La base de toute notre morale c’est l’ordre

Chapitre II : Morale et religion des Mégapatagons. Art et littérature.

 

La base de toute notre morale c’est l’ordre. Il faut, disons-nous, que l’ordre moral ressemble à l’ordre physique. Personne chez nous ne s’en écarte, ni ne peut s’en écarter. Nous sommes tous égaux. Il y a une loi simple, courte, claire, qui parle seule et jamais l’Homme ne la remplace. Cette loi est rédigée en peu de mots.

  1. Sois juste envers ton Frère ; c’est-à-dire, n’en exige rien, ne lui fais rien que tu ne veuilles donner toi-même, ou que tu ne veuilles qu’on te fasse.

  2. Sois juste envers les Animaux, et tel que tu voudrais que fût à ton égard un Animal supérieur à l’Homme.

  3. Que tout soit commun entre Egaux.

  4. Que chacun travaille au bien général.

  5. Que chacun y participe également.

C’est avec une seule loi que tout est réglé : nous ne croyons pas qu’il y ait aucun Peuple qui ait besoin d’en avoir davantage, à moins que ce ne soit un Peuple d’Oppresseurs et d’Esclaves, car alors, je sens, quoique je n’aie jamais vu de pareil Peuple, qu’il aura une multitude de lois et d’entraves, telles qu’il en faut pour légitimer l’injustice, l’inégalité, la tyrannie de quelques Membres envers tout le Corps. Ces Peuples infortunés croient par là faire au moins le bonheur de ceux d’entr’eux qui dominent. Ils se trompent ; il n’y a de bonheur que dans la fraternité, dans ce doux sentiment : Personne ne m’envie, mon bonheur ne coûte rien à Personne, tous mes Frères en jouissent également... Ah ! comment les prétendus Heureux d’une Nation inégale, s’ils sont Hommes, peuvent-ils se gorger, tandis que d’autres Hommes manquent du nécessaire ! se divertir, tandis que d’autres souffrent ! se délecter, tandis que d’autres sont accablés de travaux ! S’ils peuvent braver tout cela, ils ont le cœur trop dur pour goûter le plaisir ; ils ne le connaissent pas ; ils ne peuvent avoir d’humanité ; le sentiment de la compassion est éteint chez eux... Nous avons dans notre voisinage de ces Peuples inégaux : ce sont de petits Hommes, ils habitent l’Ile O-Taïti, et d’autres petites Iles voisines. Depuis cette malheureuse inégalité, ces Peuples n’ont plus de mœurs ; ils prostituent leurs Femmes ; ils ont de malheureuses Sociétés où l’on outrage la Nature... Mais je souffre à vous entretenir de ces énormités, que vous connaissez aussi bien que nous.

 

Rétif de la Bretonne, La Découverte australe par un homme volant, 1781.
> Texte intégral : 1781