Titre : La Rue : Paris pittoresque et populaire / rédacteur en chef Jules Vallès ; directeur Daniel Lévy
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1867-10-05
Contributeur : Vallès, Jules (1832-1885). Directeur de publication
Contributeur : Lévy, Daniel. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32863356f
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 05 octobre 1867 05 octobre 1867
Description : 1867/10/05 (A1,N19). 1867/10/05 (A1,N19).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k54581732
Source : Bibliothèque nationale de France, département Réserve des livres rares, RES FOL-LC2-3093
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 03/12/2008
Première alïnée. — N° 19.
20 CENTIMES
5 Octobre 1867.
SOMMAIRE :
Chers Parents — JULES VALLÈS.
Le docteur Véron — F.-X. TnÉnois.
Voici le Froid — F. ENNE.
Correspondance — SAVINIEN LAPOINTE.
L'électriseur de la place Clichy — G. MKRIOOT.
Les Planches — A. DE STAÏIIB.
Un Convoi — G. CAVALTER.
Le Pavé — GUSTAVE MAROTEAU.
CHÉRS PARENTS!
C'est lis moment oîi vous discutez diuis les famille.-», autour de
la table et sur l'oreiller, l'avenir de vos enfants !
De tous ces moutards en f unique de collège et de ces garçons,
Trais bacheliers qui rôdent ces jours-ci à travers les rues,
qu'allez-vous l'aire?
C'est la rentrée demain dans les lycées, bientôt dans les écoles ;
l'heure est décisive et le moment grave, plus grave qu'on ne
pense ! J'en ai tant connu de ces pauvres garçons qui ont mal
Uni parce qu'on les fit mal commencer 1 Ce n'était point leur
faute, uKiiseclledcshommesqui, chargésde diriger leurs premiers
pas, les jetèrent tout petits dans le chemin qui conduit tout de
suite à la souffrance et plus tard quelquefois à la honte.
Il y a des pères orgueilleux et dont l'orgueil pèse sur la vie des
fils. Ces pères-là, qui sont aubergistes ou drapiers, veulent voir
leur rejeton médecin ou avocat. C'est bien ! mais encore faut-il
que ces ambitieux, avant de lancer l'enfant dans cette voie, sa-
chent à quoi ils s'engagent et à quels périls ils l'exposent.
Vous aimez les chilires, faisons-en.
C'est, — si votre moutard a aujourd'hui douze ans, — c'est
r>0,000 francs au moins qu'il faudra dépenser pour lui, si vous
voulez en faire un médecin ou un avocat, Le savez-vous?
Voire fils ne pourra pas. avant l'âge de vingt huit ans.
gagner un sou. Il faudra, jusque-là, payer sa nourriture et son
loyer, ses habits, ses bottes, ses examens, ses livres — sans qu'il
y ait une minute d'hésitation, un instant d'arrêt ! Trois mois
sans argent le feraient reculer de trois ans ; six mois sans vivres
le condamneraient, faute d'un miracle, à la Bohème, pour l'é-
ternité.
Cinquante mille francs, vous entendez? Les avez-vous ? Les
gardeiez-vous ? Les donnerez-vous? .
Vous ne les avez pas? Vous pouvez, ne plus les avoir?... on
vous hésitez à les donner?— Ne rêvez pas alors pour Ernest ni
le bonnet de docteur, ni la toge de l'avocat, ni même le diplôme
de bachelier, et quand le proviseur vous priera de choisir
demain, éloignez-vous des classes de latin, éloignez-vous !
Votre fils vous reviendrait des humanités ignorant comme
une carpe, — heureux encore, s'il sait qu'il ne sait rien !
Convaincu de son incapacité et se demandant pourquoi on a
dépensé tant d'argent pour qu'il s'ennuyât tant, il se mettra
bravement à apprendre un métier, entrera dans un magasin ou
un bureau, un atelier ou une boutique, à la caisse o:i au rayon.
Si, par hasard, il sort avec la foi classique,.la tête bourrée de
mots baroques, parlant grec, citant lesliitins ; jugeant la vie, ce
fort en thème, à travers ce qu'il sait de l'histoire des Euménidcs
ou des Samnites, il ira, votre fils, se cogner à tous les angles
durs et pointus de la réalité. Il éprouvera tous les désespoirs de
l'impuissant, subira toutes les déconvenues qui frappent les in-
capables. Peut-être il gardera l'orgueil puant des cuistres; il
mourra, dans ce cas, régenta Pont-à-Mousson ; — à moins qu'il
n'ait des protecteurs, des protectrices, ou encore du talent !
Mais de ce talent-là la graine pourrit et la fleur gèle dans les
serres universitaires. Il n'y a qu'About et Weiss qui y aient ré-
sisté. Ne comptez donc pas sur sa cuistrerie même pour l'enrichir,
et mettez-moi tout bonnement votre jeune homme aux dusses de
science! Qu'il appre'nne l'orthographe, le dessin, la mécanique,
la physique ou la chimie : en sortant il pouirratsouver une place,
continuer un commerce, prendre un fonds, et vivre la vie
honnête et saine de la bourgeoisie !
Vous préférez courir les chances ? — Ernest remplacera Trous-
seau et Charles a to>it ce qu'il faut pour bien parler. Soit ; mais
une fois la décision prise, c'est un devoir pour vous de ne pas
laisser en route celui que vous aurez vous-même égaré, et il ne
faut pas non plus que votre prudence maladroite gène sa marche
et tourne au détriment même de vos espérances !
C'est, hélas ! ce qui arrive bien souvent. Pour avoir gâché
quelque argent dans les festins des premières années, alors
qu'ils chantaient « Mon béret rouge! » ou jouaient les Hollas dans
les caboulots du quartier, ils se sont vus un jour abandonnés par
leur famille. Il y a eu échange de lettres aigres, puis violentes :
— peu à peu les cirurs se séparent, et entre le père et le fds un
abîme se creuse; les voisins le savent, la petite ville en jase. On
offre à l'enfant de revenir; il n'ose pas, parce qu'il arriverait dé-
guenillé et que depuis longtemps on a dans le pays calomnié sa
misère.
Il revient quelquefois — dix ans après, en sortant de Poissy,
où il a fait trois ans sous un faux nom; il arrive le soir comme un
mendiant ou un assassin. — Il arrive aussi, pour mourir, les pou-
mons brûlés par l'absinthe ou dévorés par la phtliisie : le père,
devant le lit d'agonie, maudit son orgueil et sa cruauté...
J'ai l'air de prendre la défense des fils paresseux ou rebelles.
Non, mais j'ai éternellement pitié de ceux qui ont faim, surtout
de ceux à qui je sais qu'on pourrait, sans se ruiner, envoyer du
pain.
J'ai peur que. les parents ne croient pas qu'on jeûne et qu'on
a froid ! Je me figure que s'ils y croyaient, ils feraient au moins,
comme à des étrangers, la charité à leurs enfants!
J'ai connu un pauvre et honnête garçon qui, ayant demandé à
sa famille — riches gens de province — qu'elle lui ouvrît seule-
20 CENTIMES
5 Octobre 1867.
SOMMAIRE :
Chers Parents — JULES VALLÈS.
Le docteur Véron — F.-X. TnÉnois.
Voici le Froid — F. ENNE.
Correspondance — SAVINIEN LAPOINTE.
L'électriseur de la place Clichy — G. MKRIOOT.
Les Planches — A. DE STAÏIIB.
Un Convoi — G. CAVALTER.
Le Pavé — GUSTAVE MAROTEAU.
CHÉRS PARENTS!
C'est lis moment oîi vous discutez diuis les famille.-», autour de
la table et sur l'oreiller, l'avenir de vos enfants !
De tous ces moutards en f unique de collège et de ces garçons,
Trais bacheliers qui rôdent ces jours-ci à travers les rues,
qu'allez-vous l'aire?
C'est la rentrée demain dans les lycées, bientôt dans les écoles ;
l'heure est décisive et le moment grave, plus grave qu'on ne
pense ! J'en ai tant connu de ces pauvres garçons qui ont mal
Uni parce qu'on les fit mal commencer 1 Ce n'était point leur
faute, uKiiseclledcshommesqui, chargésde diriger leurs premiers
pas, les jetèrent tout petits dans le chemin qui conduit tout de
suite à la souffrance et plus tard quelquefois à la honte.
Il y a des pères orgueilleux et dont l'orgueil pèse sur la vie des
fils. Ces pères-là, qui sont aubergistes ou drapiers, veulent voir
leur rejeton médecin ou avocat. C'est bien ! mais encore faut-il
que ces ambitieux, avant de lancer l'enfant dans cette voie, sa-
chent à quoi ils s'engagent et à quels périls ils l'exposent.
Vous aimez les chilires, faisons-en.
C'est, — si votre moutard a aujourd'hui douze ans, — c'est
r>0,000 francs au moins qu'il faudra dépenser pour lui, si vous
voulez en faire un médecin ou un avocat, Le savez-vous?
Voire fils ne pourra pas. avant l'âge de vingt huit ans.
gagner un sou. Il faudra, jusque-là, payer sa nourriture et son
loyer, ses habits, ses bottes, ses examens, ses livres — sans qu'il
y ait une minute d'hésitation, un instant d'arrêt ! Trois mois
sans argent le feraient reculer de trois ans ; six mois sans vivres
le condamneraient, faute d'un miracle, à la Bohème, pour l'é-
ternité.
Cinquante mille francs, vous entendez? Les avez-vous ? Les
gardeiez-vous ? Les donnerez-vous? .
Vous ne les avez pas? Vous pouvez, ne plus les avoir?... on
vous hésitez à les donner?— Ne rêvez pas alors pour Ernest ni
le bonnet de docteur, ni la toge de l'avocat, ni même le diplôme
de bachelier, et quand le proviseur vous priera de choisir
demain, éloignez-vous des classes de latin, éloignez-vous !
Votre fils vous reviendrait des humanités ignorant comme
une carpe, — heureux encore, s'il sait qu'il ne sait rien !
Convaincu de son incapacité et se demandant pourquoi on a
dépensé tant d'argent pour qu'il s'ennuyât tant, il se mettra
bravement à apprendre un métier, entrera dans un magasin ou
un bureau, un atelier ou une boutique, à la caisse o:i au rayon.
Si, par hasard, il sort avec la foi classique,.la tête bourrée de
mots baroques, parlant grec, citant lesliitins ; jugeant la vie, ce
fort en thème, à travers ce qu'il sait de l'histoire des Euménidcs
ou des Samnites, il ira, votre fils, se cogner à tous les angles
durs et pointus de la réalité. Il éprouvera tous les désespoirs de
l'impuissant, subira toutes les déconvenues qui frappent les in-
capables. Peut-être il gardera l'orgueil puant des cuistres; il
mourra, dans ce cas, régenta Pont-à-Mousson ; — à moins qu'il
n'ait des protecteurs, des protectrices, ou encore du talent !
Mais de ce talent-là la graine pourrit et la fleur gèle dans les
serres universitaires. Il n'y a qu'About et Weiss qui y aient ré-
sisté. Ne comptez donc pas sur sa cuistrerie même pour l'enrichir,
et mettez-moi tout bonnement votre jeune homme aux dusses de
science! Qu'il appre'nne l'orthographe, le dessin, la mécanique,
la physique ou la chimie : en sortant il pouirratsouver une place,
continuer un commerce, prendre un fonds, et vivre la vie
honnête et saine de la bourgeoisie !
Vous préférez courir les chances ? — Ernest remplacera Trous-
seau et Charles a to>it ce qu'il faut pour bien parler. Soit ; mais
une fois la décision prise, c'est un devoir pour vous de ne pas
laisser en route celui que vous aurez vous-même égaré, et il ne
faut pas non plus que votre prudence maladroite gène sa marche
et tourne au détriment même de vos espérances !
C'est, hélas ! ce qui arrive bien souvent. Pour avoir gâché
quelque argent dans les festins des premières années, alors
qu'ils chantaient « Mon béret rouge! » ou jouaient les Hollas dans
les caboulots du quartier, ils se sont vus un jour abandonnés par
leur famille. Il y a eu échange de lettres aigres, puis violentes :
— peu à peu les cirurs se séparent, et entre le père et le fds un
abîme se creuse; les voisins le savent, la petite ville en jase. On
offre à l'enfant de revenir; il n'ose pas, parce qu'il arriverait dé-
guenillé et que depuis longtemps on a dans le pays calomnié sa
misère.
Il revient quelquefois — dix ans après, en sortant de Poissy,
où il a fait trois ans sous un faux nom; il arrive le soir comme un
mendiant ou un assassin. — Il arrive aussi, pour mourir, les pou-
mons brûlés par l'absinthe ou dévorés par la phtliisie : le père,
devant le lit d'agonie, maudit son orgueil et sa cruauté...
J'ai l'air de prendre la défense des fils paresseux ou rebelles.
Non, mais j'ai éternellement pitié de ceux qui ont faim, surtout
de ceux à qui je sais qu'on pourrait, sans se ruiner, envoyer du
pain.
J'ai peur que. les parents ne croient pas qu'on jeûne et qu'on
a froid ! Je me figure que s'ils y croyaient, ils feraient au moins,
comme à des étrangers, la charité à leurs enfants!
J'ai connu un pauvre et honnête garçon qui, ayant demandé à
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