Titre : La Presse
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1839-03-01
Contributeur : Girardin, Émile de (1806-1881). Directeur de publication
Contributeur : Laguerre, Georges (1858-1912). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34448033b
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 01 mars 1839 01 mars 1839
Description : 1839/03/01. 1839/03/01.
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Description : Collection numérique : Grande collecte... Collection numérique : Grande collecte d'archives. Femmes au travail
Description : Collection numérique : La Grande Collecte Collection numérique : La Grande Collecte
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k427670g
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
soustraction frauduleuse de cette noie, et l'usage scandaleux qui en a
été fait dans l'intérêt d'une ambition déçue.
» .l'ai lieu surtout de m'ê tonner Monsieur, que vous n'ayez pas cher-
ché à cmmnilrc l'auteur de cette soustraction pour livrer aussi son nom
à toutes les homes de la publicité. J'aurais pu vous mettre sur la voie de
la découverte de la vérité.
» J'arrive au fait de la nouvelle formation des lisles dans laquelle, di-
tes-vous, on n'a eu aucun égard aux 26 arrêts rendus en 1837 par la
cour royale de Nimes, et j'affirme qu'il n'y a eu en 1858 que cinq radia-
tions d'électeurs admis par elle et deux inscriptions d'électeurs dont elle
avait ordoniuié la radiation sans que ces radiations ou inscriplions aient
été l'objet d'aucune réclamation.
» L'imputation faite à l'administration d'avoir sciemment dressé des
listes fausses et d'avoir augmenté le cens des -uns et diminué celui des
autres, selon les opinions politiques et ses propres intérêts est donc
sanx fondement.
Dans l'attente de la prompte insertion de ces observations, dans votre
-journal, j'ai l'honneur etc.
» Le sous-prclct de Marvejols BoiSSOiXADE. »
Le Constitutionnel dit ce malin que le ministère se joint aux
puissances du Nord pour imposer au gouvernement belge l'ex-
pulsion du général Skrzynecki.
Cette nouvelle est complètement fausse.
On nous écrit de Boulogne- sur -Mer
«La lettre adressée par M. Thiers au collége.éleetorai n'a pas produit t
l'effet que la coalition semblait en ai tendre. Il y perce un ton de suffi
sauce qui a généralement déplu. L'élection de l'honorable M. François
JJelessert n'en est que plus assurée. Le comité électoral du canton de
Boulogne a répondu à M. Thiers par une proclamation où la coalition
monstrueuse est Ilétrie avec une grande énergie. Qu'en dira le comité
Barrot, Thiers, Guizot et compagnie?»
On apprend de Brest que la corvette la Créole, partie de la Ha-
vane le 30 janvier, est arrivée avant-hier soir, 27 février, à Brest.
S. A. R. le prince de Joinville, qui la commande, a dû descendre
hier en ville, et partir pour Paris avant midi.
MM. les électeurs censitaires inscrits sur la liste générale des 14 collèges
de la Seine, close et arrêtée les 20 octobre 1858 et 24 février présent mois,
sont prévenus de nouveau que les cartes leur sont délivrées à la mairie de
leur arrondissement depuis le mardi 2G février.
MM. les électeurs qui ont un domicile réel ou politique dans les arron-
dissemens de Sceaux et de Saint-Denis sont également invités à se rendre à
la mairie de la commune où ils sont inscrits, pour y réclamer leur carte, la
signer et en donner récépissé.
̃ Nouvelles et- faits divers.
Hier matin, le roi a travaillé avec MM. les ministres de la justice, de la
guerre et de la marine.
Dans la soirée, LL*. MM. ont reçu LL. AA. RR. les infans d'Espagne,
M. le chargé d'affaires de Toscane, et M. le dup de Montebello. °
Plusieurs journaux ont donné sur la santé de M. le maréchal Moncey
des nouvelles erronées; nous ayons 'la satisfaction de pouvoir annoncer que
M. le maréehal est dans un état assez satisfaisant pour ne donner aucune in-
quiétude à ses nombreux amis.
Notre correspondance électorale, nous apprend que M. Nestor Urbain
est le candidat qui parait aujourd'hui réunir le plus de chances à Com-
piègne.
Le roi vient d'accorder à M. Pascal Roche, ancien supérieur des col-
léges de Juilles et de Tournon, la décoration de la Légion-d'Honneur. M.
Roche, l'un des anciens membres les plus distingues de l'ordre vénérable des
Oratoriens, et qui en est, pour ainsi dire, le dernier représentant, a consa-
cré sans interruption 54 ans de son existence à l'instruction publique.
On écrit de Toulon, le 23 février « Dimanche dernier, on a embarqué
sur le bateau à vapeur de la correspondance d'Afrique, les "débris de la lé-
gion étrangère d'Espagne formant un effectif d'une cinquantaine d'hommes
seulement. Beaucoup d'officiers de ce corps qui s'est si bien conduit
ont pris' du service tlans des régimens français, où ils n'ont pu- entrer que
comme sous-officiers. »
Les travarx viennent d'être repris, au quai Saint-Bernard (Port aux
Vins), pour son achèvement. Ce quai qui sera l'un des plus beaux de la
capitale quand il sera nivelé, planté, pavé, dallé, comme il convient, tou-
chera d'un bout au pont des Tournelles, et de l'autre, au superbe pont
d'Austerlitz. Il est déjà construit aux deux tiers.
-Les nouveaux p'ans de la rue Mouflelard, viennent d'être déposés pour
l'enquête et resteront pendant quinze jours à la mairie du 12e arrondisse-
ment..
Nous publions les extraits suivans, que nous'puisons dans une lettre
écrite au iloming Post par un Anglais résidant à la Vera-Cruz
« L'amiral Baudin est un brave marin et uiTexcell.ent homme. Il a parmi
les ofQciers de son temps, le droit de dire que jamais il n'a été battu par
les Anglais durant les longues guerres de l'empire. Si je ne me trompe pas,
c'est M. Baudin qui a soutenu un long et rude combat contre la frégate
Amélie, capitaine Ibry les deux frégates étaient de la même force; la vic-
toire demeura indécise. La prise de Saint-Jean-d'UlIoa estdue en grande par-
tie à l'usage qu'a fait l'escadre française des projectiles à la Paixhans ils
portent très-juste, et pénétrent profondément dans les murailles. »
MM. les exposans du département de- la Seine, sont prévenus qu'il leur
est accordé un nouveau délai jusqu'au 12 mars prochain inclusivement pour
faire.inscrire à la Préfecture les objets qu'ils ont l'intention de présenter à
l'exposition. Passé ce délai, aucune nouvelle demande ne pourra être admise
et le registre d'inscription sera clos définitivement.
M. l'abbé Carret, missionnaire de Picpus, reparti l'année dernière
pour sa mission des Iles Gambier, était arrivé vers la fin du "mois d'août à
Valparaiso, avec sa petite colonie et les nombreux objetslis en Europe. Il se disposait à repartir par la première occasion pour re-
joindre ses néophytes des îles Gambier.
Il parait que les missionnaires de l'Océanie orientale, las des tentatives in-
fructueuses qu'ils ont faites pour s'établir soit aux îles Sandwich, soit à
'Otaïti, renoncent pour le moment à ces deux missions, et vont tâcher de
s'établir auv Iles Marquises, où on leur fait espérer plus de succès.
On écrit du Havre, le 26 février
«Depuis hier on rencontre à la mer, dans les environs de nos côtes, une
grande quantité de débris qui attestent les naufrages nombreux qu'a causés
la derniere tempête. Tout l'espace compris entre le sud et le nord-ouest de
potro rade est couvert, à la distance de plus de deux milles au large, d'épa-
ves provenant de navires perdus, telles que bouts de mâture, capots do
chambreriambeaux de pavois et de bordages. Sept barils de farine sont ve-
nus à la côte sous la Hève. Les signaux de la Hève et ceux de Bléville ont
annoncé ce matin l'apparition de tous ces objets drossés au plein par le
vent et la marée. Plusieurs barques d'IIoiifleur et de Trouville sont sorties
depuis hier puur aller recueillir au large tout ce qu'elles pourront sauver
parmi ces épaves. »..
Le dernier paquebot des côtes d'Italie arrivé à Toulon a apporté des
lettres de Rome, à la date du 17 février, qui font mention d'un accident
bien malheureux arrivé à un savant rSyageur, j], d'Abndie, qui a séjourné
deux ans en Abyssinie et en Ethiopie. M. d'Abadie, après avoir rassembiû
une grande quantité de livres, de manuscrits sur parchemin, etc., et avoir
échappé cent fois à l'influence du climat et aux naturels du pays plus dan-
gereux encore, était de retour à Civita-Vecchia avec une ample" moisson de
documens utiles à toutes les sciences. II se dirigeait vers Rome lorsqu'une
bande de voleurs se rua sur lui, enleva son argent (-2000 fr. environ), et
malgré ses supplications, emporta ses malles. M d'Abadie arriva à Rome
le 10 février, inconsolable de la perte de ses manuscrits et de tout ce qu'il
rapportait de précieux, et prêt à succomber à sa vive douleur. Cependant le
consul de France à Civita-Vecchia oblint du gouverneur des gendarmes et
antres agens, et fil explorer la campagne nuit et jour. Ses efforts ne furent
pas inutiles, les malles furent retrouvées intactes, et avis en a été donné im-
médiatement à l'ambassade de France à Rome, qui en a de suite informé
M. d'Abadie. On peut se faire une idée de la joie de l'illustre voyageur.
Hier matin, plusieurs Voitures chargées de pierres entraient dans le
chantier de l'Hôtel-de-Vllle. L'une d'elles était conduite par le nommé Mar-
ry. Cet homme, ayant quitté un instant la tête de ses chevaux, s'est, trouvé
pris entre deux voitures, et a été écrasé.
KARDIKI.
CHAPITRE CINQUIÈME.
lie Combat.
(Voir la Presse des 25, 26, 27 et 2S février.)
D'une taille moyenne, souple, alerte et vigoureux, Ali de Tebelen
avait alors trente-quatre ans. Ses grands yeux bleus, doux et fiers à
la fois, étaient couronnés d'un front ouvert et élevé, sur lequel se
dessinaient des sourcils étroits, à peine arqués. Sa barbe riluu blond v
châtain,- soyeuse, brillante et parfumée, entourait le bas de son visa-
ge, et mêlait ses tons dorés h la carnation pâle et délicate de ses joues,
d'un contour parfait. Enfin ses lèvres, d'un rouge de corail humide,
dans leur habituel et séduisant sourire, laissaient voir des dents d'un
émail éblouissant, que la couleur foncée des moustaches d'Ali ren-
dait, encore plus éclatant. ̃'
Le visir n'avait gardé sur lui que sonyellek, vestede velours cra-
moisi, richement brodée, sa jupe blanche albanaise, et ses bottines
de maroquin, presque cachées sous l'or qui les couvrait.
Toujours calme et dédaigneux, comme s'il avait eu la conscience
de ne courir aucun danger, le visir serra autour de sa taille la cein-
ture de cuir d'un de ses Palikares, garnie de fontes renfermant de
lourds pistolets; il y suspendit encore une courte hache d'armes, à
large fer, et prit en main un fusil dont il dédaigna même, par-cal-
cul sans doute, d'examiner la pierre.
Muets et sombres, les fils de Demir-Dost, armés comme Ali, at-
tachaient sur lui leurs regards farouches, qui trahissaient pour-
tant une sorti; de terreur sourde et involontaire, car la beauté, le
sang-froid et l'air impérieux d'Ali de Tebelen semb'aient à ces Rleph-
tes presque surhumains. Selon le calcul du visir, ils pensaient qu'une
invisible puissance pouvait seule lui donner assez de confiance en son
étoile, pour oser affronter si aveuglément les périlleux hasards de ce
combat inégal.
Quoique rapide et fugitive, cette impression devait laisser un ger-
me fatal dans l'esprit des trois frères.
Néanmoins toujours intrépides; les bras fièrement croisés survie
canon de. leurs fusils, ils dressaient de toute sa hauteur leur taille
herculéenne. Coiffés du fez, les tempes et le menton rasés, ils portaient
par un caprice |sauvage, leurs longues et épaisses moustaches noires,
nattées et rattachées derrière leur cou de taureau couleur de brique.
Leurs figures mâles semblaient bronzées par les fatigues de la vie
nomade et guerrière qu'ils menaient incessamment; enfin leurs jambes
nues, musculeuses, cicatrisées par les ronces, et à peine recouvertes
d'une peau de Chèvre non tannée, paraissaient plus brunes encore
par le contraste de la jupe de grosse toile blanche qui, serrée autour
de la taille des Albanais, couvre à peine leurs genoux.
Dans l'attente du combat, parfois les trois frères du Levtochor,
frémissant d'impatience et de rage, se secouaient dans l'épaisse toi-
son de mouton noir qui couvrait leurs robustes épaules, ainsi que les
bêtes fauves frissonnent souvent dans leur pelage hérissé à l'appro-
che d'un grand péril.
Tout à coup la voix pure et sonore d'Ali de Tebelen se fit enten-
dre Heureux 'fils de Levtochor, dit-il, heureux. heureux de
périr de la main d'Ali le prédestiné! Une dernière fois regardez
vos montagnes, une dernière fois regardez vos maisons, une dernière
fois regardez vos femmes. car ainsi que cet aigle qui plane sur vos
têtes. (et il ajusta un aigle que le hasard fit passer au-dessus de lui
à une grande hauteur), vous allez dormir pour toujours sur la bruyère
fleurie.
En effet, disant ces mots, Ali de Tebelen, visa l'oiseau, le coup
partit, et après deux ou trois coups- d'aile convulsifs, l'aigle tomba
rapidement aux pieds du visir.
A cet acte d'adresse dans lequel ils crurent voir un fatal présage,
les trois Klephtes pâlirent. Les habitans du Levtochor effrayés, v
baissèrent tristement les yeux, tandis qu'au contraire, les Palikares
du visir jetèrent un cri d'admiration triomphante.
Allons allons, braves loups, vous êtes libres la plaine est à
vous comme au lion, qui va montrer que son droit, c'est sa force
s'écria le visir, en jetant au loin son fusil, puis d'un bond il s'é-
lança à une assez grande distance de ses' trois adversaires. Prenant
alors un de ses pistolets, il en appuya le canon sur son avant-bras
gauche, et se mit à courir par bonds irréguliers et vigoureux, s'é-
loignant ou se rapprochant ainsi des Demir-Dost, afin de rendre par
ces brusques mouvemens, leur point de mire plus difficile.
Ce qui devait surtout servir Ali dans cette lutte disproportionnée
c'était l'incroyable justesse de son coup-d'œil, et la précision surpre-
nante de son tirer, que la précipitation du galop d'un cheval ou d'une
course rapide dérangeait à peine.
Aussi, au moment où il vit les trois frères se séparer pour l'enve-
lopper et épauler leurs armes, ajusta-t-il l'aîné, en disant tout bas
assislcz-moi, ma mèrel
Trois coups de feu partirent presqu'en même temps.
Celui d'Ali, et ceux de deux de ses adversaires:
Mais deux balles perdues sifllèrenfaux oreilles du visir, tandis que
la sienne atteignit un des Klephtes qui s'affaissa lourdement, après
avoir tourné sur lui-même, levé sa tête vers le ciel et étendu ses
grands bras comme s'il avait voulu embrasser le vide.
Une minute d'hésitation pouvait perdre Ali, aussi à peine sa victi-
me fut-elle'tombée, que par un mouvement plus rapide que la pen-
sée, jetant son pistolet et profitant de l'indécision des Klephtes, qui,
témoin de la mort de leur frère, restèrent un instant paralysés par
la douleur et par la rage, le visir d'un bond fut auprès d'eux. mais
à les toucher,- face a face, poiirine contre poitrine. alors là, trait
d'audace inouï, croisant ses bras désarmés et jetant un regard fulgu-
rant sur ses ennemis il s'écria d'une voix éclatante: Qui peut
donc résister au iront
Plus épouvantés, sans doute, de cette action extraordinaire que
d'une attaque impétueuse, les deux Klephtes reculèrent d'abord
frappés de stupeur, puis revenant tout-à-coup à eux, ils voulurent
fondru sur le visir; mais ayant profité de leur trouble pour se met-
tre en. défense, Ali, d'nn coup furieux de sa lourde hache, fendit le
crâne à l'un dos combattans, et, du revers de la même arme, ren-
versa le dernier des Demir-Dost sur les cadavres de ses frères.
Se reionrnant alors vers le peuple, Ali de Tebelen, avec un calme
souverain, montrant fes trois victimes du bout de ?a hache, s'écria
« Je l'ai dit, un lion est plus fort que trois loups,' parce qu'il est
le lion »
Puis cachant sous un semblant d'indifférence et de sérénité l'or-
gii"ii du triomphe et les terribles émotions qui avaient dû et devaient
l'agiter encore, Ali s'écria Mon cheval? 1
Un esclave nègre le lui amena.
Sautaut alors légèrement sur ce magnifique animal, tout resplen-
dissant d'or, de pourpre et d'acier, le Yisir, une fois jen iefle, par
une brusque saccade, fit cabrer sa monture, et la maintenant presque
droite, la fit ainsi marcher quelques pas, fièrement dressée sur ses
jarrets nerveux-.
Vêtu de sa jupe blanche et de son yellek cramoisi, resplendissant
de broderies, tête nue, ses longs cheveux au vent, le front menaçant,
l'œil iutrépide, les narines gonflées par la vue du carnage Ali de
Tebelen, si impérialement campé sur ce cheval noir aux crins Ilot-
tans, qui, hennissant avec furie, battait l'air de ses jambes de de-
vaut, et se cabrait toujours d'une manière effrayante. Ali de Tebe-
len devait apparaître à cette population épouvantée, comme un être
surhumain lorsque la fatalité vint jeter un nouveau prestige sur
cette figure d'un caractère déjà si grand et si terrible.
Le soleil qui s'était lentement élevé à l'horizon, dépassant la cime
des montagnes du Levtochor, jeta ses premiers rayons sur Ali de Te-
belen, qui parut ainsi tout à coup enveloppé d'une auréole de lu-
mière, tandis que le reste de la plate-forme et des spectateurs de
cette scène restèrent dans l'ombre un moment encore.
Souriant et fier de ce hasard, qu'il prit pour un heureux présage,
voulant laisser le peuple sur une impression presque fatale et ter-
miner à propos cette scène d'une si puissante influence pour l'avenir,
le satrape jeta son cri de guerre, ses Palikares se levèrent en tumulte,
prirent leurs armes, et le visir disparut bientôt _à leur tête par un
chemin creux qui conduisait à cette esplanade.
Stupéfaite, effrayée de ce combat rapide, de ce triomphe sou-
dain, de cet éclat, de celle brusque disparition, la population de
Levtochor resta convaincue dans sa terreur qu'Ali de Tebelen était
plus qu'un nîbrtel, et que ce serait folie et vanité que de vouloir ré-
sister à ses ordres, si arbitraires, si cruels qu'ils fussent.
Malheureusement, du Levtochor, cette croyance désastreuse se
propagea peu à peu dans toute l'Albanie; de naturelles, les circons-
tances du combat devinrent fabuleuses! L'imagination sombre et
ardente de ces peuplades dénaturant ces faits, vint encore aug-
menter de si funestes exagérations. Enfin, ce ne fut plus sous le fer
et sous le plomb d'Ali, que les trois Klephtes étaient tombés, mais
seulement sous son regard, doué d'une puissance mortelle.
Ainsi selon sa politique infernale, toujours heureusement servie
d'ailleurs par le destin, le visir devint bientôt dans tout l'Epire un
ob et de terreur muette, un Iléau dévastateur sous les coups duquel
tous devaient se courber sans murmure et sans espoir, parce l'invisi-
ble main de Dieu voulait sans- doute, disaient les Albanais,
infliger Jli de Tebc'en à i'huinanitél
Le g.and instinct militaire d'Ali, son habileté stratégique dans l'es-
pace de guerre de partisans qu e nécessitaient les localités de l'Epire et
du nord de la Grèce, se développa bientôt, et surtout lors de la
rupture qui éclata entre la Turquie, l'Autriche et la Russieversl788,
peu de temps avant la maladie mortelle de Khamco.
Ali, arrivant au camp des Ottomans pour renforcer leur armée, se
présenta au grand visir à la tête de quatre mille Albanais et de cinq
cent cavaliers ;G.uègnes, merveilleusement armés disciplinés et d'u-
ne bravoure redoutable. L'intrépidité, le sang-froid, les ressources
de l'esprit audacieux d'Ali de Tebelen, l'influence qu'il avait sur les
troupes, lui assurèrent bientôt une haute position dans l'armée, et
en récompense des services qu'il avait rendus pendant la campagne,
le titre de pacha, la charge de Dervtmdji (grand- prévôt des rou-
tes), et ceile de gouverneur de Tricala, ville située à l'est du i'inde en
Thessalie, entre Larissa et .Janina, lui furent décernés par le sultan.
La présence d'Ali n'étant plus nécessaire à l'armée, il revint dans
son gouvernement.
L'Epire était dans un tel état d'anarchie, que les grands vassaux
de l'empire ottoman, oubliant qu'ils n'étaient que feudataires de la
Porte, se regardaient comme souverains- presqu'absolus de leurs pa-
chalicks aussi se faisaient- ils continuellement la guerre pour se
chasser mutuellement de leurs gouveruemens; une fois maîtres de la
position, par la ruse ou par la force des armes, ils envoyaient un fir-
man respectueux au sultan, firman dans lequel ils accusaient le pa-
cha ou le bey dépossédé de trahison envers la Sublime-Porte;
demandant de plus la moitié des dépouilles du traître, sup-
posé, comme récompense. de leur zèle ordinairement ce firman
était porté au divan de Constantinople par des affidés'du visir usur-
pateur qui grâce à le corruption et à l'autre moitié des dépouilles fi-
dèlement abandonnés au sultan, obtenaient presque toujours la con-
firmation du pachalik.
Ali n'agit pas autrement pour s'emparer du Sangrak (1) de Janina.
Les trésors du gouverneur de ce beylik étaient immenses. Ali, après
l'avoir vaincu par la force des armes, fit une large part à l'avarice dn
divan de Constanlinople le sultan toucha trois millions, et pour prix
du meurtre dû pacha de Janina qu'Ali avait représenté à la Porte
comme vendu à la Russie, Ali, confirmé daus le pachalik dont il s'é-
tait emparé, fut de plus gratifié de la charge de, grand prévôt des
routes de la Ilomélie.
Telle étaitla position aussi inespérée qu'exorbitanteà laquelle Ali,
fils d'un obscur bey de la Toscaria, était arrivé par son courage, par
son audace, par sa ruse, par les menées de sa politique aussi habile;
que corruptrice, et surtout, ill'a dit souventlui-même, par cette con«
science fatidique du bonheur de son étoile, qui lui faisait entrepren-
dre avec certitude de succès, les desseins les plus téméraires. Quant
à celte inconcevable croyance en lui, il la devait aux prédictions in-
cessantes de sa mère qui l'avait ainsi fait homme et visir, répé-
tait-il avec l'accent -de la gratitude la plus profonde.
On comprendra donc les terribles anxiétés d'Ali de Tebelen, lors-
qu'il apprit la maladie de Khamco, et l'impatience féroce arec laquelle
il se rendait à Tebelen pour y voir sa mère mourante.
(La suite à demain.) Eugène SUE,
Le Voyagé classique pour l'étude de la Géologie et de ses applications in-
dustrielles, que fait tous les ans M. Nérée Boubée, est fixé au 4 avril pro-
chain il sera terminé en trois semaines. On sait que ce voyage offrant un
cours de géologie-fait sur le terrain, est le moyen d'étude le plus rapide et
le plus fructueux il met à même de reconnaitre avec certitude tous les
terrains, Jours roches, minéraux, fossiles, gîtes exploitables, etc. Il est sur-
tout précieux pour les personnes qui doivent entreprendre des voyages loin-
tains ou des exploitations industrielles. Prix d'admission 100 fr. Les
frais de voyage ne dépasseront pas 500 fr. II n'est admis que 13 voyageurs.,
On souscrit rue Guénégaud, 17..
Le monde aristocratique vient de s'émouvoir encore une fois, c'est-à4
dire que le comte Horace de Vielcastel, "l'un de ses membres le plus con-
nu j>ar son esprit mordant et observateur, vient de publier ù la librairie de
Charles Gosselin une suite à ses trois premiers romans- sur le faubnurg-
Saint-Gerniain celle fois, le comte de Vicilcnsiel s'attaque au faubourg
St-Honoré, cest à celle société brillante et composée d'élémens si divers qu'il
a demandé le sujet de Cécile de Yarcil, pointure vraie, sévère quelquefois et
toujours écrite de ce si) le incisif c> si bien «pproprié à la satyre et à la cri-
tique, que M de Viel-Castel a prouvé qu'il possédait dans ses précédens
roman1. Cécile de Vareil est un de ces livres qui font du bruit qui ont
un retentissement chns la société qu'ils traversent; nous reviendrons sur ce
livre, qu'ullrnilunt tant de curiosité et de petites haines, mais aussi le succès.
Une série de romans du même auteur est annoncée sous le titre de La
noblesse de province. l.e succès de ces précédens ouvrages est d'un heu-
reux augure pour ceux-ci.
(1) Département administratif.
été fait dans l'intérêt d'une ambition déçue.
» .l'ai lieu surtout de m'ê tonner Monsieur, que vous n'ayez pas cher-
ché à cmmnilrc l'auteur de cette soustraction pour livrer aussi son nom
à toutes les homes de la publicité. J'aurais pu vous mettre sur la voie de
la découverte de la vérité.
» J'arrive au fait de la nouvelle formation des lisles dans laquelle, di-
tes-vous, on n'a eu aucun égard aux 26 arrêts rendus en 1837 par la
cour royale de Nimes, et j'affirme qu'il n'y a eu en 1858 que cinq radia-
tions d'électeurs admis par elle et deux inscriptions d'électeurs dont elle
avait ordoniuié la radiation sans que ces radiations ou inscriplions aient
été l'objet d'aucune réclamation.
» L'imputation faite à l'administration d'avoir sciemment dressé des
listes fausses et d'avoir augmenté le cens des -uns et diminué celui des
autres, selon les opinions politiques et ses propres intérêts est donc
sanx fondement.
Dans l'attente de la prompte insertion de ces observations, dans votre
-journal, j'ai l'honneur etc.
» Le sous-prclct de Marvejols BoiSSOiXADE. »
Le Constitutionnel dit ce malin que le ministère se joint aux
puissances du Nord pour imposer au gouvernement belge l'ex-
pulsion du général Skrzynecki.
Cette nouvelle est complètement fausse.
On nous écrit de Boulogne- sur -Mer
«La lettre adressée par M. Thiers au collége.éleetorai n'a pas produit t
l'effet que la coalition semblait en ai tendre. Il y perce un ton de suffi
sauce qui a généralement déplu. L'élection de l'honorable M. François
JJelessert n'en est que plus assurée. Le comité électoral du canton de
Boulogne a répondu à M. Thiers par une proclamation où la coalition
monstrueuse est Ilétrie avec une grande énergie. Qu'en dira le comité
Barrot, Thiers, Guizot et compagnie?»
On apprend de Brest que la corvette la Créole, partie de la Ha-
vane le 30 janvier, est arrivée avant-hier soir, 27 février, à Brest.
S. A. R. le prince de Joinville, qui la commande, a dû descendre
hier en ville, et partir pour Paris avant midi.
MM. les électeurs censitaires inscrits sur la liste générale des 14 collèges
de la Seine, close et arrêtée les 20 octobre 1858 et 24 février présent mois,
sont prévenus de nouveau que les cartes leur sont délivrées à la mairie de
leur arrondissement depuis le mardi 2G février.
MM. les électeurs qui ont un domicile réel ou politique dans les arron-
dissemens de Sceaux et de Saint-Denis sont également invités à se rendre à
la mairie de la commune où ils sont inscrits, pour y réclamer leur carte, la
signer et en donner récépissé.
̃ Nouvelles et- faits divers.
Hier matin, le roi a travaillé avec MM. les ministres de la justice, de la
guerre et de la marine.
Dans la soirée, LL*. MM. ont reçu LL. AA. RR. les infans d'Espagne,
M. le chargé d'affaires de Toscane, et M. le dup de Montebello. °
Plusieurs journaux ont donné sur la santé de M. le maréchal Moncey
des nouvelles erronées; nous ayons 'la satisfaction de pouvoir annoncer que
M. le maréehal est dans un état assez satisfaisant pour ne donner aucune in-
quiétude à ses nombreux amis.
Notre correspondance électorale, nous apprend que M. Nestor Urbain
est le candidat qui parait aujourd'hui réunir le plus de chances à Com-
piègne.
Le roi vient d'accorder à M. Pascal Roche, ancien supérieur des col-
léges de Juilles et de Tournon, la décoration de la Légion-d'Honneur. M.
Roche, l'un des anciens membres les plus distingues de l'ordre vénérable des
Oratoriens, et qui en est, pour ainsi dire, le dernier représentant, a consa-
cré sans interruption 54 ans de son existence à l'instruction publique.
On écrit de Toulon, le 23 février « Dimanche dernier, on a embarqué
sur le bateau à vapeur de la correspondance d'Afrique, les "débris de la lé-
gion étrangère d'Espagne formant un effectif d'une cinquantaine d'hommes
seulement. Beaucoup d'officiers de ce corps qui s'est si bien conduit
ont pris' du service tlans des régimens français, où ils n'ont pu- entrer que
comme sous-officiers. »
Les travarx viennent d'être repris, au quai Saint-Bernard (Port aux
Vins), pour son achèvement. Ce quai qui sera l'un des plus beaux de la
capitale quand il sera nivelé, planté, pavé, dallé, comme il convient, tou-
chera d'un bout au pont des Tournelles, et de l'autre, au superbe pont
d'Austerlitz. Il est déjà construit aux deux tiers.
-Les nouveaux p'ans de la rue Mouflelard, viennent d'être déposés pour
l'enquête et resteront pendant quinze jours à la mairie du 12e arrondisse-
ment..
Nous publions les extraits suivans, que nous'puisons dans une lettre
écrite au iloming Post par un Anglais résidant à la Vera-Cruz
« L'amiral Baudin est un brave marin et uiTexcell.ent homme. Il a parmi
les ofQciers de son temps, le droit de dire que jamais il n'a été battu par
les Anglais durant les longues guerres de l'empire. Si je ne me trompe pas,
c'est M. Baudin qui a soutenu un long et rude combat contre la frégate
Amélie, capitaine Ibry les deux frégates étaient de la même force; la vic-
toire demeura indécise. La prise de Saint-Jean-d'UlIoa estdue en grande par-
tie à l'usage qu'a fait l'escadre française des projectiles à la Paixhans ils
portent très-juste, et pénétrent profondément dans les murailles. »
MM. les exposans du département de- la Seine, sont prévenus qu'il leur
est accordé un nouveau délai jusqu'au 12 mars prochain inclusivement pour
faire.inscrire à la Préfecture les objets qu'ils ont l'intention de présenter à
l'exposition. Passé ce délai, aucune nouvelle demande ne pourra être admise
et le registre d'inscription sera clos définitivement.
M. l'abbé Carret, missionnaire de Picpus, reparti l'année dernière
pour sa mission des Iles Gambier, était arrivé vers la fin du "mois d'août à
Valparaiso, avec sa petite colonie et les nombreux objets
joindre ses néophytes des îles Gambier.
Il parait que les missionnaires de l'Océanie orientale, las des tentatives in-
fructueuses qu'ils ont faites pour s'établir soit aux îles Sandwich, soit à
'Otaïti, renoncent pour le moment à ces deux missions, et vont tâcher de
s'établir auv Iles Marquises, où on leur fait espérer plus de succès.
On écrit du Havre, le 26 février
«Depuis hier on rencontre à la mer, dans les environs de nos côtes, une
grande quantité de débris qui attestent les naufrages nombreux qu'a causés
la derniere tempête. Tout l'espace compris entre le sud et le nord-ouest de
potro rade est couvert, à la distance de plus de deux milles au large, d'épa-
ves provenant de navires perdus, telles que bouts de mâture, capots do
chambreriambeaux de pavois et de bordages. Sept barils de farine sont ve-
nus à la côte sous la Hève. Les signaux de la Hève et ceux de Bléville ont
annoncé ce matin l'apparition de tous ces objets drossés au plein par le
vent et la marée. Plusieurs barques d'IIoiifleur et de Trouville sont sorties
depuis hier puur aller recueillir au large tout ce qu'elles pourront sauver
parmi ces épaves. »..
Le dernier paquebot des côtes d'Italie arrivé à Toulon a apporté des
lettres de Rome, à la date du 17 février, qui font mention d'un accident
bien malheureux arrivé à un savant rSyageur, j], d'Abndie, qui a séjourné
deux ans en Abyssinie et en Ethiopie. M. d'Abadie, après avoir rassembiû
une grande quantité de livres, de manuscrits sur parchemin, etc., et avoir
échappé cent fois à l'influence du climat et aux naturels du pays plus dan-
gereux encore, était de retour à Civita-Vecchia avec une ample" moisson de
documens utiles à toutes les sciences. II se dirigeait vers Rome lorsqu'une
bande de voleurs se rua sur lui, enleva son argent (-2000 fr. environ), et
malgré ses supplications, emporta ses malles. M d'Abadie arriva à Rome
le 10 février, inconsolable de la perte de ses manuscrits et de tout ce qu'il
rapportait de précieux, et prêt à succomber à sa vive douleur. Cependant le
consul de France à Civita-Vecchia oblint du gouverneur des gendarmes et
antres agens, et fil explorer la campagne nuit et jour. Ses efforts ne furent
pas inutiles, les malles furent retrouvées intactes, et avis en a été donné im-
médiatement à l'ambassade de France à Rome, qui en a de suite informé
M. d'Abadie. On peut se faire une idée de la joie de l'illustre voyageur.
Hier matin, plusieurs Voitures chargées de pierres entraient dans le
chantier de l'Hôtel-de-Vllle. L'une d'elles était conduite par le nommé Mar-
ry. Cet homme, ayant quitté un instant la tête de ses chevaux, s'est, trouvé
pris entre deux voitures, et a été écrasé.
KARDIKI.
CHAPITRE CINQUIÈME.
lie Combat.
(Voir la Presse des 25, 26, 27 et 2S février.)
D'une taille moyenne, souple, alerte et vigoureux, Ali de Tebelen
avait alors trente-quatre ans. Ses grands yeux bleus, doux et fiers à
la fois, étaient couronnés d'un front ouvert et élevé, sur lequel se
dessinaient des sourcils étroits, à peine arqués. Sa barbe riluu blond v
châtain,- soyeuse, brillante et parfumée, entourait le bas de son visa-
ge, et mêlait ses tons dorés h la carnation pâle et délicate de ses joues,
d'un contour parfait. Enfin ses lèvres, d'un rouge de corail humide,
dans leur habituel et séduisant sourire, laissaient voir des dents d'un
émail éblouissant, que la couleur foncée des moustaches d'Ali ren-
dait, encore plus éclatant. ̃'
Le visir n'avait gardé sur lui que sonyellek, vestede velours cra-
moisi, richement brodée, sa jupe blanche albanaise, et ses bottines
de maroquin, presque cachées sous l'or qui les couvrait.
Toujours calme et dédaigneux, comme s'il avait eu la conscience
de ne courir aucun danger, le visir serra autour de sa taille la cein-
ture de cuir d'un de ses Palikares, garnie de fontes renfermant de
lourds pistolets; il y suspendit encore une courte hache d'armes, à
large fer, et prit en main un fusil dont il dédaigna même, par-cal-
cul sans doute, d'examiner la pierre.
Muets et sombres, les fils de Demir-Dost, armés comme Ali, at-
tachaient sur lui leurs regards farouches, qui trahissaient pour-
tant une sorti; de terreur sourde et involontaire, car la beauté, le
sang-froid et l'air impérieux d'Ali de Tebelen semb'aient à ces Rleph-
tes presque surhumains. Selon le calcul du visir, ils pensaient qu'une
invisible puissance pouvait seule lui donner assez de confiance en son
étoile, pour oser affronter si aveuglément les périlleux hasards de ce
combat inégal.
Quoique rapide et fugitive, cette impression devait laisser un ger-
me fatal dans l'esprit des trois frères.
Néanmoins toujours intrépides; les bras fièrement croisés survie
canon de. leurs fusils, ils dressaient de toute sa hauteur leur taille
herculéenne. Coiffés du fez, les tempes et le menton rasés, ils portaient
par un caprice |sauvage, leurs longues et épaisses moustaches noires,
nattées et rattachées derrière leur cou de taureau couleur de brique.
Leurs figures mâles semblaient bronzées par les fatigues de la vie
nomade et guerrière qu'ils menaient incessamment; enfin leurs jambes
nues, musculeuses, cicatrisées par les ronces, et à peine recouvertes
d'une peau de Chèvre non tannée, paraissaient plus brunes encore
par le contraste de la jupe de grosse toile blanche qui, serrée autour
de la taille des Albanais, couvre à peine leurs genoux.
Dans l'attente du combat, parfois les trois frères du Levtochor,
frémissant d'impatience et de rage, se secouaient dans l'épaisse toi-
son de mouton noir qui couvrait leurs robustes épaules, ainsi que les
bêtes fauves frissonnent souvent dans leur pelage hérissé à l'appro-
che d'un grand péril.
Tout à coup la voix pure et sonore d'Ali de Tebelen se fit enten-
dre Heureux 'fils de Levtochor, dit-il, heureux. heureux de
périr de la main d'Ali le prédestiné! Une dernière fois regardez
vos montagnes, une dernière fois regardez vos maisons, une dernière
fois regardez vos femmes. car ainsi que cet aigle qui plane sur vos
têtes. (et il ajusta un aigle que le hasard fit passer au-dessus de lui
à une grande hauteur), vous allez dormir pour toujours sur la bruyère
fleurie.
En effet, disant ces mots, Ali de Tebelen, visa l'oiseau, le coup
partit, et après deux ou trois coups- d'aile convulsifs, l'aigle tomba
rapidement aux pieds du visir.
A cet acte d'adresse dans lequel ils crurent voir un fatal présage,
les trois Klephtes pâlirent. Les habitans du Levtochor effrayés, v
baissèrent tristement les yeux, tandis qu'au contraire, les Palikares
du visir jetèrent un cri d'admiration triomphante.
Allons allons, braves loups, vous êtes libres la plaine est à
vous comme au lion, qui va montrer que son droit, c'est sa force
s'écria le visir, en jetant au loin son fusil, puis d'un bond il s'é-
lança à une assez grande distance de ses' trois adversaires. Prenant
alors un de ses pistolets, il en appuya le canon sur son avant-bras
gauche, et se mit à courir par bonds irréguliers et vigoureux, s'é-
loignant ou se rapprochant ainsi des Demir-Dost, afin de rendre par
ces brusques mouvemens, leur point de mire plus difficile.
Ce qui devait surtout servir Ali dans cette lutte disproportionnée
c'était l'incroyable justesse de son coup-d'œil, et la précision surpre-
nante de son tirer, que la précipitation du galop d'un cheval ou d'une
course rapide dérangeait à peine.
Aussi, au moment où il vit les trois frères se séparer pour l'enve-
lopper et épauler leurs armes, ajusta-t-il l'aîné, en disant tout bas
assislcz-moi, ma mèrel
Trois coups de feu partirent presqu'en même temps.
Celui d'Ali, et ceux de deux de ses adversaires:
Mais deux balles perdues sifllèrenfaux oreilles du visir, tandis que
la sienne atteignit un des Klephtes qui s'affaissa lourdement, après
avoir tourné sur lui-même, levé sa tête vers le ciel et étendu ses
grands bras comme s'il avait voulu embrasser le vide.
Une minute d'hésitation pouvait perdre Ali, aussi à peine sa victi-
me fut-elle'tombée, que par un mouvement plus rapide que la pen-
sée, jetant son pistolet et profitant de l'indécision des Klephtes, qui,
témoin de la mort de leur frère, restèrent un instant paralysés par
la douleur et par la rage, le visir d'un bond fut auprès d'eux. mais
à les toucher,- face a face, poiirine contre poitrine. alors là, trait
d'audace inouï, croisant ses bras désarmés et jetant un regard fulgu-
rant sur ses ennemis il s'écria d'une voix éclatante: Qui peut
donc résister au iront
Plus épouvantés, sans doute, de cette action extraordinaire que
d'une attaque impétueuse, les deux Klephtes reculèrent d'abord
frappés de stupeur, puis revenant tout-à-coup à eux, ils voulurent
fondru sur le visir; mais ayant profité de leur trouble pour se met-
tre en. défense, Ali, d'nn coup furieux de sa lourde hache, fendit le
crâne à l'un dos combattans, et, du revers de la même arme, ren-
versa le dernier des Demir-Dost sur les cadavres de ses frères.
Se reionrnant alors vers le peuple, Ali de Tebelen, avec un calme
souverain, montrant fes trois victimes du bout de ?a hache, s'écria
« Je l'ai dit, un lion est plus fort que trois loups,' parce qu'il est
le lion »
Puis cachant sous un semblant d'indifférence et de sérénité l'or-
gii"ii du triomphe et les terribles émotions qui avaient dû et devaient
l'agiter encore, Ali s'écria Mon cheval? 1
Un esclave nègre le lui amena.
Sautaut alors légèrement sur ce magnifique animal, tout resplen-
dissant d'or, de pourpre et d'acier, le Yisir, une fois jen iefle, par
une brusque saccade, fit cabrer sa monture, et la maintenant presque
droite, la fit ainsi marcher quelques pas, fièrement dressée sur ses
jarrets nerveux-.
Vêtu de sa jupe blanche et de son yellek cramoisi, resplendissant
de broderies, tête nue, ses longs cheveux au vent, le front menaçant,
l'œil iutrépide, les narines gonflées par la vue du carnage Ali de
Tebelen, si impérialement campé sur ce cheval noir aux crins Ilot-
tans, qui, hennissant avec furie, battait l'air de ses jambes de de-
vaut, et se cabrait toujours d'une manière effrayante. Ali de Tebe-
len devait apparaître à cette population épouvantée, comme un être
surhumain lorsque la fatalité vint jeter un nouveau prestige sur
cette figure d'un caractère déjà si grand et si terrible.
Le soleil qui s'était lentement élevé à l'horizon, dépassant la cime
des montagnes du Levtochor, jeta ses premiers rayons sur Ali de Te-
belen, qui parut ainsi tout à coup enveloppé d'une auréole de lu-
mière, tandis que le reste de la plate-forme et des spectateurs de
cette scène restèrent dans l'ombre un moment encore.
Souriant et fier de ce hasard, qu'il prit pour un heureux présage,
voulant laisser le peuple sur une impression presque fatale et ter-
miner à propos cette scène d'une si puissante influence pour l'avenir,
le satrape jeta son cri de guerre, ses Palikares se levèrent en tumulte,
prirent leurs armes, et le visir disparut bientôt _à leur tête par un
chemin creux qui conduisait à cette esplanade.
Stupéfaite, effrayée de ce combat rapide, de ce triomphe sou-
dain, de cet éclat, de celle brusque disparition, la population de
Levtochor resta convaincue dans sa terreur qu'Ali de Tebelen était
plus qu'un nîbrtel, et que ce serait folie et vanité que de vouloir ré-
sister à ses ordres, si arbitraires, si cruels qu'ils fussent.
Malheureusement, du Levtochor, cette croyance désastreuse se
propagea peu à peu dans toute l'Albanie; de naturelles, les circons-
tances du combat devinrent fabuleuses! L'imagination sombre et
ardente de ces peuplades dénaturant ces faits, vint encore aug-
menter de si funestes exagérations. Enfin, ce ne fut plus sous le fer
et sous le plomb d'Ali, que les trois Klephtes étaient tombés, mais
seulement sous son regard, doué d'une puissance mortelle.
Ainsi selon sa politique infernale, toujours heureusement servie
d'ailleurs par le destin, le visir devint bientôt dans tout l'Epire un
ob et de terreur muette, un Iléau dévastateur sous les coups duquel
tous devaient se courber sans murmure et sans espoir, parce l'invisi-
ble main de Dieu voulait sans- doute, disaient les Albanais,
infliger Jli de Tebc'en à i'huinanitél
Le g.and instinct militaire d'Ali, son habileté stratégique dans l'es-
pace de guerre de partisans qu e nécessitaient les localités de l'Epire et
du nord de la Grèce, se développa bientôt, et surtout lors de la
rupture qui éclata entre la Turquie, l'Autriche et la Russieversl788,
peu de temps avant la maladie mortelle de Khamco.
Ali, arrivant au camp des Ottomans pour renforcer leur armée, se
présenta au grand visir à la tête de quatre mille Albanais et de cinq
cent cavaliers ;G.uègnes, merveilleusement armés disciplinés et d'u-
ne bravoure redoutable. L'intrépidité, le sang-froid, les ressources
de l'esprit audacieux d'Ali de Tebelen, l'influence qu'il avait sur les
troupes, lui assurèrent bientôt une haute position dans l'armée, et
en récompense des services qu'il avait rendus pendant la campagne,
le titre de pacha, la charge de Dervtmdji (grand- prévôt des rou-
tes), et ceile de gouverneur de Tricala, ville située à l'est du i'inde en
Thessalie, entre Larissa et .Janina, lui furent décernés par le sultan.
La présence d'Ali n'étant plus nécessaire à l'armée, il revint dans
son gouvernement.
L'Epire était dans un tel état d'anarchie, que les grands vassaux
de l'empire ottoman, oubliant qu'ils n'étaient que feudataires de la
Porte, se regardaient comme souverains- presqu'absolus de leurs pa-
chalicks aussi se faisaient- ils continuellement la guerre pour se
chasser mutuellement de leurs gouveruemens; une fois maîtres de la
position, par la ruse ou par la force des armes, ils envoyaient un fir-
man respectueux au sultan, firman dans lequel ils accusaient le pa-
cha ou le bey dépossédé de trahison envers la Sublime-Porte;
demandant de plus la moitié des dépouilles du traître, sup-
posé, comme récompense. de leur zèle ordinairement ce firman
était porté au divan de Constantinople par des affidés'du visir usur-
pateur qui grâce à le corruption et à l'autre moitié des dépouilles fi-
dèlement abandonnés au sultan, obtenaient presque toujours la con-
firmation du pachalik.
Ali n'agit pas autrement pour s'emparer du Sangrak (1) de Janina.
Les trésors du gouverneur de ce beylik étaient immenses. Ali, après
l'avoir vaincu par la force des armes, fit une large part à l'avarice dn
divan de Constanlinople le sultan toucha trois millions, et pour prix
du meurtre dû pacha de Janina qu'Ali avait représenté à la Porte
comme vendu à la Russie, Ali, confirmé daus le pachalik dont il s'é-
tait emparé, fut de plus gratifié de la charge de, grand prévôt des
routes de la Ilomélie.
Telle étaitla position aussi inespérée qu'exorbitanteà laquelle Ali,
fils d'un obscur bey de la Toscaria, était arrivé par son courage, par
son audace, par sa ruse, par les menées de sa politique aussi habile;
que corruptrice, et surtout, ill'a dit souventlui-même, par cette con«
science fatidique du bonheur de son étoile, qui lui faisait entrepren-
dre avec certitude de succès, les desseins les plus téméraires. Quant
à celte inconcevable croyance en lui, il la devait aux prédictions in-
cessantes de sa mère qui l'avait ainsi fait homme et visir, répé-
tait-il avec l'accent -de la gratitude la plus profonde.
On comprendra donc les terribles anxiétés d'Ali de Tebelen, lors-
qu'il apprit la maladie de Khamco, et l'impatience féroce arec laquelle
il se rendait à Tebelen pour y voir sa mère mourante.
(La suite à demain.) Eugène SUE,
Le Voyagé classique pour l'étude de la Géologie et de ses applications in-
dustrielles, que fait tous les ans M. Nérée Boubée, est fixé au 4 avril pro-
chain il sera terminé en trois semaines. On sait que ce voyage offrant un
cours de géologie-fait sur le terrain, est le moyen d'étude le plus rapide et
le plus fructueux il met à même de reconnaitre avec certitude tous les
terrains, Jours roches, minéraux, fossiles, gîtes exploitables, etc. Il est sur-
tout précieux pour les personnes qui doivent entreprendre des voyages loin-
tains ou des exploitations industrielles. Prix d'admission 100 fr. Les
frais de voyage ne dépasseront pas 500 fr. II n'est admis que 13 voyageurs.,
On souscrit rue Guénégaud, 17..
Le monde aristocratique vient de s'émouvoir encore une fois, c'est-à4
dire que le comte Horace de Vielcastel, "l'un de ses membres le plus con-
nu j>ar son esprit mordant et observateur, vient de publier ù la librairie de
Charles Gosselin une suite à ses trois premiers romans- sur le faubnurg-
Saint-Gerniain celle fois, le comte de Vicilcnsiel s'attaque au faubourg
St-Honoré, cest à celle société brillante et composée d'élémens si divers qu'il
a demandé le sujet de Cécile de Yarcil, pointure vraie, sévère quelquefois et
toujours écrite de ce si) le incisif c> si bien «pproprié à la satyre et à la cri-
tique, que M de Viel-Castel a prouvé qu'il possédait dans ses précédens
roman1. Cécile de Vareil est un de ces livres qui font du bruit qui ont
un retentissement chns la société qu'ils traversent; nous reviendrons sur ce
livre, qu'ullrnilunt tant de curiosité et de petites haines, mais aussi le succès.
Une série de romans du même auteur est annoncée sous le titre de La
noblesse de province. l.e succès de ces précédens ouvrages est d'un heu-
reux augure pour ceux-ci.
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