Titre : Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche
Éditeur : Le Figaro (Paris)
Date d'édition : 1882-11-11
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 11 novembre 1882 11 novembre 1882
Description : 1882/11/11 (Numéro 45). 1882/11/11 (Numéro 45).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-246
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
LE FIGARO SAMEDI 11 NOVEMBRE 1882
que le Rot s'amuse se compose de seize <
cent trente-doux vers, et que les cinq
actes ont été faits en seize jours.
Le manuscrit du Roi s'amuse se ter-
mine par un dessin à la plume de Victor
Hugo, représentant un bouffon assis par
terre, les jambes croisé-es, avec cette lé-
gende au-dessous
LE DERNIER BOUFFON
SONGEANT ̃ .<
A.U DERNIER ROI
Quant au manuscrit du théâtre, dont
je suis obligé de ne pas m'occuper faute
de place, Victor Hugo l'emporta sous son
bras, le soir de la première représenta-
tion, pour y modifier sur les instances
de M. Jouslin de Lasalle les passages
qui avaient soulevé le plus de murmures.
LA MISE EN 'SCÈNE'
La direction de la Comédie-Française,
nous l'avons dit, ne fit pas précisément
des folies pour monter le Roi s'amuse.
Bien qu'elle eût alors à sa disposition
comme décorateurs Cicéri et ses deux
meilleursélèves-.Séchan et Diéterle, bien
qu'elle fût au mieux avec les dessinateurs
ordinaires.de Victor Hugo, les peintres
Giraud, Boulanger et Deveria, on ne
s'adressa aux uns aux autres que pour la
forme et on alla chercher dans la réserve
des magasins de vieux décors et de vieux
costumes qu'on remit à neuf tant bien
que mal et qu'on servit tranquillement
au public.
Paur représenter les « salles magni-
fiques » du Louvre où se passe la fête de
nuit du premier acte, on groupa dans un
seul décor des fragments de la chambre
gothique de rOlhello d'Alfred de Vigny;
joué deux ans auparavant, des fragments
.du Henri III d'Alexandre Dumas et des
fragments de Charles IX, de Joseph
Chénier.
Un drame tombé l'année précé-
dente, Do-minîque le possédé, de MM.
d'Epagny et Dupin, fournit les princi-
paux éléments du décor du deuxième
acte.
h'Olhello d'Alfred de Vigny fut une se-
conde fois mis à contribution pour ledé-
cor du troisième, et la chambre de Des-
demona devint l'antichambre du roi au
Louvre.
Pour les quatrième et cinquième actes,
on prit une place publique quelconque
du répertoire; on planta à droite une
maison tombant en ruines, à gauche un
châssis bas formant parapet Cicéri bros-
sa à la hâte sur une toile de fond quel-
ques tours, quelques dômes, quelques
clochers, et le tout fut censé représen-
ter une berge déserte avec le vieux Pa-
ris dans le lointain.
La réparation et la mise au point de
ces quatre décors coûtèrent à la Comé-
die-Française quatre mille deux cents
rrancs..
Quant aux costumes dessinés par De-
veria, mais taillés également pour la
plupart dans les défroques des sei-
gneurs de Henri III, de Charles IX,
d'Othello, de Louis XI et môme d'Her-
nani, voici exactement leur prix de re-
yient, copiés sur les registres de la
Comédie-Française
François 1" (costume du 1" acte1 526.50
(costume du 2' acte). 92 50
(costume du 3° acte). 216 <
Saint-Vallier. 98 D
Saltabadil 119 80
Clément Marot. 136 o
De Cossé. 164 f
Six seigneurs, artistes, à 222 pléce 1.336 50
Un page. 117 15
4 hommes du peuple 31 70
Dame Bérarde" 117 50
Soit un total de. Fr. 2.955.65
Les costumes de la figuration parais-
sent ne rien avoir coûté du tout. Ils ont
t46 pris tout entiers dans les magasins
it 110 sont mentionnés que pour mémoire
au bas de la liste.
7 Seigneurs {Hernani) î
3 Valets {Hernani) Pour les trois
5 Gardes ) premiers actes
4 Dames de la cour
3 Artistes, accessoires ( pour
4 Hommes, du peuple j e. acte
2 Femmes du peuple l le & acte
Une note écrite en marge indique
qu'au premier acte il y avait trente-six
personnages en scène.
Deux costumes, celui de Blanche et
celui de Triboufel, ne sont pas compris
Jans cette nomenclature, et on ne trouve,
m|jne plus tard, aucune trace de leur
payement par la Comédie-Française,
d'où il est permis de supposer que Mlle
Anaïs et', M. Ligier les fournirent eux-
mêmes.
L'ensemble des dépenses faites par le
théâtre, comme .décors et comme cos-
tumes, pour monter le Roi s'amuse,
semble donc ne pas avoir atteint sept
mille deux cents francs.
Les avis sont partagés sur le costume
exact que portait Triboulet. Les souve-
nirs des rares survivants de la soirée du
22 novembre 1832, ne sont pas d'accord
avec le dessin de Tony Johannot, fait
au lendemain de la première représen-
tation et publié en tête de la première
édition du drame, et ce dessin est lui-
même en contradiction avec les notes
conservées dans les archives de la Co-
médie-Françaisè.
L'annonce-prospectus de la première
édition du drame de Victor Hugo, dit tex-
tuellement ceci
i
Le Roi s'amuse, drame. -1- Paris, Eugène
Renduel, imprimerie d'Everat, in-8'.
Vignette frontispice gravée sur bois par
Andrew, L.-B., d'après Tony Johannot et tirée
sur chine: Triboulet reconnaissant sa fille
facto V, scène IV). Triboulet est dessiné dans
le costume de la représentation, justaucorps
de velours noir à manches larges, une ma-
rotte pendue au côté, le corps de Blanche est
étendu transversalement à demi tiré hors du
sac, la tète renversée, la bouche béante, la
poitrine découverte à gauche, la maison de
Saltabadil; au fond, la grève de la Seine et la
porte des Tournelles, illuminées par l'éclair.
24 fr. demi-reliure maroquin rouge. Amand.
D'après Tony Johannot, le costume de
Ligier représentant Triboulet consistait
donc uniquement en un justaucorps de
velours noir et une marotte.Tony Johan-
not assistait à la première représenta-
tion du Roi s'amuse; il était lié à la fois
avec Victor Hugo et avec Ligier, trois
raisons qui devraient ne laisser aucun
doute sur la sincérité de son crayon. Eh
bien, il existé dans les cartons de la
Comédie-Française un petit dessin tout
différent, dessin en couleurs, envoyé à
l'époque à M. Jouslin de Lasalle par Vic-
tor Hugo, comme spécimen du cos-
tume et de la physionomie générale de
Triboulet.
Ce dessin, qui est la reproduction
exacte d'un tableau du Louvre, d'Anto-
nis Moor dit Antonio M^ro, peintre fla-
mand, représentant le dernier bouffon
de Charles-Quint un nain avt>r< un lé-
vrier • hahiMfl snr» nftrsnnnao'A d'un
costume mi-partie jaune et vert-avec
m manteau à largos raie3 jaunes et
vertes.
AVANT LA BATAILLE
Une vraio journée d'automne que
cette journée du 22 novembre 1832. Le
temps, couvert le matin, tourna à la
pluie le soir, et c'est sous une averse
torrentielle que s'opéra la sortie de tous-
les théâtres.
J'ai eu la curiosité de rechercher le
bulletin de la température que l'ancien
journal le Temps est seul à donner
Jeudi 22 novembre 2' jour de la lune
Deg. contigr. Ciel
G h. matin. 5. 1- 0/ Nuageux
9 h. matin. 5. 08 + 0/ Couvert
Midi 11. [-0/ Nuageux
3 h. soir i. 11. 08 + 0/ Nuageux
Il faut dire que la grande majorité de
la population parisienne était à peu près
indifférente à la solennité littéraire qui
se piéparait à la Comédie-Française. En
l'an de grâce 1832, l'aristocratie et la
bourgoisio se souciaient fort peu de litté-
rature, et la grande querelle entre les
classiques et les romantiques n'intéres-
sait guère personne en dehors de l'Aca-
démie, des gens de lettres, des artistes
et de la jeunesse des écoles. Le tout for-
mait, d'ailleurs, un public assez nom-
breux, et qui paraissait plus nombreux-
encore par le bruit qu'il faisait.'
Le camp des romantiques ;se divisait
en bousingots et en Jeune-France,
Après la révolution de juillet, on
donna le nom de bousingots aux répu-
blicains qui avaient adopté le gilet à la
MaTat, les cheveux à la Robespierre et
le chapeau en cuir bouilli des marins,
appelé bousingot.
Dans ses excentricités du langage, M.
Lorédan-Larchey dit que le mot Bousin-
got, signifie mot à mot faiseur de bou-
sin. Il est vrai, ajoute M. Charles Asse-
lineau, l'auteur de la Bibliographie ro-
mantique, il est vrai que les Bousingots
aimaient fort le tapage; mais qui donc
ne l'aimait pas à cette époque? Sans
doute, les Bousingots avaient combattu
à Hernani et cassé leur part de ban-
quettes, mais voilà tout. Les Bousingots
seuls -étaient aux barricades de 1832.
Là était la différence entre eux et
les Jeune-France. C'étaient les deux
branches d'un même arbre. L'une et
l'autre appartenaient au tronc roman-
tique. Bousingots et Jeune-France en-
veloppaient dans une haine commune,
l'académie, les classiques, le poncif, les
hommes chauves et les bourgeois, et
professaient le même culte pour le
moyen-âge, la couleur, le bruit ut la bi-
zarrerie. Seulement, tandis, que les
Jeune-France, s'inspirant des tristesses
byronniennes, cachaient leur santé et
leur belle humeur sous des dehors élé-
giaques et maladifs, tandis qu'ils se
contentaient des libertés de l'enjambe-
ment, et qu'ils ne rêvaient de révolutions
que celles de l'art, les Bousingots mani-
festaient des sentiments.politiques d'une
extrême violence, du moins dans la
forme.
Depuis huit jours, les Bousingots et
les Jeune-France étaient en ébullition.
Les réunions se succédaient dans l'ate-
lier de Jehan Duseigneur rue Madame,
tout près du Luxembourg et dans l'ate-
lier d'Achille Deveria, enfoui au milieu
des jardins de la rue Notre-Dame-des-
Champs. Les amis amenaient des amis,
on se comptait.
Le matin de la représentation, un pro-
céda à la distribution des billets dont
disposait l'auteur et qui représentaient
à peu près tout le parterre toute la troi-
sième galerie et tout l'amphithéâtre.
Théophile Gautier et Célestin Nanteuil
faisaient de leur côté une distribution
analogue.
Le rendez-vous général était entre
quatre heures et quatre heures et demie,
dans lagalerienoire de l'entrée des artis-
tes. Gautieret Nanteuilamenèrent chacun
une cinquantaine d'amis ou de partisans;
Achille Deveria et Jehan Duseigneur en
amenèrent à peu près autant Pétrus
Borel, le lycanthrope, arriva le dernier
suivi d'une longue colonne d'étudiants
en bérets et de rapins à barbes pointues.
Tous entrèrent à quatre heures un
quart dans le théâtre, et s'installèrent
auxplacesquileur avaient été désignées.
Comme à Hernani, aucun d'eux n'avait
dîné, et conïm'e à Hernani ils dînèrent
dans la salle d'un morceau de pain as-
saisonné de saucisson ou de fromage.
C'est à peine si on se voyait d'un banc
à l'autre. Le lustre était descendu et non
allumé. On avait accroché aux branches
cieux quinquets fumeux qui laissaient la
salle dans une obscurité presque com-
plète. Du parterre, on ne distinguait pas
le rideau.
Pour se distraire, étudiants et rapins
se mirent à chanter des rondes d'ate-
lier. Le parterre chantait les couplets
et ranlphithéàtre\reprenait en chœur le
refrain.
A six heures, on vint allumer le lustre
ce fut comme unJ'signal tous les jeunes
gens du'paxîewe enjambèrent la sépara-
tion de l'orchestre et allèrent allumer
leurs cigares ou leurs pipes aux becs
enflammés. En une minute un nuage
d'une fumée acre enveloppa la salle. Il
fallut ouvrir les vasistas pour renouveler
l'air tout imprégné d'odeurs de tabac et
d'ail.
Précisément le public payant commen-
çait à arriver. Quelques toilettes se mon-
traient au balcon et dans les loges. L'en-
trée de ces spectateurs bien mis fut sa-
luée par un redoublement de cris et de
chants. La Marseillaise et la Carmagnole
succédèrent aux rondes d'atelier. Entre
temps et pour varier, on se mit à applau-
dir les jolies femmes et à siffler les
femmes'laides.
Une sorte de mot d'ordre voulait qu'on
s'en prît à tous les gens chauves au fur
et à mesure qu'ils s'installaient à leur
place. Pour les bousingots, tout homme
chauve était de l'Académie, ou en serait
un jour. L'entrée aux stalles d'orchestre
d'Alexandre Duval, grave et raide, pro-
voqua une exclamation fort drôle, mais
inconvenante du sculpteur Préault. Le
parterre et l'amphithéâtre éclatèrent de
rire, mais il y eut pendant quelques mi-
nutes, dans les loges, un va et vient si-
gnificatif d'éventails.
Du haut en bas, les mêmes interpella-
tions se croisaient. Le cri dominant était:
« Ohé l'Institut, ohé 1 » Lorsque le duc de
Dino-Talleyrand parut sur le devant de sa
loge, en habit serré à la taille, correcte-
ment cravaté de blanc et coiffé à l'oiseau
royal, il y eut dans tout le parterre une
hilarité prolongée. Le duc ne baissa
même pas la, tête pour regarder ceux qui
l'accueillaient ainsi, mais l'hilarité du
parterre, gagnant peu à peu les galeries
supérieures, il eut le bon esprit de se re-
tirer dans le fond de la loge, et on ne
l'aperçut plus de la soirée.
Les étudiants avaient d'ai!!«nrs f.rnnvé
un autre motif de gaieté. Dabadie, le i
créateur de Guillaume Tell à TOpéra et
sa femme, Mme Dabadie, qui jouait lo
petit Gemmy, venaient de s'asseoir aux
stalles de balcon, on les reconnut et on
improvisa immédiatement cette chan-
son
Voici monsieur Ouillaum' Tell
Avoc madame Guilla un' Toit.
Des chanteurs cornm' lui-z-et elle
N'sont pas à, r'muer à la pelle.
Un peu avant sept heures, le vacarme
était au comble, dans la salle! La Mar-
seillaise, la Carmagnole, les Rondes
d'atelier et Madame Guillaum' Tell
s'étaient fondues dans un immense pot
pourri, où le ça ira revenait comme re-
frain* à intervalles réguliers.
A sept heures précises on frappa les
trois coups et le rideau se leva sur une
salle fortement surexcitée. Oh sait qu'il
y a beaucoup de personnes en scène au
début du premier acte. La vue subite de
ce public enfiévré, houleux, produisit
une telle impression sur les artistes
qu'ils reculèrent tous d'un pas, involon-,
tairement.
LA SjÊlXJIiE
Voici, patiemment reconstituée d'après
les journaux de l'époque et d'après les
souvenirs de l'auteur et des quelques
rares survivants de celte représenta-
tion, M.M., Jules Lacroix, Paul Lacroix,
Auguste Maquet, le vicomte Delaborde,
Henri Piot, Jean Gigoux. Abet Desjar-
dins, Mme-Borcher, Geffroy, Regnier,
etc., la composition pour ainsi dire
complète de la salle de la Comédie-Fran-
çaise, le soir du jeudi 22 novembre 1832.
Quelque soit le soin que j'aie apporté à
ce travail, il est possible qu'il contienne
ça et là quelques erreurs et quelques
omissions. Je m'en excuse à l'avance.
Les meilleures mémoires peuvent se
tromper quand il s'agit de remonter à
cinquante années en arrière.
La Loge J&oyale
La -loge du chef de l'Etat n'était pas
comme aujourd'hui l'avant-scène du
premier rang, à gauche. Elle était située
au milieu du balcon, faisant face à la
scène, et se composait de trois loges
réunies en une seule et terminées par un
salon, lequel était pris sur le couloir et
allait jusqu'à la galerie du foyer, barrant
ainsi la circulation et obligeant les spec-
tateurs à passer par le foyer pour faire
le tour du premier étage. Cette loge était
l'ancienne loge du duc d'Orléans, sous
Charles X, et il l'avait consefvée une
fois monté sur le trône. On y entrait par
deux portes encadrées de tapisseries
rouges et donnant, l'une, sur le couloir
de droite, l'autre, sur le couloir de gau-
che.
Louis-Philippe-qui, dans les premiers
temps de son règne, allait assez souvent
au Théâtre-Français, avait complètement
cessé d'y aller depuis la première repré-
sentation de Louis onze, où le public
avait transformé en allusions contre
sa personne, certains vers du drame de
Casimir Delavigne. Le roi n'était donc
pas, ce soir là, au théâtre, la reine non
plus, ni Mme Adélaïde, ni le duc d'Or-
léans, ni le duc de Nemours, tous deux
en ce moment, à la tête de la division de
l'armée française qui opérait devant
Anvers. Quant aux trois autres fils du
roi, il suffit de rappeler leur âge pour se
convaincre qu'ils n'y étaient pas davan-
tage. Le prince de Joinville avait qua-
torze ans le duc d'Aumale dix ans, et
le duc de Montpensier huit ans. M. Cu-
villier Fleury, alors précepteur du jeune
duc d'Aumale, se souvient d'ailleurs
parfaitement qu'aucun prince et aucune
princesse de la famille royale, n'assis-
taient à la représentation, à laquelle il
s'abstint également de paraître lui-
même.
Cependant la loge était occupée. Sur
l'ordre du roi, elle paraît avoir été offerte
à Mustapha-Sidi-Omar qui venait d'étre
nommé au Beylic de Titteri et qui était
arrivé la veille à Paris. Mustapha-Sidi-
Omar était accompagné du général baron
Athalin, aide de camp du roi et ami in-
time du baron Taylor.
Aux Staïïos «l'orchestre
Public d'hommes de lettres, d'artistes
et même d'académiciens
MM. Emile Deschamps, Jules de Res-
séguier, Gustave Planche, les peintres
Louis Boulanger, Eugène Delacroix, Gi-
céri, Robert Fleury, Ziégler; Etex, le
scupteur Ingres; Duviquet, critique du
Journal des Débats, Victor Pavie, l'orien-
taliste, Garnier Pages, déjà grand ama-
teur de solennités théâtrales, l'architecte
Chenavard, le tragédien Lafon, Théo-
phile Gautier, en costume Robespierre
avec un gilet rose à larges revers, Ce-
lestin Nanteuil, en « Jeune France »,
chapeau ciré et gilet blanc, Méry, Al-
phonse Brot, Napoléon Thomas, Tolbec-
que, Philadelphe O'Neddy, Charles Brif-
faut, Hoffmann, rédacteur a.\ixDébats, Gé-
rard de Nerval, que ses amis appelaient
ironiquement l'amant platonique de
Jenny Colon; le philosophe Ballanche et
sa loupe qui le défigurait affreusement,
Eugène, Scribe et son collaborateur
Bavard, Félix Arvers, l'auteur du fameux
sopnet et l'aùtèùr également d'un drame
en vers sur la Mort de. François I" qui
n'est "pas sans analogie avec le Roi
s'amuse j Ernesf- Fouinet, un jeune ro-
mancier, dont le premier livre la Stroga,
venait d'obtenir un très grand succès.
Sainte-Beuve et son ami Ferdinand
Denis, aujourd'hui conservateur-admi-
nistrateur de la bibliothèque Sainte-
Geneviève Kératry, député; Rolle, l'un
des critiques littéraires du National;
Saint Prosper, le moraliste, rédacteur de
la Muse française, le futur auteur des
charmantes Aventures d'un promeneur
Pons, mort il y a une douzaine d'années,
laissant trois volumes de prose et de
vers; l'architecte Jules Vabre, dont le
nom a survécu grâce à une pièce de
vers de Petrus Borel, commençant par
De bonne foi, Jules Vabre
et surtout, grâce à l'annonce d'un livre
fantaisiste qui n'a jamais paru Essai
sur l'incommodité des commodes
Edouard d'Anglemont, Harel, alors di-
recteur de la Porte-Saint-Martin Le-
fèvre-Deumier, l'auteur du Parricide et
des Cloches de Saint-Marc, qui venait de
faire six mois de prison en Autriche
pour avoir pris part à l'insurrection po-
lonaise, alors romantique en littérature
et révolutionnaire en politique, mort bi-
bliothécaire des Tuileries sous Napo-
léonIII Zimmerman, Henriquel Dupont,
Antony Deschamps, Lesourd.
Auguste Maquet, Roger de Beauvoir,
Eugène Sue 1 Decamps Léonor Ha-
vin Thomas Sauvage, l'ex-directeur
de l'Odéon et le futur librettiste do la
plupart-des opéras-comiques d'Adolphe
Adam • IMHy RnaJ. rlf>nntr*- Orfiinn R:ii--
rot, que Victor Hugo devait prendra pour
avocat le lendemain, après l'interdiction
de sa, pièce par le ministère; Frédéric
Soulié; Emile de la Bedollière; Armand
Carre!; Alfred et Tony Johannot; Alexan-
dre Duvai de l'Académiefrançaise, qu'une
lettre récente adressée par lui à Victor
Hugo, et dans laquelle il l'accusait « de
perdre l'art dramatique par ses doctrines
perverses » avait rendu impopulaire
parmi la jeunesse; Achille Roche; Amé-
dée Pommier; Hippolyte Lucas; Ferdi-
nand Langlé Piccini; Lemot; Alfred de
Wailly de Bourqueney Alfred. de
Musset, déjà un peu en froid avec Hugo,
contre qui il venait précisément de faire
tout un1 album de caricatures; Vitet;
Mézières les peintres Picot, Flandrin,
Gilbert.
M.-Camille Doucef, aujourd'hui secré-
taire perpétuel de l'Académie française,
avait un billet d'orchestre. Appelé, à
l'improviste, en province, par sa fa-
mille, et ne pouvajit assister à la pre-
mière représentation du Roi s'apiuse, il
était tout heureux d'avoir réussi à faire
reporter son billet pour la seconde. qui
n'eut pis lieu.
Alexandre Dumas père, brouillé à cette
époque avec Hugo, raconte lui-môme
dans ses Mémoires qu'il n'a pas assisté à
la première représentation du Roi s'a-
muse.
Aux Stalles «ïe ISaBcon.
Eugène Renduel, le libraire des fo-
mantiques et l'éditeur de toutes les
œuvres de Victor Hugo; Alfred de
Vigny, Honoré de Balzac, Villemain,
Baour Lormian, de Mortemart, l'an-
cien propriétaire de Victor Hugo, lorsque
le poète habitait la rue. Jean Goujon,
le libraire Ladvocat, Gustave Drouineau,
l'auteur du Manuscrit vert, mort quel-
ques années plus tard dans une mai-
son d'aliénés, A. Fontaney, poète, jour-
naliste et diplomate tout à la fois,
auteur d'un volume de poésies et
d'un livre remarquable sur les scènes de
la vie castillane qu'il fit pendant qu'il
était attaché à l'ambassade de Madrid,
rédacteur à la Revue des Deux-Mondes et
h la Revue de Paris, l'ennemi juré des
femmes de lettres qu'il poursuivait de
ses sarcasmes dans tous ses articles le
poète Ulric Guttinguer, Xavier Raymond,
rédacteur aux Débats, HippolyteFortoul,
qui devint plus tard ministre de l'instruc-
tion publique; Gavarni, Louis Laya; Cam-
penon les académiciens Pierre Lebrun,
Etienne, de Pongerville, Victor Cousin,
Casimir Delavigne, Alexandre Soumet,
Népomucène Lemercier, Mme Desbor-
des Valmore; Lesguillon, le poète
Mme Amable Tastu; Vinot, rédacteur
en chef du Corsaire et inventeur d'un
nouveau système de poêles sans fumée
Dabadie, le baryton de l'Opéra et sa
femme Mme Dabadie; Ant. Jay, nou-
vellement élu membre de l'Académie
française le dessinateur Grandville
Andrieux,ParcevalGrandmaison; Vien-
net Etienne Jouy; Hector Berlioz; Cor-
dellier-Delanoue, romancier et auteur
dramatiques, Mme Porcher, Staub, le
tailleur à la mode.
Aux Premières Loges
La duchesse d'Abrantès, dont le salon
de la rue Rochechouart était le rendez-
vous des adversaires du romantisme en
général, et de Victor Hugo en particu-
lier. La duchesse était accompagnée de
Mme Ancelot et de M. Bouilly, l'auteur
de l'Abbé de l'Epèe et de Fanchon la
Vielleuse.
La belle marquise de la Carte et son
père, M.Bosio, qui avait amené avec lui
Jules Janin.
M. et Mme Panckoucke, les plus forts
actionnaires du Constitutionnel, qui
avaient alors le salon le plus littéraire
et le plus joyeux de Paris.
Emile de'Girardin et sa femme, Del-
phine Gay, qu'il avait épousée l'année
précédente.
Le baron Gérard, le peintre de YEn-
Me de Henri IV à Paris, de la Peste de
Marseille, et du Sacre de Charles X, qui
avait offert une place dans sa loge à la
princesse Belgiojoso, et une autre à
Rossini.
M. Michel, le riche agent de change et
sa famille.
Le comte d'Argout, ministre des tra-
vaux publics, et M. Mérimée, son ehef
de cabinet.
La duchesse de Dino et le ducde Dino-
Talleyrand son mari.
MM. Arnault père et fils.
Aux Avant-Scènes
L'avant-scône du- rez-de-chaussée à
droite était occupée par Mlle Mars et
par M. Monrose.
Celle du rez-de-chaussée à gauche,
par M. Alphonse Royer et par M. de
Rougemont, membre de la commission
des théâtres.
Aupremier étage, adroite, MmeAguado
et sa famille.
Au premier étage, à gauche Mme la
marquise de Loulé.
Au deuxième étage, à droite le baron
de Barante et le sculpteur Jouffroy.
Au deuxième étage, à gauche Paul
Delaroche et le vicomte Delaborde, au-
jourd'hui secrétaire perpétuel de l'Aca-
démie des Beaux-Arts.
Aux Dausièmes Loges
Charles Nodier, sa femme et sa fille
la très jolie et très spirituelle Mlle Marie
Nodier qui devait, l'année suivante, s'exi-
ler en province, par suite de son mariage
avec M. Môuessier. Dans le fond de la
loge se tenait M. de Cailloux, directeur du
Musée du Louvre, ami de la maison.
Les deux Bertin, des Débats, et Mlle
Louise Bertin, la grande admiratrice de
Hugo, excellente musicienne, pour la-
quelle le poète écrivit tout exprès l'opéra
de la Esmeralda, qu'il avait refusé à
Meyerbeer.
Nestor Roqueplan et Esther Guimont,
alors jeune et jolie, et connue dans le
monde de la galanterie sous le sobriquet
du « lion. »
Coste, rédacteur du Temps et sa fa-
mille.
M. Amédée Pichot, rédacteur de la
Revue de Paris et sa femme, la belle
Mme Pichot.
Le docteur Véron et son ami Loèwe-
Veimars, rédacteur aux Débats et à la
Revue des Deux-Mondes.
Sauvo, directeur du Moniteur, où il
faisait la critique des livres et des pièces
de théâtre. Ecrivain aimable et confrère
indulgent, it fut vingt-cinq ans journa-
liste et ne se fit pas un ennemi.
Mme Paradol et Mlle Mante, de la Co-
médie-Française M. Léon Halévy.
Les deux Deveria (Achille et Eugène)
accompagnés de leur sœur, .la belle
Mlle Deveria.
Mme Dorval, et son mari, M. Merle,
rédacteur de la Quotidienne.
̃ Buloz, directeur de la Revue des Deux-
.-Mnns/e. oh Ifpnri de Lntnnehfi. mii avait
eu l'année précédente une chute com-
plète au Théâtre-Français avec sa comé-
die la. Reine d'Espagne, et qui venuit de
quitter la direction du Figaro a la suite
d'une violente polémique avec Gustave
Planche.
Mlle Fitz-Jamcs, de l'Opéra.
M. Gisquet, préfet de police.
Ghaix-d'Est-Ange, l'avocat de la Co-
médie-Française.
Duponchel, Auber et Mlle Tagliôni.
Presque toutes ces logos, colles des
amis, du moins, avaient été louées par
Victor Hugo pour le compte des occu-
pants. Les théâtres ne faisaient pas alors
aux journaux l'énorme service de places
qu'ils font aujourd'hui pour les premiè-
res représentations. Ainsi r M. Bertin,
directeur du Journal dés Débats, n'avait
qu'une stalle d'orchestre. Il la donnait
au critique du- journal M,, Duviquet, et
prenait en location une loge pour lui et
sa famille.
Les directeurs n'envoyaient pas non
plus, le soir, aux journaux, leur pro-
gramme du lendemain. Il fallait que ceux-
ci se donnassent la peine d'en faire pren-
dre copie chez le concierge du théâtre,
qui pouvait' le leur communiquer ou le
leur refuser à son gré.
̃̃'̃ An Parterre ̃̃̃ .•
Pétrus Borel, en « bousingot », cos-
tume insultant d'originalité gilet à la
Marat, chapeau pointu avec longs ru-
bans, descendant au milieu du dos.
Charles Lassailly, l'auteur des Roueries
de Trîalph, en tenue non moins extraor-
dinaire, gilet vert tendre, casquette
rouge à chaînette et une énorme fleur à
la boutonnière, l'acteur Ricourt, Préault,
le sculpteur; Henri Monnier: le peintre
Jean Gigoux; le poète Auguste de Cha-
tillon, Joseph Bouchardy, le futur au-
teur de tant de drames célèbres les
décorateurs Sechan et Diéterle Louis
Fontan, surnommé le Rustique, l'au-
teur de Jeanne la. folle, célèbre par un
pamphlet contre Charles X, qui lui
avait valu d'être envoyé au, bagne. Il
vivait seul avec un chat, dont il ne se
séparait même pas quand il sortait. Il le
prenait sous son bras et l'emmenait par-
tout avec lui; Vivier; le dessinateur Char-
let Jules Lacroix, un des plus ardents
parmi les admirateurs do Victor Hugo.
Hippolyte Cogniard, déjà vaudevilliste
et plus tard directeur de théâtre Emile
Cabanon, qui se disposait à faire paraître
son fameux Roman pour les cuisinières
Jehan Duseigneur, avec un gilet à laRo-
bespierre, un chapeau ciré à larges bords,
et de longs cheveux retombant jusque
sur le collet de son habit Poterlet, le
peintre Henri Piot, devenu le savant
collectionneur que l'on sait, et le fonda-
teur du cabinet de Y Amateur.
M. Piot venait d'avoir vingt ans. Il ne
connaissait ni Hugo ni personne de son
entourage, mais il avait une furieuse en-
vie de voir le Roi s'amuse. A tout hasard,
il se rendit aux abords du théâtre vers
cinq heures, espérant trouver à acheter
un parterre, mais tout était pris depuis
longtemps, et malgré cela une queue for-
midable de curieux attendait l'ouver-
ture des bureaux. Il était là depuis près
d'une heure, arpentant tristement le
trottoir de la rue de Richelieu, quand un
homme de haute taille qui semblait se
promener aussi en attendant quelqu'un
ou quelque chose, vint brusquement à
lui.
Est-ce que vous auriez envie d'aller
au théâtre, jeune homme'? lui deman-
da-t-il.
Oui, pourquoi? 1-
Aimez-vous Victor Hugo, au moins ?
Je l'admire.
Eh bien, venez avec moi. »
Le jeune Piot suivit son interlocuteur
qui n'était autre que Célestin Nan-
teuil par le couloir sombre des petites
places et pénétra dans la salle par l'en-
trée des artistes.
Casez-vous où vous pourrez, lui dit
Nanteuil en lui désignant le parterre.
Et le jeune Piot se casa.
Troisièmes Loges et TTroîsISme
Galerie
Evariste Dumoulin, le critique du
Constitutionnel et sa famille.
La rédaction du National..
Valentin de la Palouze, directeur du
Courrier français, Mme de la Palouze
et Chatelard, le critique dn journal.
Charles Maurice, directeur du Cour-
rier des spectacles,
Brizeux; Toussaint, le peintre; Ar-
mand de Pontmartin, Chilly etDelaistro,
artistes du théâtre de la Porte-Saint-Mar-
tin Napol; Regnier-Destourbet Eu-
sèbe de Salles; Théophile de Perrière;
Fauchery le graveur; Urbain Canel, le
libraire; Jean Journet, l'apôtre.
Charles Malo.L. Janet, l'éditeur; Théo-
dore Carlier, Jean Polonius Edouard
Turquety Alexandre Bida, Jules de
Saint-Félix, Aimé de Loy, Abel Desjar-
dins, aujourd'hui doyen de la Faculté des
lettres de Douai. #
M. Abel Desjardins avait alors vingt
ans. Il était étudiant en droit et de-
meurait rue Saint-IIyacintho-Saint-Mi-
chel, n° G. Passant devant le Théâtre-
Français avec quatre de ses camarades
la veille de la première représentation
du Roi s'amuse il s'arrêta et dit
Un drame de Victor Hugo je vou-
drais bien le voir.
Moi aussi, moi aussi, ripostèrent
successivement les quatre autres.
Oui, mais comment faire?
On tint conseil pendant quelques mi-
nutes, puis le jeune Desjardins s'écria
tout à coup
J'ai une idée. Si nous écrivions à
Hugo.
Il ne répondra pas.
Essayons toujours.
Sur cet encouragement, les cinq amis
entrèrent au café du théâtre, deman-
dèrent du papier, une plume et de l'en-
cre, et écrivirent séance tenante à l'au-
teur une lettrelui demandant cinq places
pour cinq jeunes étudiants1, ses admira-
teurs.
Lalettre faite, ils la signèrent tous et la
mirent à la poste. Qui fut surpris le len-
demain ? Ce fut M. Abel Desjardins,
qui trouva en sortant le matin, chez le
concierge de l'hôtel où il demeurait, une
lettre portant cette suscription
Monsieur Abel Desjardins,
étudiant en droit de 1' année,
rueSaint-Hyacinlhe-Saint-Michel, n' 6.
Il ouvrit rapidement la lettre et lut
ceci
De grand cœur, messieurs, les âmes jeunes
sont généreuses, Je e vous fais juges entre mes
ennemis et moi. Je me remets entre vos
mains.
Victor HuSO.
2" galerie Entrée par la petite porte à
côté de Mme Chevet, entre
Cinq entrées 4 et 5 heures.
M. Abel Deâjardins possède encore au-
innrd'hiri cette* oréciouse lettre.
A l'A.mp3iStïM*Str©
Les ateliers de Jehan Duseigneuret
d'Eugène Dcveria avaient fourni le per-
sonnel à peu près complet des specta-
teurs de la dernière galerie. Il y avait là,
plus encore qu'au parterre, des costumes
absolument extravagants. D'en bas, ori
n'apercevait qu'un méli-mélo de longs
cheveux, de longues barbes, de chapeaux
pointus, de casquettes rouges et de bé-
rets d'tin effet tout divertissant, appren-
tis peintres, apprentis médecins et ap-
prentis avocats, le plus âgé de tous n'a-
vait pas vingt ans.
Sur la Scène
J'ai dit plus haut qu'en 1832, il y avait"
en dehors des loges publiques de la salle,
deux rangs de loges particulières sur la
scène.
La loge du rez-clë-cha'ussée, à gauche,
était occupée par Mme Victor Hugo, MM.
Victor Foucher et Paul Foucher.
M. Paul Lacroix (bibliophile Jacob) et
Mme Paul Lacroix occupaient laloge au-
dessus. C'est Victor Hugo qui la leur
avait donnée.
Dans la loge du rez-de-chaussée, à
droite, se tenaient M. Jouslin deLasalle,,
directeur de la Comédie-Française et
MM. Laverpillière et Dupaty, membres
de la commission des théâtres.
La loge au-dessus était celle du baron
Taylor, qui avait avec lui un de ses amis,
M. de Rumigny, aide-de-camp du roi
Louis-Philippe.
Les musiciens de l'orchestre ayant été
supprimés ce soir-là, il n'y eut pas d'ou-
verture.
LA BEPRËSENTATIOM
Voici la reproduction de l'affiche du
Théâtre-Français, du jeudi 22 novem-
bre 1832, annonçant la première repré-
sentation du Roi s'amuse
"M"
TEÏÉA.TR.E-F'R.-A.isrÇ.âL.IS j
T~EAT~B-rRANGA.IS $
LES COMÉDIENS FRANÇAIS ORDINAIRES DU ROI #
DONNERONT
Aujourd'hui 22 novembre 1833
Première représentation
LE ROI S'AMUSE #
..̃ JOUÉ PAR!
MM. Perrior, Ligier, Joanny, Beauvallet,
Samson, Geoffroy Marius Albert
Monlaur, Arsène Dapawai, Bouchet,
Mirecour, Régnior, Faure, Dumilâtre.
M"19" Anaïs, Dupont, Moralès, Tousez,
Eulalie Dupuis, Martin.
Les Bureaux ouvrivont à 6 heures 1/1.
On commencera à 7 heures 5
V1NCHON Fils successeur de lu veuve BA.LI.AUD,
Imprimeur rue J.-J. Rousseau, 8.
On voit qu'à cette époque les affiches
de théâtre se bornaient à mentionner à
la file les nomsdesartistes qui jouaient
dans une pièce, sans indiquer le rôle
tenu par chacun d'eux. Il faut se repor-
ter au programme détaillé que publiait
chaque jour le Courrier des Spectacles
de Charles Maurice, ou aux registres de
la Comédie-Française pour avoir la dis-
tribution complète du drame.
Un seul journal, le Journal des Débats,
s'était occupé de la pièce avant la pre-
mière représentation. Il ne faut pas ou-
blier que Victor Hugo était alors très lié
avec la famille Bertin, chez laquelle il
allait passer un mois aux Rochas, tous
les étés.
La note préparatoire des Débats avait
paru le matin même du jeudi 22 novem-
bre, en troisième page, entre deux filets.
Elle disait textuellement:
C'est demain que la Comédie Françaiso
donne la première représentation du nouveau
drame de M. Victor Hugo: le Roi s'amusa.
Un grand intérêt se rattache à ce nouvel ef-
fort d'un esprit de premier ordre qui, jusqu'à
ce jour, a été en progrès. Les questions d'art
et de poésie franchement débattues, et débat-
tues de très haut, sont trop rares aujourd'hui
pour que le parterre du Théâtre- Français
n'accorde pas à la tragédie d'un poète hors
de ligne l'intérêt et l'attention qu'il a déjà ac-
cordés à Hernani et à Marion Delorme.
Le ton général de cette note montre
une certaine inquiétude. Il est facile da
voir que l'on redoutait lès mauvaises
dispositions d'une partie du public.
Tout le commencement du premier
acte fut cependant écouté avec assez da
calme.
Il y eut bien quelques exclamations à
ces deux vers de M. de la Tour Landry
au roi
.Te vois que vous aimez d'un amour épure
Quclquu auguste Toinon, maîtresse d'un curé.
Exclamations qui se reproduisirent urt
peu plus nombreuses dans la scène sui*
vante, quand. Triboulet dit à M. di
Gossé ̃
Monsieur, vous m'avez l'air tout enoharibotté
Au balcon, M. Jay poussa même à ce
moment un ont oh! qui fit retourner
toute ia salle, mais le parterre applaudit
avec frénésie, et Lassailly s'adressant
directement à l'interrupteur cria, en
se faisant un porte-voix de ses deux
mains
A Fa porte, l'Académie 1
La pièce continua. Les plaisanteries
des seigneurs sur Triboulet-Cupido fa--
rent trouvées un peu longues cepea<
dant on les écouta sans mot dire.
Les protestations recommencèrent ti-
mides, à la fin dëlajirade de Triboulet
sur les poètes
Cinq ou six! c'est toute une écurie I
C'est une académie, une ménagerie t
que les amis de l'auteur soulignèrent
au contraire d'un franc éclat de rire et
de chaleureux applaudissements.
Perrier, qui représentait François I*S.'
profita même du bruit pour retrancher
de son rôle deux mots qui lui semblaient
dangereux.
Au lieu de dire, en parlant des sa.
vants
ma foi de gentilhomme,
Je m'on soucie autant qu'un poisson d'une pomn*|^
Il s'arrêta sur le mot poisson, et passa
brusquement au vers suivant, ce doof
personne ne s'aperçut, d'ailleurs.
L'acte se termina au milieu d'applaudis-
sements frénétiques. L'admirable tirade
de M. de -Saint- Vallier, admirablemedt
dite par Joanny, produisit un effet im-
mense. A ce moment la soirée s'annoa-
çait comme un grand succès.
Malheureusement, les_spectateurs da
parterre et de l'amphithéâtre recommei^
Gèrent leurs plaisanteries pendant Tc-j^
tracte interpellant les locataires des la'
ses et du balcon, déjà mal disposés poyftt
que le Rot s'amuse se compose de seize <
cent trente-doux vers, et que les cinq
actes ont été faits en seize jours.
Le manuscrit du Roi s'amuse se ter-
mine par un dessin à la plume de Victor
Hugo, représentant un bouffon assis par
terre, les jambes croisé-es, avec cette lé-
gende au-dessous
LE DERNIER BOUFFON
SONGEANT ̃ .<
A.U DERNIER ROI
Quant au manuscrit du théâtre, dont
je suis obligé de ne pas m'occuper faute
de place, Victor Hugo l'emporta sous son
bras, le soir de la première représenta-
tion, pour y modifier sur les instances
de M. Jouslin de Lasalle les passages
qui avaient soulevé le plus de murmures.
LA MISE EN 'SCÈNE'
La direction de la Comédie-Française,
nous l'avons dit, ne fit pas précisément
des folies pour monter le Roi s'amuse.
Bien qu'elle eût alors à sa disposition
comme décorateurs Cicéri et ses deux
meilleursélèves-.Séchan et Diéterle, bien
qu'elle fût au mieux avec les dessinateurs
ordinaires.de Victor Hugo, les peintres
Giraud, Boulanger et Deveria, on ne
s'adressa aux uns aux autres que pour la
forme et on alla chercher dans la réserve
des magasins de vieux décors et de vieux
costumes qu'on remit à neuf tant bien
que mal et qu'on servit tranquillement
au public.
Paur représenter les « salles magni-
fiques » du Louvre où se passe la fête de
nuit du premier acte, on groupa dans un
seul décor des fragments de la chambre
gothique de rOlhello d'Alfred de Vigny;
joué deux ans auparavant, des fragments
.du Henri III d'Alexandre Dumas et des
fragments de Charles IX, de Joseph
Chénier.
Un drame tombé l'année précé-
dente, Do-minîque le possédé, de MM.
d'Epagny et Dupin, fournit les princi-
paux éléments du décor du deuxième
acte.
h'Olhello d'Alfred de Vigny fut une se-
conde fois mis à contribution pour ledé-
cor du troisième, et la chambre de Des-
demona devint l'antichambre du roi au
Louvre.
Pour les quatrième et cinquième actes,
on prit une place publique quelconque
du répertoire; on planta à droite une
maison tombant en ruines, à gauche un
châssis bas formant parapet Cicéri bros-
sa à la hâte sur une toile de fond quel-
ques tours, quelques dômes, quelques
clochers, et le tout fut censé représen-
ter une berge déserte avec le vieux Pa-
ris dans le lointain.
La réparation et la mise au point de
ces quatre décors coûtèrent à la Comé-
die-Française quatre mille deux cents
rrancs..
Quant aux costumes dessinés par De-
veria, mais taillés également pour la
plupart dans les défroques des sei-
gneurs de Henri III, de Charles IX,
d'Othello, de Louis XI et môme d'Her-
nani, voici exactement leur prix de re-
yient, copiés sur les registres de la
Comédie-Française
François 1" (costume du 1" acte1 526.50
(costume du 2' acte). 92 50
(costume du 3° acte). 216 <
Saint-Vallier. 98 D
Saltabadil 119 80
Clément Marot. 136 o
De Cossé. 164 f
Six seigneurs, artistes, à 222 pléce 1.336 50
Un page. 117 15
4 hommes du peuple 31 70
Dame Bérarde" 117 50
Soit un total de. Fr. 2.955.65
Les costumes de la figuration parais-
sent ne rien avoir coûté du tout. Ils ont
t46 pris tout entiers dans les magasins
it 110 sont mentionnés que pour mémoire
au bas de la liste.
7 Seigneurs {Hernani) î
3 Valets {Hernani) Pour les trois
5 Gardes ) premiers actes
4 Dames de la cour
3 Artistes, accessoires ( pour
4 Hommes, du peuple j e. acte
2 Femmes du peuple l le & acte
Une note écrite en marge indique
qu'au premier acte il y avait trente-six
personnages en scène.
Deux costumes, celui de Blanche et
celui de Triboufel, ne sont pas compris
Jans cette nomenclature, et on ne trouve,
m|jne plus tard, aucune trace de leur
payement par la Comédie-Française,
d'où il est permis de supposer que Mlle
Anaïs et', M. Ligier les fournirent eux-
mêmes.
L'ensemble des dépenses faites par le
théâtre, comme .décors et comme cos-
tumes, pour monter le Roi s'amuse,
semble donc ne pas avoir atteint sept
mille deux cents francs.
Les avis sont partagés sur le costume
exact que portait Triboulet. Les souve-
nirs des rares survivants de la soirée du
22 novembre 1832, ne sont pas d'accord
avec le dessin de Tony Johannot, fait
au lendemain de la première représen-
tation et publié en tête de la première
édition du drame, et ce dessin est lui-
même en contradiction avec les notes
conservées dans les archives de la Co-
médie-Françaisè.
L'annonce-prospectus de la première
édition du drame de Victor Hugo, dit tex-
tuellement ceci
i
Le Roi s'amuse, drame. -1- Paris, Eugène
Renduel, imprimerie d'Everat, in-8'.
Vignette frontispice gravée sur bois par
Andrew, L.-B., d'après Tony Johannot et tirée
sur chine: Triboulet reconnaissant sa fille
facto V, scène IV). Triboulet est dessiné dans
le costume de la représentation, justaucorps
de velours noir à manches larges, une ma-
rotte pendue au côté, le corps de Blanche est
étendu transversalement à demi tiré hors du
sac, la tète renversée, la bouche béante, la
poitrine découverte à gauche, la maison de
Saltabadil; au fond, la grève de la Seine et la
porte des Tournelles, illuminées par l'éclair.
24 fr. demi-reliure maroquin rouge. Amand.
D'après Tony Johannot, le costume de
Ligier représentant Triboulet consistait
donc uniquement en un justaucorps de
velours noir et une marotte.Tony Johan-
not assistait à la première représenta-
tion du Roi s'amuse; il était lié à la fois
avec Victor Hugo et avec Ligier, trois
raisons qui devraient ne laisser aucun
doute sur la sincérité de son crayon. Eh
bien, il existé dans les cartons de la
Comédie-Française un petit dessin tout
différent, dessin en couleurs, envoyé à
l'époque à M. Jouslin de Lasalle par Vic-
tor Hugo, comme spécimen du cos-
tume et de la physionomie générale de
Triboulet.
Ce dessin, qui est la reproduction
exacte d'un tableau du Louvre, d'Anto-
nis Moor dit Antonio M^ro, peintre fla-
mand, représentant le dernier bouffon
de Charles-Quint un nain avt>r< un lé-
vrier • hahiMfl snr» nftrsnnnao'A d'un
costume mi-partie jaune et vert-avec
m manteau à largos raie3 jaunes et
vertes.
AVANT LA BATAILLE
Une vraio journée d'automne que
cette journée du 22 novembre 1832. Le
temps, couvert le matin, tourna à la
pluie le soir, et c'est sous une averse
torrentielle que s'opéra la sortie de tous-
les théâtres.
J'ai eu la curiosité de rechercher le
bulletin de la température que l'ancien
journal le Temps est seul à donner
Jeudi 22 novembre 2' jour de la lune
Deg. contigr. Ciel
G h. matin. 5. 1- 0/ Nuageux
9 h. matin. 5. 08 + 0/ Couvert
Midi 11. [-0/ Nuageux
3 h. soir i. 11. 08 + 0/ Nuageux
Il faut dire que la grande majorité de
la population parisienne était à peu près
indifférente à la solennité littéraire qui
se piéparait à la Comédie-Française. En
l'an de grâce 1832, l'aristocratie et la
bourgoisio se souciaient fort peu de litté-
rature, et la grande querelle entre les
classiques et les romantiques n'intéres-
sait guère personne en dehors de l'Aca-
démie, des gens de lettres, des artistes
et de la jeunesse des écoles. Le tout for-
mait, d'ailleurs, un public assez nom-
breux, et qui paraissait plus nombreux-
encore par le bruit qu'il faisait.'
Le camp des romantiques ;se divisait
en bousingots et en Jeune-France,
Après la révolution de juillet, on
donna le nom de bousingots aux répu-
blicains qui avaient adopté le gilet à la
MaTat, les cheveux à la Robespierre et
le chapeau en cuir bouilli des marins,
appelé bousingot.
Dans ses excentricités du langage, M.
Lorédan-Larchey dit que le mot Bousin-
got, signifie mot à mot faiseur de bou-
sin. Il est vrai, ajoute M. Charles Asse-
lineau, l'auteur de la Bibliographie ro-
mantique, il est vrai que les Bousingots
aimaient fort le tapage; mais qui donc
ne l'aimait pas à cette époque? Sans
doute, les Bousingots avaient combattu
à Hernani et cassé leur part de ban-
quettes, mais voilà tout. Les Bousingots
seuls -étaient aux barricades de 1832.
Là était la différence entre eux et
les Jeune-France. C'étaient les deux
branches d'un même arbre. L'une et
l'autre appartenaient au tronc roman-
tique. Bousingots et Jeune-France en-
veloppaient dans une haine commune,
l'académie, les classiques, le poncif, les
hommes chauves et les bourgeois, et
professaient le même culte pour le
moyen-âge, la couleur, le bruit ut la bi-
zarrerie. Seulement, tandis, que les
Jeune-France, s'inspirant des tristesses
byronniennes, cachaient leur santé et
leur belle humeur sous des dehors élé-
giaques et maladifs, tandis qu'ils se
contentaient des libertés de l'enjambe-
ment, et qu'ils ne rêvaient de révolutions
que celles de l'art, les Bousingots mani-
festaient des sentiments.politiques d'une
extrême violence, du moins dans la
forme.
Depuis huit jours, les Bousingots et
les Jeune-France étaient en ébullition.
Les réunions se succédaient dans l'ate-
lier de Jehan Duseigneur rue Madame,
tout près du Luxembourg et dans l'ate-
lier d'Achille Deveria, enfoui au milieu
des jardins de la rue Notre-Dame-des-
Champs. Les amis amenaient des amis,
on se comptait.
Le matin de la représentation, un pro-
céda à la distribution des billets dont
disposait l'auteur et qui représentaient
à peu près tout le parterre toute la troi-
sième galerie et tout l'amphithéâtre.
Théophile Gautier et Célestin Nanteuil
faisaient de leur côté une distribution
analogue.
Le rendez-vous général était entre
quatre heures et quatre heures et demie,
dans lagalerienoire de l'entrée des artis-
tes. Gautieret Nanteuilamenèrent chacun
une cinquantaine d'amis ou de partisans;
Achille Deveria et Jehan Duseigneur en
amenèrent à peu près autant Pétrus
Borel, le lycanthrope, arriva le dernier
suivi d'une longue colonne d'étudiants
en bérets et de rapins à barbes pointues.
Tous entrèrent à quatre heures un
quart dans le théâtre, et s'installèrent
auxplacesquileur avaient été désignées.
Comme à Hernani, aucun d'eux n'avait
dîné, et conïm'e à Hernani ils dînèrent
dans la salle d'un morceau de pain as-
saisonné de saucisson ou de fromage.
C'est à peine si on se voyait d'un banc
à l'autre. Le lustre était descendu et non
allumé. On avait accroché aux branches
cieux quinquets fumeux qui laissaient la
salle dans une obscurité presque com-
plète. Du parterre, on ne distinguait pas
le rideau.
Pour se distraire, étudiants et rapins
se mirent à chanter des rondes d'ate-
lier. Le parterre chantait les couplets
et ranlphithéàtre\reprenait en chœur le
refrain.
A six heures, on vint allumer le lustre
ce fut comme unJ'signal tous les jeunes
gens du'paxîewe enjambèrent la sépara-
tion de l'orchestre et allèrent allumer
leurs cigares ou leurs pipes aux becs
enflammés. En une minute un nuage
d'une fumée acre enveloppa la salle. Il
fallut ouvrir les vasistas pour renouveler
l'air tout imprégné d'odeurs de tabac et
d'ail.
Précisément le public payant commen-
çait à arriver. Quelques toilettes se mon-
traient au balcon et dans les loges. L'en-
trée de ces spectateurs bien mis fut sa-
luée par un redoublement de cris et de
chants. La Marseillaise et la Carmagnole
succédèrent aux rondes d'atelier. Entre
temps et pour varier, on se mit à applau-
dir les jolies femmes et à siffler les
femmes'laides.
Une sorte de mot d'ordre voulait qu'on
s'en prît à tous les gens chauves au fur
et à mesure qu'ils s'installaient à leur
place. Pour les bousingots, tout homme
chauve était de l'Académie, ou en serait
un jour. L'entrée aux stalles d'orchestre
d'Alexandre Duval, grave et raide, pro-
voqua une exclamation fort drôle, mais
inconvenante du sculpteur Préault. Le
parterre et l'amphithéâtre éclatèrent de
rire, mais il y eut pendant quelques mi-
nutes, dans les loges, un va et vient si-
gnificatif d'éventails.
Du haut en bas, les mêmes interpella-
tions se croisaient. Le cri dominant était:
« Ohé l'Institut, ohé 1 » Lorsque le duc de
Dino-Talleyrand parut sur le devant de sa
loge, en habit serré à la taille, correcte-
ment cravaté de blanc et coiffé à l'oiseau
royal, il y eut dans tout le parterre une
hilarité prolongée. Le duc ne baissa
même pas la, tête pour regarder ceux qui
l'accueillaient ainsi, mais l'hilarité du
parterre, gagnant peu à peu les galeries
supérieures, il eut le bon esprit de se re-
tirer dans le fond de la loge, et on ne
l'aperçut plus de la soirée.
Les étudiants avaient d'ai!!«nrs f.rnnvé
un autre motif de gaieté. Dabadie, le i
créateur de Guillaume Tell à TOpéra et
sa femme, Mme Dabadie, qui jouait lo
petit Gemmy, venaient de s'asseoir aux
stalles de balcon, on les reconnut et on
improvisa immédiatement cette chan-
son
Voici monsieur Ouillaum' Tell
Avoc madame Guilla un' Toit.
Des chanteurs cornm' lui-z-et elle
N'sont pas à, r'muer à la pelle.
Un peu avant sept heures, le vacarme
était au comble, dans la salle! La Mar-
seillaise, la Carmagnole, les Rondes
d'atelier et Madame Guillaum' Tell
s'étaient fondues dans un immense pot
pourri, où le ça ira revenait comme re-
frain* à intervalles réguliers.
A sept heures précises on frappa les
trois coups et le rideau se leva sur une
salle fortement surexcitée. Oh sait qu'il
y a beaucoup de personnes en scène au
début du premier acte. La vue subite de
ce public enfiévré, houleux, produisit
une telle impression sur les artistes
qu'ils reculèrent tous d'un pas, involon-,
tairement.
LA SjÊlXJIiE
Voici, patiemment reconstituée d'après
les journaux de l'époque et d'après les
souvenirs de l'auteur et des quelques
rares survivants de celte représenta-
tion, M.M., Jules Lacroix, Paul Lacroix,
Auguste Maquet, le vicomte Delaborde,
Henri Piot, Jean Gigoux. Abet Desjar-
dins, Mme-Borcher, Geffroy, Regnier,
etc., la composition pour ainsi dire
complète de la salle de la Comédie-Fran-
çaise, le soir du jeudi 22 novembre 1832.
Quelque soit le soin que j'aie apporté à
ce travail, il est possible qu'il contienne
ça et là quelques erreurs et quelques
omissions. Je m'en excuse à l'avance.
Les meilleures mémoires peuvent se
tromper quand il s'agit de remonter à
cinquante années en arrière.
La Loge J&oyale
La -loge du chef de l'Etat n'était pas
comme aujourd'hui l'avant-scène du
premier rang, à gauche. Elle était située
au milieu du balcon, faisant face à la
scène, et se composait de trois loges
réunies en une seule et terminées par un
salon, lequel était pris sur le couloir et
allait jusqu'à la galerie du foyer, barrant
ainsi la circulation et obligeant les spec-
tateurs à passer par le foyer pour faire
le tour du premier étage. Cette loge était
l'ancienne loge du duc d'Orléans, sous
Charles X, et il l'avait consefvée une
fois monté sur le trône. On y entrait par
deux portes encadrées de tapisseries
rouges et donnant, l'une, sur le couloir
de droite, l'autre, sur le couloir de gau-
che.
Louis-Philippe-qui, dans les premiers
temps de son règne, allait assez souvent
au Théâtre-Français, avait complètement
cessé d'y aller depuis la première repré-
sentation de Louis onze, où le public
avait transformé en allusions contre
sa personne, certains vers du drame de
Casimir Delavigne. Le roi n'était donc
pas, ce soir là, au théâtre, la reine non
plus, ni Mme Adélaïde, ni le duc d'Or-
léans, ni le duc de Nemours, tous deux
en ce moment, à la tête de la division de
l'armée française qui opérait devant
Anvers. Quant aux trois autres fils du
roi, il suffit de rappeler leur âge pour se
convaincre qu'ils n'y étaient pas davan-
tage. Le prince de Joinville avait qua-
torze ans le duc d'Aumale dix ans, et
le duc de Montpensier huit ans. M. Cu-
villier Fleury, alors précepteur du jeune
duc d'Aumale, se souvient d'ailleurs
parfaitement qu'aucun prince et aucune
princesse de la famille royale, n'assis-
taient à la représentation, à laquelle il
s'abstint également de paraître lui-
même.
Cependant la loge était occupée. Sur
l'ordre du roi, elle paraît avoir été offerte
à Mustapha-Sidi-Omar qui venait d'étre
nommé au Beylic de Titteri et qui était
arrivé la veille à Paris. Mustapha-Sidi-
Omar était accompagné du général baron
Athalin, aide de camp du roi et ami in-
time du baron Taylor.
Aux Staïïos «l'orchestre
Public d'hommes de lettres, d'artistes
et même d'académiciens
MM. Emile Deschamps, Jules de Res-
séguier, Gustave Planche, les peintres
Louis Boulanger, Eugène Delacroix, Gi-
céri, Robert Fleury, Ziégler; Etex, le
scupteur Ingres; Duviquet, critique du
Journal des Débats, Victor Pavie, l'orien-
taliste, Garnier Pages, déjà grand ama-
teur de solennités théâtrales, l'architecte
Chenavard, le tragédien Lafon, Théo-
phile Gautier, en costume Robespierre
avec un gilet rose à larges revers, Ce-
lestin Nanteuil, en « Jeune France »,
chapeau ciré et gilet blanc, Méry, Al-
phonse Brot, Napoléon Thomas, Tolbec-
que, Philadelphe O'Neddy, Charles Brif-
faut, Hoffmann, rédacteur a.\ixDébats, Gé-
rard de Nerval, que ses amis appelaient
ironiquement l'amant platonique de
Jenny Colon; le philosophe Ballanche et
sa loupe qui le défigurait affreusement,
Eugène, Scribe et son collaborateur
Bavard, Félix Arvers, l'auteur du fameux
sopnet et l'aùtèùr également d'un drame
en vers sur la Mort de. François I" qui
n'est "pas sans analogie avec le Roi
s'amuse j Ernesf- Fouinet, un jeune ro-
mancier, dont le premier livre la Stroga,
venait d'obtenir un très grand succès.
Sainte-Beuve et son ami Ferdinand
Denis, aujourd'hui conservateur-admi-
nistrateur de la bibliothèque Sainte-
Geneviève Kératry, député; Rolle, l'un
des critiques littéraires du National;
Saint Prosper, le moraliste, rédacteur de
la Muse française, le futur auteur des
charmantes Aventures d'un promeneur
Pons, mort il y a une douzaine d'années,
laissant trois volumes de prose et de
vers; l'architecte Jules Vabre, dont le
nom a survécu grâce à une pièce de
vers de Petrus Borel, commençant par
De bonne foi, Jules Vabre
et surtout, grâce à l'annonce d'un livre
fantaisiste qui n'a jamais paru Essai
sur l'incommodité des commodes
Edouard d'Anglemont, Harel, alors di-
recteur de la Porte-Saint-Martin Le-
fèvre-Deumier, l'auteur du Parricide et
des Cloches de Saint-Marc, qui venait de
faire six mois de prison en Autriche
pour avoir pris part à l'insurrection po-
lonaise, alors romantique en littérature
et révolutionnaire en politique, mort bi-
bliothécaire des Tuileries sous Napo-
léonIII Zimmerman, Henriquel Dupont,
Antony Deschamps, Lesourd.
Auguste Maquet, Roger de Beauvoir,
Eugène Sue 1 Decamps Léonor Ha-
vin Thomas Sauvage, l'ex-directeur
de l'Odéon et le futur librettiste do la
plupart-des opéras-comiques d'Adolphe
Adam • IMHy RnaJ. rlf>nntr*- Orfiinn R:ii--
rot, que Victor Hugo devait prendra pour
avocat le lendemain, après l'interdiction
de sa, pièce par le ministère; Frédéric
Soulié; Emile de la Bedollière; Armand
Carre!; Alfred et Tony Johannot; Alexan-
dre Duvai de l'Académiefrançaise, qu'une
lettre récente adressée par lui à Victor
Hugo, et dans laquelle il l'accusait « de
perdre l'art dramatique par ses doctrines
perverses » avait rendu impopulaire
parmi la jeunesse; Achille Roche; Amé-
dée Pommier; Hippolyte Lucas; Ferdi-
nand Langlé Piccini; Lemot; Alfred de
Wailly de Bourqueney Alfred. de
Musset, déjà un peu en froid avec Hugo,
contre qui il venait précisément de faire
tout un1 album de caricatures; Vitet;
Mézières les peintres Picot, Flandrin,
Gilbert.
M.-Camille Doucef, aujourd'hui secré-
taire perpétuel de l'Académie française,
avait un billet d'orchestre. Appelé, à
l'improviste, en province, par sa fa-
mille, et ne pouvajit assister à la pre-
mière représentation du Roi s'apiuse, il
était tout heureux d'avoir réussi à faire
reporter son billet pour la seconde. qui
n'eut pis lieu.
Alexandre Dumas père, brouillé à cette
époque avec Hugo, raconte lui-môme
dans ses Mémoires qu'il n'a pas assisté à
la première représentation du Roi s'a-
muse.
Aux Stalles «ïe ISaBcon.
Eugène Renduel, le libraire des fo-
mantiques et l'éditeur de toutes les
œuvres de Victor Hugo; Alfred de
Vigny, Honoré de Balzac, Villemain,
Baour Lormian, de Mortemart, l'an-
cien propriétaire de Victor Hugo, lorsque
le poète habitait la rue. Jean Goujon,
le libraire Ladvocat, Gustave Drouineau,
l'auteur du Manuscrit vert, mort quel-
ques années plus tard dans une mai-
son d'aliénés, A. Fontaney, poète, jour-
naliste et diplomate tout à la fois,
auteur d'un volume de poésies et
d'un livre remarquable sur les scènes de
la vie castillane qu'il fit pendant qu'il
était attaché à l'ambassade de Madrid,
rédacteur à la Revue des Deux-Mondes et
h la Revue de Paris, l'ennemi juré des
femmes de lettres qu'il poursuivait de
ses sarcasmes dans tous ses articles le
poète Ulric Guttinguer, Xavier Raymond,
rédacteur aux Débats, HippolyteFortoul,
qui devint plus tard ministre de l'instruc-
tion publique; Gavarni, Louis Laya; Cam-
penon les académiciens Pierre Lebrun,
Etienne, de Pongerville, Victor Cousin,
Casimir Delavigne, Alexandre Soumet,
Népomucène Lemercier, Mme Desbor-
des Valmore; Lesguillon, le poète
Mme Amable Tastu; Vinot, rédacteur
en chef du Corsaire et inventeur d'un
nouveau système de poêles sans fumée
Dabadie, le baryton de l'Opéra et sa
femme Mme Dabadie; Ant. Jay, nou-
vellement élu membre de l'Académie
française le dessinateur Grandville
Andrieux,ParcevalGrandmaison; Vien-
net Etienne Jouy; Hector Berlioz; Cor-
dellier-Delanoue, romancier et auteur
dramatiques, Mme Porcher, Staub, le
tailleur à la mode.
Aux Premières Loges
La duchesse d'Abrantès, dont le salon
de la rue Rochechouart était le rendez-
vous des adversaires du romantisme en
général, et de Victor Hugo en particu-
lier. La duchesse était accompagnée de
Mme Ancelot et de M. Bouilly, l'auteur
de l'Abbé de l'Epèe et de Fanchon la
Vielleuse.
La belle marquise de la Carte et son
père, M.Bosio, qui avait amené avec lui
Jules Janin.
M. et Mme Panckoucke, les plus forts
actionnaires du Constitutionnel, qui
avaient alors le salon le plus littéraire
et le plus joyeux de Paris.
Emile de'Girardin et sa femme, Del-
phine Gay, qu'il avait épousée l'année
précédente.
Le baron Gérard, le peintre de YEn-
Me de Henri IV à Paris, de la Peste de
Marseille, et du Sacre de Charles X, qui
avait offert une place dans sa loge à la
princesse Belgiojoso, et une autre à
Rossini.
M. Michel, le riche agent de change et
sa famille.
Le comte d'Argout, ministre des tra-
vaux publics, et M. Mérimée, son ehef
de cabinet.
La duchesse de Dino et le ducde Dino-
Talleyrand son mari.
MM. Arnault père et fils.
Aux Avant-Scènes
L'avant-scône du- rez-de-chaussée à
droite était occupée par Mlle Mars et
par M. Monrose.
Celle du rez-de-chaussée à gauche,
par M. Alphonse Royer et par M. de
Rougemont, membre de la commission
des théâtres.
Aupremier étage, adroite, MmeAguado
et sa famille.
Au premier étage, à gauche Mme la
marquise de Loulé.
Au deuxième étage, à droite le baron
de Barante et le sculpteur Jouffroy.
Au deuxième étage, à gauche Paul
Delaroche et le vicomte Delaborde, au-
jourd'hui secrétaire perpétuel de l'Aca-
démie des Beaux-Arts.
Aux Dausièmes Loges
Charles Nodier, sa femme et sa fille
la très jolie et très spirituelle Mlle Marie
Nodier qui devait, l'année suivante, s'exi-
ler en province, par suite de son mariage
avec M. Môuessier. Dans le fond de la
loge se tenait M. de Cailloux, directeur du
Musée du Louvre, ami de la maison.
Les deux Bertin, des Débats, et Mlle
Louise Bertin, la grande admiratrice de
Hugo, excellente musicienne, pour la-
quelle le poète écrivit tout exprès l'opéra
de la Esmeralda, qu'il avait refusé à
Meyerbeer.
Nestor Roqueplan et Esther Guimont,
alors jeune et jolie, et connue dans le
monde de la galanterie sous le sobriquet
du « lion. »
Coste, rédacteur du Temps et sa fa-
mille.
M. Amédée Pichot, rédacteur de la
Revue de Paris et sa femme, la belle
Mme Pichot.
Le docteur Véron et son ami Loèwe-
Veimars, rédacteur aux Débats et à la
Revue des Deux-Mondes.
Sauvo, directeur du Moniteur, où il
faisait la critique des livres et des pièces
de théâtre. Ecrivain aimable et confrère
indulgent, it fut vingt-cinq ans journa-
liste et ne se fit pas un ennemi.
Mme Paradol et Mlle Mante, de la Co-
médie-Française M. Léon Halévy.
Les deux Deveria (Achille et Eugène)
accompagnés de leur sœur, .la belle
Mlle Deveria.
Mme Dorval, et son mari, M. Merle,
rédacteur de la Quotidienne.
̃ Buloz, directeur de la Revue des Deux-
.-Mnns/e. oh Ifpnri de Lntnnehfi. mii avait
eu l'année précédente une chute com-
plète au Théâtre-Français avec sa comé-
die la. Reine d'Espagne, et qui venuit de
quitter la direction du Figaro a la suite
d'une violente polémique avec Gustave
Planche.
Mlle Fitz-Jamcs, de l'Opéra.
M. Gisquet, préfet de police.
Ghaix-d'Est-Ange, l'avocat de la Co-
médie-Française.
Duponchel, Auber et Mlle Tagliôni.
Presque toutes ces logos, colles des
amis, du moins, avaient été louées par
Victor Hugo pour le compte des occu-
pants. Les théâtres ne faisaient pas alors
aux journaux l'énorme service de places
qu'ils font aujourd'hui pour les premiè-
res représentations. Ainsi r M. Bertin,
directeur du Journal dés Débats, n'avait
qu'une stalle d'orchestre. Il la donnait
au critique du- journal M,, Duviquet, et
prenait en location une loge pour lui et
sa famille.
Les directeurs n'envoyaient pas non
plus, le soir, aux journaux, leur pro-
gramme du lendemain. Il fallait que ceux-
ci se donnassent la peine d'en faire pren-
dre copie chez le concierge du théâtre,
qui pouvait' le leur communiquer ou le
leur refuser à son gré.
̃̃'̃ An Parterre ̃̃̃ .•
Pétrus Borel, en « bousingot », cos-
tume insultant d'originalité gilet à la
Marat, chapeau pointu avec longs ru-
bans, descendant au milieu du dos.
Charles Lassailly, l'auteur des Roueries
de Trîalph, en tenue non moins extraor-
dinaire, gilet vert tendre, casquette
rouge à chaînette et une énorme fleur à
la boutonnière, l'acteur Ricourt, Préault,
le sculpteur; Henri Monnier: le peintre
Jean Gigoux; le poète Auguste de Cha-
tillon, Joseph Bouchardy, le futur au-
teur de tant de drames célèbres les
décorateurs Sechan et Diéterle Louis
Fontan, surnommé le Rustique, l'au-
teur de Jeanne la. folle, célèbre par un
pamphlet contre Charles X, qui lui
avait valu d'être envoyé au, bagne. Il
vivait seul avec un chat, dont il ne se
séparait même pas quand il sortait. Il le
prenait sous son bras et l'emmenait par-
tout avec lui; Vivier; le dessinateur Char-
let Jules Lacroix, un des plus ardents
parmi les admirateurs do Victor Hugo.
Hippolyte Cogniard, déjà vaudevilliste
et plus tard directeur de théâtre Emile
Cabanon, qui se disposait à faire paraître
son fameux Roman pour les cuisinières
Jehan Duseigneur, avec un gilet à laRo-
bespierre, un chapeau ciré à larges bords,
et de longs cheveux retombant jusque
sur le collet de son habit Poterlet, le
peintre Henri Piot, devenu le savant
collectionneur que l'on sait, et le fonda-
teur du cabinet de Y Amateur.
M. Piot venait d'avoir vingt ans. Il ne
connaissait ni Hugo ni personne de son
entourage, mais il avait une furieuse en-
vie de voir le Roi s'amuse. A tout hasard,
il se rendit aux abords du théâtre vers
cinq heures, espérant trouver à acheter
un parterre, mais tout était pris depuis
longtemps, et malgré cela une queue for-
midable de curieux attendait l'ouver-
ture des bureaux. Il était là depuis près
d'une heure, arpentant tristement le
trottoir de la rue de Richelieu, quand un
homme de haute taille qui semblait se
promener aussi en attendant quelqu'un
ou quelque chose, vint brusquement à
lui.
Est-ce que vous auriez envie d'aller
au théâtre, jeune homme'? lui deman-
da-t-il.
Oui, pourquoi? 1-
Aimez-vous Victor Hugo, au moins ?
Je l'admire.
Eh bien, venez avec moi. »
Le jeune Piot suivit son interlocuteur
qui n'était autre que Célestin Nan-
teuil par le couloir sombre des petites
places et pénétra dans la salle par l'en-
trée des artistes.
Casez-vous où vous pourrez, lui dit
Nanteuil en lui désignant le parterre.
Et le jeune Piot se casa.
Troisièmes Loges et TTroîsISme
Galerie
Evariste Dumoulin, le critique du
Constitutionnel et sa famille.
La rédaction du National..
Valentin de la Palouze, directeur du
Courrier français, Mme de la Palouze
et Chatelard, le critique dn journal.
Charles Maurice, directeur du Cour-
rier des spectacles,
Brizeux; Toussaint, le peintre; Ar-
mand de Pontmartin, Chilly etDelaistro,
artistes du théâtre de la Porte-Saint-Mar-
tin Napol; Regnier-Destourbet Eu-
sèbe de Salles; Théophile de Perrière;
Fauchery le graveur; Urbain Canel, le
libraire; Jean Journet, l'apôtre.
Charles Malo.L. Janet, l'éditeur; Théo-
dore Carlier, Jean Polonius Edouard
Turquety Alexandre Bida, Jules de
Saint-Félix, Aimé de Loy, Abel Desjar-
dins, aujourd'hui doyen de la Faculté des
lettres de Douai. #
M. Abel Desjardins avait alors vingt
ans. Il était étudiant en droit et de-
meurait rue Saint-IIyacintho-Saint-Mi-
chel, n° G. Passant devant le Théâtre-
Français avec quatre de ses camarades
la veille de la première représentation
du Roi s'amuse il s'arrêta et dit
Un drame de Victor Hugo je vou-
drais bien le voir.
Moi aussi, moi aussi, ripostèrent
successivement les quatre autres.
Oui, mais comment faire?
On tint conseil pendant quelques mi-
nutes, puis le jeune Desjardins s'écria
tout à coup
J'ai une idée. Si nous écrivions à
Hugo.
Il ne répondra pas.
Essayons toujours.
Sur cet encouragement, les cinq amis
entrèrent au café du théâtre, deman-
dèrent du papier, une plume et de l'en-
cre, et écrivirent séance tenante à l'au-
teur une lettrelui demandant cinq places
pour cinq jeunes étudiants1, ses admira-
teurs.
Lalettre faite, ils la signèrent tous et la
mirent à la poste. Qui fut surpris le len-
demain ? Ce fut M. Abel Desjardins,
qui trouva en sortant le matin, chez le
concierge de l'hôtel où il demeurait, une
lettre portant cette suscription
Monsieur Abel Desjardins,
étudiant en droit de 1' année,
rueSaint-Hyacinlhe-Saint-Michel, n' 6.
Il ouvrit rapidement la lettre et lut
ceci
De grand cœur, messieurs, les âmes jeunes
sont généreuses, Je e vous fais juges entre mes
ennemis et moi. Je me remets entre vos
mains.
Victor HuSO.
2" galerie Entrée par la petite porte à
côté de Mme Chevet, entre
Cinq entrées 4 et 5 heures.
M. Abel Deâjardins possède encore au-
innrd'hiri cette* oréciouse lettre.
A l'A.mp3iStïM*Str©
Les ateliers de Jehan Duseigneuret
d'Eugène Dcveria avaient fourni le per-
sonnel à peu près complet des specta-
teurs de la dernière galerie. Il y avait là,
plus encore qu'au parterre, des costumes
absolument extravagants. D'en bas, ori
n'apercevait qu'un méli-mélo de longs
cheveux, de longues barbes, de chapeaux
pointus, de casquettes rouges et de bé-
rets d'tin effet tout divertissant, appren-
tis peintres, apprentis médecins et ap-
prentis avocats, le plus âgé de tous n'a-
vait pas vingt ans.
Sur la Scène
J'ai dit plus haut qu'en 1832, il y avait"
en dehors des loges publiques de la salle,
deux rangs de loges particulières sur la
scène.
La loge du rez-clë-cha'ussée, à gauche,
était occupée par Mme Victor Hugo, MM.
Victor Foucher et Paul Foucher.
M. Paul Lacroix (bibliophile Jacob) et
Mme Paul Lacroix occupaient laloge au-
dessus. C'est Victor Hugo qui la leur
avait donnée.
Dans la loge du rez-de-chaussée, à
droite, se tenaient M. Jouslin deLasalle,,
directeur de la Comédie-Française et
MM. Laverpillière et Dupaty, membres
de la commission des théâtres.
La loge au-dessus était celle du baron
Taylor, qui avait avec lui un de ses amis,
M. de Rumigny, aide-de-camp du roi
Louis-Philippe.
Les musiciens de l'orchestre ayant été
supprimés ce soir-là, il n'y eut pas d'ou-
verture.
LA BEPRËSENTATIOM
Voici la reproduction de l'affiche du
Théâtre-Français, du jeudi 22 novem-
bre 1832, annonçant la première repré-
sentation du Roi s'amuse
"M"
TEÏÉA.TR.E-F'R.-A.isrÇ.âL.IS j
T~EAT~B-rRANGA.IS $
LES COMÉDIENS FRANÇAIS ORDINAIRES DU ROI #
DONNERONT
Aujourd'hui 22 novembre 1833
Première représentation
LE ROI S'AMUSE #
..̃ JOUÉ PAR!
MM. Perrior, Ligier, Joanny, Beauvallet,
Samson, Geoffroy Marius Albert
Monlaur, Arsène Dapawai, Bouchet,
Mirecour, Régnior, Faure, Dumilâtre.
M"19" Anaïs, Dupont, Moralès, Tousez,
Eulalie Dupuis, Martin.
Les Bureaux ouvrivont à 6 heures 1/1.
On commencera à 7 heures 5
V1NCHON Fils successeur de lu veuve BA.LI.AUD,
Imprimeur rue J.-J. Rousseau, 8.
On voit qu'à cette époque les affiches
de théâtre se bornaient à mentionner à
la file les nomsdesartistes qui jouaient
dans une pièce, sans indiquer le rôle
tenu par chacun d'eux. Il faut se repor-
ter au programme détaillé que publiait
chaque jour le Courrier des Spectacles
de Charles Maurice, ou aux registres de
la Comédie-Française pour avoir la dis-
tribution complète du drame.
Un seul journal, le Journal des Débats,
s'était occupé de la pièce avant la pre-
mière représentation. Il ne faut pas ou-
blier que Victor Hugo était alors très lié
avec la famille Bertin, chez laquelle il
allait passer un mois aux Rochas, tous
les étés.
La note préparatoire des Débats avait
paru le matin même du jeudi 22 novem-
bre, en troisième page, entre deux filets.
Elle disait textuellement:
C'est demain que la Comédie Françaiso
donne la première représentation du nouveau
drame de M. Victor Hugo: le Roi s'amusa.
Un grand intérêt se rattache à ce nouvel ef-
fort d'un esprit de premier ordre qui, jusqu'à
ce jour, a été en progrès. Les questions d'art
et de poésie franchement débattues, et débat-
tues de très haut, sont trop rares aujourd'hui
pour que le parterre du Théâtre- Français
n'accorde pas à la tragédie d'un poète hors
de ligne l'intérêt et l'attention qu'il a déjà ac-
cordés à Hernani et à Marion Delorme.
Le ton général de cette note montre
une certaine inquiétude. Il est facile da
voir que l'on redoutait lès mauvaises
dispositions d'une partie du public.
Tout le commencement du premier
acte fut cependant écouté avec assez da
calme.
Il y eut bien quelques exclamations à
ces deux vers de M. de la Tour Landry
au roi
.Te vois que vous aimez d'un amour épure
Quclquu auguste Toinon, maîtresse d'un curé.
Exclamations qui se reproduisirent urt
peu plus nombreuses dans la scène sui*
vante, quand. Triboulet dit à M. di
Gossé ̃
Monsieur, vous m'avez l'air tout enoharibotté
Au balcon, M. Jay poussa même à ce
moment un ont oh! qui fit retourner
toute ia salle, mais le parterre applaudit
avec frénésie, et Lassailly s'adressant
directement à l'interrupteur cria, en
se faisant un porte-voix de ses deux
mains
A Fa porte, l'Académie 1
La pièce continua. Les plaisanteries
des seigneurs sur Triboulet-Cupido fa--
rent trouvées un peu longues cepea<
dant on les écouta sans mot dire.
Les protestations recommencèrent ti-
mides, à la fin dëlajirade de Triboulet
sur les poètes
Cinq ou six! c'est toute une écurie I
C'est une académie, une ménagerie t
que les amis de l'auteur soulignèrent
au contraire d'un franc éclat de rire et
de chaleureux applaudissements.
Perrier, qui représentait François I*S.'
profita même du bruit pour retrancher
de son rôle deux mots qui lui semblaient
dangereux.
Au lieu de dire, en parlant des sa.
vants
ma foi de gentilhomme,
Je m'on soucie autant qu'un poisson d'une pomn*|^
Il s'arrêta sur le mot poisson, et passa
brusquement au vers suivant, ce doof
personne ne s'aperçut, d'ailleurs.
L'acte se termina au milieu d'applaudis-
sements frénétiques. L'admirable tirade
de M. de -Saint- Vallier, admirablemedt
dite par Joanny, produisit un effet im-
mense. A ce moment la soirée s'annoa-
çait comme un grand succès.
Malheureusement, les_spectateurs da
parterre et de l'amphithéâtre recommei^
Gèrent leurs plaisanteries pendant Tc-j^
tracte interpellant les locataires des la'
ses et du balcon, déjà mal disposés poyftt
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