DE PROIE.
25
— Penm ts-mui maintenant de t'admirer,à mon aise! p ur-
suivii le fou en s'agenouillanl devant elle avec toutes les mar-
ques d'une idolàlrie passionnée.
— Que faites-vourf dit-elle en reculant.
Il jeta autour de sa taille ses deux bras décharnés ornés
de manchettes en lambeaux, et il lui dit avec une calinerie
plaintive :
— Tu ne vaux donc pas que ton pauvre vieux père t'ad-
mire?
— M
v -*- On a ce bonheur... répondit-il avec une joie orgueil-
leuse. N'as-lu pas conservé quelquessouvenirsd'enf^nce?...
Ne te souviens tu pas de la ferme des Ramiers... près de la
forêt de Chantilly, . - , • .
— En effet ! s'écria l'Ascalante émue.
U frappa l'une contre l'autre ses deux mains osseuses et
levant les yci.x au ciel, il dit avec ferveur :
— Qu'elle est belle !
Il ajouta eu l'enveloppant d'un fier regard :
— On a dû faire bien des marty.s! Et c'est ma fille ! mon
enfant à moi, i-nleudc-z-vous, celte perle de beauté? je l'ai
tenue sur mes genoux quand elle n'était pas plus grande que
cela !
L'amour avait ouvert le coeur de l'Ascalante à tous les
sentimens. Sevrée durant toute sa vie de ces liens de famille
si forts et si toux, c'était pour elle un bonheur de trouver
un père, même dans la personne de ce pauvre vieillard à
tête folle. Son âme s'ouvrait à une impression nouvelle, mais
elle n'osait encore s'y livrer dans la crainte d'une décep-
tion.
— Moi, voire fille ? répondit-elle.
— Et j'en suis bien heureux!... Je voulais te voir avant
de mourir, c'était mon voeu le plus cher... J'ai tant aimé ta
pauvre mère !
— Ma mère ! où est-elle ?
— Là-haut! dil-il en lui montrant le ciel.
Ce mot, que le vieillard accompagna d'an geste simple,
mais plein de tristesse, arracha deux larmes à l'Ascalante.
— Véux-tu voir son portrait ? lui demanda-l-il.
• — Oh ! s'écria l'Ascalante. en joignant les mains avec for-
Ce, c'est'pn sque la posséder !
— Tu vas le voir, ce cher portrait. C'est le plus beau de
mon-médailler d'amour, de ma galerie de beauté.
Il prit avec un soin extrême le médailler d'acajou, le posa
fur une sorte de chevalet, l'ouvrit avec cille componction
du prêtre qui tire du coffret de l'autel le ciboire et les hos-
ties.
— Regarde! s'écria-t-il en posant le casier dans le jour
le plus favorable. Sont-eiles belles etrianles !
L'Ascalante promena un regard curieux et étonné sur une
centaine de miniatures plus jolies les unes que les autres.
On y trouvait tous les genres d'agrémens,depuis le minois
chiffonné des soubrettes de Marivaux jusqu'au profil imposant
des grandes daines de la cour. Toutes les expressions s'y ren-
contraient en costumes différens : li prude, la coquette, la
sentimentale, la spirituelle, la moqueuse, la tendre, la dévote,
l'effrontée, la méchant', la rusée, la naïve, la bête même.—Une
femme peut êlr>" adorablement bêle; c'est parfois un charme
de plus.—Brunes, blondes, noires, rousses, pâles, roses, blan-
ches et dorées; on envoyait de toutesles couleurs et de
toutes les teintes avec des nuances de tous les degrés, avec
de la poudre et des mouches, et sans poudre ni mouches.
La noblesse, la magistrature, la bourgeoisie, l'armée y
avaient leurs représentans féminins. Les modes successives
de| uis, Louis XVI jusqu'à l'Empire y étalaient leurs fantas-
tiques transformations C'était, comme le disait le fou, une
galfrie de beauté complète.
Les yeux de l'Ascalante flottaient d'un portrait à l'autre
sans pouvoir se décider. Celle-ci l'attirait, celle-là l'éloignait.
— Montrez-la moi,,dit-elle.
— La dernière et la plus jolie ! répondit le fou.
L'Ascalante poussa un petit cri et saisit la ravissante mi-
niature placée à la fin du médailler.
C'étan le portrait d'une femme blon'le comme un épi,
rose comme une pêche. Son simple costume de fermière
contrastait avec les riches ajustemeiis qui ornaient toutes
les.aulres figures du médailler.
Au moment de presser le portrait sur ses lèvres, l'Asca-
lante s'arrêta et dit :
— Vous ne me trompez pas au moins?
— Te tromper, chère enfant... répondit le vieillard d'un
ton plein de tendresse.
Un torrct de larmes mêlées de soupirs s'échappèrent du
sein de l'Ascalante qui se mit à baiser le portrait.
— Ne' pleure point, dit le fou, tu vas ternir tes jolis yeux.
— Oh! ma mère! ma mère! s'écriait l'Aàçalante. Ah!
si j'avais connu ma mèie, comme je l'aurais aimée!... J'ai
bien des fois, an milieu de mes splendeurs, quand je brûlais
le pavé des rues dans mon carrosse éblouissant, j'ai bien
des fois envié le sort de ces jeunes filles modestes que je
voyais entrer à l'église à côté de leur mère ! Je songeais à
leursdonces causeries le soir, au coin delà cheminée, au re-
pas de famille, aux bonnes longues nuits remplies de som-
meil et de chastes songes.... Ah! si j'avais eu ma mère, j'au-
rais ainsi vécu!
Ses sanglots redoublèrent.
— Tes larmes me fendent le coeur, mon enfant, dit le
fou, ne pleure plus, je t'en prie!
Il se mit à genoux, joignit les mains et dit :
— Est-ce que je ne suis pas là, moi? Ton père te reste..»
— Oh! cela serait-il possible! dit l'Ascalante en laissant
tomber ses regards sur cette tête de vieillard si pleine de
noblesse, d'exaltation et de sensibilité.
r- Vous êtes mon père? cela est bien vrai?
— Dieu ne voudrait pas nous tromper tous deux ! s'écria-
t-il. Oh ! lu es bien mon enfant ! Je te reconnais moi, car tes
traits sont les miens. — A to > âge, j'avais celte fière cheve-
lure plus belle qu'un soleil! Ce profil aquilin est bien le pro-
fil de la famille. Voici le pli charmant de la bouche... Votre
grand'mère l'avait, il m'en souvient encore... Mais ces noirs
sourcils sont à moi : chez nous ils sont toujours noirs....
Franchement je les aime mieux ainsi...Ils vont si bien à vos
doux yeux... Mais que vois-je sur votre cou ?... Oui, c'est,
bien ce grain de beauté, celte mouche, cette engageante
donnée par la nature, qui faisait ressortir la bl.incheurducou
de votre mère... Oh ! je veux le baiser, ce signe.
L'Ascalante, ravie à toutes ces paroles, lui tendit sans
crainte son col" onduleux. 11 y mit un heureux baiser qui
lui rappelait de beaux jours.
— Tu es bonne! dit-il, tu souffres que je t'embrasse, moi
qui suis vieux et laid.
— Oh ! vous n'êtes pas laid, répondit-elle, vous êtes mon
père !
Ce dernier mot qu'elle prononça avec une joie profonde
mit dans sa voix une inflexion qui fut droit au coeur du vieil-
lard. II la saisit brusquement par la taille, l'enleva et la posa
sur ses genoux.
— Tu es un ange! lui dil-il.
Elle lui passa ses deux bras blancs autour du cou, appuya
mollement sa tête divine sur l'épaule du vieillard, et lui dit
de sa plus douce voix :
— Parlez, mon père, j'aime à vous entendre...
— Mais lu me rendras fou ! s'écria le pauvre homme qui
se prit à pleurer commp un e- fant.
— Oh ! dit-elle, vous fais-je de la peine ?
— U s'agit bien de peine ! dit -il en riant à travers ses lar-
mes. Beaucoup de gens me prennent pour un fou, mais pour
le coup ils ont raison ! Eh , qui ne le serait pas ? — Retrou-
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— Penm ts-mui maintenant de t'admirer,à mon aise! p ur-
suivii le fou en s'agenouillanl devant elle avec toutes les mar-
ques d'une idolàlrie passionnée.
— Que faites-vourf dit-elle en reculant.
Il jeta autour de sa taille ses deux bras décharnés ornés
de manchettes en lambeaux, et il lui dit avec une calinerie
plaintive :
— Tu ne vaux donc pas que ton pauvre vieux père t'ad-
mire?
— M
v -*- On a ce bonheur... répondit-il avec une joie orgueil-
leuse. N'as-lu pas conservé quelquessouvenirsd'enf^nce?...
Ne te souviens tu pas de la ferme des Ramiers... près de la
forêt de Chantilly, . - , • .
— En effet ! s'écria l'Ascalante émue.
U frappa l'une contre l'autre ses deux mains osseuses et
levant les yci.x au ciel, il dit avec ferveur :
— Qu'elle est belle !
Il ajouta eu l'enveloppant d'un fier regard :
— On a dû faire bien des marty.s! Et c'est ma fille ! mon
enfant à moi, i-nleudc-z-vous, celte perle de beauté? je l'ai
tenue sur mes genoux quand elle n'était pas plus grande que
cela !
L'amour avait ouvert le coeur de l'Ascalante à tous les
sentimens. Sevrée durant toute sa vie de ces liens de famille
si forts et si toux, c'était pour elle un bonheur de trouver
un père, même dans la personne de ce pauvre vieillard à
tête folle. Son âme s'ouvrait à une impression nouvelle, mais
elle n'osait encore s'y livrer dans la crainte d'une décep-
tion.
— Moi, voire fille ? répondit-elle.
— Et j'en suis bien heureux!... Je voulais te voir avant
de mourir, c'était mon voeu le plus cher... J'ai tant aimé ta
pauvre mère !
— Ma mère ! où est-elle ?
— Là-haut! dil-il en lui montrant le ciel.
Ce mot, que le vieillard accompagna d'an geste simple,
mais plein de tristesse, arracha deux larmes à l'Ascalante.
— Véux-tu voir son portrait ? lui demanda-l-il.
• — Oh ! s'écria l'Ascalante. en joignant les mains avec for-
Ce, c'est'pn sque la posséder !
— Tu vas le voir, ce cher portrait. C'est le plus beau de
mon-médailler d'amour, de ma galerie de beauté.
Il prit avec un soin extrême le médailler d'acajou, le posa
fur une sorte de chevalet, l'ouvrit avec cille componction
du prêtre qui tire du coffret de l'autel le ciboire et les hos-
ties.
— Regarde! s'écria-t-il en posant le casier dans le jour
le plus favorable. Sont-eiles belles etrianles !
L'Ascalante promena un regard curieux et étonné sur une
centaine de miniatures plus jolies les unes que les autres.
On y trouvait tous les genres d'agrémens,depuis le minois
chiffonné des soubrettes de Marivaux jusqu'au profil imposant
des grandes daines de la cour. Toutes les expressions s'y ren-
contraient en costumes différens : li prude, la coquette, la
sentimentale, la spirituelle, la moqueuse, la tendre, la dévote,
l'effrontée, la méchant', la rusée, la naïve, la bête même.—Une
femme peut êlr>" adorablement bêle; c'est parfois un charme
de plus.—Brunes, blondes, noires, rousses, pâles, roses, blan-
ches et dorées; on envoyait de toutesles couleurs et de
toutes les teintes avec des nuances de tous les degrés, avec
de la poudre et des mouches, et sans poudre ni mouches.
La noblesse, la magistrature, la bourgeoisie, l'armée y
avaient leurs représentans féminins. Les modes successives
de| uis, Louis XVI jusqu'à l'Empire y étalaient leurs fantas-
tiques transformations C'était, comme le disait le fou, une
galfrie de beauté complète.
Les yeux de l'Ascalante flottaient d'un portrait à l'autre
sans pouvoir se décider. Celle-ci l'attirait, celle-là l'éloignait.
— Montrez-la moi,,dit-elle.
— La dernière et la plus jolie ! répondit le fou.
L'Ascalante poussa un petit cri et saisit la ravissante mi-
niature placée à la fin du médailler.
C'étan le portrait d'une femme blon'le comme un épi,
rose comme une pêche. Son simple costume de fermière
contrastait avec les riches ajustemeiis qui ornaient toutes
les.aulres figures du médailler.
Au moment de presser le portrait sur ses lèvres, l'Asca-
lante s'arrêta et dit :
— Vous ne me trompez pas au moins?
— Te tromper, chère enfant... répondit le vieillard d'un
ton plein de tendresse.
Un torrct de larmes mêlées de soupirs s'échappèrent du
sein de l'Ascalante qui se mit à baiser le portrait.
— Ne' pleure point, dit le fou, tu vas ternir tes jolis yeux.
— Oh! ma mère! ma mère! s'écriait l'Aàçalante. Ah!
si j'avais connu ma mèie, comme je l'aurais aimée!... J'ai
bien des fois, an milieu de mes splendeurs, quand je brûlais
le pavé des rues dans mon carrosse éblouissant, j'ai bien
des fois envié le sort de ces jeunes filles modestes que je
voyais entrer à l'église à côté de leur mère ! Je songeais à
leursdonces causeries le soir, au coin delà cheminée, au re-
pas de famille, aux bonnes longues nuits remplies de som-
meil et de chastes songes.... Ah! si j'avais eu ma mère, j'au-
rais ainsi vécu!
Ses sanglots redoublèrent.
— Tes larmes me fendent le coeur, mon enfant, dit le
fou, ne pleure plus, je t'en prie!
Il se mit à genoux, joignit les mains et dit :
— Est-ce que je ne suis pas là, moi? Ton père te reste..»
— Oh! cela serait-il possible! dit l'Ascalante en laissant
tomber ses regards sur cette tête de vieillard si pleine de
noblesse, d'exaltation et de sensibilité.
r- Vous êtes mon père? cela est bien vrai?
— Dieu ne voudrait pas nous tromper tous deux ! s'écria-
t-il. Oh ! lu es bien mon enfant ! Je te reconnais moi, car tes
traits sont les miens. — A to > âge, j'avais celte fière cheve-
lure plus belle qu'un soleil! Ce profil aquilin est bien le pro-
fil de la famille. Voici le pli charmant de la bouche... Votre
grand'mère l'avait, il m'en souvient encore... Mais ces noirs
sourcils sont à moi : chez nous ils sont toujours noirs....
Franchement je les aime mieux ainsi...Ils vont si bien à vos
doux yeux... Mais que vois-je sur votre cou ?... Oui, c'est,
bien ce grain de beauté, celte mouche, cette engageante
donnée par la nature, qui faisait ressortir la bl.incheurducou
de votre mère... Oh ! je veux le baiser, ce signe.
L'Ascalante, ravie à toutes ces paroles, lui tendit sans
crainte son col" onduleux. 11 y mit un heureux baiser qui
lui rappelait de beaux jours.
— Tu es bonne! dit-il, tu souffres que je t'embrasse, moi
qui suis vieux et laid.
— Oh ! vous n'êtes pas laid, répondit-elle, vous êtes mon
père !
Ce dernier mot qu'elle prononça avec une joie profonde
mit dans sa voix une inflexion qui fut droit au coeur du vieil-
lard. II la saisit brusquement par la taille, l'enleva et la posa
sur ses genoux.
— Tu es un ange! lui dil-il.
Elle lui passa ses deux bras blancs autour du cou, appuya
mollement sa tête divine sur l'épaule du vieillard, et lui dit
de sa plus douce voix :
— Parlez, mon père, j'aime à vous entendre...
— Mais lu me rendras fou ! s'écria le pauvre homme qui
se prit à pleurer commp un e- fant.
— Oh ! dit-elle, vous fais-je de la peine ?
— U s'agit bien de peine ! dit -il en riant à travers ses lar-
mes. Beaucoup de gens me prennent pour un fou, mais pour
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