce que je ne me
pendisse pas à la rampe. On n'en fi-
nissait pas, pour arriver au quatriè-
me. A mi-chemin on s'asseyait sur
deux banquettes encastrées tout ex-
près aux deux coins du palier. J'ado-
rais m'asseoir comme ça dans l'esca-
lier sans être fatigué.
Madame Eulalie recevait dans sa
salle à manger qui était sombre et
pleine de meubles avec des vitrines
bourrées d'argenterie, de verrerie, de
vaisselle, le tout entassé sans amour
et révélant une aisance de vieille date.
Aux murs, il y avait des assiettes dé-
coratives et des tableaux représen-
tant des femmes qui étaient les Qua-
tre Saisons. Il y avait aussi une hor-
loge à poids.
Qu. trouvait toujours là deux person-
0,75 » N° 693
IF NUMERO nIr 11IYP FRANCS
., - __n.- -- --.,- - '-'-
LES HOUVELLES LITTERAIRES
ARTISTIQUES ET SCIENTIFIQUES
- DIRECTEUR, : MAURICE MARTIN DU GARD
".:. RÉDACTEUR EN CKE,f »f*ÉDiRIC IEFÊVRE
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AOMINIS t kATION ET VENTE.
LAROUSSE - PARIS
I) è 21. tue MONTPARNASSE (VI')
LA LUMIÈRE QUI NE S'ÉTEINT PAS
RUDYARD KIPLING
Homère de t Empire
par André DEMAISON
C'est au cours des années qui précé-
dèrent la guerre que je découvris l'œu-
vre de Kipling. Je venais de faire mon
service militaire à Dakar et à Thiès ;
je fondais de nouveaux comptoirs com-
me les antiques Phéniciens de Tyr et de
Sidon tout au fond d'une sorte d'estuai-
re qui se prolongeait fort loin dans les
terres de l'Afrique occidentale.
Cette Casamance avait vu passer bien
des esclavagistes et des aventuriers,
même des fondateurs d'empire au petit
pied. Au nord et à 1 est de mon habi-
tation, les Mandingues essuyaient leurs
sabres et forgeaient de nouveaux instru-
ments de culture. Au sud, les Balantes
volaient les bœufs de tout le monde
pour sauver leur honneur. Entre ces
peuplades, des marabouts musulmans
racontaient des sornettes. A l'ouest, les
Diolas déclaraient à l'envoyé du gouver-
nement qui leur réclamait l'impôt :
« Dis à ton maître qu'il vienne le pren-
dre ! » Et ces gens-là tiraient des quin-
taux de poudre dans les immenses
« boucaniers mâles » à crosse ronge que
l'Angleterre fabriquait et que nous leur
vendions, afin de procurer du plaisir
aux morts et de montrer leur puissance.
La brise de mer nous amollissait et
le vent d'Est nous desséchait. De-
vant mes yeux, le fleuve mesurait
deux kilomètres de largeur : il trans-
portait des troupes et des marchandi-
ses et nous servait de grand'route : il
- nourrissait -- des - hippopotames, des la-
mantins, des crocodiles et des poissons
à l'infini. Dans notre dos et sur nos tê-
tes, la nature généreube nous encom-
brait d'arbres démesurés. Ça nous parait
du soleil, mais nous étouffait un peu.
Et nous avions la certitude que cette
forêt contenait beaucoup trop de dia-
bles à deux et à quatre pattes. Les bêtes
y étaient diverses et farouches. Quant
aux gens, ils venaient de manger les
restes mortels d'un de nos lieutenants
bien qu'ils eussent des troupeaux nom-
breux, pour la seule raison qu'on ne
rate pas l'occasion de communier avec
la chair d'un homme qui s'est réelle-
ment battu comme plusieurs lions.
000
C'est dans cette situation qu'un cama-
rade rapporta, un jour, de son congé en
France, tout un lot de volumes de Ki-
pling. Personnellement, j'étais en état
de réceptivité, mieux que cela : en état
de grâce pour accueillir ces récits et
cette poésie. Mon émotion fut magnifi-
que. Ainsi, un homme qui avait vécu
notre vie dans les Indes prestigieuses,
s'occupait de nous, les exilés, les aven-
turiers. Il dégageait de cette rude mais
magnifique vie que nous menions toute
une poésie tumultueuse que nous sen-
tions. que nous subissions et qu'il ren-
dait concrète, qu'il rendait humaine.
Toutes les nouvelles publiées à cette
époque y passèrent, ainsi que les deux
Livres de la Jungle et Kim. * On s'en-
voyait des piétons ou des piroguiers
Dour se les arracher, avec des lettres
implorantes ou comminatoires. Et le*
livres merveilleux circulaient sur les
pistes en forêt, pincés entre les deux
lames d'un bâton fendu (à cause de la
sueur) ou par pirogue sous l'œil des ai-
gles au. cul blanc. Nous nous serions
bien réjouis, Marcel de Coppet, et vous,
Gouverneur Brunot. et vous, Edouard
Fouque et E. Laglaise, les grands lettrés
qui fondiez aussi des comptoirs, si l'on
nous eût dit que nous comprenions mal
Kipling. Nous aurions eu ce rire silen-
cieux d'un de mes vieux chasseurs noirs
à la vue d'un gibier rare et difficile.
Les Livres de la Jungle furent pour
nous, hommes de la brousse africaine,
la visite d'une grande dame mystérieu-
se. C'était l'Asie qui venait à nous, char-
gée de ses splendeurs et du secret de
nos origines. Nous avions bien appris
que les bêtes se mêlaient aux dieux de
l'Inde éternelle et qu'elles tenaient leur
ran e dans ces épopées hindoues qui
avaient pour théâtre le ciel le plus di-
vers et la terre la plus élevée du monde.
Mais Kipling rapprochait de nous ce
domaine supérieur et donnait du grade
à celui dans lequel nous vivions,
par des récits où chaque mot était une
création poétique.
Quant à Kim, il fut pour les Dion-
niers que nous étions, le maître-livre.
En ses pages et entre ses lignes, nous
retrouvions la vie de tous les jours que
l'on mène dans l'Inde et en général sous
le Tropique, lorsqu'on n'est pas astreint
à faire trop de rapports et qu'on aime
se déplacer à pied, à cheval, à toute
heure et par toute température. Person-
nellement, j'ai adoré dans Kim ce sens
de la vie tropicale où rarement le che-
min le plus court d'un point à l'autre
est la ligne droite, où la parole n'a pas
été donnée à l'homme et surtout à la
femme pour ne pas être violemment
utilisée.
D'autre part, ce qui m'a toujours en-
chanté dans Kim, c'est que ce sens de la
vie est parfaitement traduit par une as-
sez curieuse liberté du récit. C'est que
la vie, sous le tropique moins qu'ail-
leurs. n'a pas de technique précise. Et
si Kipling, vers la fin de son existence,
a suivi les remarquables travaux de
Dirac, qui font suite à ceux de M. Louis
de Broglie, il a dû s'enthousiasmer pour
la « petite fantaisie Il constatée dans les
lois qui régissent la vie interne de
l'atome.
La technique de Kipling, c'est sa poé-
sie qui atteint comme elle veut a la
grandeur épique, c'est aussi la puissan-
ce concentrée et la couleur inoubliable
du récit. Kim m'a fait comprendre
l'Inde mieux que tous les livres des sa-
vants. C'est le merveilleux reportage
de l'imagination.
Nous n'étions pas que des jeunes gens
qui cherchions l'enchantement de nos
heures de brousse : pareils à des termi-
tes, chacun pour notre part, nous ai-
dions à construire un empire que la
France, trop souvent, faisait passer
après ses querelles politiques, ou même
après une savoureuse histoire d'adul-
tère. Kipling, le poëte cosmique, nous
apparut aussi comme le chantre spécia-
lisé de l'Empire britannique. Ne se di-
sait-il pas lui-même : « the spokesman
of imperialism ».
LA SUITE A LA QUATRIÈME PAGE
LE LIVRE DE LA SEMAINE
SUR L'ART DE LA VIE
Dès 1906, dans le
plus ancien des essais
qui composent ce vo-
lume, Hermann de
Keyserling protestait
que le philosophe
n'est pas un savant,
mais un artiste; il
affirmait qu'une phi-
losophie tire sa va-
leur objective de son
caractère intensément
personnel. Etudiant,
en 1935, le cas de
l'orateur, il observe
H de Keyserling Que « sa personnalité
t vivante 4t présente
est non seulement l'essentiel, elle est tout ».
On lui rendra simplement justice en disant
que Sur l'Art de la Vie (1) ne renferme
point une page où nous ne sentions la pré-
sence vivante de Keyserling.
Pourtant, quatre de ces textes, antérieurs
à 1922, ont été traduits de l'allemand tandis
que les douze autres furent écrits en fran-
çais, l'année dernière. A joutons qu'aucun
ne se présente sous la forme a cne conte-
rence, même si les thèmes qu'il expose
furent d'abord traités de vive voix. Nous
n'en avons pas moins, en lisant ce livre,
avec l'impression d'une unité, celle d'un
perpétuel jaillissement. Cela s'explique
quand on sait que, de son propre aveu,
toute l'activité de Keyserling se définit com-
me « un effort continu de contribution à la
renaissance de l'homme concret ». Mais
cette richesse de points de vue, si stimu-
lante pour le lecteur, s'accommode mal
d'être reûétée dans le miroir du critique.
A ses propres risques, il lui faut se
frayer un chemin jusqu'au centre, malgré
son envie de s'attarder au remarquable cha-
pitre sur l'art chinois, au puissant tableau
du conflit des générations. Je crois cepen-
dant qu'il peut s'arrêter lorsqu'il est par-
venu à cette triple définition: « Etre hu-
main veut dire en premier lieu ne pas être
animal, ne pas être dominé par les ins-
tincts bruts. En second lieu, ne pas être
asservi par les objectivations de l'intellect.
Enfin, avoir sa dernière instance dans le
sujet personnel, dans l'âme qui sent. » Car
ces quelques lignes résument la doctrine
de Keyserling, son personnalisme spiritua-
liste et esthétique.
Elles éclaireront le sens des deux der-
niers chapitres qui justifient le titre de fou-
vrage. Après avoir vigoureusement dénoncé
l'équation socratique et opposé la beauté à
la vérité, Keyserling conclut qu'il « faut
arriver à une nouvelle culture de la Beauté
qui restaurerait l'intégralité humaine, mais
qui embrasserait aussi tout ce que contient
de positif l'élan occidental vers la Vérité ».
Chez les peuples comme cbez les individus.
rart de la vie se manifeste par le progrès
d'une culture qui leur donnera cette su-
prême dignité: incarner un style.
« Un esprit est important, non pas en
raison des idées abstraites qu'il a, mais
de l'être. profond qu'il est » : transcrire
cette phrase de Keyserling me dispensera
de formuler mes objections sur tel détail
de sa vaste synthèse. S'il pousse la haine
de l'inertie jusqu'à déclarer salutaire « la
tension internationale », il reste l'intrépide
apôtre d'un humanisme concret, exhortant
chacun de nous à trouver dans une coura-
geuse stylisation de soi-même son bonheur
René LALOU.
(1) Aux Editions Stock.
LONDRES
entre deux deuils
Par téléphone, de notre envoyé spécial
Hier, M. John Masefield, le poëte lauréat, a
.exhalé sa douleur en un sonnet bien frappé.
Ce matin, c'est M. Drinkwater, un des trois
ou quatre Sacha Guitry de Londres, qui fait
retentir d'un thrène désolé les colonnes du
Daily Mail. Mais la voix que le roi George
eût aimé entendre, la voix familière du grand
brave homme dont l'amitié fut précieuse au
grand brave roi, on ne l'entendra pas aux
obsèques impériales. Rudyard Kipling, le poëte
3e l'empire, est mort deux jours avant son
souverain. Dans tout cœur anglais, se cache
une minuscule cathédrale, une basilique à la
taille de la reine Mab, où l'on prie pour le
roi, pour la couronne et pour l'empire. Ce
temple possède, tout comme Westminster, son
coin des poëtes, où l'on ne s'occupe ni de
Byron, ni de Shelley, ni de Swinburne, ni
d'Oscar Wilde, mais des poëtes bâtisseurs et
constructeurs seulement, des poëtes que Pla-
ton eût admis dans la cité : serviteurs de
l'Etat, prophètes de l'intérêt public, créateurs
de mythes officiels. De ceux-là, Kipling était
le plus illustre, le plus méritant. Et tout un
peuple immense, accablé par la mort du roi,
n'oublie pas dans son chagrin la mort du poëte
national.
Initiative, endurance, curiosité, loyauté com-
merciale: ces qualités forgent les empires et
modèlent les poëtes du genre de celui-ci.
< Dépense bien tes forces » : tout l'art poéti-
que de Kipling. C'est tout à la fois une hy-
giène et une morale.
Sa vie est digne de son œuvre. C'est ce
qui frappe surtout les imaginations anglaises.
Les gazettes sont pleines de précisions bizar-
res, comme nous n'avons pas accoutumé d'en
trouver dans les nécrologies de nos grands
hommes: il laisse sept cent cinquante mille
livres (cinquante-sept millions de francs), la
plus grosse fortune qu'un écrivain ait jamais
amassée. Ses recueils de poëmes ont été tirés à
cent vingt-cinq mille, à cent soixante mille
exemplaires. Ce sont les plus forts tirages qu'un
poëte ait connus. Je ne veux pas jouer au
continental grincheux, mais je parierais bien
que Voltaire fut plus riche, Béranger plus
populaire.
♦ ♦ ♦
De vieux amis racontent .de yieilles histoi-i
res : un jour, Kipling apprend que son' nom
figure sur la liste des nouveaux nobles et
qu'on va le créer baronet. Il se précipite à
la chancellerie: c Seriez-vous satisfait, dit-il
au ministre, si vous appreniez à votre réveil,
par les journaux, que vous avez été fait évê-
que pendant la nuit ? » Ce grand pragmatiste,
épris des seules valeurs humaines, ce pion-
nier, ce conquérant, frère de Cecil Rhodes et
de Lawrence d'Arabie, Kipling de la Jungle,
méprisait les titres, les honneurs.
Il n'avait pas de maison à Londres, il des-
cendait dans ce petit hôtel où j'habite, dans
cette silencieuse Albemarle-Street où Byron
et Walter Scott venaient porter leurs manus-
crits à l'éditeur John Murray, qui y demeure
encore. Il aimait le luxe désuet de ces salons
aux cretonnes fleuries ; et ces grands feux
clairs qui chassent le brouillard. C'est ici que
Mme Kipling et sa fille cachent leur douleur.
Détail touchant et qui montre bien le carac-
tère familial de toutes les émotions anglai-
ses: c'est au gendre de Kipling, au capitaine
Bambridge, qu'il faut s'adresser pour avoir ac-
cès à Westminster jeudi, pendant la cérémonie.
Pour tous les vrais Anglais, le roi et le poëte
étaient comme des parents éloignés, qui oc-
cupent une haute situation dans le monde, que
l'on rencontre rarement ou que l'on n'a jamais
vus, et dont on est quand même très fier. On
- - - - -. -
est heureux de les avoir (les cousins d Amé-
rique en sont assez jaloux). On souffre en les
perdant.
Lundi soir, le roi était au plus mal. Les der-
niers bulletins publiés ne laissaient plus d'es-
poir. Au New Theatre où je me trouvais, un
public très élégant écoutait avec dévotion Ro-
méo et Juliette, admirablement interprété par
Gielgud et Peggy Ashcroft. Le spectacle prit
fin. On applaudit les artistes. L'assistance, de-
bout, attendait: comme on attend tous les soirs,
le God sape the King qui fait le cœur battre
plus fort et la pensée se tourner vers le gar-
dien vénéré des libertés britanniques. On at-
tendit vingt secondes, quarante secondes, une
minute : il n'y eut pas de God save the King.
Alors, silencieusement, les spectateurs se re-
gardèrent. Us avaient compris. A ce moment-
là, ils se sentaient, eux et leurs quatre cent
quarante millions de compatriotes, les passa-
gers d'un même navire, dont le pilote vient de
défaillir.
Le Grand Maréchal d'Angleterre a prescrit
un deuil général qui ne concerne pas seule-
ment l'armée ou les fonctionnaires, mais
s'adresse à c toutes les personnes s,. n faut
que ce deuil soit convenable sans être osten-
tatoire. Hier soir, au grill du Savoy, tous les
dîneurs, sans exception, portaient ce deuil
convenable : robes et chapeaux noirs pour les
dames : vestons noirs, chemises blanches et
Le coin des poëtes
à l'Abbaye de Westminster
cravates noires pour les hommes. Mais l'ani-
mation habituelle du restaurant ne s'était pas
ralentie.
Ce matin, dans toutes les chemiseries de
Londres, il n'y a plus une chemise à trouver.
Le ciel n'observe pas le « deuil convenable ».
Un brouillard de nacre rose tapisse l'écrin de
Westminster. L'étendard de l'Abbaye où l'on
voit sur fond d'or des roses, des colombes,
des léopards et des fleurs de lys, est déployé
sur les ogives. Nous entrons par le Cloître
Vert. Des huissiers en toge, que dirige un
bedeau en perruque à marteau, nous indi-
quent notre place dans les stalles du chœur.
Nous ne voyons pas la foule qui remplit la
nef de la cathédrale et les transepts.
Midi. Le clergé de l'Abbaye, précédé de la
maîtrise, traverse lentement la cathédrale.
Recouvert d'un drapeau britannique, le cer-
cueil porté par des hommes habillés de violet
est déposé au pied de l'autel. Ce cercueil ne
contient qu'une urne de pierre. Le corps da
poëte a été incinéré hier. La liturgie protes-
tante se déroule. L'assistance chante les hym-
nes avec le chœur :
« Nous te remercions du fond du cœur,
Dieu tout-puissant, pour la vie et les œuvres
de notre frère Rudyard. »
Soudain, les voix enfantines chantent en
majeur, comme un péan triomphal, les stro-
phes qui montent vers la voûte : c Le tu-
multe et les clameurs s'apaisent - Les capi-
taines et les rois disparaissent - Dieu de nos
pères, ton ancien sacrifice demeure ». Au
rythme de ses propres vers, le poëte impé-
rial entre dans l'immortalité. Juste en face de
moi, l'ambassadeur d'Italie, M. Grandi, s'in-
cline gravement : c Le spectacle de la gloire
est le plus émouvant qui soit pour une âme
italienne. »
-*- -9> -*.
Les cendres de Rudyard Kipling reposent
dans le Coin des Poëtes. Ses voisins (ils n'ont
pas composé de poëmes) s'appellent Charles
Dickens, Haendel, Thomas Hardy, Addison,
Macaulay.
Sur la place, devant Westminster, des mil-
liers de gens se rangent sur le trottoir pour
voir passer; dans quatre heures, le cortège
funèbre du Roi.
Hier, une prodigieuse cavalcade a parcouru
la,Cité de Londres pour proclamer, au son
des cuivres, Edouard VllI, Roi d'Angleterre
et des Dominions d'au delà des mers, Empe-
reur des Indes. Ces cavaliers portaient des
noms français si surprenants que je les au-
rais crus inventés par les caprices d'un Fa-
brice de la Tour du Pin. C'était le Roi d'Ar-
mes de Norroy et le Roi d'Armes de Claren-
feux, le Poursuivant au rose manteau et le
Poursuivant au manteau d'azur.
C'est un Roi d'Armes sans armure qui
précède George V aux portes de la mort. Son
nom sonne clair à toutes les oreilles humaines.
H s'appelle Rudyard Kipling.
Léon KOCHNITZKY.
En quatrième page :
Leur style : PAUL VALERY
En septième page :
Nos pages anthologiques :
KIPLING
L'HOMME ET L'UNIVBRS
La fittérature et fa doufeur
par Paul HAZARD,
Professeur au Collège de France
Le titre n'est pas bon : Apologie pour
l'anormal ; -et la preuve, c'est qu'il a besoin
d'un sous-titre, Manifeste du dolorisme :
lequel n'est pas bon non plus. Les manifes-
tes et les théories me font toujours penser
au mot de Bernard Shaw : ce qu'on est
capable de faire, on le fait ; ce qu'on n'est
pas capable de faire, on l'enseigne. Cette
brochure que le courrier m'apporte, je ne
l'ouvrirai pas.
Je l'ouvre ; et bientôt je suis saisi par
l'originalité de son accent. En phrases ner-
veuses et inégales, tantôt soulevées par la
passion, tantôt chargées de souvenirs clas-
siques ; dans un vocabulaire qui admet à
la fois les mots rares, les termes médicaux,
l'argot, l'auteur, M. Julien Teppe, soutient
ardemment la thèse que voici. La psycho-
logie de l'homme bien portant est, en géné-
ral, grossière et simpliste. Satisfait de lui-
même, l'homme bien portant ne s'attarde
guère à scruter le cœur d'autrui : à peine
s'occupe-t-il de son propre cœur. Ses acti-
vités de surface prennent tout son temps ;
le sens commun, le bon-sens, suffisent à
diriger sa vie ; la facilité, la tiédeur, le bon
garçonnisme, voilà son climat. Si quelque
passion le tourmente, après un moment de
chagrin il l'oublie, il l'oublie pour recom-
mencer.
Considérez, au contraire, le malheureux
qu'a frappé quelque infirmité grave ; celui
qui est condamné à la subir jusqu'à la fin
de ses jours douloureux ; celui qui cumule
les croix ; celui qui est en vie, et ne peut
pas vivre. Quelle profondeur de vie inté-
rieure ! Angoisses, désespoir, rébellions
vaines ; désir de tyranniser les personnes
qui l'entourent et qui le servent, désir d'au-
tant plus vif que ces personnes lui sont plus
chères : dans son âme tout devient, au sens
précis du mot, pathétique.
Mais surtout, voyez comme ses facultés
s'affinent. Il faut que sa volonté s'exerce à
tout moment, pour dominer et refréner ces
impulsions qui le rendraient odieux. Il faut
que son imagination reconstruise, avec les
rares indices qui arrivent jusqu'à lui, un
monde qu'il ne verra jamais plus. Il est
occupé, du matin au soir, et quelquefois
au long de ses nuits torturées, à s'observer,
à s'analyser, à creuser jusqu'aux couches
profondes où gît l'inconscient. Qui, mieux
que lui, comprend l'étendue de la misère
humaine ? Le sentiment de l'injustice du
sort, qui l'éprouve plus fortement que lui ?
Il prend en horreur les lieux communs, les
banalités qui sont notre monnaie courante :
quel dégoût, quelle révolte, lorsqu'un gail-
lard frais et gros, qui se dit son ami, lui
bourrant l'épaule, s'écrie : « Ça ira mieux.
Allons, un peu de courage, que diable ! Un
peu d'énergie ! » L'existence du malade,
« décantée de l'accessoire, 6'oriente inéluc- j
tablement vers l'essentiel ». En effet, « mu-
tilante d'abord, la souffrance devient vite
rédemptrice, et la captivité forcée de l'al-
gique se muant en libération, la nécessité
de se clapir, de se reclure, de se retrancher
du monde, lui permettent de se donner
complètement à la recherche de l'absolu ».
Or la littérature a trop négligé ces ri-
chesses. Ayant pris l'habitude de s'occu-
per du terme cœur-sens, elle a laissé de
côté le terme cœur-esprit. Le grand malade
60urit de pitié, lorsqu'il voit un romancier
consacrer trois cents ou cinq cents pages
à l'étude d'un amour trompé : un amour
trompé, ce n'est qu'une comédie passagère,
à côté du drame sans fin qui agite son pro-
pre cœur. Qu'elles sont puériles, les lamen-
tations romantiques ! « Loin des troubles
fièvres, des élans indisciplinés, des illumi-
nations suivies de brusques obscurités, c'est
une analyse lucide jusqu'à l'austérité qui
caractérise l'art rigoureux, déterminé, vo-
lontaire, d'une netteté dirai-je métallique,
de l'algique cent pour cent. Pas de lamen-
tations vainement lyriques ; mais, la ma-
ladie développant seule peut-être la faculté
de conserver toujours en soi-même un petit
coin qui ne vibre pas, et à qui rien n'échap-
pe des plus mesquines faiblesses, un déta-
chement unique de soi dans la recherche des
secrets du Moi le plus intime. Dans une
chair désolée l'esprit flambe, et la plus la-
mentable détresse produit seule un livre
incomparablement dur, d'une résonance pro-
pre dans l'expression de déchirements atro-
ces, dans la scrutation tranquille d'une
douleur dénuée de toute emphase ».
Telle est la thèse. Chacun la discutera,
suivant ses goûts particuliers; et le moins
qu'on pourra dire, c'est qu'elle est trop ex-
clusive. Il y a des gens bien portants qui
ont porté si loin l'acuité de leur observa-
tion intérieure, qu'ils ont fini par avoir eux-
mêmes une psychologie d'écorchés. Et puis,
s'il est des activités spirituelles que la ma-
ladie favorise, il en est d'autres qu'elle
anéantit. Je veux bien que les Concourt
aient raison, quand ils écrivent dans leur
Journal : « Pour le rendu des délicates-
ses, des mélancolies exquises, des fantaisies
rares et délicieuses sur la corde vibrante de
l'âme et du cœur, ne faut-il pas. je me le
demande, un coin maladif dans l'homme, et
n'est-il pas nécessaire d'être un peu, à la
façon. de Henri Heine, un crucifié physi-
que ? » Mais je pense aussi que Voltaire
n'avait pas tort, quand il écrivait à la pré-
sidente de Bernières : « Quand on a mnl
à la gorge, il n'y a pas moyen de s'épuiser
en grands sentiments. » -. -
Le qUI est hors de discussion, c est la
noblesse et la grandeur de l'attitude morale
que ces pages nous révèlent. Elles ont été
écrites par un vaillant qui, ne consentant
pas à sa défaite, l'a transformée IOn vic-
toire. Quel est-il ? Je ne sais. Où est-il ?
Etendu dans quelle chambre ? ou sur quel
lit d'hôpital ? Je l'ignore encore : j'ignore
même la nature de son mal. C'est un hom-
me jeune ; on le devinerait à ses vivacités,
à ses partis pris, à ses belles injustices ; et,
d'autre part, le docteur Charles Fiessinger
nous parle dans sa Préface « de l'étude dé. -
solee et clairvoyante que M. Julien Teppe,
qui n'a pas atteint sa vingt-cinquième an-
née, a écrite dans les transes de ses an-
goisses et avec les sueurs de son sang ».
Souffrant, enfermé dans sa geôle, sevré du
monde ce sont toutes ses expressions
il a voulu lancer un cri d'appel vers ses
frères heureux, non pour leur exprimer son
amertume, mais pour leur être utile. pour
les mener à plus de vérité. J'essaye de me
représenter sa figure, dans l'inconnu : je
crois lui parler, en mettant dans ma voix
non pas une nuance de compassion qui con
viendrait mal à son héroïsme, mais d'admi.
ration et de respect ; je crois entendre s:
voix, qui répète les belles et tragiques pa.
roles d'Alphonse Daudet :
0 ma douleur ! sois tout pour moi.
Les pays dont tu me prives.
Que mes yeux les trouvent en toi.
Sors ma philosophie, sois ma science.
Madame Eulalie
ALDO PALAZZESCHI
cette nouvelle d'Aldo lui'l:.:eschi est ex-
traite du recueil intitulé : Estampes du
xixe siècle. Ce conteur est aussi un poëte
de grande valeur et l'un des romanciers les
plus célèbres de la jeune Italie. Il a débuté
dans la prose avec un roman fantaisiste
Le Code de Pevelà et son dernier roman.
une très belle Ceuvre. Les sœurs Materassi
fut en 1934 un grand succès en Italie.
'Ó''Ó'-Ó'
Le 17 novembre 1934. Les Nouvelles Litté-
raires publiaient Une heure avec Aldo Palaz-
zeschi. Voici ce qu'écrivait Frédéric Lefèvre
d'Estampes du xiie siècle : c Avec Es-
tampes du XIXe siècle exquis souvenirs
d'enfance il conquit le grand public
Soumise aux dures lois de la prose, sa sen
sibilité décelait mieux encore ses rares qua-
lités : une prédilection pour le grotesque
pour les fantoches et les monstres ; le goût
ae montrer les êtres dans des conditions de
vie anormales. Dans l'obsenatioll, de per-
sonnages que leur physique, par exemple.
rend un peu ridicules, il perçoit mieux, sem-
ble-t-ll, le mal de vivre. Sous une ironie
d'apparence nonchalante et oint/sée. une
imerlume authentique, une tristesse qui va
rotn. Un écrivain dont l'inspiration est pro-
fondément italienne et en même temps l'un
les plus dignes d'être entendus par delà les
rontières. ».
C'est avec grand'mère que j'allais
là ; et la pauvre soufflait dans l'esca-
lier qui était terriblement raide. Elle
s'arrêtait toutes les trois marches ;
j'avais l'impression qu'on ne bougeait
pas, je regardais continuellement en
l'air. Elle veillait à ce que je ne me
pendisse pas à la rampe. On n'en fi-
nissait pas, pour arriver au quatriè-
me. A mi-chemin on s'asseyait sur
deux banquettes encastrées tout ex-
près aux deux coins du palier. J'ado-
rais m'asseoir comme ça dans l'esca-
lier sans être fatigué.
Madame Eulalie recevait dans sa
salle à manger qui était sombre et
pleine de meubles avec des vitrines
bourrées d'argenterie, de verrerie, de
vaisselle, le tout entassé sans amour
et révélant une aisance de vieille date.
Aux murs, il y avait des assiettes dé-
coratives et des tableaux représen-
tant des femmes qui étaient les Qua-
tre Saisons. Il y avait aussi une hor-
loge à poids.
Qu. trouvait toujours là deux person-
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