Aux expositions universelles

1867 : la découverte

Quelques centaines de porcelaines, de bronzes et d'estampes, choisis par le premier consul général de Grande-Bretagne au Japon, Sir Rutherford Alcock (The Capital of the Tycoon: A Narrative of a Three Years' Residence in Japan, vol. 1 et 2), figurent déjà à l'exposition de Londres en 1862. Mais c'est bien à Paris, cinq ans plus tard, que pour la première fois l'Empire du Soleil levant, tout récemment rouvert au monde, participe officiellement à une exposition internationale. Pour beaucoup, ce sera l'exposition de la découverte.

Plusieurs milliers d'objets sont envoyés à Paris par un gouvernement shôgunal en sursis, représenté par le tout jeune prince Tokugawa Akitake. Mais les fiefs de Satsuma et de Saga, partisans d'une restauration impériale qui ne tardera plus à triompher, ont également leur propre délégation. Le Monde illustré (28/09/1867) s'y perd un peu, qui légende Intérieur de la maison du gouverneur de Satzouma la représentation d'une maison bourgeoise commanditée par le taïcoun (synonyme de shôgun) avant de publier un erratum la semaine suivante... Quoiqu'il en soit, "L'Exposition universelle a appelé à Paris des Japonais. Ce n'est certes pas un de ses moindres miracles", comme le souligne L'exposition populaire illustrée. Le pavillon japonais du Champ de Mars, a été dessiné par l'architecte Alfred Chapon, tandis qu'une ferme japonaise est installée dans les jardins du Trocadéro.
Gustave Duchesne de Bellecour, premier consul général de France au Japon, couvre l'événement pour la Revue des deux mondes (01/08/1867), réservant encore l'essentiel de son admiration à la porcelaine, alors que ce sont les armures qui impressionnent plus particulièrement le rédacteur de L'album de l'Exposition illustrée... Dans un style plus lyrique, l'auteur de l'Histoire générale de l'Exposition universelle de 1867 écrit quant à lui : "L'exposition japonaise nous fera rêver longtemps ! Elle est de nature à réduire sérieusement nos prétentions artistiques", avant de conclure : "Oui, le Japon a bien des secrets à nous apprendre !"
Autrement importante est la série de trois articles publiée dans Le Constitutionnel (14/01, 21/01 et 11/02/1868) par le critique d'art Ernest Chesneau et qu'il reprendra en volume dans Les nations rivales dans l'art (1868). Non sans quelques préjugés raciaux, bien dans l'air du temps, la "supériorité" du Japon sur la Chine y est affirmée sans détour. Les Japonais sont qualifiés par l'auteur de "peuple artiste", les principales qualités de leur art étant, selon lui, "l'invention, l'imagination et le goût de la perfection"... A l'issue de l'exposition, une grande vente (Revue internationale de l'art et de la curiosité, 15/01/1869) est organisée : plus de 1300 objets resteront en France et circuleront entre les mains des premiers collectionneurs de japonaiseries...
1878 : l'enthousiasme

"Connaissez-vous, en effet, rien de plus à l'ordre du jour que le Japon, dont l'Exposition universelle a achevé de nous révéler les mystères étranges ? Le Japon est aussi nouveau et aussi à la mode aujourd'hui que pouvait l'être l'Amérique lors du retour de Christophe Colomb", note Albert de Lasalle au détour d'une chronique musicale (Le Monde illustré, 25/01/1879). L'article que lui consacre Eugène-Oscar Lami dans son Dictionnaire de l'industrie (1881-1891) le confirmera quelques années plus tard : le nouveau Japon de l'empereur Meiji a bien été la vedette de l'exposition.

Comme il est précisé dans La Chine et le Japon à l'Exposition de 1878 : "Le Japon se présente à l'Exposition sous deux formes : le Japon rural au Trocadéro et le Japon intellectuel et industriel au Champ de Mars". C'est, en effet, au Palais du Champ de Mars, à la façade duquel sa statue allégorique (oeuvre d'Eugène-Antoine Aizelin) a rejoint celle des autres nations, que se tiennent son pavillon et sa "porte typique", que L'Exposition universelle de 1878 illustrée (n°118 et n°125) franchit pour nous... Et, de même qu'en 1867, un enclos japonais et sa ferme trouvent place dans les jardins du Trocadéro. Dans le Palais lui-même, sont présentées des œuvres choisies par Wakai Kenzaburô, l'expert de la commission japonaise. Celle-ci, en plus du Catalogue des objets envoyés à l'exposition universelle de Paris et du Catalogue de la section japonaise, publie Le Japon à l'exposition universelle de 1878, ouvrage encyclopédique en deux volumes traitant de la géographie, de l'histoire, des productions industrielles et du système d'enseignement du pays. Non loin de là sont encore exposés des objets prêtés par Siegfried Bing, Philippe Burty, Isaac de Camondo ou Emile Guimet (article et illustration du Monde illustré, 16/11/1878), les grands collectionneurs du premier japonisme...
Les comptes rendus dans la presse sont nombreux et bien informés, émanant du même Ernest Chesneau qu'en 1867 (Gazette des beaux-arts, 2e semestre 1878, I et II) ou du juriste Georges Bousquet (Revue des deux mondes, 01/08/1878), qui venait de passer quelques années à Tôkyô comme conseiller auprès du gouvernement nippon. Mais Duranty, le chantre du Réalisme (Gazette des Beaux-Arts, 01/12/1878), le critique d'art Philippe Burty (L'art : revue hebdomadaire illustrée, n° 15, 1878), ou encore de l'homme de lettres Emile Bergerat (Les chefs-d'oeuvre d'art à l'Exposition universelle 1878, tome 1) témoignent également de l'événement.
En plus de ces articles généraux, plusieurs études spécialisées sont publiées, sur les laques par Charles Ephrussi (Gazette des beaux-arts, 01/12/1878) ou la céramique par Paul Gasnault (Gazette des beaux-arts, 01/12/1878), par exemple. L'organisateur de la section japonaise de l'Exposition universelle, Maeda Masana, contribue lui-même à cet enrichissement de la connaissances des métiers d'art du Japon : l'un de ses articles est consacré à la laque (La Revue scientifique de la France et de l'étranger, 15/06/1878) et l'autre à la porcelaine (La Revue scientifique de la France et de l'étranger, 22/06 1878, 29/06/1878).
1889 : un certain refroidissement

"Le nombre des exposants de la section japonaise dépasse celui de 1878" peut-on lire dans Les merveilles de l'Exposition de 1889. Pourtant, comme le constate la Revue de l'exposition universelle de 1889, "depuis des années, la révélation est faite". Et le Japon ne bénéficie déjà plus des mêmes faveurs, ni de la part du grand public ni de la part des journalistes. Le pavillon de la rue du Caire, édifié dans le style des demeures seigneuriales du XVIIIe siècle par l'architecte Charles Gauthier ne suscite pas un grand enthousiasme.

Et l' on ne peut pas dire que l'exposition d'horticulture des jardins du Trocadéro ou la maison japonaise de l'exposition consacrée par Charles Garnier à l'Histoire de l'habitation humaine déplacent les foules... Mais au Palais des Arts libéraux, de grands collectionneurs parisiens tels que Siegfried Bing, Louis Gonse ou Hugues Krafft (photographie par A. Borderia), exposent faïences, porcelaines, peignes, poupées, gardes de sabres, masques, netsuke, etc., ainsi qu'une centaine de livres et de gravures présentés selon une logique enfin historique.
Hayashi Tadamasa, déjà présent aux côtés de Wakai Kenzaburô en 1878, et qui s'est installé à Paris entre-temps, joue un rôle très actif au sein du commissariat japonais de l'exposition. Le catalogue publié par celui-ci témoigne de la volonté de faire connaître les arts du Japon antérieurs aux XVIIIe et XIXe siècles sous un angle résolument scientifique... "A bien des titres, on le voit, l'Exposition japonaise mérite une sérieuse attention" : c'est ainsi que s'achève l'article d'Emile Michel paru dans L'art (01/12/1889), traduisant un sentiment général plutôt tiède...
1900 : le réenchantement

"Après cette Exposition, il ne sera plus permis de traiter le goût du Japon de dilettantisme puéril, son art de ramassis de menus bibelots frivoles, parfois charmants, toujours sans valeur esthétique profonde. A partir d'aujourd'hui, on reconnaîtra que sa place est au premier rang des arts". C'est sur ces mots qu'Emile Hovelaque conclut sa série d'articles (Gazette des Beaux-Arts, 01/10/1900, 01/01 et 01/02/1901) sur l'Exposition rétrospective du Japon, organisée par Hayashi Tadamasa (photographie par E. Pirou), devenu commissaire de la section japonaise.

Celui-ci y expose notamment des sculptures bouddhiques anciennes et de nombreuses oeuvres picturales (rouleaux et kakemono) qui créent un véritable choc, y compris parmi les amateurs les mieux informés, la place de l'estampe ukiyo-e et des arts décoratifs de la période Edo (1603-1867) se trouvant soudain relativisée au profit d''un art plus "classique" encore peu connu en France. C'est ce déplacement qui est également à l'oeuvre dans l'Histoire de l'art du Japon publiée au même moment par la Commission impériale.
Mais, pour la plupart des visiteurs, ce qui fait sensation, c'est le Tour du monde, vaste bâtiment composite orné d'une porte japonaise monumentale construite par des charpentiers et avec des matériaux du pays, tout comme l'ont été pavillons et maison de thé du Trocadéro... Autre grand succès, celui remporté par La Geisha et le chevalier, spectacle de Kawakami Otojirô et de son épouse Sadayakko, que Loïe Fuller (affiches de R. Tournon) a invités dans son théâtre, installé au sein même de l'exposition. Judith Gautier en publie texte et partitions dans un volume de la série Les musiques bizarres à l'Exposition de 1900. De son côté, Léon Azoulay, de la Société d'Anthropologie de Paris, profite de l'exposition pour réaliser les plus anciens enregistrements de langue, de musique, et de chant japonais qui nous soient parvenus...

Les quatre expositions universelles qui se tiennent à Paris entre 1867 et 1900 offrent aux millions de visiteurs qui s'y pressent une image vivante du Japon, chaque fois représenté par les envois d'un gouvernement nippon de plus en plus conscient des enjeux économiques et diplomatiques liés à son image en Occident. Elles contribuèrent, auprès d'un public très large où se mêlent néophytes et amateurs, dans un cadre tenant tout à la fois du musée et de la foire, à faire découvrir peu à peu, les arts décoratifs et l'estampe, la peinture et la sculpture du Japon, des temps modernes à des périodes de plus en plus reculées de son histoire.

Aux expositions universelles

1867 : la découverte

1878 : l'enthousiasme

1889 : un certain refroidissement

1900 : le réenchantement