Titre : La Rue : journal quotidien / rédacteur en chef : Jules Vallès
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Éditeur : [s.n.][s.n.] (Sèvres)
Date d'édition : 1870-03-18
Contributeur : Vallès, Jules (1832-1885). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34456585p
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 18 mars 1870 18 mars 1870
Description : 1870/03/18 (N2). 1870/03/18 (N2).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse Collection numérique : Bibliographie de la presse
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6135975n
Source : Bibliothèque nationale de France, département Réserve des livres rares, RES FOL-LC2-3262
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
5 cent, le numéro
N° 2
18 Mars 1870
. ■ ■■ ; i l
N°2
•tournai Quotidien
BUREAUX : 1, RUE DU JARDINET, \.
RÉDACTEUR EN CHEF : JULES VALLÈS
VENTE : 5, RUE DU CROISSANT, 5.
5; m. -" ]
W 't< LAPETITE FILLE
v--...;.'.i^' DE BELLEVILLE •
L'autre jour, rue de Belleville, une petite
fille pleurait à chaudes larmes.
Les passants s'approchent :
— Qu'as-tu donc, mon enfant?
Le peuple est bon et la douleur des fai-
bles lui va au coeur, il-s'in^énie à la conso-
ler. : • • . :-■•;,..
L'enfant ne peut pas répondre, tant les
sanglots soulèvent sa poitrine d'oiseau! puis
elle a peur, elle cache sa tête trempée de
larmes sous son tablier d'école. Une vieille
grand'mère qui passe par là, et sait com-
ment on prend les petites filles, lui dit des
paroles douces, de ses doigts qui tremblot-
tent écarte les mains mouillées, essuie les
yeux du coin de son grand mouchoir jaune.
Sous ce souffle faible et doux les pleurs s'a-
paisent, l'enfant se blottit dans les bras de
la bonne vieille se rassure et conte son
chagrin !
Ah! cela ne sort pas tout seul, et il faut
lui arracher les paroles de la gorge, à la mi-
gnonne créature, qui a le hoquet et le frisson.
On parvient enfin à entendre ce qu'elle
dit à travers ses lèvres roses, en avalant ses
larmes qui tombent toujours à grosses gout-
tes.
C'est une orpheline, son père et sa mère
sont morts !
Les mères, dans le rassemblement, serrent
contre leur main, la joue de leurs en-
fants.
La petite continue :
— C'est mon cousin qui me garde, mais
il me bat toujours! dimanche parce que j'ai
été jouer avec Mélie, il m'a donné des coups
sur les doigts, puis un coup de pied, là. J'ai
mal !
• •
Si le cousin passait à ce moment, les
femmes furieuses, l'écharperaient avec
leurs ongles, et ce fondeur dont la cotte
usée frotte ma redingote, le casserait, dans
ses mains noires, comme un bouleau !
Tu ferais bien, fondeur !
— Comment s'appelle-t-il, ton cousin ?
La petite fille ne répond pas, on insiste.
— Voyons, ma chère, dit une ouvrière de
seize ans, d'un ton tendre, son nez rose bai-
gné d'une petite larme qui reste là comme
une perle. La vieille insiste aussi.
— 11 me battrait encore, dit la petite
fillei,.
—'Nous te défendrons !
Elle hoche sa tête mouillée et ébouriffée,
cela veut dire : « Si, il me battrait tou-
jours ! »
On l'a interrogée, puis suppliée; elle n'a
pas voulu dire le nom de son cousin, et à la
fin même, elle ne pleurait plus. Pour dé-
router les questions et ne pas se trahir à un
moment, elle s'est tue, elle attendait immo-
bile 1
* *
Le rassemblement s'était éclairci ; il fallait
aller aux provisions, faire le manger pour
sept heures quand l'homme viendrait, re-
prendre les gamins à l'école ; il ne restait
plus que quelques passants. L'un d'eux vou-
lait l'emmener, il avait l'air d'avoir bon
coeur, mais on ne la connaissait pas, cet
homme, et la foule a dit :
Il faut In mener chez le commissaire.
On a encore tâté ses poches, cherché dans
son tablier, elle avait une image avec un pe-
tit couteau, Elle croyait, qu'on allait lui
prendre cela, sa petite image et son couteau,
et elle s'est remise à pleurer.
*
On les lui a rendus bien vite, et même une
belle femme du peuple qui était là a amené
sa fille, un amour de sept ans : des joues
potelées et de grands yeux tout ronds, elle
lui a dit :
— Veux-tu donner ton jouet à la petite
fille.
La gamine a tendu, timide, une poupée de
treize sous aux mains de peau rose et à
la perruque de coton ! puis, sans demander
à sa mère, elle a collé sa petite bouche
fraîche sur les joues brûlantes de la pauvre
pleureuse, qui n'a rien dit, mais a relevé
les paupières pour regarder celle qui l'em-
brassait.
Les sergents de ville sont venus ! Ils ne
l'ontpasbrutalisée,—ils ontdes enfants aussi;
mais ils l'ont emmenée chez le commis-
saire, ou Ton dépose ce qu'on trouve, les
enfants comme les bijoux perdus!
Elle marchait, droite et sans pleurer, entre
ces deux tuniques noires, rajustant son petit
bonnet et arrangeant ses cheveux !
Elle marchait comme une femme !
Non !
Comme une fille ?
Oui !
Cette orpheline de dix ans, elle avait déjà
le regard dur des abandonnées !
JULES VALLÈS.
A LA DEUXIÈME ET TROISIÈME PAGE
NOTRE RQMAN
LE CHEMIN DE CHARENTON
DÉDIÉ A M. Dl PUYPARLIER.
LE CONDAMNE D'HIER
C'est l'atné de six enfants. La famille est hon-
nête, mais pauvre. Tout jeune, il avait voulu
venir à Paris, gagner de, l'argent qu'il envoyait
religieusement i la mère, au pays. Il était actif,
infatigable, disentses patrons. Il avait débuté par
officier, ce qui veut dire qu'il lavait la vaisselle et
rinçait les verres dans un coin du sous-sol.
Le petit paysan élevé au grand air, en rase
campagne, dans cette campagne où passe la brise
vivifiante et fraîche qui fait frissonner les feuilles
d'arbre et les blés en fleur, la brise qui s'imprè-
gne en passant, des vagues parfums du foin
coupé ou des bourgeons qui s'entr'ouvrent, le
petit paysan s'était fait à l'atmosphère chaude et
fétide des cuisines du Palais-Royal.
Il avait de l'ambition, ne songeait qu'à «on af-
faire. 11 voulait arriver.
N° 2
18 Mars 1870
. ■ ■■ ; i l
N°2
•tournai Quotidien
BUREAUX : 1, RUE DU JARDINET, \.
RÉDACTEUR EN CHEF : JULES VALLÈS
VENTE : 5, RUE DU CROISSANT, 5.
5; m. -" ]
W 't< LAPETITE FILLE
v--...;.'.i^' DE BELLEVILLE •
L'autre jour, rue de Belleville, une petite
fille pleurait à chaudes larmes.
Les passants s'approchent :
— Qu'as-tu donc, mon enfant?
Le peuple est bon et la douleur des fai-
bles lui va au coeur, il-s'in^énie à la conso-
ler. : • • . :-■•;,..
L'enfant ne peut pas répondre, tant les
sanglots soulèvent sa poitrine d'oiseau! puis
elle a peur, elle cache sa tête trempée de
larmes sous son tablier d'école. Une vieille
grand'mère qui passe par là, et sait com-
ment on prend les petites filles, lui dit des
paroles douces, de ses doigts qui tremblot-
tent écarte les mains mouillées, essuie les
yeux du coin de son grand mouchoir jaune.
Sous ce souffle faible et doux les pleurs s'a-
paisent, l'enfant se blottit dans les bras de
la bonne vieille se rassure et conte son
chagrin !
Ah! cela ne sort pas tout seul, et il faut
lui arracher les paroles de la gorge, à la mi-
gnonne créature, qui a le hoquet et le frisson.
On parvient enfin à entendre ce qu'elle
dit à travers ses lèvres roses, en avalant ses
larmes qui tombent toujours à grosses gout-
tes.
C'est une orpheline, son père et sa mère
sont morts !
Les mères, dans le rassemblement, serrent
contre leur main, la joue de leurs en-
fants.
La petite continue :
— C'est mon cousin qui me garde, mais
il me bat toujours! dimanche parce que j'ai
été jouer avec Mélie, il m'a donné des coups
sur les doigts, puis un coup de pied, là. J'ai
mal !
• •
Si le cousin passait à ce moment, les
femmes furieuses, l'écharperaient avec
leurs ongles, et ce fondeur dont la cotte
usée frotte ma redingote, le casserait, dans
ses mains noires, comme un bouleau !
Tu ferais bien, fondeur !
— Comment s'appelle-t-il, ton cousin ?
La petite fille ne répond pas, on insiste.
— Voyons, ma chère, dit une ouvrière de
seize ans, d'un ton tendre, son nez rose bai-
gné d'une petite larme qui reste là comme
une perle. La vieille insiste aussi.
— 11 me battrait encore, dit la petite
fillei,.
—'Nous te défendrons !
Elle hoche sa tête mouillée et ébouriffée,
cela veut dire : « Si, il me battrait tou-
jours ! »
On l'a interrogée, puis suppliée; elle n'a
pas voulu dire le nom de son cousin, et à la
fin même, elle ne pleurait plus. Pour dé-
router les questions et ne pas se trahir à un
moment, elle s'est tue, elle attendait immo-
bile 1
* *
Le rassemblement s'était éclairci ; il fallait
aller aux provisions, faire le manger pour
sept heures quand l'homme viendrait, re-
prendre les gamins à l'école ; il ne restait
plus que quelques passants. L'un d'eux vou-
lait l'emmener, il avait l'air d'avoir bon
coeur, mais on ne la connaissait pas, cet
homme, et la foule a dit :
Il faut In mener chez le commissaire.
On a encore tâté ses poches, cherché dans
son tablier, elle avait une image avec un pe-
tit couteau, Elle croyait, qu'on allait lui
prendre cela, sa petite image et son couteau,
et elle s'est remise à pleurer.
*
On les lui a rendus bien vite, et même une
belle femme du peuple qui était là a amené
sa fille, un amour de sept ans : des joues
potelées et de grands yeux tout ronds, elle
lui a dit :
— Veux-tu donner ton jouet à la petite
fille.
La gamine a tendu, timide, une poupée de
treize sous aux mains de peau rose et à
la perruque de coton ! puis, sans demander
à sa mère, elle a collé sa petite bouche
fraîche sur les joues brûlantes de la pauvre
pleureuse, qui n'a rien dit, mais a relevé
les paupières pour regarder celle qui l'em-
brassait.
Les sergents de ville sont venus ! Ils ne
l'ontpasbrutalisée,—ils ontdes enfants aussi;
mais ils l'ont emmenée chez le commis-
saire, ou Ton dépose ce qu'on trouve, les
enfants comme les bijoux perdus!
Elle marchait, droite et sans pleurer, entre
ces deux tuniques noires, rajustant son petit
bonnet et arrangeant ses cheveux !
Elle marchait comme une femme !
Non !
Comme une fille ?
Oui !
Cette orpheline de dix ans, elle avait déjà
le regard dur des abandonnées !
JULES VALLÈS.
A LA DEUXIÈME ET TROISIÈME PAGE
NOTRE RQMAN
LE CHEMIN DE CHARENTON
DÉDIÉ A M. Dl PUYPARLIER.
LE CONDAMNE D'HIER
C'est l'atné de six enfants. La famille est hon-
nête, mais pauvre. Tout jeune, il avait voulu
venir à Paris, gagner de, l'argent qu'il envoyait
religieusement i la mère, au pays. Il était actif,
infatigable, disentses patrons. Il avait débuté par
officier, ce qui veut dire qu'il lavait la vaisselle et
rinçait les verres dans un coin du sous-sol.
Le petit paysan élevé au grand air, en rase
campagne, dans cette campagne où passe la brise
vivifiante et fraîche qui fait frissonner les feuilles
d'arbre et les blés en fleur, la brise qui s'imprè-
gne en passant, des vagues parfums du foin
coupé ou des bourgeons qui s'entr'ouvrent, le
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