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CONTES ET FABLES INDIENNES DE BIDPAÏ.
satisfaire-, mais avant tout, je serais bien aise I p
de savoir votre sentiment touchant mon des- p
sein. Il y a longtemps que je me sers avanla- a
geusement de vos conseils pour résoudre les { g
plus grandes difficultés et que je me repose ! j
sur votre capacité de l'administration de mon c
empire, tant pour ce qui regarde sa sûrelé que l
pour ce qui concerne mes finances ; j'espère 1
qu'aujourd'hui vous voudrez bien m'aider de <
vos lumières sûr cette entreprise, afin que je ]
puisse prendre une résolution conforme à vos i
avis, élant persuadé d'ailleurs qu'on ne doit i
rien entreprendre d'important sans en sou- i
mettre la cause aux réflexions des gens sages et
éclairés.
Les deux visirs répondirent unanimement
que celle affaire élait d'une assez grande im-
portance pour mériter que l'on y fit de sérieu-
ses réflexions; et que, comme elles ne pou-
vaient êlrc l'ouvrage d'un moment, ils le
suppliaient de leur accorder ce jour-là et la
nuit suivante pour y penser, et que le lende-
main malin ils auraient l'honneur de commu-
niquer à sa majesté le fruit de leur examen. J
Dabschelim leur accorda ce délai. Le lendemain 1
les deux visirs retournèrent à l'heure marquée, j
prirent leur place ordinaire cl attendirent que
Dabschelim leur ordonnai de parler. Le grand
visir, qui eut ordre de commencer le premier,
mil le genou en terre, et après la prière ordi-
naire pour la prospérité de sa majesté, il com-
mença ainsi son discours :
Puissant el juste monarque, l'avis de votre
esclave, touchant le voyage que votre majesté
se propose est qu'à la vérité il paraît qu'elle
tirera quelque avantage de l'entreprendre;
mais je ne puis me dispenser de lui remontrer
qu'elle aura de terribles fatigues à essuyer dans
les chemins, et elle doit être assurée qu'elle
n'aura ni plaisir ni repos lanlquelle sera obli-
gée d'être en marche ; elle sera au contraire
exposée à souffrir les plus grandes incommo-
dilés. D'ailleurs votre majesté n'ignore pas le
proverbe qui compare les peines qu'éprouve
un voyageur aux tourmens que l'on endure
dans l'enfer. Si la prunelle fait le plus belle or-
nement de l'oeil, c'est qu'elle ne sort jamais de
son orbite, au lieu que les larmes qui en tom-
bent sont foulées aux pieds. Ainsi, considérant
l'état de peines et de fatigues qu'éprouve un
voyageur avec les douceurs du repos que goû-
tent ceux qui se fixent dans le même lieu, il es!
| plus sage de jouir avec modération des biens
présens, quels qu'ils soient, que de couru
après un fantôme de bonheur que notre ima-
| ginalion, toujours accessible à l'illusion, nous
! peint sous les traits les plus séduisans, mais
dont l'expérience a seule le droit de nous dé-
tromper. C'est pour s'y être trop légèrement
livré qu'un pigeon éprouva le malheur trop
ordinaire à ceux qui n'ont pour guides que
leurs passions. Dabschelim interrompit le visir
en cet endroit et le chargea de lui faire le récit
de celle aventure; le visir le satisfit en ces ter-
mes.
i.ES DEUX PIGEONS.
TABLE'.
Deux pigeons s'aimaient au point de n'avoir
que le même nid pour demeure, et la provi-
sion de grains cl d'eau qu'ils y avaient en abon-
dance leur faisait préférer ce genre de vie retirée
à toutes les délices du. monde, qu'une résolu-
lion réfléchie cl appuyée sur de puissans mo-
tifs de retraite les avail déterminés à abandon-
ner. L'un se nommait Bazcndeh et l'autre Nc-
vazendeh. Unis par le caractère cl les mêmes
inclinations, ils passaient des jours heureux;
chaque aurore voyait croîlre leur amour el
était le témoin du serment qu'ils se faisaient mu-
tuellement de ne se séparer jamais. Cependant
le temps, qui détruit lout, parut être jaloux
de la durée d'une union si intime cl leur apprit
qu'il faut se délier des résolutions les plus fer-
mes. Bientôt succédèrent à l'amitié la plus
tendre l'indifférence el le dégoul de n'habiter
toujours que le même lieu. Ces idées, longtemps
combattues, mais sans succès, forcèrent enfin
Bazcndeh à déclarer à son ami le sujet de sa
mélancolie : Ma chère âme, lui dit-il, préten-
dons-nous passer toute notre vie dans ce nid
comme dans une prison? Pour moi, je ne puis
vous cacher que j'ai le plus vif désir de voya-
ger et de voir un peu le monde. Je conçois
qu'en le faisant, je verrai beaucoup de choses
extraordinaires qui, en m'instruisant, me pro-
' Celte fable, que La Tontaine a reproduite «n Ters dlune
i manière si délicieuse (voyez liv. IX, fab. 2), a été empruntée
' par l'aulcur turc à l'Anwari-Solinlli, c'est-à-dire a la version
1 persane dn Vivre de Cdtila et Dimna. Elle ne se trouve-ni dans
le Calila el Dimna arabe ni dans le Pantcha-tantra, qui esl l'o-
riginal sanscrit de ce dernier livre. La Fontaine a pris l'idée de
sa fable dans la version française abrégée de l'Anwari-Sohall.
inlituleeMvre a'ej Lumières ou la conduite des roi«.!Parii,l«4*.
Î* ta. ■
CONTES ET FABLES INDIENNES DE BIDPAÏ.
satisfaire-, mais avant tout, je serais bien aise I p
de savoir votre sentiment touchant mon des- p
sein. Il y a longtemps que je me sers avanla- a
geusement de vos conseils pour résoudre les { g
plus grandes difficultés et que je me repose ! j
sur votre capacité de l'administration de mon c
empire, tant pour ce qui regarde sa sûrelé que l
pour ce qui concerne mes finances ; j'espère 1
qu'aujourd'hui vous voudrez bien m'aider de <
vos lumières sûr cette entreprise, afin que je ]
puisse prendre une résolution conforme à vos i
avis, élant persuadé d'ailleurs qu'on ne doit i
rien entreprendre d'important sans en sou- i
mettre la cause aux réflexions des gens sages et
éclairés.
Les deux visirs répondirent unanimement
que celle affaire élait d'une assez grande im-
portance pour mériter que l'on y fit de sérieu-
ses réflexions; et que, comme elles ne pou-
vaient êlrc l'ouvrage d'un moment, ils le
suppliaient de leur accorder ce jour-là et la
nuit suivante pour y penser, et que le lende-
main malin ils auraient l'honneur de commu-
niquer à sa majesté le fruit de leur examen. J
Dabschelim leur accorda ce délai. Le lendemain 1
les deux visirs retournèrent à l'heure marquée, j
prirent leur place ordinaire cl attendirent que
Dabschelim leur ordonnai de parler. Le grand
visir, qui eut ordre de commencer le premier,
mil le genou en terre, et après la prière ordi-
naire pour la prospérité de sa majesté, il com-
mença ainsi son discours :
Puissant el juste monarque, l'avis de votre
esclave, touchant le voyage que votre majesté
se propose est qu'à la vérité il paraît qu'elle
tirera quelque avantage de l'entreprendre;
mais je ne puis me dispenser de lui remontrer
qu'elle aura de terribles fatigues à essuyer dans
les chemins, et elle doit être assurée qu'elle
n'aura ni plaisir ni repos lanlquelle sera obli-
gée d'être en marche ; elle sera au contraire
exposée à souffrir les plus grandes incommo-
dilés. D'ailleurs votre majesté n'ignore pas le
proverbe qui compare les peines qu'éprouve
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dans l'enfer. Si la prunelle fait le plus belle or-
nement de l'oeil, c'est qu'elle ne sort jamais de
son orbite, au lieu que les larmes qui en tom-
bent sont foulées aux pieds. Ainsi, considérant
l'état de peines et de fatigues qu'éprouve un
voyageur avec les douceurs du repos que goû-
tent ceux qui se fixent dans le même lieu, il es!
| plus sage de jouir avec modération des biens
présens, quels qu'ils soient, que de couru
après un fantôme de bonheur que notre ima-
| ginalion, toujours accessible à l'illusion, nous
! peint sous les traits les plus séduisans, mais
dont l'expérience a seule le droit de nous dé-
tromper. C'est pour s'y être trop légèrement
livré qu'un pigeon éprouva le malheur trop
ordinaire à ceux qui n'ont pour guides que
leurs passions. Dabschelim interrompit le visir
en cet endroit et le chargea de lui faire le récit
de celle aventure; le visir le satisfit en ces ter-
mes.
i.ES DEUX PIGEONS.
TABLE'.
Deux pigeons s'aimaient au point de n'avoir
que le même nid pour demeure, et la provi-
sion de grains cl d'eau qu'ils y avaient en abon-
dance leur faisait préférer ce genre de vie retirée
à toutes les délices du. monde, qu'une résolu-
lion réfléchie cl appuyée sur de puissans mo-
tifs de retraite les avail déterminés à abandon-
ner. L'un se nommait Bazcndeh et l'autre Nc-
vazendeh. Unis par le caractère cl les mêmes
inclinations, ils passaient des jours heureux;
chaque aurore voyait croîlre leur amour el
était le témoin du serment qu'ils se faisaient mu-
tuellement de ne se séparer jamais. Cependant
le temps, qui détruit lout, parut être jaloux
de la durée d'une union si intime cl leur apprit
qu'il faut se délier des résolutions les plus fer-
mes. Bientôt succédèrent à l'amitié la plus
tendre l'indifférence el le dégoul de n'habiter
toujours que le même lieu. Ces idées, longtemps
combattues, mais sans succès, forcèrent enfin
Bazcndeh à déclarer à son ami le sujet de sa
mélancolie : Ma chère âme, lui dit-il, préten-
dons-nous passer toute notre vie dans ce nid
comme dans une prison? Pour moi, je ne puis
vous cacher que j'ai le plus vif désir de voya-
ger et de voir un peu le monde. Je conçois
qu'en le faisant, je verrai beaucoup de choses
extraordinaires qui, en m'instruisant, me pro-
' Celte fable, que La Tontaine a reproduite «n Ters dlune
i manière si délicieuse (voyez liv. IX, fab. 2), a été empruntée
' par l'aulcur turc à l'Anwari-Solinlli, c'est-à-dire a la version
1 persane dn Vivre de Cdtila et Dimna. Elle ne se trouve-ni dans
le Calila el Dimna arabe ni dans le Pantcha-tantra, qui esl l'o-
riginal sanscrit de ce dernier livre. La Fontaine a pris l'idée de
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