Traductions et traducteurspar Capucine Echiffre

Un des textes fondateurs dans la problématique actuelle du traduire

« L’épreuve de l’étranger » (Antoine Berman), qui contribue largement à transformer la littérature française au XIXe siècle, s’opère de manière privilégiée par la traduction. La plupart des langues étrangères ne parviennent en effet que lentement à la connaissance du public, même cultivé, grâce notamment à leur enseignement devenu obligatoire au lycée à partir de 1838.
 
Imitation ou adaptation ?
La notion moderne de traduction émerge au XIXe siècle, même si le goût pour les versions libres dites « belles infidèles » persiste tout au long de la période. Les débats théoriques et la législation qui se met en place à partir des années 1840 s’emploient ainsi à distinguer différentes pratiques, si bien qu’à la fin du siècle, la juridiction définit la traduction comme la reproduction conjointe du sens et du style de l’œuvre originale dans une autre langue. L’imitation est alors conçue quant à elle comme une copie de la lettre du texte, tandis que l’adaptation prendrait des libertés avec celui-ci pour faciliter la compréhension des nouveaux lecteurs.
De fait, les traducteurs viennent d’horizon très divers, d’une part, et l’on assiste d’autre part au développement et à la diversification du marché éditorial, ce qui explique la variété des pratiques. On compte parmi les intercesseurs des diplomates, des voyageurs, des universitaires, des journalistes, ainsi que des poètes. Leur maîtrise de la langue qu’ils traduisent est parfois mal assurée. C’est le cas de Nerval, dont les nombreuses traductions de l’allemand (le Faust de Goethe et plusieurs anthologies et recueils poétiques) ont pourtant connu un succès certain à son époque. Parallèlement aux œuvres destinées à l’élite, pour lesquelles le traducteur reste assez libre, l’essor de la littérature de masse entraîne un marché nouveau. Or ce dernier, en privilégiant les compétences linguistiques et le respect de l’original, en donnant aussi aux traducteurs qu’il sollicite le statut d’employé, est à la source d’une professionnalisation de l’activité traductrice.

L’assouplissement de l’écriture poétique
La multiplicité de ces pratiques engage bien sûr différents types de rapports avec la littérature étrangère, et par ricochet avec la littérature française elle-même. Dans tous les cas, le système littéraire français, érigé au rang de référence en Europe durant les deux siècles précédents, continue à marquer de son empreinte le regard que portent les traducteurs sur les œuvres venues d’ailleurs. On oscille ainsi entre les deux pôles extrêmes que sont l’acculturation (dans ce que la fin du siècle appelle les « adaptations ») et le renouvellement des codes français d’après le modèle étranger. À mesure que l’on avance dans la période, c’est néanmoins le deuxième pôle qui l’emporte, dans une véritable interaction entre les deux systèmes en présence. Dès le premier tiers du siècle, l’introduction des pièces de Shakespeare et de Schiller favorise ainsi la mise à distance des règles classiques au profit du drame romantique, plus libre. En poésie, les conceptions de Poe nourrissent les réflexions de ses deux grands médiateurs, Baudelaire et Mallarmé. Certaines traductions de textes lyriques allemands (Lieder) vont même jusqu’à transgresser les contraintes imposées au vers et contribuent de cette manière à l’assouplissement progressif de l’écriture poétique.

 
En savoir plus :
> Friedrich von Schiller traduit par P.-Ch. Liadières : Walstein, 1829
> William Shakespeare traduit par Alfred de Vigny : Le More de Venise, Othello, 1830
> Goethe traduit par Nerval : Faust, suivi du second Faust de Goethe. Choix de ballades et de poésies de Goethe, Schiller, Bürger, Klopstock, Schubart, Körner, Uhland etc., 1840
> Poe traduit par Baudelaire : Nouvelles histoires extraordinaires, 1875
> Poe traduit par Mallarmé : Les Poèmes d’Edgar Poe, 1888