Titre : Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche
Éditeur : Le Figaro (Paris)
Date d'édition : 1890-07-05
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 05 juillet 1890 05 juillet 1890
Description : 1890/07/05 (Numéro 27). 1890/07/05 (Numéro 27).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k2725518
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-246
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
Ce Supplément ne doit pas être vendu à part
168 Année Numéro 2T
Samedi 5 Juillet 1890
Piiî da Supplément avec le Naairti
20 CENTIMES A PABIS 2 5 CENTIMES BOBS PABfl$
Abonnement spécial da SOTPLÉSBHT UCTBMH1
Homère ordinaire oaropri*
12 FR. PARAIT
rédaction du supplément
a, périvier
sccbCuires
augustb màrcade ET paul bonnetain
Paris 26, rue Drouot Paria
STTIPIPI^EÏ^EIlSrr TJirrT'ÉiT'LJL.TTK.'El
SOMMAIRE DU SUPPLÉMENT
E. Masquera* • • • • tePayadeBenYahia
° '̃ souvenirs de jeunesse
ea Algérie.
Emmanuel Arène UneErreur judiciaire,
,ALFRED li&MBA19D. ~C~eWlC2.
Léon Layedan Japonerie
Souvenirs sur l'ami-
ral du Petit-Thouars.
COLIN Xampon Gendelettra morbus.
Propos fantaisistes.
Maurice Rolunat. Poèmes rustiques.
ALBERT GmHOx: Le Centenaire d'Amé-
dée Pigache.
Nouvelle.
G. LABADiE-IiAGRAya A travers les revues
étrangères.
Bulletin hebdomadaire de la Financière.
séés dc Jeunesse
EN ALGERIE v
• • i ̃ ''̃̃
LE PAYS DE BEN-YAHIA
I
Pourquoi parler des choses passées
comme de choses mortes ? La beauté de
la femme aimée dure autant que l'œil
qui l'a vue, et les yeux seraient-ils clos,
qu'au fond de l'être de l'amant aveugle,
la divine-image est toujours vivante. La
vie entière de l'homme est une gerbe
d'idées, de sentiments, de joies, de dou-
leurs, de déceptions etd'espérances, ser-
rée dans un seul lien, et qu'un coup brus-
que délie.
En attendant- ce coup, qui peut être
frappé demain ou dans quarante années,
pourquoi laisser tomber le moindre épi
ou la moindre fleur '1
Ce que je vais vous conter là n'a pas
de date, en vérité. Je l'ai vécu, je le vis
toujours, pour peu que je baisse les pau-
pières en fumant, et il me semble, Dieu
me pardonne, que je recommencerais à
courir à travers les steppes de l'Algérie
ou à gravir ses montagnes dentelées de
cèdres avec toutela ferveur de mon jeune
temps.
Parmi les hommes que j'ai connus,
ceux qui ont disparu continuent dé se
réunir, dans ma mémoire, à ceux qui
marchent encore sur la terre, comme
font les saints des musulmans qui s'as-
semblent, chaqueannée,de tous les points
les plus reculés du globe, et du fond de
tous les siècles, pour décider, sous la pré-
sidence du Prophète, du sort de leurs
fidèles. `
Dans ce concile merveilleux, les morts
ne se distinguent pas des vivants. Ils
siègent au milieu d'eux, ils parlent. Seu-
lement, quand leurs corps sont placés
devant le soleil, ils sont un peu moins
opaques, et les plus anciens, tout dia-
phanes, ne font pas d'ombrè.
Je daterai cependant quelquefois, pour
ceux qui pensent que le calendrier a sa
raison d'être, et que même les histoi-
res ennuyeuses ont besoin d'un peu de
chronologie.
18*3
Je ne connais qu'Alger. Je n'ai vu que
ses maisons blanches, sa campagne qui
me parait noire et sa mer bleue. Nous
sommes au mois d'août la chaleur du
jour me brûle, le brouillard tiède de la
nuit m'étouffe. J'aimerais bien à revoir
les feuillages verts, les eaux claires et
le ciel gris-pommelé de mon pays; mais
l'Afrique est derrière moi qui m'attire,
et je vais me donnera elle,oublianttous
les êtres et toutes les choses que j'aime.
Certes, ce n'est pas pour y retrouver ce
que j'ai lu dans mes livres. Les hommes
qui les ont. écrits ont eu leurs sensations
et leurs idées qui ne peuvent pas être
les miennes.
Je vais là-bas pour éprouver des plai-
sirs ou des peines que je n'ai pas encore
sentis. Mon corps est solide,et j'ai dans
mon portefeuille une lettre signée par le
général Wolff, commandant la division
d'Alger..
Avec cela, je peux voyagera l'aise pen-
dant deux mois et je pars un beau ma-
tin pour Médéah.
La Mitidja traversée, je regarde à peine
les gorges de la Chiffa. G'estencore pour
moi le pays noir des environs d'Alger,
un peu plus fouillé, mais sali par des
auberges. J'arrive à Médéah vers le soir,
et j'y trouve le capitaine Coyne, chef du
bureau arabe.
Le général de Lbverdo est en tournée.
Quelle verte jeunesse vous avez, vous
aussi, capitaine Coyne, quel entrain,
quelle bonne grâce, et quels souvenirs
reconnaissants vous laisserez chez tous
ceux que vous obligez 1 Dès lelendemain
matin, à cinq .heures, deux mulets, un
soldat du train et un spahi m'attendent,
et ce spahi est un vieux Turc, bien pris
dans sa taille, très sobre de gestes, né
pour être soldat comme d'autres le sont
pour être clercs de notaire. Sa barbe
courte et rude est toute grise, et il a dû
couper plus d'une tête dans la période
de la conquête.
Il m'offre son cheval et me dit en sou-
riant que je serai mieux équipé quand
nous serons allés chez Ben-Yahia à la
jambe de bois.
Qui est Ben-Yahia? Qu'est-ce que cela
veut dire? Je sais seulement que mon
Turc a dans la poche huit lettres du ca-
pitaine Coyne pour divers personnages
indigènes.
A^ons, en route 1 Le pays que nous
traversons est montueux et couvert d'ar-
bustes. Je le vois toujours noir. Est-ce
donc là cette Afrique du Sud, le pays
des mirages et des déserts blancs? Nous
suivons une grande route carrossable
qui m'impatiente.
Je ne regarde pas Ben-Chicao que je
traverse. Je dors je ne sais où,entredeux
bouquets de lentisques, dans un.coin de
terre vulgaire qui ne vaut ni un regard
ni un souvenir.
Le lendemain, je passe par Berroua-
guia, encore un village qui sent l'absin-
the. Enfin, sur un signe du spahi, je m'en-
gage dans une piste qui traverse un
champ maigre, hérissé de chaumes clairs,
et d'où s'envole un millier d'alouettes. Il
est deux heures de l'après-midi.
Cette heure-là, je nel'oublieraijamais.
Ce champ-là, ce misérable champ pelé,
gris, incliné sur le flanc d'une colline
aride, je l'évoquerai toujours, tant qu'il
me plaira, comme le visage des person-
nes absentes ou mortes qui ne cessent
pas de faire partie de ma vie. Il m'in-
troduit brusquement dans le pays arabe.
Voilà que je monte et que je descends
sur le dos d'ondulations grises qui se
suivent et se coupent comme des va-
gues.
J'entre peu à peu dans uneurégion im-
mense, où l'homme a laissé quelques
traces de son passage, mais d'où il a dis-
paru, où des moissons verdissaient peut-
être au printemps, mais où rien ne reste
qui arrête les yeux.
Dans ce désert factice, dans ce vide
inexplicable, pas une créature; je n'aper-
çois pas un arbre, pas une masure, pas
une plante digne de ce nom.Jedemande
à mon Turc où sont les Arabes. Il étend
le bras devant nous, et je nevois,rien.
Où sont leurs récoltes? 1
Il me montre la terre.
Où sont leurs maisons?
Il se met à rire et m'indique des taches
sombres que je prenais pour des taches
d'incendie. Ce sont des tentes, découpées
en noir sur la terre nue. En les regar-
dant mieux, elles prennent, à mes yeux,
la forme de chauves-souris écrasées.
Elles sont bien loin, mes prairies nor-
mandes, mes forêts vosgiennes, mes vi-
gnes bourguignonnes. J'étends mes re-
gards en avant, le plus loin possible,
pour prolonger la' sensation nouvelle
que j'éprouve, et la joie des découvertes
me remplit l'âme.
Il semble qu'une main prodigieuse ait
arraché tous les vêtements de la terre,
et que je la voie telle qu'elle est dans sa
nudité misérable, gonflant ses côtes
saillantes, étirant ses tendons et ses
muscles.
Des pluies anciennes que j'ai peine à
concevoir, des torrents diluviens pareils
à ceux des premiers âges du monde, ont
arraché des lambeaux de sachair, avivé
son squelette, évidé ses jointures. Elle
est encore élégante cependant, et ce tra-
vail formidable n'a laissé sur elle que
des traces d'une exquise délicatesse.
Je ne vois tout autour de moi que des
ravins minuscules qui se joignent les
uns aux autres pour former comme de
petites branches, et ces rameaux s'ajou-
tent à d'autres, pareils aux nervures
d'une feuille, pour composer des dessins
admirables qui défieraient l'art du gra-
veur le plus habile.
Au-dessus, la coupole du ciel, qui de-
vient de plus en plus bleuâtre à mesure
que le soleil s'abaisse, parait énorme,
parce que rien n'arrête les yeux au-des-
sous d'elle.
Je me dresse sur ma selle pour respi-
rer plus haut, et il me semble, en vérité,
qu'avant ce moment, je n'ai jamais vécu
dans l'air. Au milieu de nos villes, dans
nos forêts., dans nos champs, et même
sur la mer animée par le clapotement
des vagues l'air n'apparatt jamais
comme ici le principe unique de la vie.
Plus j'avance, ayant hâte de m'éloi-
gner des pays sombres, plus je me sens
alerte. Je n'ai ni soif, ni faim une force
inconnue pénètre dans les cavités de
mes poumons et jusque dans mes os.
Mon cheval, lui aussi, participe à cette
vie nouvelle. Il allonge ses jambes fines
sur le sol sans obstacles, et boit le vent
par coups prolongés, écartant largement
ses narines roses. Sa crinière est à demi
dressée et ondule en grosses touffes; les
crins de sa queue se séparent. Sa peau
est sèche, ses veines sont gonflées et ses
jarrets se détendent par secousses régu-
lières, après 60 kilomètres de marche,
comme s'il venait de partir.
Le soleil couchant jette dans le ciel
son rayon vert, quand je tombe, comme
par miracle, au détour d'une colline, sur
une maison entourée d'arbres.
Le spahi m'a précédé, et je vois arri-
ver, dans des burnous blancs,unhomme
petit qui s'appuie sur une canne. Il a, en
effet, une jambe de bois. Je suis en face
de Ben-Yahia, le sultan de ce pays vide.
II loue Dieu de mon arrivée, me prend
par la main et me fait entrer dans sa
maison. Il ne faut pasque je m'y trompe.
Je suis assis là devant un des hommes
les plus braves de l'Algérie, un aventu-
rier qui aurait fait bonne figure parmi
nos routiers du moyen âge; car il a joué
sa tête pendant vingtans à notre service,
et aujourd'hui même le signal d'une in-
surrection serait un coup de fusil tiré
sur lui mais il est écrit qu'il ne mourra
que de sa belle mort. Il est comme le
démon de cette immense solitude il' y
souffle à son gré la confiance ou la ter-
reur.
Il s'est donné à nous corps et âme.com-
me s'il avait fait un pacte avec l'enfer,
et la vie qui l'anime est d'une intensité
surhumaine. Il sait tout ce qui se fait et
tout ce qui se passe à vingt lieues à la
ronde. Il n'écrit jamais, et il n'oublie
rien, ni les mots, ni les gestes,nilesplus
fugitives expressions desfacesde bronze
de ses sujets.
Une volonté impérieuse étincelle dans
ses yeux perçants, sous ses sourcils gris,
et même son maigre corps, dont il n'a
qu'un reste, lui obéit sans jamais oser le
contredire. Cet homme qui n'a plus qu'un
morceau de cuisse du côté gauche,monte
à cheval, et un serviteur porte sa jambe
de bois derrière lui. Il n'a qu'une pas-
sion, étant sobre, l'ambition il n'a be-
soin que d'une chose, ayant passé l'âge
où l'on aime les femmes, d'argent. 11 dé-
pense comme un corsaire. Il reçoJA lar-
gement, il traite d'égal à ég^i des colo-
nels et des. généraux. Parti de rien, il
est dans une §G'rté d'ivresse quand il
préside un grand repas dans le Sud, où
les vainqueurs de sa race et tous ses an-
ciens ennemis lui prodiguent des témoi-
gnages de déférence et de sympathie. A
ce jeu-là, il se ruine, et les Juifs qui le
tiennent attendent sa mort pour se par-
tager ses biéns. Quand son heure sera
venue, il disparattra tout entier, il ne
restera rien de sa fortune et ses enfants
seront misérables. Il aura passé comme
un météore bienfaisant ou funeste qui
traverse la nuit.
Je dors à deux pas de ce terrible hom-
me qui m'a fait servir des plats affreuse-
ment pimentés, du couscouss sucré etdu
café parfumé avec des clous de girofle et
de l'eau de fleur d'oranger. Le lende-
main matin, je l'entends dicter des let-
tres à son secrétaire accroupi devant
lui
Répète-lui bien, dit-il, qu'il donne
à ce jeune homme de la viande bouillie
et de la galette dans une musette, quand
il le quittera. Tu te contentes d'écrire
vaguement « des provisions ». Ce n'est
pas cela. Ecris « de la viande, du mou-
ton, et du bon mouton ». Tu diras aussi
au caïd des Beni-Mohammed qu'il lui
donne des pastèques. 11 en a dans son
jardin. Et prends soin d'ajouterque c'est
moi, le bach-agha Ben-Yahia, qui le lui
dis. Combien cela fait-il de lettres?
Huit, seigneur.
Autant de lettres que celles du ca-
pitaine ?
Oui.
Donne-moi mon cachet.
Je l'interromps et lui demande si c'est
de moi qu'il s'agit.
Sans doute, me répond-il. Vous ne
connaissez pas les gens chez lesquels
vous allez. Ils ne vous donneront rien si
je ne leur dis pasclairement ce dont vous
avez besoin.
Une heure après, Ben-Yahià me con-
duit jusqu'à la limite de son domaine,
et me laisse continuer ma route monté
sur une jolie jument blanche que j'é-
changerai le lendemain contre une au-
tre. Je n'ai plus besoin de mulets ni de
soldat du train. J'ai derrière ma selle
une couverture roulée, du linge de re-
change dans mes sacocWes, et les huit
lettres du bach-agha avec les huit du
capitaine. Mon rêve continue de se réa-
liser, et je me lance, d'un nouvel effort,
en plein inconnu, mais il faut le dire
aussi, en plein soleil.
#
Il est dans le ciel depuis deux heures,
ce terrible soleil des steppes. Il s'élève
lentement sur la terre sans arbres, où
rien ne remue; des groupes de tentes tou-
jours lointaines font de place en place
des ronds noirs sur quelques collines;
mais je n'en vois rien sortir; des effluves
sans cesse plus fortsj descendent par se-
coussesde cette source bouillonnante de
chaleur.
L' astre étincelant semble un œil énorme
d'où s'échappent des flots de flammes
entre des battements de paupières. Je
comprends ces mots d'Homère « La
splendeur de Hélios. » Son éclat meur-
trier obscurcit tout ce qui l'entoure. La
terre aride ne garde rien de sa lumière
qui rebondit dans les profondeurs in-
finies du ciel. Le firmament est pâle les
champs sont ternes. Le monde est sans
ombres ni couleurs quand il atteint le
sommet de sa courbe et plane sur lui
dans sa force écrasante et dans sa ma-
jesté. Mon cavalier sur son alezan, et
moi sur ma jument blanche qui secoue
sa tête fine ornée d'un pompon bleu,
nous sommes bien, par exception, les
deux seules créatures humaines qui
soyons dehors àune pareille heure. Nous
allons d'un petit pas égal, sans bruit de
sabots sur le solameubli, muets, lesyeux
à demi clos, traversés par le feu qui
nous enveloppe, dominés par le dieu.
Nous n'avons pas d'autre désir que d'al-
ler toujours ainsi, portés dans ce pays
sans points de repère où tous les ravins
et tous les coteaux nous semblent pa-
reils et dans cette monotoniegrandiose,
nous ne sentons que nos muscles qui
sont encore bons et les jarrets de nos
bêtes qui sont infatigables. Cependant,
nous descendons peu à peu dans une
plaine très longue, et tout au bout, àune
distance de je ne sais combien de kilo-
mètres, je distingue un petitpoint blanc.
Mon Turc tourne vers ce point la tête
de son cheval encadrée d'œillères rous-
ses brodées d'or, comme un matelot la
proue de sa barque vers un phare il me
demande, en rajustant ses étriers, si je
veux faire un temps de galop. Je secoue
une torpeur inexplicable; je passe la
main sur mes yeux, je m'incline sur ma
selle et nous fendons l'air comme des
éperviers. Nos deux montures légères
jouent ensemble, se ramassent surleurs
reins, bondissent et grondent d'impa-
tience ou de joie quand elles se dépas-
sent.
Le sol tout plat fuit sous nous- comme
une rivière. Je sens entre mes jambes
qui la serrent, dans mes mains qui la
maintiennent, toutes les palpitations du
corps,tousles mouvements des hanches,
toute l'ardeur de la nerveuse bête blan-
che qui s'est grisée comme moi de lu-
mière et d'air, et qui se dépense avec
frénésie. Nous nous modérons pour re-
prendre haleine, nous trottons à grandes
enjambées, puis nous nous lançons en-
core. Elle veut ce que je veux: elle a
aperçu le point blanc avant moi peut-
être. Elle le voit grandir. C'est déjà une
coupole basse, puis une sorte de mos-
quée, puis une maison haute avec des
arbres tout autour. Alors la terre n'existe
plus pour nous. Nous sommes un bloc
lancé à la volée, et nos deux êtres n'en
font plus qu'un, dans la joie commune
qui nous soude ensemble; mais je crie
à mon cavalier d'aller de l'avant pour
m'annoncer, et je veux qu'elle s'arrête,
et je pèse sur ses rênes. Divorce violent.
Elle se débat, elle se cabre, elle s'en-
sanglante la bouche sur le mors inflexi-
ble. Il faut bien qu'elle piie à la fin,
mais avec quel dépit et quelle colère
elle me cède Quelle démarche de lionne
quand elle reprend son pas 1 Elle est
toute rosé, le sang court à fleur de peau
sous la fine neige qui couvre la poitrine
et les membres, et je la flatte sans
qu'elle me réponde. Elle ne me pardon-
nera jamais de l'avoir trahie.
Ben-Yahia avait bien raison de com-
mander des pastèques. On m'en apporte
une fendue en deux, La chair rouge ti-
quetée de pépins noirs est d'une fraî-
cheur • humide sur laquelle j'applique
avec délices mes lèvres brûlées, et j'en
bois près de la moitié, étendu sur une
natte blanche dans l'obscurité d'une
pièce percée de petites meurtrières sur
lesquelles le ciel qui m'avait paru si
pâle tout à l'heure fait maintenant des
plaqués d'azur.
E. Masqueray.
UNE ERREUR JUDICIAIRE
L'affaire Borras a naturellement ré-
veillé le souvenir de toutes les vieilles
erreurs judiciaires et fait mettre les bi-
bliothèques au pillage.
On n'a pas repris, pour cela, le Cour-
rier de Lyon. Mais le nom de Lesurques
a fait, une fois encore, son tour de presse.
Je voudrais profiter de cette actualité
qui, je l'espère, ne reviendra plus, pour
raconter une erreur de ce genre, beau-
coup moins célèbre assurément, mais
tout aussi saisissante, et, de plus, scru-
puleusement vraie en tous ses détails.
C'est d'un très court voyage à Aix-en-
Provenceque je la rapporte; J'y étais il yà
quelques jours,au milieu de magis-trats,
et j'y trouvais réunis, autour de la même
table, quelques-uns de mes compatrio-
tes les plus distingués, de ceux qui font
grand honneur, là-bas, à notre petite île
de Corse: M. de Pitti-Ferrandi, le savant
professeur de droit MM. les conseillers
Tommasi et Farinole, M. Grassi, avocat
général.
C'était au lendemain même de l'inter-
pellation Borras et, naturellement, dans
ce milieu judiciaire, on ne parlait que de
cela.
On discutait,-car,entre magistrats, on
ne se paie pas de sentimentalités, le
plus ou moins de fondement de l'inno-
cence de Borras.
Ma foi 1 s'écria M. Grassi, en pa-
reille matière, je ne jure plus de rien,
quand je songe à mon ancien client Re-
nosi, dit Rousseau, et à l'audience de la
Cour d'assises où il fut condamné!
Voyons l'histoire 1 demanda-t-on à
la ronde.
Et M. Grassi nous la raconta de très
bonne grâce, car on voyait bien que ce
vieux souvenir lui tenait au cœur.
Je regrette même de ne pouvoir trans-
crire ici la chaleur entraînante, l'accent
de vive émotion qu'il y mettait, mais ils
se retrouvent presque dans les notes
qu'il.a bien voulu me donner à ce su-
jet, et que je reproduis sans en rien mo-
difier que quelques points de détail.
C'était en 1860. Alors comme aujour-
d'hui, dans chaque canton, dans chaque
ville, dans chaque village de la Corse,
deux partis se trouvaient en présence,
divisés par dès questions de personnes
plutôt que par des raisons politiques.
Dans le canton de Pero-Casevecchio, la
lutte était particulièrement ardente en-
tre les de Corsi et les Renuoci, et,' cette
année-là, cette vieille querelledefamille
se doublait d'une compétition électo-
rale.
Les chefs des deux partis, Patrice de
Corsi et Antoine Renucci, parcouraient
le canton à la tête de leurs partisans, al-
lant de village en village et de porte en
porte, suivant la vieille coutume corse.
Un soir, le 13 juin, à lanuittombante,
Patrice de Corsi quittait le petit hameau
de Renoso, accompagné de deux de ses
amis, Blasi et Filippi, dit Prete-Vec-
chio (le vieux prêtre). Ils rentraient à
Pero, le chef-lieu du canton.
A mi-chemin, on entend des éclats de
voix, des chansons. C'est une bande de
jeunes gens, une quinzaine environ, qui
rentrent à Renoso et reviennent précisé-
ment de Pero, où ils ont passé la jour-
née.
C'étaient des parents et des amis d'An-
toine Renucci, des adversaires, par con-
séquent, de de Corsi. En voyant, à un
détour du chemin, ce dernier, qui s'en
revenait avec ses deux amis, l'un de ces
jeunes gens eut la malheureuse idée de
lancer une pierre contre le petit groupe.
Patrice de Corsi fut atteint à la tempe
gauche et tomba, inanimé. Le sang cou-
lait abondamment. Ses amis le crurent
mort, et Prete-Vecchio, qui était, selon
la parole des témoins, « un lion de cou-
rage », résolut de le venger.
Il s'avança, le pistolet au poing, vers
la bande des jeunes gens, sommant l'au-
teur de l'attentat de se faire connaître.
Les jeunes gens, se voyant ainsi visés,
avaient tiré aussi leurs pistolets et s'é-
taient tous groupés en peloton. Au pre-
mier rang se tenait Renosi, dit Rous-
seau, et derrière lui, masqué presque
entièrement par lui, un de ses camara-
des, plus petit de taille, nommé Simoni.
Quand Prete-Vecchio ne fut qu'à quel-
ques pas du groupe, une détonation re-
tentit, et Prete-Vecchio tomba, tué raide.
C'était Simoni, placé au second rang,
qui avait tiré, mais il l'avait fait il faut
bien retenir ce détail pour comprendre
ce qui va suivre en passant son bras
sous l'aisselle de Rousseau, qui se tenait
au premier rang, et en visant à travers
ce jour.
Patrice de Corsi, un moment étourdi
par le coup de pierre, le visage ensan-
glanté, s'était cependant relevé quand il
avait vu Prete-Vocchio se précipiter le
pistolet à la main,et il courait après lui,
ainsi que Blasi, pour empêcher un mal-
heur.
Ils entendirent la détonation, virent
distinctement, dans la nuit, la figure de
Rousseau, éclairée par la lueur du coup,
aperçurent son brastendu, car Rousseau,
comme tous ses camarades, avait l'arme
au poing.
Ils furent convaincus,- et il était im-
possible qu'ils ne le fussent pas, que
c'était Rousseau qui venait de faire feu.
Sitôt après la détonation, les quinze
jeunes gens prirent la fuite et, le IendQ-
main commença l'instruction qui fut
naturellement des plus simples, malgré
le très grand nombre de témoins enten-
dus. Aucun des jeunes gens ne voulut
parler; de ce côté-là, le mutisme fut
impénétrable. Mais Patrice de Corsi et
Blasi, son compagnon de route, étaient
formels* et c'étaient des témoins, terri
blés pour Rousseau, car ils déposaient
dans toute la force de leur conscience
ils avaient entendu le coup, et ils étaient
certains d'avoir vu le meurtrier. Patrice
de Corsi surtout était un témoin redou-
table ce n'était alors qu'un jeune avo-
cat, mais il était en possession déjà de
l'estime générale, du respect de tous,des
très vives sympathies qui l'ont suivi plus
tard dans sa carrière et l'ont finalement
mené au Sénat,car le de Corsi dont nous
parlons ici est le même qui mourut sé-
nateur, il y a quelques années à peine,
et dont la mort a laissé un grand vide
dans la Corse entière.
L'affaire fut portée aux assises à l'une
des sessions de 1861, et M. Grassi, no-
tre aimable interlocuteur d'Aix, alors
jeune et brillant débutant au barreau,
fut chargé de la défense de Rousseau.
Ce dernier avait appris à son avocat
tous les détails du drame du 13 juin, les
circonstances si tragiques du meurtre,
son innocence et la culpabilité certaine
d'un autre qu'il se refusait à nommer.
L'affaire allait venir le lendemain,
lorsque M0 Grassi reçut la visite de Si-
moni, le véritable meurtrier, qui lui tint
ce langage ̃ •
Vous allez, demain, défendre Rous-
seau. Je tiens à ce que vous sachiez que
votre client est innocent.
Je le sais.
Alors, reprit Simoni,vous connais-
sez le coupable? '?
Non.
Eh bien, c'est moi 1
On devine l'émotion de l'avocat.
Dans quel but, demanda-t-il, me
dites-vous cela? La gravité de votre dé-
claration ne peut vous échapper. Me
laissez-vous le droit de m'en servir ? '?
Non, reprit vivement Simoni. C'est
à l'avocat que je parle je me confie à
votre honneur professionnel. J'ai voulu
seulement que vous fussiez bien sûr de
l'innocence de Rousseau, pour le défen-
dre de tout votre cœur, avec toute l'éner-
gie possible.
C'est dans ces conditions que se pré-
senta l'affaire. Ce que fut l'audience pour
le malheureux avocat, on l'imagine sans
peine, et l'on peut se demander qui souf-
frait le plus, de lui ou de son client
« Vous devinez, écrit M. Grassi dans les
» notes qu'il m'a remises, dans quel
» état j'étais à l'audience lorsque j'en-
» tendais Patrice de Corsi et Blasi affir-
» mer comme il était de leur devoir de
»le faire la culpabilité de Rousseau
» alors que l'auteur du crime était là, à
» deux pas de moi, car Simoni, afin de
» mieux suivre les débats, avait invoqué
« son titre de parent de l'accusé pour
» pénétrer dans l'enceinte réservée, et
» il se tenait tout près de la barre. »
Ce que M. Grassi ne peut pas ajouter,
mais ce que n'ont pas oublié ceux qui
assistaient à cette émouvante audience,
c'est l'immense effet que sa plaidoirie
produisit sur les jurés et sur la cour. Il
trouva de ces accents que le talent est
impuissant à donner par lui-même, et
qu'il faut puiser dans une ardente et
profonde conviction.
Les débats étaient dirigés par un ma-
gistrat d'une haute impartialité, M. le
conseiller Fabrizy, devenu, depuis,
président de chambre. Les efforts de
l'avocat l'avaient vivement impressionné.
Avant de commencer son résumé, il
rappela Patrice de Corsi aux débats il
fit, en même temps, descendre Rousseau
de la sellette, et après l'avoir fait placer,
dans le prétoire, à côté de de Corsi, il
dit à ce dernier
Témoin,yous êtes un parfait honnête
homme, vous êtes avocat, vous compre-
nez mieux que personne l'importance de
votre déposition. Vous venez d'entendre
la plaidoirie de Me Grassi. Je vous en
conjure, regardez bien Rousseau, et
dites-nous si vous êtes bien sûr de ne
pas vous tromper.
Patrice de Corsi, je l'ai dit, était un
homme d'une probité inattaquable, une
conscience droite et noble, un homme
d'honneur dans la force du terme. C'était,
de plus, un beau garçon, grand, fort, au
visage franc et loyal. Il était aux débats
en habit noir, ganté de noir, portant le
deuil de son ami. Son attitude était
d'une dignité imposante. Il regarda lon-
guement l'accusé, puis étendant les bra
de son côté, et le montrant du doigt pen-
dant quelques secondes,il dit simplement
d'une voix grave:
Si cet homme s'appelle Rousseau,
Rousseau est l'assassin de Prête- Yecchio!
Il y eut un frémissement. c'était fini.
La condamnation était certaine, et, sur
le verdict affirmatif du jury, la Cour pro-
nonça la peine de vingt ans de travaux
forcés.
Le soir même, Rousseau recevait, à la
prison, la visite de son avocat qui l'ad-
jurait de parler, de faire connaître le
vrai coupable puisque celui-ci n'avait
pas voulu se dénoncer lui-même. Rous-
seau s'y refusa énergiquement.
Que voulez-vous ? 2 disait-il avec
amertume. Je comprends que Simoni
hésite. vingt ans de travaux forcés, ce
n'est pas gai
Puis, sur de nouvelles insistances
D'ailleurs, reprit-il, tout espoir n'est
pas perdu. Faites le pourvoi en cassa-
tion, nous verrons après.
Le pourvoi fut fait. Il n'y avait aucune
raison pour qu'il fût admis; il ne le fut
pas.
Nouvelle visite de l'avocat à la prison.
Eh bien Rousseau, le pourvoi est
rejeté. L'heure de parler est enfin ve-
nue. Il n'y a plus d'hésitation possible.
Mais lui, pourtant, hésitait toujours,
répugnant, dans son étroite et généreuse
cervelle de paysan, à ce qu'il considé-
rait comme une dénonciation.
Mais puisque Sirrioni ne veut pas
se dénoncer! lui disait-on.
r-r Cela le regarde, répondait-il obsti-
nément. moi, je n'ai jamais dénoncé
personne.
A bout d'arguments, cependant, il
essaya de gagner encore du temps.
Faites un recours en grâce, dit-il â
son avocat. Je suis innocent, on peut
bien me gracier 1. Je n'en serai pas
moins un: condamné, mais je serai libre,
et Simoni aussi!
On fit, pour lui donner toutes les sa-
tisfactions, le recours en grâce. Il fut
rejeté. Cette fois, tous les moyens
étaient épuisés, on pouvait croire qu'il
parlerait. Il ne parla pas, et, stoïque-
ment, il partit pour le bagne de Toulon.
Il y resta trois ans, trois années de
tortures morales et physiques, car sa
santé s'était rapidement altérée, et peu
à peu ses forces l'abandonnaient. Un
jour, enfin, à bout de souffrances, il
parla. Il raconta toutes ses misères à
son camarade de chaîne, un ancien no-
taire, homme fort intelligent, peu sensi-
ble aux scrupules par trop héroïques
qui arrêtaient Rousseau, et qui prit sur
lui d'informer la justice.
Il adressa un mémoire au procureur
général près la cour de Bastia. C'était
alors M. Bédarrides, aujourd'hui prési-
dent de chambre à la Cour de cassation.
Le mémoire l'émut par son accent de
sincérité. Il prit lui-même l'affaire en
mains et la mena, il faut le dire, avec
un très haut souci de la justice et de
l'humanité.
Simoni fut arrêté, l'instruction fut
rouverte, un nouveau débat s'engagea
en Cour d'assises, qui se termina, cette
fois, par la condamnation du vrai cou-
pable.
A cette nouvelle audience, Rousseau,
qui allait être bientôt mis en liberté,
comparut encore, mais, cette fois/cqmme
témoin. On l'avait, pour la circonstance,
fait sortir du bagne; son innocence était
virtuellement reconnue, mais elle ne
pouvait être proclamée qu'après la con-
damnation de Simoni, seule base de la
revision du premier procès, et par une
dernière ironie, par une dernière cruauté
du sort, il fut obligé de venir avec la ca-
saque, et sous le bonnet vert des forçats,
à cette audience où son innocence allait
être solennellement reconnue 1.
Telle est cette histoire qui, pour
n'avoir pas été célèbre, n'en fut pas, je
crois, moins émouvante. Simoni est
mort au bagne. Je ne sais ce qu'est de-
venu Rousseau après sa mise en liberté.
Sa condamnation n'avait pas fait grand
bruit; sa réhabilitation n'en fit pas beau-
coup plus. Moins heureux que Borras,
il n'a pas eu d'apothéose. Même dans le
malheur il y a ceux qui ont de la
chance et ceux qui n'en ont pasl.
Emmanuel Arène.
MICKIEWICZ
NAPOLÉON, LA FRANCE
Samedi dernier 28 juin, Adam Mic-
kiewicz était exhumé du cimetière de
Montmorency, où il reposait depuis
trente-cinq ans.
Ajoutez ce laps de temps aux vingts
cinq années qu'il a vécu chez nous, pro-
fesseur au Collège de France, poète, pu-
bliciste, toujours un peu conspirateur,
c'est donc pendant soixante ans que,
vivant ou mort, il a été l'hôte de la terre
française.
A Montmorency, il reposait en pleine
Pologne, car là, les tombes du cimetière,
en grand nombre, portent des inscrip-
tions illisibles pour les indigènes de
Seine-et-Oise; et non loin de là, dans
l'église Notre-Dame,sousles inscriptions
où resplendissent tant de noms de ba-
tailles polonaises et françaises, dorment
enveloppés de leurs manteaux militaires,
sévères figures de pierre sur la pierre
des tombes, Niemcéwicz, le grand- poète,
le héros de la bataille où Kosciuszko n'a
pas prononcé le Finis Poloniœ, et Knia-
ziewicz, un autre héros de cette même
bataille, le héros de nos campagnes
d'Italie, d'Allemagne et de Russie.
Ce cimetière de Montmorency a reçu
les dépouilles de tant d'émigrés polo-
nais, épaves de tant de naufrages, bat-
tus et roulés par tant de tempêtes, à tra-
vers les renaissances et les chutes de
leur patrie, à travers les triomphes et
les désastres des armes françaises, sol-
dats des légions polonaises du Direc-
toire, soldats des légions de la Vistule
sous Napoléon, soldats des régiments de
1831, soldats des bandes de 1863 Et non
seulement les guerriers, mais les pen-
seurs, les tribuns, les législateurs, ceux
qui siégèrent dans les conseils de l'in-
surrection de 1793, dans les Chambres
du grand-duché de Varsovie, dans cel-
les du royaume de Pologne!
La dépouille de Mickiewicz, qui, en
1855, a fait le voyage de Constantinople
à Montmorency, qui, en 1890, fait le
voyage de Montmorency à Cracovie,,
trouvera-t-elle là-bas une terre plus po-
lonaise'que celle-ci? Sera-t-elle plus en
Pologne, même quand elle sera descen-
due dans les caveaux du mont Wawel,
où sont déjà les anciens rois aux armu-
res gothiques; et Joseph Poniatowski,
le « chef des Polonais » de la Grande
Armée et Kosciuszko, sur la tombe du-
quel se hérissent, parmi les sabres et les
lances, les faux de ses faucheurs ? 2
Cependant, voilà que le cercueil de
Mickiewicz retraverse pour la seconde
fois toute la largeur de l'Europe.
Il a pour toujours quitté l'humus où
restent tant des siens, et c'est dans un
appareil triomphal qu'il en est sorti,
porté non pas sur un char funèbre,
mais, à la mode si touchante de Polo-
gne, sur les épaules de ses amis, sur
les épaules de cette jeunesse qu'il a tant
aimée, et à laquelle il dédiait, en 1822,
l'Ode célèbre
A LA JEUNESSE
Sans cœur et sans âme, voici des peuples
dé squelettes. Jeunesse! prête-moi tes ailes
et je prendrai mon essor au-dessus du vieux
monde, vers les contrées de l'illusion bien-
168 Année Numéro 2T
Samedi 5 Juillet 1890
Piiî da Supplément avec le Naairti
20 CENTIMES A PABIS 2 5 CENTIMES BOBS PABfl$
Abonnement spécial da SOTPLÉSBHT UCTBMH1
Homère ordinaire oaropri*
12 FR. PARAIT
rédaction du supplément
a, périvier
sccbCuires
augustb màrcade ET paul bonnetain
Paris 26, rue Drouot Paria
STTIPIPI^EÏ^EIlSrr TJirrT'ÉiT'LJL.TTK.'El
SOMMAIRE DU SUPPLÉMENT
E. Masquera* • • • • tePayadeBenYahia
° '̃ souvenirs de jeunesse
ea Algérie.
Emmanuel Arène UneErreur judiciaire,
,ALFRED li&MBA19D. ~C~eWlC2.
Léon Layedan Japonerie
Souvenirs sur l'ami-
ral du Petit-Thouars.
COLIN Xampon Gendelettra morbus.
Propos fantaisistes.
Maurice Rolunat. Poèmes rustiques.
ALBERT GmHOx: Le Centenaire d'Amé-
dée Pigache.
Nouvelle.
G. LABADiE-IiAGRAya A travers les revues
étrangères.
Bulletin hebdomadaire de la Financière.
séés dc Jeunesse
EN ALGERIE v
• • i ̃ ''̃̃
LE PAYS DE BEN-YAHIA
I
Pourquoi parler des choses passées
comme de choses mortes ? La beauté de
la femme aimée dure autant que l'œil
qui l'a vue, et les yeux seraient-ils clos,
qu'au fond de l'être de l'amant aveugle,
la divine-image est toujours vivante. La
vie entière de l'homme est une gerbe
d'idées, de sentiments, de joies, de dou-
leurs, de déceptions etd'espérances, ser-
rée dans un seul lien, et qu'un coup brus-
que délie.
En attendant- ce coup, qui peut être
frappé demain ou dans quarante années,
pourquoi laisser tomber le moindre épi
ou la moindre fleur '1
Ce que je vais vous conter là n'a pas
de date, en vérité. Je l'ai vécu, je le vis
toujours, pour peu que je baisse les pau-
pières en fumant, et il me semble, Dieu
me pardonne, que je recommencerais à
courir à travers les steppes de l'Algérie
ou à gravir ses montagnes dentelées de
cèdres avec toutela ferveur de mon jeune
temps.
Parmi les hommes que j'ai connus,
ceux qui ont disparu continuent dé se
réunir, dans ma mémoire, à ceux qui
marchent encore sur la terre, comme
font les saints des musulmans qui s'as-
semblent, chaqueannée,de tous les points
les plus reculés du globe, et du fond de
tous les siècles, pour décider, sous la pré-
sidence du Prophète, du sort de leurs
fidèles. `
Dans ce concile merveilleux, les morts
ne se distinguent pas des vivants. Ils
siègent au milieu d'eux, ils parlent. Seu-
lement, quand leurs corps sont placés
devant le soleil, ils sont un peu moins
opaques, et les plus anciens, tout dia-
phanes, ne font pas d'ombrè.
Je daterai cependant quelquefois, pour
ceux qui pensent que le calendrier a sa
raison d'être, et que même les histoi-
res ennuyeuses ont besoin d'un peu de
chronologie.
18*3
Je ne connais qu'Alger. Je n'ai vu que
ses maisons blanches, sa campagne qui
me parait noire et sa mer bleue. Nous
sommes au mois d'août la chaleur du
jour me brûle, le brouillard tiède de la
nuit m'étouffe. J'aimerais bien à revoir
les feuillages verts, les eaux claires et
le ciel gris-pommelé de mon pays; mais
l'Afrique est derrière moi qui m'attire,
et je vais me donnera elle,oublianttous
les êtres et toutes les choses que j'aime.
Certes, ce n'est pas pour y retrouver ce
que j'ai lu dans mes livres. Les hommes
qui les ont. écrits ont eu leurs sensations
et leurs idées qui ne peuvent pas être
les miennes.
Je vais là-bas pour éprouver des plai-
sirs ou des peines que je n'ai pas encore
sentis. Mon corps est solide,et j'ai dans
mon portefeuille une lettre signée par le
général Wolff, commandant la division
d'Alger..
Avec cela, je peux voyagera l'aise pen-
dant deux mois et je pars un beau ma-
tin pour Médéah.
La Mitidja traversée, je regarde à peine
les gorges de la Chiffa. G'estencore pour
moi le pays noir des environs d'Alger,
un peu plus fouillé, mais sali par des
auberges. J'arrive à Médéah vers le soir,
et j'y trouve le capitaine Coyne, chef du
bureau arabe.
Le général de Lbverdo est en tournée.
Quelle verte jeunesse vous avez, vous
aussi, capitaine Coyne, quel entrain,
quelle bonne grâce, et quels souvenirs
reconnaissants vous laisserez chez tous
ceux que vous obligez 1 Dès lelendemain
matin, à cinq .heures, deux mulets, un
soldat du train et un spahi m'attendent,
et ce spahi est un vieux Turc, bien pris
dans sa taille, très sobre de gestes, né
pour être soldat comme d'autres le sont
pour être clercs de notaire. Sa barbe
courte et rude est toute grise, et il a dû
couper plus d'une tête dans la période
de la conquête.
Il m'offre son cheval et me dit en sou-
riant que je serai mieux équipé quand
nous serons allés chez Ben-Yahia à la
jambe de bois.
Qui est Ben-Yahia? Qu'est-ce que cela
veut dire? Je sais seulement que mon
Turc a dans la poche huit lettres du ca-
pitaine Coyne pour divers personnages
indigènes.
A^ons, en route 1 Le pays que nous
traversons est montueux et couvert d'ar-
bustes. Je le vois toujours noir. Est-ce
donc là cette Afrique du Sud, le pays
des mirages et des déserts blancs? Nous
suivons une grande route carrossable
qui m'impatiente.
Je ne regarde pas Ben-Chicao que je
traverse. Je dors je ne sais où,entredeux
bouquets de lentisques, dans un.coin de
terre vulgaire qui ne vaut ni un regard
ni un souvenir.
Le lendemain, je passe par Berroua-
guia, encore un village qui sent l'absin-
the. Enfin, sur un signe du spahi, je m'en-
gage dans une piste qui traverse un
champ maigre, hérissé de chaumes clairs,
et d'où s'envole un millier d'alouettes. Il
est deux heures de l'après-midi.
Cette heure-là, je nel'oublieraijamais.
Ce champ-là, ce misérable champ pelé,
gris, incliné sur le flanc d'une colline
aride, je l'évoquerai toujours, tant qu'il
me plaira, comme le visage des person-
nes absentes ou mortes qui ne cessent
pas de faire partie de ma vie. Il m'in-
troduit brusquement dans le pays arabe.
Voilà que je monte et que je descends
sur le dos d'ondulations grises qui se
suivent et se coupent comme des va-
gues.
J'entre peu à peu dans uneurégion im-
mense, où l'homme a laissé quelques
traces de son passage, mais d'où il a dis-
paru, où des moissons verdissaient peut-
être au printemps, mais où rien ne reste
qui arrête les yeux.
Dans ce désert factice, dans ce vide
inexplicable, pas une créature; je n'aper-
çois pas un arbre, pas une masure, pas
une plante digne de ce nom.Jedemande
à mon Turc où sont les Arabes. Il étend
le bras devant nous, et je nevois,rien.
Où sont leurs récoltes? 1
Il me montre la terre.
Où sont leurs maisons?
Il se met à rire et m'indique des taches
sombres que je prenais pour des taches
d'incendie. Ce sont des tentes, découpées
en noir sur la terre nue. En les regar-
dant mieux, elles prennent, à mes yeux,
la forme de chauves-souris écrasées.
Elles sont bien loin, mes prairies nor-
mandes, mes forêts vosgiennes, mes vi-
gnes bourguignonnes. J'étends mes re-
gards en avant, le plus loin possible,
pour prolonger la' sensation nouvelle
que j'éprouve, et la joie des découvertes
me remplit l'âme.
Il semble qu'une main prodigieuse ait
arraché tous les vêtements de la terre,
et que je la voie telle qu'elle est dans sa
nudité misérable, gonflant ses côtes
saillantes, étirant ses tendons et ses
muscles.
Des pluies anciennes que j'ai peine à
concevoir, des torrents diluviens pareils
à ceux des premiers âges du monde, ont
arraché des lambeaux de sachair, avivé
son squelette, évidé ses jointures. Elle
est encore élégante cependant, et ce tra-
vail formidable n'a laissé sur elle que
des traces d'une exquise délicatesse.
Je ne vois tout autour de moi que des
ravins minuscules qui se joignent les
uns aux autres pour former comme de
petites branches, et ces rameaux s'ajou-
tent à d'autres, pareils aux nervures
d'une feuille, pour composer des dessins
admirables qui défieraient l'art du gra-
veur le plus habile.
Au-dessus, la coupole du ciel, qui de-
vient de plus en plus bleuâtre à mesure
que le soleil s'abaisse, parait énorme,
parce que rien n'arrête les yeux au-des-
sous d'elle.
Je me dresse sur ma selle pour respi-
rer plus haut, et il me semble, en vérité,
qu'avant ce moment, je n'ai jamais vécu
dans l'air. Au milieu de nos villes, dans
nos forêts., dans nos champs, et même
sur la mer animée par le clapotement
des vagues l'air n'apparatt jamais
comme ici le principe unique de la vie.
Plus j'avance, ayant hâte de m'éloi-
gner des pays sombres, plus je me sens
alerte. Je n'ai ni soif, ni faim une force
inconnue pénètre dans les cavités de
mes poumons et jusque dans mes os.
Mon cheval, lui aussi, participe à cette
vie nouvelle. Il allonge ses jambes fines
sur le sol sans obstacles, et boit le vent
par coups prolongés, écartant largement
ses narines roses. Sa crinière est à demi
dressée et ondule en grosses touffes; les
crins de sa queue se séparent. Sa peau
est sèche, ses veines sont gonflées et ses
jarrets se détendent par secousses régu-
lières, après 60 kilomètres de marche,
comme s'il venait de partir.
Le soleil couchant jette dans le ciel
son rayon vert, quand je tombe, comme
par miracle, au détour d'une colline, sur
une maison entourée d'arbres.
Le spahi m'a précédé, et je vois arri-
ver, dans des burnous blancs,unhomme
petit qui s'appuie sur une canne. Il a, en
effet, une jambe de bois. Je suis en face
de Ben-Yahia, le sultan de ce pays vide.
II loue Dieu de mon arrivée, me prend
par la main et me fait entrer dans sa
maison. Il ne faut pasque je m'y trompe.
Je suis assis là devant un des hommes
les plus braves de l'Algérie, un aventu-
rier qui aurait fait bonne figure parmi
nos routiers du moyen âge; car il a joué
sa tête pendant vingtans à notre service,
et aujourd'hui même le signal d'une in-
surrection serait un coup de fusil tiré
sur lui mais il est écrit qu'il ne mourra
que de sa belle mort. Il est comme le
démon de cette immense solitude il' y
souffle à son gré la confiance ou la ter-
reur.
Il s'est donné à nous corps et âme.com-
me s'il avait fait un pacte avec l'enfer,
et la vie qui l'anime est d'une intensité
surhumaine. Il sait tout ce qui se fait et
tout ce qui se passe à vingt lieues à la
ronde. Il n'écrit jamais, et il n'oublie
rien, ni les mots, ni les gestes,nilesplus
fugitives expressions desfacesde bronze
de ses sujets.
Une volonté impérieuse étincelle dans
ses yeux perçants, sous ses sourcils gris,
et même son maigre corps, dont il n'a
qu'un reste, lui obéit sans jamais oser le
contredire. Cet homme qui n'a plus qu'un
morceau de cuisse du côté gauche,monte
à cheval, et un serviteur porte sa jambe
de bois derrière lui. Il n'a qu'une pas-
sion, étant sobre, l'ambition il n'a be-
soin que d'une chose, ayant passé l'âge
où l'on aime les femmes, d'argent. 11 dé-
pense comme un corsaire. Il reçoJA lar-
gement, il traite d'égal à ég^i des colo-
nels et des. généraux. Parti de rien, il
est dans une §G'rté d'ivresse quand il
préside un grand repas dans le Sud, où
les vainqueurs de sa race et tous ses an-
ciens ennemis lui prodiguent des témoi-
gnages de déférence et de sympathie. A
ce jeu-là, il se ruine, et les Juifs qui le
tiennent attendent sa mort pour se par-
tager ses biéns. Quand son heure sera
venue, il disparattra tout entier, il ne
restera rien de sa fortune et ses enfants
seront misérables. Il aura passé comme
un météore bienfaisant ou funeste qui
traverse la nuit.
Je dors à deux pas de ce terrible hom-
me qui m'a fait servir des plats affreuse-
ment pimentés, du couscouss sucré etdu
café parfumé avec des clous de girofle et
de l'eau de fleur d'oranger. Le lende-
main matin, je l'entends dicter des let-
tres à son secrétaire accroupi devant
lui
Répète-lui bien, dit-il, qu'il donne
à ce jeune homme de la viande bouillie
et de la galette dans une musette, quand
il le quittera. Tu te contentes d'écrire
vaguement « des provisions ». Ce n'est
pas cela. Ecris « de la viande, du mou-
ton, et du bon mouton ». Tu diras aussi
au caïd des Beni-Mohammed qu'il lui
donne des pastèques. 11 en a dans son
jardin. Et prends soin d'ajouterque c'est
moi, le bach-agha Ben-Yahia, qui le lui
dis. Combien cela fait-il de lettres?
Huit, seigneur.
Autant de lettres que celles du ca-
pitaine ?
Oui.
Donne-moi mon cachet.
Je l'interromps et lui demande si c'est
de moi qu'il s'agit.
Sans doute, me répond-il. Vous ne
connaissez pas les gens chez lesquels
vous allez. Ils ne vous donneront rien si
je ne leur dis pasclairement ce dont vous
avez besoin.
Une heure après, Ben-Yahià me con-
duit jusqu'à la limite de son domaine,
et me laisse continuer ma route monté
sur une jolie jument blanche que j'é-
changerai le lendemain contre une au-
tre. Je n'ai plus besoin de mulets ni de
soldat du train. J'ai derrière ma selle
une couverture roulée, du linge de re-
change dans mes sacocWes, et les huit
lettres du bach-agha avec les huit du
capitaine. Mon rêve continue de se réa-
liser, et je me lance, d'un nouvel effort,
en plein inconnu, mais il faut le dire
aussi, en plein soleil.
#
Il est dans le ciel depuis deux heures,
ce terrible soleil des steppes. Il s'élève
lentement sur la terre sans arbres, où
rien ne remue; des groupes de tentes tou-
jours lointaines font de place en place
des ronds noirs sur quelques collines;
mais je n'en vois rien sortir; des effluves
sans cesse plus fortsj descendent par se-
coussesde cette source bouillonnante de
chaleur.
L' astre étincelant semble un œil énorme
d'où s'échappent des flots de flammes
entre des battements de paupières. Je
comprends ces mots d'Homère « La
splendeur de Hélios. » Son éclat meur-
trier obscurcit tout ce qui l'entoure. La
terre aride ne garde rien de sa lumière
qui rebondit dans les profondeurs in-
finies du ciel. Le firmament est pâle les
champs sont ternes. Le monde est sans
ombres ni couleurs quand il atteint le
sommet de sa courbe et plane sur lui
dans sa force écrasante et dans sa ma-
jesté. Mon cavalier sur son alezan, et
moi sur ma jument blanche qui secoue
sa tête fine ornée d'un pompon bleu,
nous sommes bien, par exception, les
deux seules créatures humaines qui
soyons dehors àune pareille heure. Nous
allons d'un petit pas égal, sans bruit de
sabots sur le solameubli, muets, lesyeux
à demi clos, traversés par le feu qui
nous enveloppe, dominés par le dieu.
Nous n'avons pas d'autre désir que d'al-
ler toujours ainsi, portés dans ce pays
sans points de repère où tous les ravins
et tous les coteaux nous semblent pa-
reils et dans cette monotoniegrandiose,
nous ne sentons que nos muscles qui
sont encore bons et les jarrets de nos
bêtes qui sont infatigables. Cependant,
nous descendons peu à peu dans une
plaine très longue, et tout au bout, àune
distance de je ne sais combien de kilo-
mètres, je distingue un petitpoint blanc.
Mon Turc tourne vers ce point la tête
de son cheval encadrée d'œillères rous-
ses brodées d'or, comme un matelot la
proue de sa barque vers un phare il me
demande, en rajustant ses étriers, si je
veux faire un temps de galop. Je secoue
une torpeur inexplicable; je passe la
main sur mes yeux, je m'incline sur ma
selle et nous fendons l'air comme des
éperviers. Nos deux montures légères
jouent ensemble, se ramassent surleurs
reins, bondissent et grondent d'impa-
tience ou de joie quand elles se dépas-
sent.
Le sol tout plat fuit sous nous- comme
une rivière. Je sens entre mes jambes
qui la serrent, dans mes mains qui la
maintiennent, toutes les palpitations du
corps,tousles mouvements des hanches,
toute l'ardeur de la nerveuse bête blan-
che qui s'est grisée comme moi de lu-
mière et d'air, et qui se dépense avec
frénésie. Nous nous modérons pour re-
prendre haleine, nous trottons à grandes
enjambées, puis nous nous lançons en-
core. Elle veut ce que je veux: elle a
aperçu le point blanc avant moi peut-
être. Elle le voit grandir. C'est déjà une
coupole basse, puis une sorte de mos-
quée, puis une maison haute avec des
arbres tout autour. Alors la terre n'existe
plus pour nous. Nous sommes un bloc
lancé à la volée, et nos deux êtres n'en
font plus qu'un, dans la joie commune
qui nous soude ensemble; mais je crie
à mon cavalier d'aller de l'avant pour
m'annoncer, et je veux qu'elle s'arrête,
et je pèse sur ses rênes. Divorce violent.
Elle se débat, elle se cabre, elle s'en-
sanglante la bouche sur le mors inflexi-
ble. Il faut bien qu'elle piie à la fin,
mais avec quel dépit et quelle colère
elle me cède Quelle démarche de lionne
quand elle reprend son pas 1 Elle est
toute rosé, le sang court à fleur de peau
sous la fine neige qui couvre la poitrine
et les membres, et je la flatte sans
qu'elle me réponde. Elle ne me pardon-
nera jamais de l'avoir trahie.
Ben-Yahia avait bien raison de com-
mander des pastèques. On m'en apporte
une fendue en deux, La chair rouge ti-
quetée de pépins noirs est d'une fraî-
cheur • humide sur laquelle j'applique
avec délices mes lèvres brûlées, et j'en
bois près de la moitié, étendu sur une
natte blanche dans l'obscurité d'une
pièce percée de petites meurtrières sur
lesquelles le ciel qui m'avait paru si
pâle tout à l'heure fait maintenant des
plaqués d'azur.
E. Masqueray.
UNE ERREUR JUDICIAIRE
L'affaire Borras a naturellement ré-
veillé le souvenir de toutes les vieilles
erreurs judiciaires et fait mettre les bi-
bliothèques au pillage.
On n'a pas repris, pour cela, le Cour-
rier de Lyon. Mais le nom de Lesurques
a fait, une fois encore, son tour de presse.
Je voudrais profiter de cette actualité
qui, je l'espère, ne reviendra plus, pour
raconter une erreur de ce genre, beau-
coup moins célèbre assurément, mais
tout aussi saisissante, et, de plus, scru-
puleusement vraie en tous ses détails.
C'est d'un très court voyage à Aix-en-
Provenceque je la rapporte; J'y étais il yà
quelques jours,au milieu de magis-trats,
et j'y trouvais réunis, autour de la même
table, quelques-uns de mes compatrio-
tes les plus distingués, de ceux qui font
grand honneur, là-bas, à notre petite île
de Corse: M. de Pitti-Ferrandi, le savant
professeur de droit MM. les conseillers
Tommasi et Farinole, M. Grassi, avocat
général.
C'était au lendemain même de l'inter-
pellation Borras et, naturellement, dans
ce milieu judiciaire, on ne parlait que de
cela.
On discutait,-car,entre magistrats, on
ne se paie pas de sentimentalités, le
plus ou moins de fondement de l'inno-
cence de Borras.
Ma foi 1 s'écria M. Grassi, en pa-
reille matière, je ne jure plus de rien,
quand je songe à mon ancien client Re-
nosi, dit Rousseau, et à l'audience de la
Cour d'assises où il fut condamné!
Voyons l'histoire 1 demanda-t-on à
la ronde.
Et M. Grassi nous la raconta de très
bonne grâce, car on voyait bien que ce
vieux souvenir lui tenait au cœur.
Je regrette même de ne pouvoir trans-
crire ici la chaleur entraînante, l'accent
de vive émotion qu'il y mettait, mais ils
se retrouvent presque dans les notes
qu'il.a bien voulu me donner à ce su-
jet, et que je reproduis sans en rien mo-
difier que quelques points de détail.
C'était en 1860. Alors comme aujour-
d'hui, dans chaque canton, dans chaque
ville, dans chaque village de la Corse,
deux partis se trouvaient en présence,
divisés par dès questions de personnes
plutôt que par des raisons politiques.
Dans le canton de Pero-Casevecchio, la
lutte était particulièrement ardente en-
tre les de Corsi et les Renuoci, et,' cette
année-là, cette vieille querelledefamille
se doublait d'une compétition électo-
rale.
Les chefs des deux partis, Patrice de
Corsi et Antoine Renucci, parcouraient
le canton à la tête de leurs partisans, al-
lant de village en village et de porte en
porte, suivant la vieille coutume corse.
Un soir, le 13 juin, à lanuittombante,
Patrice de Corsi quittait le petit hameau
de Renoso, accompagné de deux de ses
amis, Blasi et Filippi, dit Prete-Vec-
chio (le vieux prêtre). Ils rentraient à
Pero, le chef-lieu du canton.
A mi-chemin, on entend des éclats de
voix, des chansons. C'est une bande de
jeunes gens, une quinzaine environ, qui
rentrent à Renoso et reviennent précisé-
ment de Pero, où ils ont passé la jour-
née.
C'étaient des parents et des amis d'An-
toine Renucci, des adversaires, par con-
séquent, de de Corsi. En voyant, à un
détour du chemin, ce dernier, qui s'en
revenait avec ses deux amis, l'un de ces
jeunes gens eut la malheureuse idée de
lancer une pierre contre le petit groupe.
Patrice de Corsi fut atteint à la tempe
gauche et tomba, inanimé. Le sang cou-
lait abondamment. Ses amis le crurent
mort, et Prete-Vecchio, qui était, selon
la parole des témoins, « un lion de cou-
rage », résolut de le venger.
Il s'avança, le pistolet au poing, vers
la bande des jeunes gens, sommant l'au-
teur de l'attentat de se faire connaître.
Les jeunes gens, se voyant ainsi visés,
avaient tiré aussi leurs pistolets et s'é-
taient tous groupés en peloton. Au pre-
mier rang se tenait Renosi, dit Rous-
seau, et derrière lui, masqué presque
entièrement par lui, un de ses camara-
des, plus petit de taille, nommé Simoni.
Quand Prete-Vecchio ne fut qu'à quel-
ques pas du groupe, une détonation re-
tentit, et Prete-Vecchio tomba, tué raide.
C'était Simoni, placé au second rang,
qui avait tiré, mais il l'avait fait il faut
bien retenir ce détail pour comprendre
ce qui va suivre en passant son bras
sous l'aisselle de Rousseau, qui se tenait
au premier rang, et en visant à travers
ce jour.
Patrice de Corsi, un moment étourdi
par le coup de pierre, le visage ensan-
glanté, s'était cependant relevé quand il
avait vu Prete-Vocchio se précipiter le
pistolet à la main,et il courait après lui,
ainsi que Blasi, pour empêcher un mal-
heur.
Ils entendirent la détonation, virent
distinctement, dans la nuit, la figure de
Rousseau, éclairée par la lueur du coup,
aperçurent son brastendu, car Rousseau,
comme tous ses camarades, avait l'arme
au poing.
Ils furent convaincus,- et il était im-
possible qu'ils ne le fussent pas, que
c'était Rousseau qui venait de faire feu.
Sitôt après la détonation, les quinze
jeunes gens prirent la fuite et, le IendQ-
main commença l'instruction qui fut
naturellement des plus simples, malgré
le très grand nombre de témoins enten-
dus. Aucun des jeunes gens ne voulut
parler; de ce côté-là, le mutisme fut
impénétrable. Mais Patrice de Corsi et
Blasi, son compagnon de route, étaient
formels* et c'étaient des témoins, terri
blés pour Rousseau, car ils déposaient
dans toute la force de leur conscience
ils avaient entendu le coup, et ils étaient
certains d'avoir vu le meurtrier. Patrice
de Corsi surtout était un témoin redou-
table ce n'était alors qu'un jeune avo-
cat, mais il était en possession déjà de
l'estime générale, du respect de tous,des
très vives sympathies qui l'ont suivi plus
tard dans sa carrière et l'ont finalement
mené au Sénat,car le de Corsi dont nous
parlons ici est le même qui mourut sé-
nateur, il y a quelques années à peine,
et dont la mort a laissé un grand vide
dans la Corse entière.
L'affaire fut portée aux assises à l'une
des sessions de 1861, et M. Grassi, no-
tre aimable interlocuteur d'Aix, alors
jeune et brillant débutant au barreau,
fut chargé de la défense de Rousseau.
Ce dernier avait appris à son avocat
tous les détails du drame du 13 juin, les
circonstances si tragiques du meurtre,
son innocence et la culpabilité certaine
d'un autre qu'il se refusait à nommer.
L'affaire allait venir le lendemain,
lorsque M0 Grassi reçut la visite de Si-
moni, le véritable meurtrier, qui lui tint
ce langage ̃ •
Vous allez, demain, défendre Rous-
seau. Je tiens à ce que vous sachiez que
votre client est innocent.
Je le sais.
Alors, reprit Simoni,vous connais-
sez le coupable? '?
Non.
Eh bien, c'est moi 1
On devine l'émotion de l'avocat.
Dans quel but, demanda-t-il, me
dites-vous cela? La gravité de votre dé-
claration ne peut vous échapper. Me
laissez-vous le droit de m'en servir ? '?
Non, reprit vivement Simoni. C'est
à l'avocat que je parle je me confie à
votre honneur professionnel. J'ai voulu
seulement que vous fussiez bien sûr de
l'innocence de Rousseau, pour le défen-
dre de tout votre cœur, avec toute l'éner-
gie possible.
C'est dans ces conditions que se pré-
senta l'affaire. Ce que fut l'audience pour
le malheureux avocat, on l'imagine sans
peine, et l'on peut se demander qui souf-
frait le plus, de lui ou de son client
« Vous devinez, écrit M. Grassi dans les
» notes qu'il m'a remises, dans quel
» état j'étais à l'audience lorsque j'en-
» tendais Patrice de Corsi et Blasi affir-
» mer comme il était de leur devoir de
»le faire la culpabilité de Rousseau
» alors que l'auteur du crime était là, à
» deux pas de moi, car Simoni, afin de
» mieux suivre les débats, avait invoqué
« son titre de parent de l'accusé pour
» pénétrer dans l'enceinte réservée, et
» il se tenait tout près de la barre. »
Ce que M. Grassi ne peut pas ajouter,
mais ce que n'ont pas oublié ceux qui
assistaient à cette émouvante audience,
c'est l'immense effet que sa plaidoirie
produisit sur les jurés et sur la cour. Il
trouva de ces accents que le talent est
impuissant à donner par lui-même, et
qu'il faut puiser dans une ardente et
profonde conviction.
Les débats étaient dirigés par un ma-
gistrat d'une haute impartialité, M. le
conseiller Fabrizy, devenu, depuis,
président de chambre. Les efforts de
l'avocat l'avaient vivement impressionné.
Avant de commencer son résumé, il
rappela Patrice de Corsi aux débats il
fit, en même temps, descendre Rousseau
de la sellette, et après l'avoir fait placer,
dans le prétoire, à côté de de Corsi, il
dit à ce dernier
Témoin,yous êtes un parfait honnête
homme, vous êtes avocat, vous compre-
nez mieux que personne l'importance de
votre déposition. Vous venez d'entendre
la plaidoirie de Me Grassi. Je vous en
conjure, regardez bien Rousseau, et
dites-nous si vous êtes bien sûr de ne
pas vous tromper.
Patrice de Corsi, je l'ai dit, était un
homme d'une probité inattaquable, une
conscience droite et noble, un homme
d'honneur dans la force du terme. C'était,
de plus, un beau garçon, grand, fort, au
visage franc et loyal. Il était aux débats
en habit noir, ganté de noir, portant le
deuil de son ami. Son attitude était
d'une dignité imposante. Il regarda lon-
guement l'accusé, puis étendant les bra
de son côté, et le montrant du doigt pen-
dant quelques secondes,il dit simplement
d'une voix grave:
Si cet homme s'appelle Rousseau,
Rousseau est l'assassin de Prête- Yecchio!
Il y eut un frémissement. c'était fini.
La condamnation était certaine, et, sur
le verdict affirmatif du jury, la Cour pro-
nonça la peine de vingt ans de travaux
forcés.
Le soir même, Rousseau recevait, à la
prison, la visite de son avocat qui l'ad-
jurait de parler, de faire connaître le
vrai coupable puisque celui-ci n'avait
pas voulu se dénoncer lui-même. Rous-
seau s'y refusa énergiquement.
Que voulez-vous ? 2 disait-il avec
amertume. Je comprends que Simoni
hésite. vingt ans de travaux forcés, ce
n'est pas gai
Puis, sur de nouvelles insistances
D'ailleurs, reprit-il, tout espoir n'est
pas perdu. Faites le pourvoi en cassa-
tion, nous verrons après.
Le pourvoi fut fait. Il n'y avait aucune
raison pour qu'il fût admis; il ne le fut
pas.
Nouvelle visite de l'avocat à la prison.
Eh bien Rousseau, le pourvoi est
rejeté. L'heure de parler est enfin ve-
nue. Il n'y a plus d'hésitation possible.
Mais lui, pourtant, hésitait toujours,
répugnant, dans son étroite et généreuse
cervelle de paysan, à ce qu'il considé-
rait comme une dénonciation.
Mais puisque Sirrioni ne veut pas
se dénoncer! lui disait-on.
r-r Cela le regarde, répondait-il obsti-
nément. moi, je n'ai jamais dénoncé
personne.
A bout d'arguments, cependant, il
essaya de gagner encore du temps.
Faites un recours en grâce, dit-il â
son avocat. Je suis innocent, on peut
bien me gracier 1. Je n'en serai pas
moins un: condamné, mais je serai libre,
et Simoni aussi!
On fit, pour lui donner toutes les sa-
tisfactions, le recours en grâce. Il fut
rejeté. Cette fois, tous les moyens
étaient épuisés, on pouvait croire qu'il
parlerait. Il ne parla pas, et, stoïque-
ment, il partit pour le bagne de Toulon.
Il y resta trois ans, trois années de
tortures morales et physiques, car sa
santé s'était rapidement altérée, et peu
à peu ses forces l'abandonnaient. Un
jour, enfin, à bout de souffrances, il
parla. Il raconta toutes ses misères à
son camarade de chaîne, un ancien no-
taire, homme fort intelligent, peu sensi-
ble aux scrupules par trop héroïques
qui arrêtaient Rousseau, et qui prit sur
lui d'informer la justice.
Il adressa un mémoire au procureur
général près la cour de Bastia. C'était
alors M. Bédarrides, aujourd'hui prési-
dent de chambre à la Cour de cassation.
Le mémoire l'émut par son accent de
sincérité. Il prit lui-même l'affaire en
mains et la mena, il faut le dire, avec
un très haut souci de la justice et de
l'humanité.
Simoni fut arrêté, l'instruction fut
rouverte, un nouveau débat s'engagea
en Cour d'assises, qui se termina, cette
fois, par la condamnation du vrai cou-
pable.
A cette nouvelle audience, Rousseau,
qui allait être bientôt mis en liberté,
comparut encore, mais, cette fois/cqmme
témoin. On l'avait, pour la circonstance,
fait sortir du bagne; son innocence était
virtuellement reconnue, mais elle ne
pouvait être proclamée qu'après la con-
damnation de Simoni, seule base de la
revision du premier procès, et par une
dernière ironie, par une dernière cruauté
du sort, il fut obligé de venir avec la ca-
saque, et sous le bonnet vert des forçats,
à cette audience où son innocence allait
être solennellement reconnue 1.
Telle est cette histoire qui, pour
n'avoir pas été célèbre, n'en fut pas, je
crois, moins émouvante. Simoni est
mort au bagne. Je ne sais ce qu'est de-
venu Rousseau après sa mise en liberté.
Sa condamnation n'avait pas fait grand
bruit; sa réhabilitation n'en fit pas beau-
coup plus. Moins heureux que Borras,
il n'a pas eu d'apothéose. Même dans le
malheur il y a ceux qui ont de la
chance et ceux qui n'en ont pasl.
Emmanuel Arène.
MICKIEWICZ
NAPOLÉON, LA FRANCE
Samedi dernier 28 juin, Adam Mic-
kiewicz était exhumé du cimetière de
Montmorency, où il reposait depuis
trente-cinq ans.
Ajoutez ce laps de temps aux vingts
cinq années qu'il a vécu chez nous, pro-
fesseur au Collège de France, poète, pu-
bliciste, toujours un peu conspirateur,
c'est donc pendant soixante ans que,
vivant ou mort, il a été l'hôte de la terre
française.
A Montmorency, il reposait en pleine
Pologne, car là, les tombes du cimetière,
en grand nombre, portent des inscrip-
tions illisibles pour les indigènes de
Seine-et-Oise; et non loin de là, dans
l'église Notre-Dame,sousles inscriptions
où resplendissent tant de noms de ba-
tailles polonaises et françaises, dorment
enveloppés de leurs manteaux militaires,
sévères figures de pierre sur la pierre
des tombes, Niemcéwicz, le grand- poète,
le héros de la bataille où Kosciuszko n'a
pas prononcé le Finis Poloniœ, et Knia-
ziewicz, un autre héros de cette même
bataille, le héros de nos campagnes
d'Italie, d'Allemagne et de Russie.
Ce cimetière de Montmorency a reçu
les dépouilles de tant d'émigrés polo-
nais, épaves de tant de naufrages, bat-
tus et roulés par tant de tempêtes, à tra-
vers les renaissances et les chutes de
leur patrie, à travers les triomphes et
les désastres des armes françaises, sol-
dats des légions polonaises du Direc-
toire, soldats des légions de la Vistule
sous Napoléon, soldats des régiments de
1831, soldats des bandes de 1863 Et non
seulement les guerriers, mais les pen-
seurs, les tribuns, les législateurs, ceux
qui siégèrent dans les conseils de l'in-
surrection de 1793, dans les Chambres
du grand-duché de Varsovie, dans cel-
les du royaume de Pologne!
La dépouille de Mickiewicz, qui, en
1855, a fait le voyage de Constantinople
à Montmorency, qui, en 1890, fait le
voyage de Montmorency à Cracovie,,
trouvera-t-elle là-bas une terre plus po-
lonaise'que celle-ci? Sera-t-elle plus en
Pologne, même quand elle sera descen-
due dans les caveaux du mont Wawel,
où sont déjà les anciens rois aux armu-
res gothiques; et Joseph Poniatowski,
le « chef des Polonais » de la Grande
Armée et Kosciuszko, sur la tombe du-
quel se hérissent, parmi les sabres et les
lances, les faux de ses faucheurs ? 2
Cependant, voilà que le cercueil de
Mickiewicz retraverse pour la seconde
fois toute la largeur de l'Europe.
Il a pour toujours quitté l'humus où
restent tant des siens, et c'est dans un
appareil triomphal qu'il en est sorti,
porté non pas sur un char funèbre,
mais, à la mode si touchante de Polo-
gne, sur les épaules de ses amis, sur
les épaules de cette jeunesse qu'il a tant
aimée, et à laquelle il dédiait, en 1822,
l'Ode célèbre
A LA JEUNESSE
Sans cœur et sans âme, voici des peuples
dé squelettes. Jeunesse! prête-moi tes ailes
et je prendrai mon essor au-dessus du vieux
monde, vers les contrées de l'illusion bien-
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