Un credo
Chapitre VII
Profession de foi romantique de Stello dans laquelle on est en droit d’entendre une certaine ironie.
– Êtes-vous poète ? Examinez-vous bien, et dites-moi si vous vous sentez intérieurement poète.
Stello poussa un profond soupir, et répondit, après un moment de recueillement, sur le ton monotone d'une prière du soir, demeurant le front appuyé sur un oreiller, comme s'il eût voulu y ensevelir sa tête entière :
– Je crois en moi, parce que je sens au fond de mon cœur une puissance secrète, invisible et indéfinissable, toute pareille à un pressentiment de l'avenir et à une révélation des causes mystérieuses du temps présent. Je crois en moi, parce qu'il n'est dans la nature aucune beauté, aucune grandeur, aucune harmonie qui ne me cause un frisson prophétique, qui ne porte l'émotion profonde dans mes entrailles, et ne gonfle mes paupières par des larmes toutes divines et inexplicables. Je crois fermement en une vocation ineffable qui m'est donnée, et j'y crois, à cause de la pitié sans bornes que m'inspirent les hommes, mes compagnons en misère, et aussi à cause du désir que je me sens de leur tendre la main et de les élever sans cesse par des paroles de commisération et d'amour. Comme une lampe toujours allumée ne jette qu' une flamme très incertaine et vacillante lorsque l'huile qui l'anime cesse de se répandre dans ses veines avec abondance, et puis lance, jusqu' au faîte du temple, des éclairs, des splendeurs et des rayons, lorsqu'elle est pénétrée de la substance qui la nourrit ; de même je sens s' éteindre les éclairs de l’inspiration et les clartés de la pensée, lorsque la force indéfinissable qui soutient ma vie, l'amour, cesse de me remplir de sa chaleureuse puissance ; et, lorsqu'il circule en moi, toute mon âme en est illuminée ; je crois comprendre tout à la fois l' éternité, l'espace, la création, les créatures et la destinée ; c' est alors que l'illusion, phénix au plumage doré, vient se poser sur mes lèvres, et chante. Mais je crois que, lorsque le don de fortifier les faibles commencera de tarir dans le poète, alors aussi tarira sa vie ; car, s'il n'est bon à tous, il n'est plus bon au monde.
Je crois au combat éternel de notre vie intérieure, qui féconde et appelle, contre la vie extérieure, qui tarit et repousse, et j'invoque la pensée d'en haut, la plus propre à concentrer et rallumer les forces poétiques de ma vie, le dévouement et la pitié.
– Tout cela ne prouve qu'un bon instinct, dit le docteur noir ; cependant il n'est pas impossible que vous soyez poète, et je continuerai.
Alfred de Vigny, Stello, 1832.
> Texte intégral : Paris, Gosselin et Renduel, 1832