Titre : Le Gaulois : littéraire et politique
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1899-01-17
Contributeur : Pène, Henri de (1830-1888). Directeur de publication
Contributeur : Tarbé des Sablons, Edmond Joseph Louis (1838-1900). Directeur de publication
Contributeur : Meyer, Arthur (1844-1924). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32779904b
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 17 janvier 1899 17 janvier 1899
Description : 1899/01/17 (Numéro 6246). 1899/01/17 (Numéro 6246).
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k530520z
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/03/2008
84' Année. •» Série, N* 6346
PARIS ET DÉPARTEMENTS 15 CENTIMES
MARDI 17 JANVIER 1899*
ARTHUR MEYER
Directeur
RÉDACTION
|>E QUATRE HEURES DU SOIR A UNE HEURE DB" MATH*
2, rue Drouot, 2 2 t
(Angle des boulevards Montmartre et des Italiens
ABONNEMENTS
Paris et départements
tfn mois. 5 fr. Six mois. 27 ir.
Trois mois. 13 50 Un an. 54 fr.
Etranger
Trois mois (Union postale) .»,».>.• 16 ft*
Les manuscrits ne sont pas rendus
Le PLUS grand journal du matin
ARTHUR MEYER
Directeur
ADMINISTRATION
RENSEIGNEMENTS
° ABONNEMENTS, PETITES ANNONCES
2, rue Drouot, 2
(Angle des boulevards Montmartre et des Italiens)
ANNONCES
&XM. Cil. LAGRANGE, CERF & O
C, PLACE DE L.\ BOURSE, 6
Et à l'administration du Journal
Les manuscrits ne sont pas rendus
A bas
l'Hygiène!
{ Quel dommage que Molière soit mort avant la
̃découverte des microbes Nous aurions proba-
blement un chef-d'œuvre de plus. Le monsieur
qui voit partout des microbes et qui en a peur,
gui s'évertue à les écarter de sa vie et qui, à
'force de les écarter, fait de cette vie un supplice
;odieux comme la mort, voilà le type admirable
que Molière aurait pu voir de nos jours et qui lui
aurait fourni un digne pendant au Malade ima-
ginaire.
Car l'hygiénomane existe, il abonde,il pullule.
C'est la théorie des microbes qui nous le vaut.
-L'hygiénomanie naquit il y a cinq ou six lustres.
On pourrait la faire remonter à M. Thiers au
petit Thiers, le premier microbe peut-être le
microbe de l'Empire. À présent l'hygiénoma-
nie est dans toute sa prospérité, sa splendeur, et
chaque jour elle noua apporte quelque bonne
joyeuseté.
La dernière est charmante. Vous l'avez lue
sans doute. Elle consiste à prier les employés
des postes de mettre une éponge imbibée d'eau à
côté de leur guichet pour que nous n'ayons plus
à contaminer notre langue sur les timbres, quand
nous avons des lettres à affranchir. Car on vient
de s'apercevoir qu'il y avait de grands dangers à
risquer un bout de langue sur le papier, de l'ad-
ministration. Il doit grouiller de microbes,ce pa-
pier et de microbes officiels encore. La fièvre
typhoïde, la bronchite, l'entérite et trente-six
mille horreurs en ite sont là qui nous guettent,
dans un de ces petits carrés de papier lisse, plus
terrifiants cent fois que le fameux carré de Wa-
terloo. Vous ne vous en étiez pas douté peut-
être ? Il vous était arrivé parfois d'aventurer
votre langue sur un timbre, ou sur une carte-télé-
gramme, ou sur une carte-lettre ? Que vous étiez
brave sans le savoir 1
Frémissons-en et réclamons en chœur l'éponge
salutaire.
Mais; j'y pense les microbes, me semble-t-il,
n'entrent pas tous en nous par la langue, comme
un escadron alerte par un pont-levis. Je me suis
laissé dire qu'il en est de subreptices qui pas-
sent aussi par nos pores, comme des furets par
des trous à lapins. Ce sont même les plus dange-
reux, paraît-il. Alors, à quoi serviront les épon-
ges ? Nous serons to,ut aussi désarmés devant ces
timbres horrifiques. Ils pourront nous intoxiquer
par le simple contact et, s'ils nous épargnent, ils
risqueront d'aller semer la mort chez nos mal-
heureux correspondants.
Vous verrez qu'on n'affranchira plus les let-
tres, par politesse, quand on écrira à ses bons
amis. Les oncles à héritage, seuls, recevrontleur
correspondance dûment timbrée.
̃̃' **±
Il y a quelque temps, c'étaient les huîtres qui
avaient été mises au ban des hygiénomanes. Les
buitres aussi pouvaient donner la fièvre typhoïde.
Du coup, leur prix baissa de vingt-cinq pour
cent, et les journalistes qui avaient lancé ce ba-
cille à forme de canard purent manger leurs ma-
rennes à meilleur compte.
Les fruits, eux, sont conspués avec entrain.
On ne croirait jamais l'héroïsme qu'il y a pour
un hygiénomane à manger une poire juteuse.
Pour un peu, il demanderait la croix d'honneur.
La laitue, la romaine, la chicorée aux bucoliques
frisons, autant d'hydres de Lerne dont les gueu-
les nous menacent dans un saladier. Quant au
melon, c'est le traître des traîtres, c'est le nou-
veau cheval de Troie dans lequel nos pires enne-
mis se dissimulent- pour s'introduire en nous.
Haro sur le melon 1
Où n'a-t-on pas trouvé des microbes? La glace
en fourmille, comme vous savez, l'eau en charrie
des bancs, l'air en transporte des essaims. Les
microbes sont partout, dans les vêtements, dans
les cheveux, dans la peau qui transpire, dans la
parole qui sonne, dans l'œil qui regarde. Tous
les objets, autour de nous, en sont couverts
comme de tragiques radeaux. Il y en a sur l'or,
Bur l'argent et sur le cuivre, et l'on vous a re-
commandé naguère de ne pas trop vous fier à la
monnaie de billon. Il est clair que la monnaie de
•Mllon est fort propice à la circulation des micro-
bes. La Semeuse de Roty en sème à pleine
main. Quant aux billets de banque, oh fi fi t
Pensez un peu à tous les tuberculeux, varioleux,
rôugeoleux, scarlatineux, qui les ont touchés, et
osez en demander encore 1
J'espère bien que tous ces nids à bacilles vont
être dépréciés, comme les huîtres et les melons,
et qu'avant peu les billets de cent francs seront à
trois louis.
̃ ̃ ̃
Mais ce qui baisse le plus, paralt-il, ce sont
les baisers. On prévoit le krach des baisers à
!la Bourse d'amour. Il y a déjà panique" à Ne w-
1 York. Les baisers sont très offerts. Personne
•n'en veut plus, ni au comptant ni à terme. Les
(baisers vont être pour rien, ce printemps, à Pa-
iris, et l'on cite quelques vieux garçons qui s'en
| réjouissent.
On vient de découvrir, en effet, que les baisers
'sont les plus redoutables propagateurs de mi-
'crobes. Vous voyez une bouche rosé dans un vi-
sage de jeune femme, une bouche savoureuse,
Épanouie au sourire comme un œillet poivré au
soleil, et l'idée vous vient peut-être de rafraîchir
vos lèvres à ce sourire-là ? N'en faites rien, mal-
heureux Allez-vous mettre aussi bien dans la
gueule du loup. La nature, l'infâme nature, vous
tend un piège là encore. Vous croyez peut-être
qu'elle vous entraînait vers le vestibule des plai-
sirs, comme auraient dit nos pères ? Pas du
tout elle voulait vous jeter dans la fosse aux
microbes.
On ne s'embrassera plus au siècle prochain
qu'entre ennemis intimes. Quant aux poignées
de main, on pourra en donner encore à ses four-
nisseurs.
Il y avait naguère, sur la place des Ternes, un
beau petit bassin où les grenouilles étaient heu-
reuses. Je ne sais quel hygiénomane s'avisa de
idire que ce bassin était rempli de microbes, que
/les habitants du quartier allaient attraper des
̃îfièvres de marais on le crut naturellement, et le
['conseil municipal dut se résoudre à combler le
''bassin pour exproprier les fameux microbes. Il y
a des arbres à présent, sur cette place, et des
̃bancs assez mal fréquentés, dont on ne s'appro-
che, la nuit, qu'avec une certaine réserve. Mais
îles habitants des Ternes sont heureux ils
r avaient peur des microbes maintenant ils n'ont
'plus à craindre que des coups de couteau,
;̃̃-̃
r Me préservent les dieux de chercher noise à
Messieurs les hygiénistes. Ils ont du bon, ils ont
de l'excellent, les hygiénistes, et l'on ne saurait
trop louer les docteurs qui recommandent à leurs
malades d'être aussi prudents que possible. Mais
ïl y a des bornes à tout, et la théorie des micro-
pes, qui a conduit Pasteur au Panthéon, est en
train de mener pas mal de gens à Charenton ou
& Bicêtre.
C'est la folie régnante que l'hygiénomanie.
fflus nous allons et plus nous voyons des indivi-
3us passer leur vie à désinfecter, à filtrer, à sté-
riliser, à se demander quelle maladie ils pour-
ront bien attraper en mangeant tel mets qui les
tente, en buvant tel breuvage qui les sollicite,
«n faisant telle promenade, tel acte, tel geste que
l'instinct leur conseille. On rencontre des gens
qui portent des espèces de filtres sur la bouche,
comme une théière son passe-thé, avec l'idée in-
génue que cet appareil interceptera les micro-
bes au passage; d'autres ne cessent de frotter
®ur eux et autour d'eux, de racler, d'épousseter,
/|e souffler ,oour faire partir les microbes comme
unTolde moineaux; tandis que certains, plus
terrorisés encore, n'osent plus ni frotter, ni
épouaseter, oi souffler, de peur de réveiller ce
gibier funèbre. Il y a des hygiénomanes qui pas-
seraient tous les matins leurs enfants à l'étuve,
et tous les soirs leur femme au sublimé corrosif.
Eh que diantre I il y en a toujours eu des mi-
crobes, et quoique on ne fit rien pour les com-
battre, on n'en mourait pas plus qu'aujourd'hui,
il me semble.
Lisez ces lignes que tout le monde peut trouver
dans la Vie errante, de Guy de Maupassant.
Elles concernent Tunis:
« .Ce quartier neuf 1 Quand on songe qu'il est
entièrement construit sur des vases peu à peu so-
lidiflées, construit surune matière innomable faite
de toutes les matières immondes que rejette une
ville, on se demande comment la population n'est
pas décimée par toutes les maladies imaginables,
toutes les fièvres, toutes les épidémies. Et en re-
fardant ce lac, que les mêmes écoulements ur-
bains envahissent e.t comblent peu à peu, le lac,
dépotoir nauséabond dont les émanations sont
telles que, par les nuits chaudes, on a le cœur
soulevé de dégoût, on ne comprend même pas
que la ville ancienne, accroupie près de ce cloa-
que, subsiste encore, et on demeure convaincu
que Tunis doit être un foyer d'infections pesti-
lentielles. Eh bien I non, Tunis est une ville
saine, très saine L'air infect qu'on y respire est
vivifiant et calmant. Tunis est l'endroit où sé-
vissent le moins toutes les maladies ordinaires
de nos pays..
» Cela paraît invraisemblable, mais cela est.
O médecins modernes, oracles grotesques
c'est Maupassant qui parle, bien entendu pro-
fesseurs d'hygiène qui envoyez vos malades res-
pirer lair pur des sommets ou l'air vivifié par.
la verdure des grands bois, venez voir ces fu-
miers qui baignent Tunis; regardez ensuite cette
terre que pas un arbre *n"abrite et ne rafraîchit
de son ombre demeurez un an dans ce pays,
plaine basse et torride sous le soleil d'été, maré-
cage imme,nse sous les pluies d'hiver, puis en-
trer dans les hôpitaux. Ils sont vides S »
Voilà qui est fâcheux sans doute. J'espère bien-
que les hôpitaux tunisiens regorgeront de mala-
des bientôt, ne fût-ce que pour faire triompher
les hygiénistes»
Mais les lois de l'hygiène changent heureuse-
ment, comme toutes les lois de ce bas-monde.
Déjà vous avez pu lire, ici même, qu'un de nos
docteurs avait inoculé récemment des crachats
de tuberculeux à divers sujets, et .que ces cra-
chats étaient restés inoffensifs.
Dieu soit loué Si nous ne pouvons plus nous
embrasser sans péril, nous pourrons du moins
nous cracher à la figure tant qu'il nous plaira.
La vie est encore bonne 1
Ce qui se passe
LA POLITIQUE
LE BUDGET
La Chambre a entamé la discussion du budget;
cela peut surprendre, mais le fait est certain,
j'assistais moi-même à la séance où fut prise
cette grave décision, et j'ai vu, de mes yeux vu,
un député monter à la tribune et ouvrir le débat
sur la loi des finances.
Il ne faudrait pas se hâter d'en conclure que
les interpellations sont remisées jusqu'au prin-
temps prochain.
Déjà pour vendredi on nous en promet une,
d'ailleurs sans intérêt, car elle ne peut servir de
prétexte au pugilat coutmnier.
Nous en aurons d'autres.
Sous le masque,toutes les questions se faufilent
dans la discussion du budget comme les dominos
au bal de l'Opéra,
Vienne le débat sur le budget de la justice et
nous verrons apparaître toutes les questions,
toutes les interpellations que le Parlement veut
ajourner et qui font actuellement antichambre.
La guerre et la marine nous fourniront aussi
quelques hors d'oeuvre de choix.
En réalité, la discussion du budget est une
sorte de revue générale où l'on fait défiler les
hommes et les choses qui ont le plus marqué au
cours de l'année.
1. Vous représentez-vous une revue qui néglige-
rait l'affaire Dreyfus et ne s'occuperait pas de
l'Angleterre?
Le public n'y prendrait aucun plaisir et volon-
tiers sifflerait les auteurs et les acteurs.
L'examen du budget des affaires étrangères
nous donnera quelques scènes émouvantes qu'il
serait indiscret de déflorer aujourd'hui.
Bref, on parlera de tout pendant la discussion
générale, et même, à l'occasion, des impôts et
des contribuables.
Ceux-ci ne se font, d'ailleurs, aucune illusion
sur le sort qui leur est réservé aussi n'hésitent-
ils pas à prendre en main leur propre cause, à se
liguer, selon la mode du jour, pour combattre les
députés qui les devraient défendre, engager la
lutte contre le .gouvernement qui les devrait
protéger.
Ils seront écorchestout de même,mais du moins
ils auront eu la satisfaction de crier avant et pen-
dant l'opération, et ce sera le fait le plus saillant,
le trait vraiment nouveau de l'année qui finit et
de celle qui commence. L. Desmoulins.
ÉCHOS JDE PARIS
OU VA LA COUR DE CASSATION
Donc, M. le premier président Mazeau prési-
dera la chambre criminelle, aux Heu et place de
M. le président Lœw, et M. le président Lœw
prenant sa droite, quand cette chambre aura ter-
miné son enquête.
Tout chef d'une compagnie judiciaire a le droit
de présider telle ou telle affaire de telle ou telle
chambre de sa compagnie. Mais nous n'avons
aucun souvenir qu'il ait jamais pris la prési-
dence d'une affaire, au cours de l'affaire.
Cette intervention au cours de l'affaire a, en
effet, deux inconvénients des plus graves
Le premier est de donner l'estampille officielle
de l'incapacité ou de la partialité au président
dont il prend la place, parce que ce président n'a
pas donné, dans la première partie des débats,
Jes garanties nécessaires à la bonne administra-
tion de la justice. Et c'est bien le cas, puisque
c'est devant la levée de boucliers de l'opinion
publique que M. le premier président Mazeau
s'est décidé à déposséder M.le président Lœw,
Le second est de mettre, en l'espèce, M. le pre-
mier président Mazeau dans une situation infé-
rieure vis-à-vis de ses collègues de la chambre
criminelle qui auront procédé à une enquête,
dont il ne connaîtra, lui, que les procès-verbaux
et dont il ignorera les impressions d'audience
qui sont la lumière de la justice.
,¡:
En attendant, M.le pz'enpiér président Mazeau,
assisté de MM. les conseillers Dareste et Voi-
sin, procède à une enquête sur l'enquête de la
chambre criminelle, et la chambre criminelle
poursuit, de son côté, son enquête ainsi enquê-
tée.
Quelle autorité pourra avoir cette enquête de la
chambre criminelle, à huis-clos et sans confron-
tation, frappée de suspicion par l'opinion publi-
que et par le chef dé la cour de cassation lui-
même, puisqu'il enquête cette enquête t
Que dis-je ? Lors même que l'enquête de M. le
premier président Mazeau et de MM. les conseil-
lers Dàreste et Voisin proclamerait l'irréprocha-
bilité de l'enquête de la chambre criminelle et de
la chambre criminelle elle-même, le fait que M.
le premier président Mazeau prendra, contraire-
ment à tous les usages, le fauteuil de M. le pré
sident Lœw pour juger l'affaire sur Je fond, pro- j .1
clamera ©lus haut encore la. légitimité de la suspi-^f
cion dont est frappé M. le président Lcew «t,
avec lui, la chambre criminelle.
•̃'̃•• ̃
Ce n'est pas M. le premier président Mazeau
qui sauvera l'autorité de la .chambre criminelle?
c'est la chambre criminelle qui perdra l'autorité
de M. le premier président Mazeau et de la cour
de cassation tout entière.
La cour de cassation ne peut échapper au dé-
luge de suspicion qui menace de la submerger,
qu'en arrachant à la chambre criminelle cette
meule de l'affaire Dreyfus, que la chambre cri-
minelle lui met au cou, et en la jugeant elle-
même, toutes chambres réunies, la chambre cri-
minelle, présidée ou non par M. le premier pré-
sident Mazeau, étant désormais dans l'impuis-
sance d'imposer son arrêt à la conscience pu-
blique.
Et la conscience publique rendra la cour de
cassation complice et responsable de cet arrêt,,
parce que laisser faire le mal est la même chose
que le faire, et elle la frappera de l'indignité dont
M.le premier président Mazeau frappe la chambre
criminelle en venant si insolitement la présider
pour la faire rentrer dans le devoir, car nous ne
voulons pas supposer que ce soit pour la couvrir
de son hermine.
Nous verrons alors comment la cour de cassa-
tion s'y prendra pour imposer ses arrêts aux
cours et aux tribunaux, et comment les pouvoirs
publics la protégeront contre le discrédit uni-
versel.
Nous avons dit que le général Jamont, le très
éminent généralissime de l'armée, venait d'ê-
tre nommé vice-président du conseil supérieur
de la guerre. Il aura eu pour prédécesseur dans-:
ces fonctions le général Saussier. Même, l'on
peut dire que lorsque fut créée la vice-prési-
dence, voici bientôt dix ans, on avait expressé-
ment pour but de faire entrer dans le conseil le
généralissime.
Le conseil supérieur de la guerre n'a, on le
sait, que voix consultative, et le ministre respon-
sable peut accueillir ou rejeter les avis qui lui
.sont donnés. Mais iLne faudrait .pas croire que
l'idée de ce conseil soit une trouvaille des hom-
mes au pouvoir depuis 1879 il y avait sous la
Restauration un conseil supérieur que présidait
le Dauphin.
Et, plus près de nous, notre illustre collabora-
teur, M. le général du Barail, étant ministre,
songea à le rétablir, mais en lui donnant, avec
une existence légale, des attributions plus larges
et plus importantes que celles qu'il possède ac-
tuellement. C'eût été, si le projet du général du
Barail eût abouti, un véritable conseil d'Etat
militaire, avec maîtres des requêtes et audi-
teurs. •̃̃̃-
BILLET DU SOIR
« Un militaire est plus exposé qu'un péquin à mou-
rir jeune ». Cet aphorisme, qui est, je crois, d'Henry
Monnier, a perdu un peu de son exactitude depuis que
tout Français doit son sang à la patrie en cas de guerre;
mais il n'en reste pas moins vrai que, même en temps
de paix, le militaire a moins de chances de longévité
que la plupart des civils. Je n'en veux pour preuve que
les décès relativement nombreux causés par les acci-
dents de cheval, les insolations, les fatigues résultant
des manœuvres et surtout les épidémies de fièvre ty-
phoïde dans les casernes et les quartiers, dans lesquels
l'hygiène ou bien l'eau, cette grande conductrice des
fièvres contagieuses, laisse à désirer.
Mais si le militaire estçlus exposé que le civil à pâs^
ser dé vie à trépas, ce n'est pas une raison pour qu'on
hésite à le prémunir contre la mort en temps de, paix,
cette tristesse de la carrière. C'est pourquoi je suis sûr
d'être l'écho de bien des mères de saint-cyriens en de-
mandant qu'une enquête sérieuse sbit faite sur les cau-
ses de la récente mort de l'élève Lantoes île Montebello.
S'il est vrai, comme on l'a dit, que le service médi-
cal ait une part de responsabilité quelconque dans
cette lamentable aventure, la question mérite d'être tirée
au clair. Ce sont de ces affaires qui ne doivent pas être
« classées ». Qu'un Lannes puisse être un jour tué par un
boulet, c'est le sort des batailles et une tradition de fa-
mille mais si le jeune élève dont je parle est mort,
comme on le prétend, des suites d'une opération que
l'on aurait pu faire en de meilleures conditions, il
y aurait là matière à profonds regrets pour tous les
Français qui aiment l'armée, c'est-à-dire, sauf quel-
ques douzaines de professeurs et de dreyfusards, tous
les Français.
Soixante-dix-huit sénateurs de toutes nuances
ont offert, hier soir, au Grand-Hôtel, un banquet
à leur collègue, M. Constans, à l'occasion de son
départ pour Constantinople.
Au dessert, M. Loubet, qui présidait natu-.
Tellement, a pris la parole. Il a félicité M.
Constans de sa nomination au poste d'ambassa-
deur à Constantinople, et lui a exprimé* au nom
des sénateurs présents, tous les regrets que cau-
serait son départ.
En quelques paroles pleines de finesse et d'é-
motion, M. Constans a remercié M. Loubet de
son petit speech sympathique.
Depuis quelques jours on parle beaucoup de la
candidature de M. Paul Deschanel, président de
la Chambre des députés, au fauteuil laissé vacant
à l'Académie française, par notre éminent et re-
gretté confrère, M. Edouard Hervé.
M. Paul Deschanel hésitait, repoussait même
cette idée, pour deux raisons entre autres.
La première est que son père, M. Emile Des-
chanel, professeur au Collège de France, confé-
rencier très applaudi, écrivain délicat et fin,
s'est déjà présenté à l'Académie française où il a
recueilli un bon nombre de voix qui lui permet-
tait d'espérer son élection, et qu'il répugnait à
son fils de couper l'herbe sous les pieds pater-
nels.
Mais M. Emile Deschanel a été le premier à
lui dire
Mon enfant, rien au monde ne pourrait me
faire plus de plaisir que de te voir à l'Académie,
et c'est la plus grande récompense que j'ambi-
tionne avant de mourir. Henry Houssaye a été
élu, et son père ne l'a pas été; Alexandre Dumas
fils l'a été aussi, et son père ne l'a pas été. Ce-
pendant, si Alexandre Dumas père et Arsène
Houssaye avaient pu voir l'élection de leurs fils
à l'Académie, ils en eussent été aussi heureux
que je le serais de la tienne.
La seconde raison qui retenait M. Paul Des-
chanel, c'est que des écrivains distingués bri-
guaient Aussi la succession de M. Edouard Hervé
et qu'il ne voulait pas qu'un homme politique,
par sa haute situation dans l'Etat, les privât de
la légitime récompense de leur carrière.
Mais ces écrivains ont été aussi les premiers à
lever ses scrupules, à lui dire que ses amis ne
portaient pas la candidature du président de la
Chambre, mais de l'orateur disert, de l'écrivain
de goût, du lettré raffiné, de l'homme du monde
que tous les partis se disputent, et que sa candi-
dature n'avait aucun caractère politique.
Bref, M. Paul Deschanel s'est laissé convain-
cre, il pose sa candidature à l'Académie fran-
çaise.
Ajoutons que M. le duc d'Audiffret-Pasquier
était président du Sénat quand il a été élu à l'Aca-
démie, et que l'Académie est venue aussi cher-
cher M. Challemel-Lacour au fauteuil de la prési-
dencedu Sénat. M. Paul Deschanel sera donc le
troisième président d'Assemblée élu sous cette
république. Il y en a eu d'autres sous les régi-
mes précédents, entre autres, le célèbre Dupin,
si lourdaud et si spirituel à la fois.-
Une nouvelle qui intéresse tous les yachtmen
et tout particulièrement les propriétaires de
grands yachts à vapeur.
Au ministère de la marine on recherche ac-
tuellement quels services pourraient rendre, en 1
cas de guerre maritime, les nombreux steam-
yachts qui naviguent sous pavillon français.
L'intention de M. Lockroy serait d'utiliser soit
comme estafettes, soit pour le service de la Croix-
Rouge, ainsi que cela se fait en Angleterre, tou-
tes ces coquettes embarcations. La principale
question à résoudre est celle de l'armement et
nous savons que le ministre de la marine a écrit
Jean Rameau
à l'amiral Duperré, président de l'Union des 1
ryaehts français; pour le consulter à ce sujet.
Nous ne doutons pas un seul instant que tous
les yachtmen unissent leurs efforts à celui du
ministre pour faire aboutir ce projet.
Mais que vont direles partisans de la taxe sur
les yachts si ces « objets de luxe » deviennent
subitement des « objets d'utilité publique », que
dis-je des éléments de la défense nationale ? R
La vogue, comme dessert, est de plus en plus
aux biscuits chaque jour en apporte un nou-
veau, mais la maîtresse de maison, bien avisée,
reste fidèle à la marque L U.
Elle sait en effet que seule la maison Lefèvre-
Utile garantit de la fanon la plus absolue que des
matières premières de premier ordre, à l'exclu-
sion de toutes autres, entrent dans la fabrication
de ses exquises friandises.
Courrier du littoral
La deuxième journée des courses de Nice a été
favorisée par un temps splendide la pelouse
était éclairée par un soleil radieux, le pesage
très animé. Et grâce à ce beau temps printanier,
les tribunes offraient un coup d'oeil des plus élé-
gants les toilettes claires y luisaient au soleil
comme de grandes fleurs vivantes.
De tous les points du littoral, de Cannes, de
Monte-Carlo, on était accouru en foule. Cette se-
conde journée, très réussie, comme la première,
montre l'intérêt de ces réunions. Ce sont de
vraies fêtes mondaines, du plus brillant éclat,
quand le soleil de Nice les lavorise.
Au hasard, nous avons remarqué
Prince et princesse Lubomirski, marquis et
marquise Massengy d'Auzac, général Fabre, M.
et Mme Camille Blanc, général et Mme Caréy de
Bellemare, prince Pignatelli d'Aragon, baron de
Saiut-Marcj M/de Romanet, M. de Fondclair,
vicomte de Buisseret, etc.
A travers I03 Iivr33
Dans le dernier numéro de la Revue des Rhu-
matisants, qui paraît aujourd'hui, on lira avec
le plus vif intérêt les articles et souvenirs de
Mme la duchesse d'Uzès, du général du Barail,
de Gaston Jollivet les études et consultations
des docteurs P. Bouloumié, Mercier, G. Légué,
etc., etc. Les lecteurs du Gaulois qu'éprouve la
saison trouveront dans cette piquante Revue des
Rhumatisants joie et réconfort. Abonnement
20 francs, 81, rue Le Peletier.
Ollendorff annonce la dixième édition du ro-
man profond et troublant de Lucien Muhlfeld, le
Mauvais Désir, dont « Tout-Paris » écrivait dans
son « Bloc-Notes » qu'à seulement regarder le
livre, on pressentait son succès. La vogue se
prolonge en province et à l'étranger.
NOUVELLES A LA MAIN
Mistouflet est très gaffeur. ̃
Quel idiot que ce garçon-là s'écriait un de
ses amis. Hier, au dîner des Radis Noirs, il
avait pour voisin un des plus solennels mem-
bres de l'Institut. Ne se met-il pas, au dessert,
à blaguer les coupolards J'avais beau lui
faire des signes d'intelligence.
Des signes d'intelligence à Mistouflet, tu
perdais ton temps I
NOTES 1 D'UN MÏISKJN- <
Au mois d'octobre 1892, j'assistais à l'inaugu-
ration de la statue de Méhul, à Givet. L'immortel
auteur de Joseph n'avait jusque-là, dans sa ville
natale, d'autre monument commémoratif qu'un
buste très médiocre, presque caricatural, effrité
par le temps, datant de 1842. Ce n'avait pas été
sans peine, d'ailleurs, que le comité de la statue
de Méhul avait pu mener à bonne fin le but
qu'elle s'était proposé plus de quatre années
avaient été nécessaires pour recueillir les sous-
criptions qui permirent enfin de rendre au génie
du grand maître français le tardif hommage qui
lui était dû.
M. Léon Bourgeois, alors ministre de l'instruc-
tion publique et des beaux-arts,: présidait la cé-
rémonie. 11 exalta à leur juste mérite les œuvres
du glorieux compositeur. Après lui, parlèrent
Ambroise Thomas, directeur du Conservatoire
Massenet, au nom de l'Institut, et enfin le signa-
taire de cet article, délégué par la Société des
auteurs et compositeurs dramatiques et celle des
compositeurs de musique, dont il a l'honneur
d'être président»
Je terminai mon discours par ces mots
La tâche du comité du monument de Méhul
est aujourd'hui terminée il faut le remercier de
l'avoir menée à bonne fin
» Une autre tâche est à remplir, qui consiste-
rait à relever le monument érigé par Méhul lui-
même. Comment un chef-d'œuvre comme Joseph
a-t-il pu disparaître du répertoire de nos théâtres
lyriques, alors qu'il n'a cessé de figurer sur celui
des scènes étrangères?
» Je me félicite de la présence à cette cérémonie
de M. le ministre de l'instruction publique et des
bèaux-arts, à qui j'adresse le vœu formé par
tous ceux qui ont souci de la splendeur de l'art
national, de voir remettre à la scène les œuvres
d'un des. plus grands maîtres de notre école fran-
çaise. »
M. Léon Bourgeois me répondit qu'il prenait
l'engagement de donner promptement satisfac-
tion à ce vœu, et que Joseph serait prochaine-
ment repris sur un de nos grands théâtres sub-
ventionnés.
On sait ce que durent aujourd'hui nos minis-
tres. M. Bourgeois n'eut sans doute pas le temps
de réaliser sa promesse. Toujours est-il que six
ans se sont écoulés depuis l'inauguration du mo-
nument de Givet, et que le nom de Méhul a con-
tinué à briller par son absence sur les affiches de
l'Opéra et de l'Opéra-Comique.
Cet injuste ostracisme va cependant cesser, car
Joseph vient d'entrer en répétition à notre Aca-
démie de musique, où il'sera réprésenté dans le
courant du mois prochain. On dit même que M.
Albert Carré aurait, de son cité, l'intention de
remonter, à l'Opéra-Comique, le chef-d'œuvre de 1
Méhul, délaissé depuis 1882, date de sa dernière
reprise sous la direction de Carvalho.
Voilà une nouvelle qui va réjouir les fer-
vents admirateurs de ce superbe ouvrage et ap-
porter un peu de joie au neveu de l'illustre com-
positeur, M. Daussoigne-Méhul, un modeste ar-
tiste qui, las de lutter contre les difficultés de
Fingràte carrière de musicien, s'est retiré à
BoujHon, loin du tumulte et des agitations de la
vie de Paris.
t
Sait-on que ce poème tant critiqué, et auquel
on attribua le succès modéré de l'ouvrage au-
près du gros public, fut le résultat d'une ga-
geure ? q
C'était à un dîner chez Mme Sophie Gay, la
mère de Mme de Girardin. Alexandre Duval y 1
assistait. La conversation étant tombée sur un
Joseph de BaoUr-Lormian, représenté la veille à
la Comédie-Française, Duval soutint l'opinion
contre tout le monde que l'auteur avait eu tort
d'ajouter à cette action biblique des épisodes qui
en altéraient la sereine simplicité. Selon lui, l'a-
mour, que l'auteur avait introduit dans ce sujet
patriarcal, affaiblissait le principal intérêt, qui
est la piété filiale. Cette histoire si touchante
dans la Bible n'offrait que la reconnaissance des
frères,ettoutcequ'on pouvait se permettre, c'était
de faire arriver Jacob en Egypte et le rendre té-
moin du pardon que Joseph accorde à ses frères.
Tout autre sentiment, pouvant distraire de la
piété familiale, devenait un hors-d'oeuvre dange-
reux.
Méhul, qui était au nombre de3 convives, dit
en raillant à Duval crue si, dans les conditions
Un Domino
qu'il indiquait, on pouvait écrire une tragédie de
Joseph, on pouvait bien en faire un opéra, et
que, puisqu'il se trouvait d'une opinion contraire
à celle.de tout le monde, il le mettait au défi d'en
tirer un opéra en trois actes.
Mme Gay appuya cette idée avec tout le charme
et la chaleur qu'elle apportait dans la conversa-
tion, et, pour avoir mis tant d'opiniâtreté à sou-
tenir son opinion, Duval fut condamné à fournir
la preuve qu'on pouvait faire un Joseph sans
amour et sans aucun épisode étranger au sujet.
Bien plus, on lui mesura le temps qu'il devait
mettre à écrire la pièce quinze jours seule-
ment le dispensant toutefois de versifier les
récitatifs. U ne semblait pas, en effet, qu'un
ouvrage d'un caractère aussi sérieux pût conve-
nir à un autre théâtre que l'Opéra.
Le livret fut écrit si rapidement que Duval,
devançant la date fixée, alla lui-même presser
l'aréopage des amis de Mme Gay de se réunir
pour en entendre la lecture. « On convint d'une
voix unanime, dit Duval dans la préface de sa
pièce, que j'avais gagné ma cause et qu'on pou-
vait faire un Joseph sans étendre l'action par des
épisodes étrangers au sujet ».
Il est regrettable que le grand public n'ait pas
ratifié cet arrêt. Pour ma part, je ne partage pas
complètement l'opinion générale à cet égard. Si
le style d'Alexandre Duval est d'un sentimenta-
lisme quelque peu suranné, si l'enchaînement des
scènesest parfois d'une naïveté qui lait sourire,
la grandeur et la simplicité du sujet, la noblesse
des sentiments qui y sont exprimés, l'intérêt qui
se dégage des situations impriment à toute l'œu-
vre un caractère émouvant que complète par ses
accents pathétiques l'admirable partition de Mé-
hul.
Elle fut composée presque aussi rapidement
que le livret qui l'avait inspirée car, commencée
en septembre 1896, elle fut exécutée pour la pre-
mière fois, à l'Opéra-Comique, le 17 février 1807.
Si l'on tient compte du temps nécessité par les
répétitions, qu'on ne peut guère évaluer à moins
de trois mois, on en peut conclure que Méhul l'a-
cheva à peu près dans un délai aussi court.
Joseph, je l'ai dit plus haut, était destiné à
l'Opéra. S'il n'y fut pas représenté, c'est que les
relations de Méhul avec la direction de ce théâ-
tre étaient devenues très tendues. L'allure sévère
de l'œuvre ne pouvait plaire qu'à demi à un pu-
blic habitué au genre gracieux et frivole en hon-
neur sur cette scène à cette époque.
Voici ce que Geoffroy, le grand critique du
Journal de V Empire, disait à ce sujet, au lende-
main de la première représentation de Joseph
« L'Opéra-Comique échouera toujours quand
il voudra disputer d'éclat et de majesté avec
l'Opéra, d'évolutions, de décors et de costumes
avec les théâtres de mélodrame cet étalage
n'est pas fait pour lui, il n'en a pas besoin, et
quand il voudra s'affubler de ces machines, il en
sera pour ses frais. »
Voilà pourquoi j'estime que Joseph, qui n'a ja-
mais pu parcourir une longue carrière à l'Opéra-
Comique, a de grandes chances de réussir à l'O-
péra. D'abord, nous n'y serons plus contraints
d'entendre le sentimental et parfois grotesque
dialogue de Duval; la mise en scène, par la splen-
deur des décors, le pittoresque et l'éclat des cos-
tumes, mettra cette action biblique dans le vaste
cadre qui lui convient, et auquel elle était primi-
tivement destinée. Puis, nous n'aurons pas, à
l'Opéra, le ridicule contre-sens de la dernière re-
prise à l'Opéra-Comique, où Joseph, .pour fêter"
la venue de son père Jacob, lui offrait le spec-
tacle d'un ballet, qu'il ne pouvait voir, étant
aveugle. Pour réaliser cette audacieuse trou-
vaille, Venir' acte, qui doit se jouer le rideau
baissé, était exécuté pendant le festin du troi-
sième acte, pour accompagner les entrechats des
huit ballerines dont se composait alors le per-
sonnel de la danse à la salle Favart.
Joseph, comme je l'ai dit, abandonné en
France, n'a cessé de faire partie du répertoire des
théâtres allemands. Maintenant que les pèlerina-
ges à Bayreuth nous ont inoculé les goûts tudes-
ques en toute chose, que les brasseries avec or-
chestres de Tziganes ont remplacé les paisibles
cafés d'autrefois, que l'on fume après le dîner de-
vant les femmes, que la musique de Wagner est
admise à l'exclusion de toute autre, il faut espé-
rer que nous pousserons l'esprit d'imitation jus-
qu'à aimer Joseph autant qu'on l'aime à Berlin,
à Francfort, à Munich, et que, comme les frères
repentants du ministre de Pharaon, nous nous
ferons pardonner de l'avoir méconnu si long-
temps, en l'acclamant prochainement à l'Opéra..
Victorin Joncières
8loG-Notes Parisien
UN COMÉDIEN HÉROÏQUE
Ce sera un anniversaire funèbre, celui que solenni-
sera, après-demain, la Comédie-Française. Dans le
grand foyer, on découvrira le buste de l'acteur Seveste,
mort des blessures reçues devant l'ennemi le 19 janvier
1871 C'est la sœur du jeune héros, artiste lyrique elle-
même et des plus distinguées, qui à offert à la maison
de Molière cette image de son frère, sculptée par Fa-
gel. Pour les contemporains qui ont garde le souvenir
de cette figure trop éphémère, la ressemblance est frap-
pante. C'est bien ce visage grave, un peu triste, avec
une pointe de mélancolie macabre, au front développé,
au nez saillant, à la lèvre amère que portaient de ro-
bustes épaules. La stature était plutôt haute. On ne se
fût jamais douté, à le voir, que ce grand garçon, un
peu lugubre d'aspect, fût troisième comique au Théâ-
tre-Français.
Il y était entré tout d'un bond,cn i863,après avoir fait
les plus fortes études et remporté le premier prix de
comédie au Conservatoire. L'illustre professeur Ré-
gnier, son maître, l'avait formé avec un soin tout par-
ticulier. Il l'assista le plus qu'il put dans sa carrière,
qu'il prédisait brillante. Or, Régnier était la bonté pa-
ternelle en personne pour ses élèves. '1
Le modeste, consciencieux et laborieux Seveste, en
dépit de ces facultés très réelles et très originales, par-
venait difficilement à s'ouvrir un coin de lumière. Pen-
dant tout près de huit ans il attendit l'occasion si ra-
rissime. Deux fois elle lui montra son cheveu et il le
saisit. C'était dans Maurice de Saxe d'abord et dans
Une Fête sous Néron ensuite.
Les princes du feuilleton dramatique; comme on les
appelait en ce temps-là, le remarquèrent. Il y a sur ses
débuts, qui ne furent pas des apparitions à son gré, des
lignes fort élogieuses de Gautier, de Saint-Victor, de
Barbey d'Aurevilly. On voulait juger le futur comédien
à sa vraie première, quand il lui serait permis de don-
ner sa note personnelle.
Hélas cette première, il ne lui était pas réservé de
la voir. L'art du moins la lui refusa. Mais la patrie lui
fournit une dernière qui l'ensevelit en pleine jeunesse
et en pleine gloire dans les plis du drapeau 1
•%
Jean-Didier Seveste était, un « enfantde la balle »,
suivant un terme de coulisses. Son père était régisseur
de la scène à la Comédie-Française un de ses oncles
appartenait" aussi au monde des théâtres, il était direc-
teur de spectacle dans la petite banlieue à Montpar-
nasse, je crois.
L'acteur avait de qui tenir. Tout gamin, il n'avait
pas de plus grande joie que de s'essayer à la comédie.
Nu! mieux que lui n'avait appris et ne possédait les
grands classiques, Molière surtout. Quand Régnier le
distingua et le prit en affection, lui prophétisant un bel
avenir, le père, la mère et aussi la bonne grand'mère,
qui ne vécut si vieille que pour apprendre la mort de
son pauvre petit-fils, toute la famille fut transportée de
bonheur. Un Seveste était né j
J'ai dit comment la malignité du sort avait traversé
Tillusion de ces braves gens. Mais le réveil fut surtout
cruel, bien que glorieux au-dessus de tout. Si Seveste
était comédien, il se sentit encore plus Français lorsque
l'invasion étrangère saisit la patrie à la gorge..
•;̃• •̃-••• *V •
II était de cette élite de cœurs parisiens, fiers, coura-
geux, en qui avait retenti le superbe cri du grand Théo
« On bat maman, j'accours I »
Et Sev°ste, déposant le costume pour l'uniforme,
s'engageait d£is le corps civique des carabiniers pari- J
siens. Il fut élu sou5-'ieutenant d'emblée.
Désormais, il n'est pîi's 1u'ua soldat prêt à tout pour J
faire face à l'ennemi qui enserre de toutes parts la ca«
pitale. Il est des quatre grandes sorties. Il y risque allé»
grement sa vie à la tête de sa compagnie. Trois fois, tt
est cité à l'ordre du jour. Mais la fatalité le guette. Au
combat de Montretout- et non pas à Buzenval comme
on l'a imprimé par erreur il se précipite avec lef
siens à l'assaut de la position que couronnent les Prus«
siens. Le général Vinoy a résolu de les en déloger.
Mais l'assaut est rude. Il faut, à quatre reprises, !•
répéter. Les tirailleurs grimpent en rampant parmi les
ceps devigp.es, sous un feu de mitraille qui ne discon«
tinue pas et qui accable les cent mille hommes engagés
dans le Mont-Valérien. Chacun fait de son mieux pour
gagner du terrain en se traînant sur le sol et en se dissi-
mulant derrière ses moindres replis.
Mais l'artillerie allemande fait rage. Un obus éclate
aux pieds du jeune Seveste. Et pendant qu'on l'em-
porte, grièvement blessé, il a la triste vision du lamen-
table échec de nos troupes.
On l'avait transporté à la Comédie-Française, trans»
formée en ambulance. Tous ses camarades se multi-
pliaient au service des blessés. Mlle Favart soignait
jour et nuit le vaillant mutilé, qu'on avait dû amputer
de la jambe droite. On ne désespérait pas de le sauver,
imprimait le Gaulois du 28 janvier 1871. Le général
Schmitz faisait porter à Seveste, sur le lit où il était
étendu, souffrant cruellement, la croix de la Légion
d'honneur, qu'il embrassait et mouillait de ses larmes.
Mais soudain une hémorrhagie se déclara, et il expirait
quelques instants après qu'on eut attaché l'étoile à
l'un des montants de son lit, avec une rosc artificielle.
FI avait vingt-sept ans. ̃ "V;
Seveste n'avait qu'un ennemi l'Allemand. A la
Comédie, on l'aimait beaucoup, on l'estimait davan-
tage. Il faut relire dans le « Journal » d'Edouard
Thierry, qui le dirigeait pendant le siège, la poignante
émotion de tous quand on vit arriver sous la porte du
grand escalier le brancard qui le portait.
« Il poussait, dit le respectable historien, des cris
terribles. Il a, dit-il, la jambe brisée en quatre morceaux
et chaque mouvement de ces morceaux le fait horrible-
ment souffrir. C'est égal Il est dans son théâtre. Il est
au milieu des siens. Il se croit sauvé Au milieu de
tout cela, la représentation continue on jouait le
Médecin malgré lui et les gémissements, qui mon-
tent avec la civière, s'entendent vaguement dans la
salle terrifiée. » 0
Ce qu'il y eut d'affreux, c'est qu'on ne savait où pla-
cer le malheureux. Une amputation, disait-on, serait
mortelle dans une ambulance. Le docteur Mallet pro-
posait de le déposer dans une loge d'acteur ou de le
faire porter chez sa mère. En attendant, personne, ni
Mlle Reichenberg, ni Prudhon, ni Edouard Thierry
lui-même n'osait aller prévenir la famille. Lui, d'ail-
leurs, ne veut pas qu'on révèle aux siens la catastro-
phe. On décide de le transporter au foyer des artistes.
Comment le pourrait-on garder dans une loge? La
bois manque pour chauffer une loge le jour et la nuit.
On voudrait que la Comédie se mit en deuil. Mais si
elle ne joue pas, qui donnera du pain à la famille de
Seveste ?
Malgré les précautions prises, la famille a appris qu'il
était blessé, et sa sœur est accourue. Le docteur Richet
lui a coupé la jambe et il trouve encore la force d'être
gai. « Je pourrai toujours, dit-il à Gaillard, jouer
La Flèche, à qui Harpagon dit « Chien de boiteux »
Ce qui le tourmentait le plus, c'était de n'avoir plus
son sabre il voulait qu'on le lui retrouvât.
Mais son énergie morale s'épuisait avec ses forces
physiques, très débilitées par les privations et les fati-
gues du siège. On l'administra le 3o au soir et il
mourut sans que la vieille grand'mère sût qu'elle avait
perdu son petit-fils.
Voilà l'histoire si brève et si tragique de Seveste. Le
général Trochu, en lui décernant la croix, disait qu'en
sa personne il honorait les comédiens qui n'avaient pas
fui Paris.
La Maison de Molière ne peut que se réclamer et se
glorifier du jeune héros dont elle va consacrer le buste.
Son nom mérite d'être conservé.
Tout-Paris
̃ ̃«̃'̃- -̃ <
LA
tiM~ l
RH 11 L'ÀHiiË l
Par M. Ernest Daudet
On parle beaucoup, depuis quelque temps,
d'une alliance possible entre la France et l'Alle-
magne. L'éventualité d'une telle alliance qui eût
excité, voici quelques semaines, les protestations
de la plupart des Français devant qui on eût es-
sayé d'en démontrer la possibilité, trouve aujour-
d'hui autant de gens pour l'envisager comme une
chose naturelle et nécessaire qu'elle en eût alors
trouvé de disposés à s'en indigner et de résolus
à la repousser.
Non seulement on ne s'indigne plus et on ne
proteste plus, mais encore on s'étonne qu'une
conception si simple tarde tant à se réaliser. J'ai
entendu des impatients blâmer le gouvernement
qui ne se hâte pas de profiter des avances signi-
ficatives qui lui ont été faites pour ouvrir avec
Berlin des négociations propres à amener ce
grand résultat et pour répondre aux arrogances
anglaises par la constitution d'une triplice nou-
velle qui unirait entre elles, en vue d'une politi-
que commune devant aboutir à la consolidation
de la paix européenne, laPaissie, 1" Allemagne et
la France.
Telle a été la conséquence la plus claire des ré-
cents procédés du gouvernement britannique
envers nous. Ils ont eu pour effet de modifier-
profondément en peu de jours l'état d'âme ck
• l'opinion française par rapport à l'Allemagne,
d'accréditer cette idée qu'il faut en finir avec Iy
politique de bouderie et de rancune et qu'il con-
vient de ne plus vivre hypnotisés, comme disait
Gambetta, par la trouée des Vosges. Ce n'est plus
l'Allemagne qui est l'ennemie, c'est l'Angleterre.
Ils ont eu encore un autre résultat, auquel
pour ma part j'attache un bien autre prix, c'est
de convaincre les plus complaisants, les plus in-
différents, les plus incrédules, que depuis vingt-
cinq ans, notre politique extérieure a manqué
totalement de direction et d'unité qu'elle a eu
le tort immense de poursuivre deux lièvres à la
fois; c'est-à-dire, en même temps qu'elle préten-
dait.rester ferme sur l'idée de revanche, de se
lancer dans les entreprises coloniales et les expé-
ditions lointaines qui, en absorbant nos res-
sources, en les gaspillant, en les détournant du
but qu'on se proposait, devaient rendre fatale-
ment la revanche impossible et qu'enfin, entre la
marche qui peut nous conduire à cette revanche
et celle qui peut nous assurer la possession res-
pectée d'un vaste empire colonial, il faut choisir.
Quand un tel courant, déterminé à l'improvisto
par des événements inattendus, se forme dans un
pays, les hommes qui gouvernent seraient bien
coupables de n'en pas tenir compte. Mais ils le
seraient plus encore si l'ayant constaté, ils s'y
livj'aieat sans l'avoir étudié dans ses origines,
sans en avoir envisagé les conséquences et sans
avoir pesa les inconvénients et les avantages de
la situation qu'il est en train de créer.
On doit supposer que le gouvernement français.
a été soucieux de ne pas encourir de tels repro-
ches puisque, à cette heure, en dépit des avances
dont je parlais plus haut et qui sont certaines, il
n'a pas cru devoir se départir encore de son atti-
tude expectante, ce dont, vu la gravité des cir-
constances, on ne saurait le blâmer.
En quoi ont consisté ces avances? Il est plus
aisé, alors qu'elles n'ont eu aucun caractère offi*
ciel, de le laisser deviner que de le préciser, ce
qui, d'ailleurs, ne se pourrait faire qu'en divul-
guant des confidences ou des faits constatés un
peu au hasard, dont jamais plus qu'aujourd'hui
il n'a été nécessaire de respecter le secret.
Cependant, si l'on veut se souvenir du récent
voyage du comte Mouraview à Paris, au cours
même des incidents deFachoda, et d'une certaine
visite que M. Delcassé crut devoir faire au comla
de Münster, en une circonstance particulièrement
pénible et dans un but d'apaisement si, d'autra
part, on veut bien admettre qu'à tout instant, des
étrangers de marque traversent Paris et se font
un devoir de rendre visite au ministre des affai-
res étrangères; on reconnaîtra que les occasion!
de causer non officiellement mais utilement n'oa(
PARIS ET DÉPARTEMENTS 15 CENTIMES
MARDI 17 JANVIER 1899*
ARTHUR MEYER
Directeur
RÉDACTION
|>E QUATRE HEURES DU SOIR A UNE HEURE DB" MATH*
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Et à l'administration du Journal
Les manuscrits ne sont pas rendus
A bas
l'Hygiène!
{ Quel dommage que Molière soit mort avant la
̃découverte des microbes Nous aurions proba-
blement un chef-d'œuvre de plus. Le monsieur
qui voit partout des microbes et qui en a peur,
gui s'évertue à les écarter de sa vie et qui, à
'force de les écarter, fait de cette vie un supplice
;odieux comme la mort, voilà le type admirable
que Molière aurait pu voir de nos jours et qui lui
aurait fourni un digne pendant au Malade ima-
ginaire.
Car l'hygiénomane existe, il abonde,il pullule.
C'est la théorie des microbes qui nous le vaut.
-L'hygiénomanie naquit il y a cinq ou six lustres.
On pourrait la faire remonter à M. Thiers au
petit Thiers, le premier microbe peut-être le
microbe de l'Empire. À présent l'hygiénoma-
nie est dans toute sa prospérité, sa splendeur, et
chaque jour elle noua apporte quelque bonne
joyeuseté.
La dernière est charmante. Vous l'avez lue
sans doute. Elle consiste à prier les employés
des postes de mettre une éponge imbibée d'eau à
côté de leur guichet pour que nous n'ayons plus
à contaminer notre langue sur les timbres, quand
nous avons des lettres à affranchir. Car on vient
de s'apercevoir qu'il y avait de grands dangers à
risquer un bout de langue sur le papier, de l'ad-
ministration. Il doit grouiller de microbes,ce pa-
pier et de microbes officiels encore. La fièvre
typhoïde, la bronchite, l'entérite et trente-six
mille horreurs en ite sont là qui nous guettent,
dans un de ces petits carrés de papier lisse, plus
terrifiants cent fois que le fameux carré de Wa-
terloo. Vous ne vous en étiez pas douté peut-
être ? Il vous était arrivé parfois d'aventurer
votre langue sur un timbre, ou sur une carte-télé-
gramme, ou sur une carte-lettre ? Que vous étiez
brave sans le savoir 1
Frémissons-en et réclamons en chœur l'éponge
salutaire.
Mais; j'y pense les microbes, me semble-t-il,
n'entrent pas tous en nous par la langue, comme
un escadron alerte par un pont-levis. Je me suis
laissé dire qu'il en est de subreptices qui pas-
sent aussi par nos pores, comme des furets par
des trous à lapins. Ce sont même les plus dange-
reux, paraît-il. Alors, à quoi serviront les épon-
ges ? Nous serons to,ut aussi désarmés devant ces
timbres horrifiques. Ils pourront nous intoxiquer
par le simple contact et, s'ils nous épargnent, ils
risqueront d'aller semer la mort chez nos mal-
heureux correspondants.
Vous verrez qu'on n'affranchira plus les let-
tres, par politesse, quand on écrira à ses bons
amis. Les oncles à héritage, seuls, recevrontleur
correspondance dûment timbrée.
̃̃' **±
Il y a quelque temps, c'étaient les huîtres qui
avaient été mises au ban des hygiénomanes. Les
buitres aussi pouvaient donner la fièvre typhoïde.
Du coup, leur prix baissa de vingt-cinq pour
cent, et les journalistes qui avaient lancé ce ba-
cille à forme de canard purent manger leurs ma-
rennes à meilleur compte.
Les fruits, eux, sont conspués avec entrain.
On ne croirait jamais l'héroïsme qu'il y a pour
un hygiénomane à manger une poire juteuse.
Pour un peu, il demanderait la croix d'honneur.
La laitue, la romaine, la chicorée aux bucoliques
frisons, autant d'hydres de Lerne dont les gueu-
les nous menacent dans un saladier. Quant au
melon, c'est le traître des traîtres, c'est le nou-
veau cheval de Troie dans lequel nos pires enne-
mis se dissimulent- pour s'introduire en nous.
Haro sur le melon 1
Où n'a-t-on pas trouvé des microbes? La glace
en fourmille, comme vous savez, l'eau en charrie
des bancs, l'air en transporte des essaims. Les
microbes sont partout, dans les vêtements, dans
les cheveux, dans la peau qui transpire, dans la
parole qui sonne, dans l'œil qui regarde. Tous
les objets, autour de nous, en sont couverts
comme de tragiques radeaux. Il y en a sur l'or,
Bur l'argent et sur le cuivre, et l'on vous a re-
commandé naguère de ne pas trop vous fier à la
monnaie de billon. Il est clair que la monnaie de
•Mllon est fort propice à la circulation des micro-
bes. La Semeuse de Roty en sème à pleine
main. Quant aux billets de banque, oh fi fi t
Pensez un peu à tous les tuberculeux, varioleux,
rôugeoleux, scarlatineux, qui les ont touchés, et
osez en demander encore 1
J'espère bien que tous ces nids à bacilles vont
être dépréciés, comme les huîtres et les melons,
et qu'avant peu les billets de cent francs seront à
trois louis.
̃ ̃ ̃
Mais ce qui baisse le plus, paralt-il, ce sont
les baisers. On prévoit le krach des baisers à
!la Bourse d'amour. Il y a déjà panique" à Ne w-
1 York. Les baisers sont très offerts. Personne
•n'en veut plus, ni au comptant ni à terme. Les
(baisers vont être pour rien, ce printemps, à Pa-
iris, et l'on cite quelques vieux garçons qui s'en
| réjouissent.
On vient de découvrir, en effet, que les baisers
'sont les plus redoutables propagateurs de mi-
'crobes. Vous voyez une bouche rosé dans un vi-
sage de jeune femme, une bouche savoureuse,
Épanouie au sourire comme un œillet poivré au
soleil, et l'idée vous vient peut-être de rafraîchir
vos lèvres à ce sourire-là ? N'en faites rien, mal-
heureux Allez-vous mettre aussi bien dans la
gueule du loup. La nature, l'infâme nature, vous
tend un piège là encore. Vous croyez peut-être
qu'elle vous entraînait vers le vestibule des plai-
sirs, comme auraient dit nos pères ? Pas du
tout elle voulait vous jeter dans la fosse aux
microbes.
On ne s'embrassera plus au siècle prochain
qu'entre ennemis intimes. Quant aux poignées
de main, on pourra en donner encore à ses four-
nisseurs.
Il y avait naguère, sur la place des Ternes, un
beau petit bassin où les grenouilles étaient heu-
reuses. Je ne sais quel hygiénomane s'avisa de
idire que ce bassin était rempli de microbes, que
/les habitants du quartier allaient attraper des
̃îfièvres de marais on le crut naturellement, et le
['conseil municipal dut se résoudre à combler le
''bassin pour exproprier les fameux microbes. Il y
a des arbres à présent, sur cette place, et des
̃bancs assez mal fréquentés, dont on ne s'appro-
che, la nuit, qu'avec une certaine réserve. Mais
îles habitants des Ternes sont heureux ils
r avaient peur des microbes maintenant ils n'ont
'plus à craindre que des coups de couteau,
;̃̃-̃
r Me préservent les dieux de chercher noise à
Messieurs les hygiénistes. Ils ont du bon, ils ont
de l'excellent, les hygiénistes, et l'on ne saurait
trop louer les docteurs qui recommandent à leurs
malades d'être aussi prudents que possible. Mais
ïl y a des bornes à tout, et la théorie des micro-
pes, qui a conduit Pasteur au Panthéon, est en
train de mener pas mal de gens à Charenton ou
& Bicêtre.
C'est la folie régnante que l'hygiénomanie.
fflus nous allons et plus nous voyons des indivi-
3us passer leur vie à désinfecter, à filtrer, à sté-
riliser, à se demander quelle maladie ils pour-
ront bien attraper en mangeant tel mets qui les
tente, en buvant tel breuvage qui les sollicite,
«n faisant telle promenade, tel acte, tel geste que
l'instinct leur conseille. On rencontre des gens
qui portent des espèces de filtres sur la bouche,
comme une théière son passe-thé, avec l'idée in-
génue que cet appareil interceptera les micro-
bes au passage; d'autres ne cessent de frotter
®ur eux et autour d'eux, de racler, d'épousseter,
/|e souffler ,oour faire partir les microbes comme
unTolde moineaux; tandis que certains, plus
terrorisés encore, n'osent plus ni frotter, ni
épouaseter, oi souffler, de peur de réveiller ce
gibier funèbre. Il y a des hygiénomanes qui pas-
seraient tous les matins leurs enfants à l'étuve,
et tous les soirs leur femme au sublimé corrosif.
Eh que diantre I il y en a toujours eu des mi-
crobes, et quoique on ne fit rien pour les com-
battre, on n'en mourait pas plus qu'aujourd'hui,
il me semble.
Lisez ces lignes que tout le monde peut trouver
dans la Vie errante, de Guy de Maupassant.
Elles concernent Tunis:
« .Ce quartier neuf 1 Quand on songe qu'il est
entièrement construit sur des vases peu à peu so-
lidiflées, construit surune matière innomable faite
de toutes les matières immondes que rejette une
ville, on se demande comment la population n'est
pas décimée par toutes les maladies imaginables,
toutes les fièvres, toutes les épidémies. Et en re-
fardant ce lac, que les mêmes écoulements ur-
bains envahissent e.t comblent peu à peu, le lac,
dépotoir nauséabond dont les émanations sont
telles que, par les nuits chaudes, on a le cœur
soulevé de dégoût, on ne comprend même pas
que la ville ancienne, accroupie près de ce cloa-
que, subsiste encore, et on demeure convaincu
que Tunis doit être un foyer d'infections pesti-
lentielles. Eh bien I non, Tunis est une ville
saine, très saine L'air infect qu'on y respire est
vivifiant et calmant. Tunis est l'endroit où sé-
vissent le moins toutes les maladies ordinaires
de nos pays..
» Cela paraît invraisemblable, mais cela est.
O médecins modernes, oracles grotesques
c'est Maupassant qui parle, bien entendu pro-
fesseurs d'hygiène qui envoyez vos malades res-
pirer lair pur des sommets ou l'air vivifié par.
la verdure des grands bois, venez voir ces fu-
miers qui baignent Tunis; regardez ensuite cette
terre que pas un arbre *n"abrite et ne rafraîchit
de son ombre demeurez un an dans ce pays,
plaine basse et torride sous le soleil d'été, maré-
cage imme,nse sous les pluies d'hiver, puis en-
trer dans les hôpitaux. Ils sont vides S »
Voilà qui est fâcheux sans doute. J'espère bien-
que les hôpitaux tunisiens regorgeront de mala-
des bientôt, ne fût-ce que pour faire triompher
les hygiénistes»
Mais les lois de l'hygiène changent heureuse-
ment, comme toutes les lois de ce bas-monde.
Déjà vous avez pu lire, ici même, qu'un de nos
docteurs avait inoculé récemment des crachats
de tuberculeux à divers sujets, et .que ces cra-
chats étaient restés inoffensifs.
Dieu soit loué Si nous ne pouvons plus nous
embrasser sans péril, nous pourrons du moins
nous cracher à la figure tant qu'il nous plaira.
La vie est encore bonne 1
Ce qui se passe
LA POLITIQUE
LE BUDGET
La Chambre a entamé la discussion du budget;
cela peut surprendre, mais le fait est certain,
j'assistais moi-même à la séance où fut prise
cette grave décision, et j'ai vu, de mes yeux vu,
un député monter à la tribune et ouvrir le débat
sur la loi des finances.
Il ne faudrait pas se hâter d'en conclure que
les interpellations sont remisées jusqu'au prin-
temps prochain.
Déjà pour vendredi on nous en promet une,
d'ailleurs sans intérêt, car elle ne peut servir de
prétexte au pugilat coutmnier.
Nous en aurons d'autres.
Sous le masque,toutes les questions se faufilent
dans la discussion du budget comme les dominos
au bal de l'Opéra,
Vienne le débat sur le budget de la justice et
nous verrons apparaître toutes les questions,
toutes les interpellations que le Parlement veut
ajourner et qui font actuellement antichambre.
La guerre et la marine nous fourniront aussi
quelques hors d'oeuvre de choix.
En réalité, la discussion du budget est une
sorte de revue générale où l'on fait défiler les
hommes et les choses qui ont le plus marqué au
cours de l'année.
1. Vous représentez-vous une revue qui néglige-
rait l'affaire Dreyfus et ne s'occuperait pas de
l'Angleterre?
Le public n'y prendrait aucun plaisir et volon-
tiers sifflerait les auteurs et les acteurs.
L'examen du budget des affaires étrangères
nous donnera quelques scènes émouvantes qu'il
serait indiscret de déflorer aujourd'hui.
Bref, on parlera de tout pendant la discussion
générale, et même, à l'occasion, des impôts et
des contribuables.
Ceux-ci ne se font, d'ailleurs, aucune illusion
sur le sort qui leur est réservé aussi n'hésitent-
ils pas à prendre en main leur propre cause, à se
liguer, selon la mode du jour, pour combattre les
députés qui les devraient défendre, engager la
lutte contre le .gouvernement qui les devrait
protéger.
Ils seront écorchestout de même,mais du moins
ils auront eu la satisfaction de crier avant et pen-
dant l'opération, et ce sera le fait le plus saillant,
le trait vraiment nouveau de l'année qui finit et
de celle qui commence. L. Desmoulins.
ÉCHOS JDE PARIS
OU VA LA COUR DE CASSATION
Donc, M. le premier président Mazeau prési-
dera la chambre criminelle, aux Heu et place de
M. le président Lœw, et M. le président Lœw
prenant sa droite, quand cette chambre aura ter-
miné son enquête.
Tout chef d'une compagnie judiciaire a le droit
de présider telle ou telle affaire de telle ou telle
chambre de sa compagnie. Mais nous n'avons
aucun souvenir qu'il ait jamais pris la prési-
dence d'une affaire, au cours de l'affaire.
Cette intervention au cours de l'affaire a, en
effet, deux inconvénients des plus graves
Le premier est de donner l'estampille officielle
de l'incapacité ou de la partialité au président
dont il prend la place, parce que ce président n'a
pas donné, dans la première partie des débats,
Jes garanties nécessaires à la bonne administra-
tion de la justice. Et c'est bien le cas, puisque
c'est devant la levée de boucliers de l'opinion
publique que M. le premier président Mazeau
s'est décidé à déposséder M.le président Lœw,
Le second est de mettre, en l'espèce, M. le pre-
mier président Mazeau dans une situation infé-
rieure vis-à-vis de ses collègues de la chambre
criminelle qui auront procédé à une enquête,
dont il ne connaîtra, lui, que les procès-verbaux
et dont il ignorera les impressions d'audience
qui sont la lumière de la justice.
,¡:
En attendant, M.le pz'enpiér président Mazeau,
assisté de MM. les conseillers Dareste et Voi-
sin, procède à une enquête sur l'enquête de la
chambre criminelle, et la chambre criminelle
poursuit, de son côté, son enquête ainsi enquê-
tée.
Quelle autorité pourra avoir cette enquête de la
chambre criminelle, à huis-clos et sans confron-
tation, frappée de suspicion par l'opinion publi-
que et par le chef dé la cour de cassation lui-
même, puisqu'il enquête cette enquête t
Que dis-je ? Lors même que l'enquête de M. le
premier président Mazeau et de MM. les conseil-
lers Dàreste et Voisin proclamerait l'irréprocha-
bilité de l'enquête de la chambre criminelle et de
la chambre criminelle elle-même, le fait que M.
le premier président Mazeau prendra, contraire-
ment à tous les usages, le fauteuil de M. le pré
sident Lœw pour juger l'affaire sur Je fond, pro- j .1
clamera ©lus haut encore la. légitimité de la suspi-^f
cion dont est frappé M. le président Lcew «t,
avec lui, la chambre criminelle.
•̃'̃•• ̃
Ce n'est pas M. le premier président Mazeau
qui sauvera l'autorité de la .chambre criminelle?
c'est la chambre criminelle qui perdra l'autorité
de M. le premier président Mazeau et de la cour
de cassation tout entière.
La cour de cassation ne peut échapper au dé-
luge de suspicion qui menace de la submerger,
qu'en arrachant à la chambre criminelle cette
meule de l'affaire Dreyfus, que la chambre cri-
minelle lui met au cou, et en la jugeant elle-
même, toutes chambres réunies, la chambre cri-
minelle, présidée ou non par M. le premier pré-
sident Mazeau, étant désormais dans l'impuis-
sance d'imposer son arrêt à la conscience pu-
blique.
Et la conscience publique rendra la cour de
cassation complice et responsable de cet arrêt,,
parce que laisser faire le mal est la même chose
que le faire, et elle la frappera de l'indignité dont
M.le premier président Mazeau frappe la chambre
criminelle en venant si insolitement la présider
pour la faire rentrer dans le devoir, car nous ne
voulons pas supposer que ce soit pour la couvrir
de son hermine.
Nous verrons alors comment la cour de cassa-
tion s'y prendra pour imposer ses arrêts aux
cours et aux tribunaux, et comment les pouvoirs
publics la protégeront contre le discrédit uni-
versel.
Nous avons dit que le général Jamont, le très
éminent généralissime de l'armée, venait d'ê-
tre nommé vice-président du conseil supérieur
de la guerre. Il aura eu pour prédécesseur dans-:
ces fonctions le général Saussier. Même, l'on
peut dire que lorsque fut créée la vice-prési-
dence, voici bientôt dix ans, on avait expressé-
ment pour but de faire entrer dans le conseil le
généralissime.
Le conseil supérieur de la guerre n'a, on le
sait, que voix consultative, et le ministre respon-
sable peut accueillir ou rejeter les avis qui lui
.sont donnés. Mais iLne faudrait .pas croire que
l'idée de ce conseil soit une trouvaille des hom-
mes au pouvoir depuis 1879 il y avait sous la
Restauration un conseil supérieur que présidait
le Dauphin.
Et, plus près de nous, notre illustre collabora-
teur, M. le général du Barail, étant ministre,
songea à le rétablir, mais en lui donnant, avec
une existence légale, des attributions plus larges
et plus importantes que celles qu'il possède ac-
tuellement. C'eût été, si le projet du général du
Barail eût abouti, un véritable conseil d'Etat
militaire, avec maîtres des requêtes et audi-
teurs. •̃̃̃-
BILLET DU SOIR
« Un militaire est plus exposé qu'un péquin à mou-
rir jeune ». Cet aphorisme, qui est, je crois, d'Henry
Monnier, a perdu un peu de son exactitude depuis que
tout Français doit son sang à la patrie en cas de guerre;
mais il n'en reste pas moins vrai que, même en temps
de paix, le militaire a moins de chances de longévité
que la plupart des civils. Je n'en veux pour preuve que
les décès relativement nombreux causés par les acci-
dents de cheval, les insolations, les fatigues résultant
des manœuvres et surtout les épidémies de fièvre ty-
phoïde dans les casernes et les quartiers, dans lesquels
l'hygiène ou bien l'eau, cette grande conductrice des
fièvres contagieuses, laisse à désirer.
Mais si le militaire estçlus exposé que le civil à pâs^
ser dé vie à trépas, ce n'est pas une raison pour qu'on
hésite à le prémunir contre la mort en temps de, paix,
cette tristesse de la carrière. C'est pourquoi je suis sûr
d'être l'écho de bien des mères de saint-cyriens en de-
mandant qu'une enquête sérieuse sbit faite sur les cau-
ses de la récente mort de l'élève Lantoes île Montebello.
S'il est vrai, comme on l'a dit, que le service médi-
cal ait une part de responsabilité quelconque dans
cette lamentable aventure, la question mérite d'être tirée
au clair. Ce sont de ces affaires qui ne doivent pas être
« classées ». Qu'un Lannes puisse être un jour tué par un
boulet, c'est le sort des batailles et une tradition de fa-
mille mais si le jeune élève dont je parle est mort,
comme on le prétend, des suites d'une opération que
l'on aurait pu faire en de meilleures conditions, il
y aurait là matière à profonds regrets pour tous les
Français qui aiment l'armée, c'est-à-dire, sauf quel-
ques douzaines de professeurs et de dreyfusards, tous
les Français.
Soixante-dix-huit sénateurs de toutes nuances
ont offert, hier soir, au Grand-Hôtel, un banquet
à leur collègue, M. Constans, à l'occasion de son
départ pour Constantinople.
Au dessert, M. Loubet, qui présidait natu-.
Tellement, a pris la parole. Il a félicité M.
Constans de sa nomination au poste d'ambassa-
deur à Constantinople, et lui a exprimé* au nom
des sénateurs présents, tous les regrets que cau-
serait son départ.
En quelques paroles pleines de finesse et d'é-
motion, M. Constans a remercié M. Loubet de
son petit speech sympathique.
Depuis quelques jours on parle beaucoup de la
candidature de M. Paul Deschanel, président de
la Chambre des députés, au fauteuil laissé vacant
à l'Académie française, par notre éminent et re-
gretté confrère, M. Edouard Hervé.
M. Paul Deschanel hésitait, repoussait même
cette idée, pour deux raisons entre autres.
La première est que son père, M. Emile Des-
chanel, professeur au Collège de France, confé-
rencier très applaudi, écrivain délicat et fin,
s'est déjà présenté à l'Académie française où il a
recueilli un bon nombre de voix qui lui permet-
tait d'espérer son élection, et qu'il répugnait à
son fils de couper l'herbe sous les pieds pater-
nels.
Mais M. Emile Deschanel a été le premier à
lui dire
Mon enfant, rien au monde ne pourrait me
faire plus de plaisir que de te voir à l'Académie,
et c'est la plus grande récompense que j'ambi-
tionne avant de mourir. Henry Houssaye a été
élu, et son père ne l'a pas été; Alexandre Dumas
fils l'a été aussi, et son père ne l'a pas été. Ce-
pendant, si Alexandre Dumas père et Arsène
Houssaye avaient pu voir l'élection de leurs fils
à l'Académie, ils en eussent été aussi heureux
que je le serais de la tienne.
La seconde raison qui retenait M. Paul Des-
chanel, c'est que des écrivains distingués bri-
guaient Aussi la succession de M. Edouard Hervé
et qu'il ne voulait pas qu'un homme politique,
par sa haute situation dans l'Etat, les privât de
la légitime récompense de leur carrière.
Mais ces écrivains ont été aussi les premiers à
lever ses scrupules, à lui dire que ses amis ne
portaient pas la candidature du président de la
Chambre, mais de l'orateur disert, de l'écrivain
de goût, du lettré raffiné, de l'homme du monde
que tous les partis se disputent, et que sa candi-
dature n'avait aucun caractère politique.
Bref, M. Paul Deschanel s'est laissé convain-
cre, il pose sa candidature à l'Académie fran-
çaise.
Ajoutons que M. le duc d'Audiffret-Pasquier
était président du Sénat quand il a été élu à l'Aca-
démie, et que l'Académie est venue aussi cher-
cher M. Challemel-Lacour au fauteuil de la prési-
dencedu Sénat. M. Paul Deschanel sera donc le
troisième président d'Assemblée élu sous cette
république. Il y en a eu d'autres sous les régi-
mes précédents, entre autres, le célèbre Dupin,
si lourdaud et si spirituel à la fois.-
Une nouvelle qui intéresse tous les yachtmen
et tout particulièrement les propriétaires de
grands yachts à vapeur.
Au ministère de la marine on recherche ac-
tuellement quels services pourraient rendre, en 1
cas de guerre maritime, les nombreux steam-
yachts qui naviguent sous pavillon français.
L'intention de M. Lockroy serait d'utiliser soit
comme estafettes, soit pour le service de la Croix-
Rouge, ainsi que cela se fait en Angleterre, tou-
tes ces coquettes embarcations. La principale
question à résoudre est celle de l'armement et
nous savons que le ministre de la marine a écrit
Jean Rameau
à l'amiral Duperré, président de l'Union des 1
ryaehts français; pour le consulter à ce sujet.
Nous ne doutons pas un seul instant que tous
les yachtmen unissent leurs efforts à celui du
ministre pour faire aboutir ce projet.
Mais que vont direles partisans de la taxe sur
les yachts si ces « objets de luxe » deviennent
subitement des « objets d'utilité publique », que
dis-je des éléments de la défense nationale ? R
La vogue, comme dessert, est de plus en plus
aux biscuits chaque jour en apporte un nou-
veau, mais la maîtresse de maison, bien avisée,
reste fidèle à la marque L U.
Elle sait en effet que seule la maison Lefèvre-
Utile garantit de la fanon la plus absolue que des
matières premières de premier ordre, à l'exclu-
sion de toutes autres, entrent dans la fabrication
de ses exquises friandises.
Courrier du littoral
La deuxième journée des courses de Nice a été
favorisée par un temps splendide la pelouse
était éclairée par un soleil radieux, le pesage
très animé. Et grâce à ce beau temps printanier,
les tribunes offraient un coup d'oeil des plus élé-
gants les toilettes claires y luisaient au soleil
comme de grandes fleurs vivantes.
De tous les points du littoral, de Cannes, de
Monte-Carlo, on était accouru en foule. Cette se-
conde journée, très réussie, comme la première,
montre l'intérêt de ces réunions. Ce sont de
vraies fêtes mondaines, du plus brillant éclat,
quand le soleil de Nice les lavorise.
Au hasard, nous avons remarqué
Prince et princesse Lubomirski, marquis et
marquise Massengy d'Auzac, général Fabre, M.
et Mme Camille Blanc, général et Mme Caréy de
Bellemare, prince Pignatelli d'Aragon, baron de
Saiut-Marcj M/de Romanet, M. de Fondclair,
vicomte de Buisseret, etc.
A travers I03 Iivr33
Dans le dernier numéro de la Revue des Rhu-
matisants, qui paraît aujourd'hui, on lira avec
le plus vif intérêt les articles et souvenirs de
Mme la duchesse d'Uzès, du général du Barail,
de Gaston Jollivet les études et consultations
des docteurs P. Bouloumié, Mercier, G. Légué,
etc., etc. Les lecteurs du Gaulois qu'éprouve la
saison trouveront dans cette piquante Revue des
Rhumatisants joie et réconfort. Abonnement
20 francs, 81, rue Le Peletier.
Ollendorff annonce la dixième édition du ro-
man profond et troublant de Lucien Muhlfeld, le
Mauvais Désir, dont « Tout-Paris » écrivait dans
son « Bloc-Notes » qu'à seulement regarder le
livre, on pressentait son succès. La vogue se
prolonge en province et à l'étranger.
NOUVELLES A LA MAIN
Mistouflet est très gaffeur. ̃
Quel idiot que ce garçon-là s'écriait un de
ses amis. Hier, au dîner des Radis Noirs, il
avait pour voisin un des plus solennels mem-
bres de l'Institut. Ne se met-il pas, au dessert,
à blaguer les coupolards J'avais beau lui
faire des signes d'intelligence.
Des signes d'intelligence à Mistouflet, tu
perdais ton temps I
NOTES 1 D'UN MÏISKJN- <
Au mois d'octobre 1892, j'assistais à l'inaugu-
ration de la statue de Méhul, à Givet. L'immortel
auteur de Joseph n'avait jusque-là, dans sa ville
natale, d'autre monument commémoratif qu'un
buste très médiocre, presque caricatural, effrité
par le temps, datant de 1842. Ce n'avait pas été
sans peine, d'ailleurs, que le comité de la statue
de Méhul avait pu mener à bonne fin le but
qu'elle s'était proposé plus de quatre années
avaient été nécessaires pour recueillir les sous-
criptions qui permirent enfin de rendre au génie
du grand maître français le tardif hommage qui
lui était dû.
M. Léon Bourgeois, alors ministre de l'instruc-
tion publique et des beaux-arts,: présidait la cé-
rémonie. 11 exalta à leur juste mérite les œuvres
du glorieux compositeur. Après lui, parlèrent
Ambroise Thomas, directeur du Conservatoire
Massenet, au nom de l'Institut, et enfin le signa-
taire de cet article, délégué par la Société des
auteurs et compositeurs dramatiques et celle des
compositeurs de musique, dont il a l'honneur
d'être président»
Je terminai mon discours par ces mots
La tâche du comité du monument de Méhul
est aujourd'hui terminée il faut le remercier de
l'avoir menée à bonne fin
» Une autre tâche est à remplir, qui consiste-
rait à relever le monument érigé par Méhul lui-
même. Comment un chef-d'œuvre comme Joseph
a-t-il pu disparaître du répertoire de nos théâtres
lyriques, alors qu'il n'a cessé de figurer sur celui
des scènes étrangères?
» Je me félicite de la présence à cette cérémonie
de M. le ministre de l'instruction publique et des
bèaux-arts, à qui j'adresse le vœu formé par
tous ceux qui ont souci de la splendeur de l'art
national, de voir remettre à la scène les œuvres
d'un des. plus grands maîtres de notre école fran-
çaise. »
M. Léon Bourgeois me répondit qu'il prenait
l'engagement de donner promptement satisfac-
tion à ce vœu, et que Joseph serait prochaine-
ment repris sur un de nos grands théâtres sub-
ventionnés.
On sait ce que durent aujourd'hui nos minis-
tres. M. Bourgeois n'eut sans doute pas le temps
de réaliser sa promesse. Toujours est-il que six
ans se sont écoulés depuis l'inauguration du mo-
nument de Givet, et que le nom de Méhul a con-
tinué à briller par son absence sur les affiches de
l'Opéra et de l'Opéra-Comique.
Cet injuste ostracisme va cependant cesser, car
Joseph vient d'entrer en répétition à notre Aca-
démie de musique, où il'sera réprésenté dans le
courant du mois prochain. On dit même que M.
Albert Carré aurait, de son cité, l'intention de
remonter, à l'Opéra-Comique, le chef-d'œuvre de 1
Méhul, délaissé depuis 1882, date de sa dernière
reprise sous la direction de Carvalho.
Voilà une nouvelle qui va réjouir les fer-
vents admirateurs de ce superbe ouvrage et ap-
porter un peu de joie au neveu de l'illustre com-
positeur, M. Daussoigne-Méhul, un modeste ar-
tiste qui, las de lutter contre les difficultés de
Fingràte carrière de musicien, s'est retiré à
BoujHon, loin du tumulte et des agitations de la
vie de Paris.
t
Sait-on que ce poème tant critiqué, et auquel
on attribua le succès modéré de l'ouvrage au-
près du gros public, fut le résultat d'une ga-
geure ? q
C'était à un dîner chez Mme Sophie Gay, la
mère de Mme de Girardin. Alexandre Duval y 1
assistait. La conversation étant tombée sur un
Joseph de BaoUr-Lormian, représenté la veille à
la Comédie-Française, Duval soutint l'opinion
contre tout le monde que l'auteur avait eu tort
d'ajouter à cette action biblique des épisodes qui
en altéraient la sereine simplicité. Selon lui, l'a-
mour, que l'auteur avait introduit dans ce sujet
patriarcal, affaiblissait le principal intérêt, qui
est la piété filiale. Cette histoire si touchante
dans la Bible n'offrait que la reconnaissance des
frères,ettoutcequ'on pouvait se permettre, c'était
de faire arriver Jacob en Egypte et le rendre té-
moin du pardon que Joseph accorde à ses frères.
Tout autre sentiment, pouvant distraire de la
piété familiale, devenait un hors-d'oeuvre dange-
reux.
Méhul, qui était au nombre de3 convives, dit
en raillant à Duval crue si, dans les conditions
Un Domino
qu'il indiquait, on pouvait écrire une tragédie de
Joseph, on pouvait bien en faire un opéra, et
que, puisqu'il se trouvait d'une opinion contraire
à celle.de tout le monde, il le mettait au défi d'en
tirer un opéra en trois actes.
Mme Gay appuya cette idée avec tout le charme
et la chaleur qu'elle apportait dans la conversa-
tion, et, pour avoir mis tant d'opiniâtreté à sou-
tenir son opinion, Duval fut condamné à fournir
la preuve qu'on pouvait faire un Joseph sans
amour et sans aucun épisode étranger au sujet.
Bien plus, on lui mesura le temps qu'il devait
mettre à écrire la pièce quinze jours seule-
ment le dispensant toutefois de versifier les
récitatifs. U ne semblait pas, en effet, qu'un
ouvrage d'un caractère aussi sérieux pût conve-
nir à un autre théâtre que l'Opéra.
Le livret fut écrit si rapidement que Duval,
devançant la date fixée, alla lui-même presser
l'aréopage des amis de Mme Gay de se réunir
pour en entendre la lecture. « On convint d'une
voix unanime, dit Duval dans la préface de sa
pièce, que j'avais gagné ma cause et qu'on pou-
vait faire un Joseph sans étendre l'action par des
épisodes étrangers au sujet ».
Il est regrettable que le grand public n'ait pas
ratifié cet arrêt. Pour ma part, je ne partage pas
complètement l'opinion générale à cet égard. Si
le style d'Alexandre Duval est d'un sentimenta-
lisme quelque peu suranné, si l'enchaînement des
scènesest parfois d'une naïveté qui lait sourire,
la grandeur et la simplicité du sujet, la noblesse
des sentiments qui y sont exprimés, l'intérêt qui
se dégage des situations impriment à toute l'œu-
vre un caractère émouvant que complète par ses
accents pathétiques l'admirable partition de Mé-
hul.
Elle fut composée presque aussi rapidement
que le livret qui l'avait inspirée car, commencée
en septembre 1896, elle fut exécutée pour la pre-
mière fois, à l'Opéra-Comique, le 17 février 1807.
Si l'on tient compte du temps nécessité par les
répétitions, qu'on ne peut guère évaluer à moins
de trois mois, on en peut conclure que Méhul l'a-
cheva à peu près dans un délai aussi court.
Joseph, je l'ai dit plus haut, était destiné à
l'Opéra. S'il n'y fut pas représenté, c'est que les
relations de Méhul avec la direction de ce théâ-
tre étaient devenues très tendues. L'allure sévère
de l'œuvre ne pouvait plaire qu'à demi à un pu-
blic habitué au genre gracieux et frivole en hon-
neur sur cette scène à cette époque.
Voici ce que Geoffroy, le grand critique du
Journal de V Empire, disait à ce sujet, au lende-
main de la première représentation de Joseph
« L'Opéra-Comique échouera toujours quand
il voudra disputer d'éclat et de majesté avec
l'Opéra, d'évolutions, de décors et de costumes
avec les théâtres de mélodrame cet étalage
n'est pas fait pour lui, il n'en a pas besoin, et
quand il voudra s'affubler de ces machines, il en
sera pour ses frais. »
Voilà pourquoi j'estime que Joseph, qui n'a ja-
mais pu parcourir une longue carrière à l'Opéra-
Comique, a de grandes chances de réussir à l'O-
péra. D'abord, nous n'y serons plus contraints
d'entendre le sentimental et parfois grotesque
dialogue de Duval; la mise en scène, par la splen-
deur des décors, le pittoresque et l'éclat des cos-
tumes, mettra cette action biblique dans le vaste
cadre qui lui convient, et auquel elle était primi-
tivement destinée. Puis, nous n'aurons pas, à
l'Opéra, le ridicule contre-sens de la dernière re-
prise à l'Opéra-Comique, où Joseph, .pour fêter"
la venue de son père Jacob, lui offrait le spec-
tacle d'un ballet, qu'il ne pouvait voir, étant
aveugle. Pour réaliser cette audacieuse trou-
vaille, Venir' acte, qui doit se jouer le rideau
baissé, était exécuté pendant le festin du troi-
sième acte, pour accompagner les entrechats des
huit ballerines dont se composait alors le per-
sonnel de la danse à la salle Favart.
Joseph, comme je l'ai dit, abandonné en
France, n'a cessé de faire partie du répertoire des
théâtres allemands. Maintenant que les pèlerina-
ges à Bayreuth nous ont inoculé les goûts tudes-
ques en toute chose, que les brasseries avec or-
chestres de Tziganes ont remplacé les paisibles
cafés d'autrefois, que l'on fume après le dîner de-
vant les femmes, que la musique de Wagner est
admise à l'exclusion de toute autre, il faut espé-
rer que nous pousserons l'esprit d'imitation jus-
qu'à aimer Joseph autant qu'on l'aime à Berlin,
à Francfort, à Munich, et que, comme les frères
repentants du ministre de Pharaon, nous nous
ferons pardonner de l'avoir méconnu si long-
temps, en l'acclamant prochainement à l'Opéra..
Victorin Joncières
8loG-Notes Parisien
UN COMÉDIEN HÉROÏQUE
Ce sera un anniversaire funèbre, celui que solenni-
sera, après-demain, la Comédie-Française. Dans le
grand foyer, on découvrira le buste de l'acteur Seveste,
mort des blessures reçues devant l'ennemi le 19 janvier
1871 C'est la sœur du jeune héros, artiste lyrique elle-
même et des plus distinguées, qui à offert à la maison
de Molière cette image de son frère, sculptée par Fa-
gel. Pour les contemporains qui ont garde le souvenir
de cette figure trop éphémère, la ressemblance est frap-
pante. C'est bien ce visage grave, un peu triste, avec
une pointe de mélancolie macabre, au front développé,
au nez saillant, à la lèvre amère que portaient de ro-
bustes épaules. La stature était plutôt haute. On ne se
fût jamais douté, à le voir, que ce grand garçon, un
peu lugubre d'aspect, fût troisième comique au Théâ-
tre-Français.
Il y était entré tout d'un bond,cn i863,après avoir fait
les plus fortes études et remporté le premier prix de
comédie au Conservatoire. L'illustre professeur Ré-
gnier, son maître, l'avait formé avec un soin tout par-
ticulier. Il l'assista le plus qu'il put dans sa carrière,
qu'il prédisait brillante. Or, Régnier était la bonté pa-
ternelle en personne pour ses élèves. '1
Le modeste, consciencieux et laborieux Seveste, en
dépit de ces facultés très réelles et très originales, par-
venait difficilement à s'ouvrir un coin de lumière. Pen-
dant tout près de huit ans il attendit l'occasion si ra-
rissime. Deux fois elle lui montra son cheveu et il le
saisit. C'était dans Maurice de Saxe d'abord et dans
Une Fête sous Néron ensuite.
Les princes du feuilleton dramatique; comme on les
appelait en ce temps-là, le remarquèrent. Il y a sur ses
débuts, qui ne furent pas des apparitions à son gré, des
lignes fort élogieuses de Gautier, de Saint-Victor, de
Barbey d'Aurevilly. On voulait juger le futur comédien
à sa vraie première, quand il lui serait permis de don-
ner sa note personnelle.
Hélas cette première, il ne lui était pas réservé de
la voir. L'art du moins la lui refusa. Mais la patrie lui
fournit une dernière qui l'ensevelit en pleine jeunesse
et en pleine gloire dans les plis du drapeau 1
•%
Jean-Didier Seveste était, un « enfantde la balle »,
suivant un terme de coulisses. Son père était régisseur
de la scène à la Comédie-Française un de ses oncles
appartenait" aussi au monde des théâtres, il était direc-
teur de spectacle dans la petite banlieue à Montpar-
nasse, je crois.
L'acteur avait de qui tenir. Tout gamin, il n'avait
pas de plus grande joie que de s'essayer à la comédie.
Nu! mieux que lui n'avait appris et ne possédait les
grands classiques, Molière surtout. Quand Régnier le
distingua et le prit en affection, lui prophétisant un bel
avenir, le père, la mère et aussi la bonne grand'mère,
qui ne vécut si vieille que pour apprendre la mort de
son pauvre petit-fils, toute la famille fut transportée de
bonheur. Un Seveste était né j
J'ai dit comment la malignité du sort avait traversé
Tillusion de ces braves gens. Mais le réveil fut surtout
cruel, bien que glorieux au-dessus de tout. Si Seveste
était comédien, il se sentit encore plus Français lorsque
l'invasion étrangère saisit la patrie à la gorge..
•;̃• •̃-••• *V •
II était de cette élite de cœurs parisiens, fiers, coura-
geux, en qui avait retenti le superbe cri du grand Théo
« On bat maman, j'accours I »
Et Sev°ste, déposant le costume pour l'uniforme,
s'engageait d£is le corps civique des carabiniers pari- J
siens. Il fut élu sou5-'ieutenant d'emblée.
Désormais, il n'est pîi's 1u'ua soldat prêt à tout pour J
faire face à l'ennemi qui enserre de toutes parts la ca«
pitale. Il est des quatre grandes sorties. Il y risque allé»
grement sa vie à la tête de sa compagnie. Trois fois, tt
est cité à l'ordre du jour. Mais la fatalité le guette. Au
combat de Montretout- et non pas à Buzenval comme
on l'a imprimé par erreur il se précipite avec lef
siens à l'assaut de la position que couronnent les Prus«
siens. Le général Vinoy a résolu de les en déloger.
Mais l'assaut est rude. Il faut, à quatre reprises, !•
répéter. Les tirailleurs grimpent en rampant parmi les
ceps devigp.es, sous un feu de mitraille qui ne discon«
tinue pas et qui accable les cent mille hommes engagés
dans le Mont-Valérien. Chacun fait de son mieux pour
gagner du terrain en se traînant sur le sol et en se dissi-
mulant derrière ses moindres replis.
Mais l'artillerie allemande fait rage. Un obus éclate
aux pieds du jeune Seveste. Et pendant qu'on l'em-
porte, grièvement blessé, il a la triste vision du lamen-
table échec de nos troupes.
On l'avait transporté à la Comédie-Française, trans»
formée en ambulance. Tous ses camarades se multi-
pliaient au service des blessés. Mlle Favart soignait
jour et nuit le vaillant mutilé, qu'on avait dû amputer
de la jambe droite. On ne désespérait pas de le sauver,
imprimait le Gaulois du 28 janvier 1871. Le général
Schmitz faisait porter à Seveste, sur le lit où il était
étendu, souffrant cruellement, la croix de la Légion
d'honneur, qu'il embrassait et mouillait de ses larmes.
Mais soudain une hémorrhagie se déclara, et il expirait
quelques instants après qu'on eut attaché l'étoile à
l'un des montants de son lit, avec une rosc artificielle.
FI avait vingt-sept ans. ̃ "V;
Seveste n'avait qu'un ennemi l'Allemand. A la
Comédie, on l'aimait beaucoup, on l'estimait davan-
tage. Il faut relire dans le « Journal » d'Edouard
Thierry, qui le dirigeait pendant le siège, la poignante
émotion de tous quand on vit arriver sous la porte du
grand escalier le brancard qui le portait.
« Il poussait, dit le respectable historien, des cris
terribles. Il a, dit-il, la jambe brisée en quatre morceaux
et chaque mouvement de ces morceaux le fait horrible-
ment souffrir. C'est égal Il est dans son théâtre. Il est
au milieu des siens. Il se croit sauvé Au milieu de
tout cela, la représentation continue on jouait le
Médecin malgré lui et les gémissements, qui mon-
tent avec la civière, s'entendent vaguement dans la
salle terrifiée. » 0
Ce qu'il y eut d'affreux, c'est qu'on ne savait où pla-
cer le malheureux. Une amputation, disait-on, serait
mortelle dans une ambulance. Le docteur Mallet pro-
posait de le déposer dans une loge d'acteur ou de le
faire porter chez sa mère. En attendant, personne, ni
Mlle Reichenberg, ni Prudhon, ni Edouard Thierry
lui-même n'osait aller prévenir la famille. Lui, d'ail-
leurs, ne veut pas qu'on révèle aux siens la catastro-
phe. On décide de le transporter au foyer des artistes.
Comment le pourrait-on garder dans une loge? La
bois manque pour chauffer une loge le jour et la nuit.
On voudrait que la Comédie se mit en deuil. Mais si
elle ne joue pas, qui donnera du pain à la famille de
Seveste ?
Malgré les précautions prises, la famille a appris qu'il
était blessé, et sa sœur est accourue. Le docteur Richet
lui a coupé la jambe et il trouve encore la force d'être
gai. « Je pourrai toujours, dit-il à Gaillard, jouer
La Flèche, à qui Harpagon dit « Chien de boiteux »
Ce qui le tourmentait le plus, c'était de n'avoir plus
son sabre il voulait qu'on le lui retrouvât.
Mais son énergie morale s'épuisait avec ses forces
physiques, très débilitées par les privations et les fati-
gues du siège. On l'administra le 3o au soir et il
mourut sans que la vieille grand'mère sût qu'elle avait
perdu son petit-fils.
Voilà l'histoire si brève et si tragique de Seveste. Le
général Trochu, en lui décernant la croix, disait qu'en
sa personne il honorait les comédiens qui n'avaient pas
fui Paris.
La Maison de Molière ne peut que se réclamer et se
glorifier du jeune héros dont elle va consacrer le buste.
Son nom mérite d'être conservé.
Tout-Paris
̃ ̃«̃'̃- -̃ <
LA
tiM~ l
RH 11 L'ÀHiiË l
Par M. Ernest Daudet
On parle beaucoup, depuis quelque temps,
d'une alliance possible entre la France et l'Alle-
magne. L'éventualité d'une telle alliance qui eût
excité, voici quelques semaines, les protestations
de la plupart des Français devant qui on eût es-
sayé d'en démontrer la possibilité, trouve aujour-
d'hui autant de gens pour l'envisager comme une
chose naturelle et nécessaire qu'elle en eût alors
trouvé de disposés à s'en indigner et de résolus
à la repousser.
Non seulement on ne s'indigne plus et on ne
proteste plus, mais encore on s'étonne qu'une
conception si simple tarde tant à se réaliser. J'ai
entendu des impatients blâmer le gouvernement
qui ne se hâte pas de profiter des avances signi-
ficatives qui lui ont été faites pour ouvrir avec
Berlin des négociations propres à amener ce
grand résultat et pour répondre aux arrogances
anglaises par la constitution d'une triplice nou-
velle qui unirait entre elles, en vue d'une politi-
que commune devant aboutir à la consolidation
de la paix européenne, laPaissie, 1" Allemagne et
la France.
Telle a été la conséquence la plus claire des ré-
cents procédés du gouvernement britannique
envers nous. Ils ont eu pour effet de modifier-
profondément en peu de jours l'état d'âme ck
• l'opinion française par rapport à l'Allemagne,
d'accréditer cette idée qu'il faut en finir avec Iy
politique de bouderie et de rancune et qu'il con-
vient de ne plus vivre hypnotisés, comme disait
Gambetta, par la trouée des Vosges. Ce n'est plus
l'Allemagne qui est l'ennemie, c'est l'Angleterre.
Ils ont eu encore un autre résultat, auquel
pour ma part j'attache un bien autre prix, c'est
de convaincre les plus complaisants, les plus in-
différents, les plus incrédules, que depuis vingt-
cinq ans, notre politique extérieure a manqué
totalement de direction et d'unité qu'elle a eu
le tort immense de poursuivre deux lièvres à la
fois; c'est-à-dire, en même temps qu'elle préten-
dait.rester ferme sur l'idée de revanche, de se
lancer dans les entreprises coloniales et les expé-
ditions lointaines qui, en absorbant nos res-
sources, en les gaspillant, en les détournant du
but qu'on se proposait, devaient rendre fatale-
ment la revanche impossible et qu'enfin, entre la
marche qui peut nous conduire à cette revanche
et celle qui peut nous assurer la possession res-
pectée d'un vaste empire colonial, il faut choisir.
Quand un tel courant, déterminé à l'improvisto
par des événements inattendus, se forme dans un
pays, les hommes qui gouvernent seraient bien
coupables de n'en pas tenir compte. Mais ils le
seraient plus encore si l'ayant constaté, ils s'y
livj'aieat sans l'avoir étudié dans ses origines,
sans en avoir envisagé les conséquences et sans
avoir pesa les inconvénients et les avantages de
la situation qu'il est en train de créer.
On doit supposer que le gouvernement français.
a été soucieux de ne pas encourir de tels repro-
ches puisque, à cette heure, en dépit des avances
dont je parlais plus haut et qui sont certaines, il
n'a pas cru devoir se départir encore de son atti-
tude expectante, ce dont, vu la gravité des cir-
constances, on ne saurait le blâmer.
En quoi ont consisté ces avances? Il est plus
aisé, alors qu'elles n'ont eu aucun caractère offi*
ciel, de le laisser deviner que de le préciser, ce
qui, d'ailleurs, ne se pourrait faire qu'en divul-
guant des confidences ou des faits constatés un
peu au hasard, dont jamais plus qu'aujourd'hui
il n'a été nécessaire de respecter le secret.
Cependant, si l'on veut se souvenir du récent
voyage du comte Mouraview à Paris, au cours
même des incidents deFachoda, et d'une certaine
visite que M. Delcassé crut devoir faire au comla
de Münster, en une circonstance particulièrement
pénible et dans un but d'apaisement si, d'autra
part, on veut bien admettre qu'à tout instant, des
étrangers de marque traversent Paris et se font
un devoir de rendre visite au ministre des affai-
res étrangères; on reconnaîtra que les occasion!
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