XV* ANNÉE.
9e LIVRAISON.
30 SEPTEMBRE 1854.
LA MÈRE AUX ENFANTS
I.
C'AVEZ - vous donc ,
notre homme, disait
la Fouine, à nous re-
garder en dedans
avec ce grand si-
lence ? On dirait que
vous pensez à quel-
que chose de mal, à
quelque chose qui vous afflige.
Qu'avez-vons donc, notre hom-
me? répéta la Fouine.
— Je n'ai rien! avait répondu Guilain avec
humeur, tout en. abaissant davantage son
àgrand chapeau rond sur ses yeux, devenus
plus sombres encore à la question de sa
femme.
'-. Le fait est que le malheureux Guilain était
alors plongé dans une grande rêverie.
Depuis dix ans, le bon Guilain s'était ma-
rié en secondes noces avec la Fouine, femme
acariâtre et désagréable au dernier point.
Malheureusement, Guilain avait trois enfants
de sa première femme, de sa bonne Ma-
fiànog^trois filles nommées Catherine, Eli-
sabeth et Marie. L'aînée avait dix ans, la
dernière sept. Le bon cultivateur avait de sa
dernière femme un petit garçon âgé de cinq
ans à peine. Il se nommait Colas. Guilain
aimait beaucoup ce fils, la Fouine en était
folle. Quant aux petites filles, elles semblaient
être tout à fait oubliées à cause de ce petit
garçon ; quelquefois même elles étaient ru-
doyées par la belle-mère, sans que leur père
osât y trouver à reprendre.
Ces pauvres petites orphelines vivaient
dans une gêne continuelle à cause de l'hu-
meur brutale de cette méchante femme.
Frêles, pâles et tristes, à peine osaient-elles
lever les yeux sur les yeux sans cesse en
courroux de leur belle-mère. Quand le petit
Colas, qui était fort méchant, les battait, les
égratignait, elles souffraient tout cela en si-
lence, par la crainte d'être grondées, même
par leur père, dont la faiblesse finissait tou-
jours par donner raison à sa femme. Ces
pauvres petites filles étaient donc véritable-
ment malheureuses. .Aussi leur arrivait-il
souvent de penser à leur mère, si bonne,
mais qui n'était plus, et de l'invoquer soir et
matin dans leur prière. Leur voix furent-elles
entendues ? On le pense, et c'est là ce qui
explique pourquoi Guilain remuait l'àtre avec
ses grands yeux en dedans.
Un jour, Guilain s'en revenait bien tard à
son chaume, la hotte au dos et le pic dans sa
hotte. Le brouillard s'élevait épais au-dessus
du grand bois. Les coteaux semblaient gra-
vir et toucher au ciel. Les nuages fuyaient
rapides, chassés par les vents qui mugis-
saient en ce moment. Guilain, les bras croi-
sés sur sa poitrine et les mains fourrées sous
sa veste, approchait d'une fondrière qu'il
allait suivre pour gagner le plateau qui se
dressait devant lui, quand il vit ou crut
voir une ombre blanche surgir tout à
coup d'un épais buisson, s'arrêter un mo-
ment, puis le fixer avec tristesse. La pre-
mière pensée de Guilain à la vue de cette
ombre immobile et silencieuse fut de prendre
la fuite ; cependant il n'en fit rien, même il
se prit à sourire de cette minute de peur. Il
s'affermit donc dans ses sabots, toussa for-
tement, cheminant comme si de rien n'était,
même il lui sembla qu'il doublait le pas. La
vérité est que le vigneron n'avançait qu'en
tremblant et peu vite.
L'ombre ne bougeait pas. Guilain cepen-
dant appuya sur la droite autant que cela
9e LIVRAISON.
30 SEPTEMBRE 1854.
LA MÈRE AUX ENFANTS
I.
C'AVEZ - vous donc ,
notre homme, disait
la Fouine, à nous re-
garder en dedans
avec ce grand si-
lence ? On dirait que
vous pensez à quel-
que chose de mal, à
quelque chose qui vous afflige.
Qu'avez-vons donc, notre hom-
me? répéta la Fouine.
— Je n'ai rien! avait répondu Guilain avec
humeur, tout en. abaissant davantage son
àgrand chapeau rond sur ses yeux, devenus
plus sombres encore à la question de sa
femme.
'-. Le fait est que le malheureux Guilain était
alors plongé dans une grande rêverie.
Depuis dix ans, le bon Guilain s'était ma-
rié en secondes noces avec la Fouine, femme
acariâtre et désagréable au dernier point.
Malheureusement, Guilain avait trois enfants
de sa première femme, de sa bonne Ma-
fiànog^trois filles nommées Catherine, Eli-
sabeth et Marie. L'aînée avait dix ans, la
dernière sept. Le bon cultivateur avait de sa
dernière femme un petit garçon âgé de cinq
ans à peine. Il se nommait Colas. Guilain
aimait beaucoup ce fils, la Fouine en était
folle. Quant aux petites filles, elles semblaient
être tout à fait oubliées à cause de ce petit
garçon ; quelquefois même elles étaient ru-
doyées par la belle-mère, sans que leur père
osât y trouver à reprendre.
Ces pauvres petites orphelines vivaient
dans une gêne continuelle à cause de l'hu-
meur brutale de cette méchante femme.
Frêles, pâles et tristes, à peine osaient-elles
lever les yeux sur les yeux sans cesse en
courroux de leur belle-mère. Quand le petit
Colas, qui était fort méchant, les battait, les
égratignait, elles souffraient tout cela en si-
lence, par la crainte d'être grondées, même
par leur père, dont la faiblesse finissait tou-
jours par donner raison à sa femme. Ces
pauvres petites filles étaient donc véritable-
ment malheureuses. .Aussi leur arrivait-il
souvent de penser à leur mère, si bonne,
mais qui n'était plus, et de l'invoquer soir et
matin dans leur prière. Leur voix furent-elles
entendues ? On le pense, et c'est là ce qui
explique pourquoi Guilain remuait l'àtre avec
ses grands yeux en dedans.
Un jour, Guilain s'en revenait bien tard à
son chaume, la hotte au dos et le pic dans sa
hotte. Le brouillard s'élevait épais au-dessus
du grand bois. Les coteaux semblaient gra-
vir et toucher au ciel. Les nuages fuyaient
rapides, chassés par les vents qui mugis-
saient en ce moment. Guilain, les bras croi-
sés sur sa poitrine et les mains fourrées sous
sa veste, approchait d'une fondrière qu'il
allait suivre pour gagner le plateau qui se
dressait devant lui, quand il vit ou crut
voir une ombre blanche surgir tout à
coup d'un épais buisson, s'arrêter un mo-
ment, puis le fixer avec tristesse. La pre-
mière pensée de Guilain à la vue de cette
ombre immobile et silencieuse fut de prendre
la fuite ; cependant il n'en fit rien, même il
se prit à sourire de cette minute de peur. Il
s'affermit donc dans ses sabots, toussa for-
tement, cheminant comme si de rien n'était,
même il lui sembla qu'il doublait le pas. La
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L'ombre ne bougeait pas. Guilain cepen-
dant appuya sur la droite autant que cela
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