Titre : Le Monte-Cristo : journal hebdomadaire de romans, d'histoire, de voyages et de poésie / publié et rédigé par Alexandre Dumas, seul
Auteur : Dumas, Alexandre (1802-1870). Auteur du texte
Éditeur : Devalier (Paris)
Date d'édition : 1858-01-14
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32819834x
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 14 janvier 1858 14 janvier 1858
Description : 1858/01/14 (N39). 1858/01/14 (N39).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k2053093
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
LE MONTE-CRISTO.~
'M~
M. le préfet de police n'avait pas eu l'idée qu'une pareille
foule vint rendre hommage à une simple artiste, quand
tous les jours sans encombrement on enterre des généraux
et des ministres.
C'est étrange, mais c'est ainsi, et, comme je le disais un
peu plus haut, c'est notre consolation et notre orgueil à nous
autres de traîner ainsi les populations à la suite de notre
cercueil.
Chacun nous garde quelque chose dans son'cceur, de bon,
de tendre, d'affectueux, qu'il ne se croit pas obligé de nous
dire de notre vivant, et qui tout à coup, comme les bienfai-
santes pluies .d'été, éclate en larmes à notre mort.
Comment appeler cette douce tendresse, ces affectueux
sentiments?
C'est tout simplement de la reconnaissance.
Et en effet, ce général qui passe avec sa musique militaire,
ce ministre qui s'en va avec sa pompe gouvernementale, il
est bien rare qu'ils n'aient pas fait couler des larmes, ce gé-
néral s'appelât-il Turenne, ce ministre s'appelât-il Colbert.
On a été obligé d'enterrer Louis XÎV de nuit; on,a failli ne
pas enterreï.du tout Louis XV.
Cet homme qu'on pleure, cette~ femme que l'on acclame,
qu'est-ce donc?
Eh mon Dieu 1 c'est un ou une artiste, qui' a _tout simple-
ment, et pendant vingt ans, trente ans, quarante ans de sa
vie, versé, du haut de son génie, la joie, la consolation, le
plaisir dans tous les cœurs."
Ne vous plaignez donc pas, riches deshérités, Vous êtes
les seuls vrais grands de la terre
A vous seuls est réservée cette gloire d'avoir deux cent
mille personnes à votre enterrement.
a a
Vers une heure à peu près le convoi partit.
H était précédé de onze gardes municipaux à cheval, es-
corté d'une trentaine dé gardes municipaux à pied.
Le char funëbre'était traîné par six chevaux. Morte, Racbel
avait vraiment droit à ce royal attelage; qu'elle avait eu quel-
quefois de son vivant. Lés chevaux étaient richement et tris-
tement caparaçonnés,'noir et argent.
~ï 'Uii agent*des pompes funèbres montait un-des chevaux de
devant, avec son costume des grandes cérémonies.
Un autre, assis sur le char, tenait les rênes.
Les quatre glands d'argent du cercueil étaient portés
Bar M. le baron Taylor, comme-président des artistes dra-
matiques; L:
Par M. Geffroy, comme représentant la Comédie-Fran-
çaise;
Par M. Maqùet; comme président de la Commission des
auteurs
Et par. moi, comme étant moi, sans doute, attendu _qùe je
~nesuis'rieh'autre chose.'
Maintenant, où était donc l'Académie? Nous avons vu
M. Legouvé et M. Viennet étaient-ils députes~ par .l'illustré
corps, venaient-ils remplir un devoir personnel, nous l'i-
gnorons.
tl y avait littéralement haie sur cinq et six personnes de
hauteur, depuis la placeRoyale jusqu'au cimetière'du Père-
Lachàise.
Quant au cimetière,'il était encombré.
De'femps en temps, la'main d'uri ouvrier en blouse que je
ne -connais -pas,, mais qui me connaît, s'étendait vers moi.
II va sans dire que je serrais cordialement cette main.
Un d'eux; en me tendant la sienne, me dit
–Pour vous et pOur Victor Hugo.- *'i
Cette main-là, je l'ai serrée deux fois. plus fort que les
autres.
C'estrun brave peuple que celui qui est à la fois religieux
aux morts et fidèle aux exilés.
Raphaël Félix et l'un des fils de mademoiselle Rachel me-
liaient le deuil.
Le convoi, en partant, avait laissé Lia, la sœur de made-
moiselle Itachel, évanouie.
Elle allait rejoindre, la pauvre Rachel, son autre sœur
Rébecca que nous avons conduite, il y a quatre ou cinq ans,
par la même route, au même asile, et qui l'avait laissée éva-
.-nouie, elle comme à son tour elle laissait Lia.
La mort avait, dans l'espace de cinq ans, étendu deux fois
la main vers le même arbre.
La première fois elle a cueilli la fleur;
La seconde fois le fruit.
Le poète Ménandre a dit
Ils sont aimés dès dieux ceux qui meurent jeunes.
Au cimetière/après avoir fait cent pas à peu près en droite
ligne, et cinquante pas âpres avoir tourné à'droite, le corbil-
lard s'arrêta.
En s'arrêtante il recala/et faillit écraser Taylor, qui se
trouva pris entre la roue ët.Ià masse compacte qui le suivait.
Il s'arrêtait pour laisser porter à bras le cercueil jusque
dans le cimetière Israélite,'séparé du cimetière chrétien par
une muraille et par une grille. >
Là, tous les efforts des gardes municipaux présents furent
impuissants à maintenir là -population, qui se précipita ar-
demment pour se mêler aux trois ou quatre mille personnes
qui accompagnaient lé corps depuis la maison.,
Un garde municipal fut renversé, son fusil lui échappa des
mains.
La brèche était faite.
Il y eut un instant oppression et étoun'ement, dans une
allée de trente pieds de large, comme la chose pourrait avoir
lieu dans un couloir d'un ou deux mètres.
L'enclos d'un "petit jardin fut brisé. Cinquante ou
soixante'personnes y furent entraînées.
J'étais de celles-là.
Pendant ce temps la grille s'était fermée. Cinq cents per-
sonnes à peine avaient pu suivre le corps.
'Trente mille personnes peut-être restaient de l'autre coté
de cette grille.
Le corps, enfermé dans une bière nue en noyer, fut dé-
posé dans la terre..La religion israélite, dans laquelle était
morte la grande artiste, ne permet aucun ornement.
Ce n'est qu'au bout d'un an qu'un monument peut être
élevé sur l'emplacement où repose le corps.
Près de cette tombe béante trois personnes..parlèrent tour
a.tour.
MM. Battaille, Auguste Màquet, Jules Janin.
Les journaux, 'le C'onsdonné les discours des deux premiers.
Un de nos secrétaires est en ce moment à Passy pour de-
mander le discours du dernier.
Nous croyons convenable de laisser a cette tombe le temps
de se refermer, avant d'écrire sur cette grande artiste ce qui
nous reste à en dire à nos lecteurs.
'La mort est femme, elle a sa pudeur.
w ALEXANDRE DUMAS..
'f
_'t
Mon cher poète,'
Il n'y avait que vous pour raconter le deuil d'hier; mais
j'ai tâché de le résumer en quelques paroles que j'ai 'trou-
vées, et puisque vous me faites l'honneur de vous en occu-
'M~
M. le préfet de police n'avait pas eu l'idée qu'une pareille
foule vint rendre hommage à une simple artiste, quand
tous les jours sans encombrement on enterre des généraux
et des ministres.
C'est étrange, mais c'est ainsi, et, comme je le disais un
peu plus haut, c'est notre consolation et notre orgueil à nous
autres de traîner ainsi les populations à la suite de notre
cercueil.
Chacun nous garde quelque chose dans son'cceur, de bon,
de tendre, d'affectueux, qu'il ne se croit pas obligé de nous
dire de notre vivant, et qui tout à coup, comme les bienfai-
santes pluies .d'été, éclate en larmes à notre mort.
Comment appeler cette douce tendresse, ces affectueux
sentiments?
C'est tout simplement de la reconnaissance.
Et en effet, ce général qui passe avec sa musique militaire,
ce ministre qui s'en va avec sa pompe gouvernementale, il
est bien rare qu'ils n'aient pas fait couler des larmes, ce gé-
néral s'appelât-il Turenne, ce ministre s'appelât-il Colbert.
On a été obligé d'enterrer Louis XÎV de nuit; on,a failli ne
pas enterreï.du tout Louis XV.
Cet homme qu'on pleure, cette~ femme que l'on acclame,
qu'est-ce donc?
Eh mon Dieu 1 c'est un ou une artiste, qui' a _tout simple-
ment, et pendant vingt ans, trente ans, quarante ans de sa
vie, versé, du haut de son génie, la joie, la consolation, le
plaisir dans tous les cœurs."
Ne vous plaignez donc pas, riches deshérités, Vous êtes
les seuls vrais grands de la terre
A vous seuls est réservée cette gloire d'avoir deux cent
mille personnes à votre enterrement.
a a
Vers une heure à peu près le convoi partit.
H était précédé de onze gardes municipaux à cheval, es-
corté d'une trentaine dé gardes municipaux à pied.
Le char funëbre'était traîné par six chevaux. Morte, Racbel
avait vraiment droit à ce royal attelage; qu'elle avait eu quel-
quefois de son vivant. Lés chevaux étaient richement et tris-
tement caparaçonnés,'noir et argent.
~ï 'Uii agent*des pompes funèbres montait un-des chevaux de
devant, avec son costume des grandes cérémonies.
Un autre, assis sur le char, tenait les rênes.
Les quatre glands d'argent du cercueil étaient portés
Bar M. le baron Taylor, comme-président des artistes dra-
matiques; L:
Par M. Geffroy, comme représentant la Comédie-Fran-
çaise;
Par M. Maqùet; comme président de la Commission des
auteurs
Et par. moi, comme étant moi, sans doute, attendu _qùe je
~nesuis'rieh'autre chose.'
Maintenant, où était donc l'Académie? Nous avons vu
M. Legouvé et M. Viennet étaient-ils députes~ par .l'illustré
corps, venaient-ils remplir un devoir personnel, nous l'i-
gnorons.
tl y avait littéralement haie sur cinq et six personnes de
hauteur, depuis la placeRoyale jusqu'au cimetière'du Père-
Lachàise.
Quant au cimetière,'il était encombré.
De'femps en temps, la'main d'uri ouvrier en blouse que je
ne -connais -pas,, mais qui me connaît, s'étendait vers moi.
II va sans dire que je serrais cordialement cette main.
Un d'eux; en me tendant la sienne, me dit
–Pour vous et pOur Victor Hugo.- *'i
Cette main-là, je l'ai serrée deux fois. plus fort que les
autres.
C'estrun brave peuple que celui qui est à la fois religieux
aux morts et fidèle aux exilés.
Raphaël Félix et l'un des fils de mademoiselle Rachel me-
liaient le deuil.
Le convoi, en partant, avait laissé Lia, la sœur de made-
moiselle Itachel, évanouie.
Elle allait rejoindre, la pauvre Rachel, son autre sœur
Rébecca que nous avons conduite, il y a quatre ou cinq ans,
par la même route, au même asile, et qui l'avait laissée éva-
.-nouie, elle comme à son tour elle laissait Lia.
La mort avait, dans l'espace de cinq ans, étendu deux fois
la main vers le même arbre.
La première fois elle a cueilli la fleur;
La seconde fois le fruit.
Le poète Ménandre a dit
Ils sont aimés dès dieux ceux qui meurent jeunes.
Au cimetière/après avoir fait cent pas à peu près en droite
ligne, et cinquante pas âpres avoir tourné à'droite, le corbil-
lard s'arrêta.
En s'arrêtante il recala/et faillit écraser Taylor, qui se
trouva pris entre la roue ët.Ià masse compacte qui le suivait.
Il s'arrêtait pour laisser porter à bras le cercueil jusque
dans le cimetière Israélite,'séparé du cimetière chrétien par
une muraille et par une grille. >
Là, tous les efforts des gardes municipaux présents furent
impuissants à maintenir là -population, qui se précipita ar-
demment pour se mêler aux trois ou quatre mille personnes
qui accompagnaient lé corps depuis la maison.,
Un garde municipal fut renversé, son fusil lui échappa des
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La brèche était faite.
Il y eut un instant oppression et étoun'ement, dans une
allée de trente pieds de large, comme la chose pourrait avoir
lieu dans un couloir d'un ou deux mètres.
L'enclos d'un "petit jardin fut brisé. Cinquante ou
soixante'personnes y furent entraînées.
J'étais de celles-là.
Pendant ce temps la grille s'était fermée. Cinq cents per-
sonnes à peine avaient pu suivre le corps.
'Trente mille personnes peut-être restaient de l'autre coté
de cette grille.
Le corps, enfermé dans une bière nue en noyer, fut dé-
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morte la grande artiste, ne permet aucun ornement.
Ce n'est qu'au bout d'un an qu'un monument peut être
élevé sur l'emplacement où repose le corps.
Près de cette tombe béante trois personnes..parlèrent tour
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MM. Battaille, Auguste Màquet, Jules Janin.
Les journaux, 'le C'ons
Un de nos secrétaires est en ce moment à Passy pour de-
mander le discours du dernier.
Nous croyons convenable de laisser a cette tombe le temps
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nous reste à en dire à nos lecteurs.
'La mort est femme, elle a sa pudeur.
w ALEXANDRE DUMAS..
'f
_'t
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