La société de Cour

Repas à la cour

À l'époque du Roi-Soleil, la Cour est à considérer comme une véritable société où les liens de dépendances, qui déterminent les individus entre eux, engendrent des codes et des comportements particuliers. Bien plus, on peut dire que toute la société française de l'Ancien Régime s'organise à partir d'elle. Elle en est le dispositif central, le principal laboratoire de normes et de comportements. « La domination du roi sur le pays n'était qu'une extension de l'autorité du prince sur sa maison et sa Cour. » (Norbert Élias)
 
La Cour est liée à la construction d'un état absolutiste doté d'un double monopole fiscal et militaire. Celui-ci permet au roi d'entretenir la rivalité des deux groupes dominants (l'aristocratie et la bourgeoisie de robe) et de les lier tous deux également à sa toute-puissance, réservant les charges de justice et de finances à la bourgeoisie, et obligeant ainsi l'aristocratie ruinée à vivre dans la proximité du souverain dispensateur providentiel de pensions et le rentes. Ainsi est mis en place un mécanisme de conditionnement social rigoureux où chaque individu est éduqué à passer le la contrainte sociale à l'auto-contrainte.
 
Le mécanisme repose sur trois principes. En premier lieu, le roi affirme son absolue distance par rapport à la noblesse, tout en vivant au milieu d'elle. Ainsi s'institutionnalise une confusion entre privé et public. Tous les gestes qui, dans l’ordre bourgeois du XIXe siècle, relèveront du secret, de l'intimité, sont ici manipulés comme autant de signes donnant à lire l'ordre social.

« Le roi mettait à contribution ses gestes les plus intimes pour marquer des différences de rang, pour accorder des distinctions, des faveurs, pour manifester son mécontentement. Il apparaît donc que l'étiquette assumait dans cette société et dans cette forme de gouvernement une fonction symbolique d'une grande portée. » (Norbert Élias)

Deuxième principe : l'être social est identifié avec la représentation qui en est donnée. La réalité d'une position sociale n'est que ce qu'on juge qu'elle est. Cette primauté accordée au « paraître » fonde l'ostentation comme instrument de construction de l'identité individuelle et l'étiquette comme mesure des écarts sociaux.
Enfin, troisième principe : la supériorité sociale s'affirme dans la soumission politique et symbolique au souverain et à l'étiquette.
 
La rivalité entre la noblesse et la bourgeoisie de robe, entretenue par le pouvoir royal, conduit les bourgeois à imiter les manières aristocratiques et les aristocrates à augmenter les exigences de la civilité afin de leur redonner une vertu discriminante. Cette logique de concurrence conduit à multiplier les interdits et à élever sans cesse le seuil des censures. Dans ce contexte social régi par la tyrannie des contraintes, l'idéalisation de la vie simple et champêtre permet aux artistes de s'évader du poids de l'autorité royale. C'est cette nostalgie qui alimente la littérature pastorale, de l'Astrée aux romans de Mlle de Scudéry, ou qui fonde chez La Fontaine un amour absolu du jardin comme havre d'indépendance, oasis paradisiaque échappant aux rapports de forces qui règnent partout ailleurs, offrant un libre espace à la solitude et à l'amitié. Le jardin y devient un lieu mythique, une utopie philosophique où se rêve un harmonieux mariage entre la sensibilité et la raison.

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