Liberté de la presse et Révolution

 

De 1789 à 1792, la censure exercée par l’Ancien Régime disparaît : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen consacre, le 24 août 1789, « la libre communication des pensées et la liberté d’imprimer ses opinions ». Les journaux se multiplient : de 200 titres de périodiques à la fin du XVIIe siècle, on passe à 1 050 un siècle plus tard.
Toute une imagerie célèbre la liberté de la presse. Ainsi cette scène qui se déroule dans une imprimerie. Fait inhabituel : une foule désordonnée s’y presse, impatiente de lire les nouvelles du jour. La bousculade témoigne de l’enthousiasme et de la soif d’information engendrés par les journaux révolutionnaires. Au second plan à droite : le compositeur, en suivant des yeux la copie, prend des lettres dans la casse (grand tiroir où sont rangés les caractères), et assemble lettres et mots dans le composteur (cornière métallique). Au second plan au milieu : un aide encre la forme à l’aide de tampons de cuir garnis de feutre.
Au second plan à gauche, se fait l’impression : la platine portant la feuille de papier est pressée par une vis centrale contre la forme. Au bord supérieur de la gravure, les feuilles à sécher sont accrochées sur des fils avec des pinces à linge. On peut distinguer les titres suivants : l’Ami de la Patrie, l’Ami des lois, le Clairvoyant, le Courrier des spectacles, le Furet, le Mercure de France, le Messager, le Miroir, Le Père Duchêne, le Propagateur, le Publiciste, le Rédacteur, Le Voyageur… (D.S.)
 

Le Père Duchesne

La Révolution française voit se multiplier les pamphlets destinés à mobiliser le public populaire, particulièrement à partir de 1790 quand s’intensifient les luttes politiques parisiennes. Nombre de ces textes polémiques se caractérisent par une forme discursive théâtrale, mettant en scène un personnage populaire imaginaire s’exprimant à la première personne dans une langue imagée. Parmi ceux-ci, le Père Duchesne de Jacques-René Hébert (1757-1794), lancé en septembre 1790 pour lutter contre La Fayette, est le plus célèbre. Plus de quatre cents numéros de huit pages paraissent jusqu’au 13 mars 1794. Chacun est un monologue centré sur un seul sujet, avec son titre propre, sans numéro ni date jusqu’au 1er janvier 1791. C’est à partir du 4 novembre 1790 que Hébert, pour se distinguer des Père Duchesne concurrents, fait figurer sur la page de titre une vignette où l’on voit son héros en uniforme de la garde nationale, la pipe à la bouche, avec en dessous la légende : « Je suis le véritable Père Duchesne, foutre. » Hébert est guillotiné le 24 mars 1794 avec ses amis du Club des cordeliers.
 

L’Ami du Peuple taché du sang de Marat

Jean-Paul Marat publie le premier numéro de L’Ami du Peuple en septembre 1789. Cette publication de 8 à 12 pages, parfois 16, entièrement rédigée par Marat, connaît plus de 600 numéros de 1789 à 1792. Ses tirages sont irréguliers mais peuvent dépasser les 5000 exemplaires. L’Ami du Peuple se fait l’écho des convictions de son rédacteur : fermement opposé à l’esclavage, il défend aussi l’exécution des prisonniers royalistes après la journée d’insurrection du 10 août 1792. Considéré comme l’un des instigateurs des massacres de septembre 1792, il sera assassiné par Charlotte Corday. Cet événement donnera naissance à une riche iconographie (notamment le célèbre tableau de David figurant le révolutionnaire assassiné dans son bain), mais il est difficile d’en imaginer représentation plus saisissante que cet exemplaire de L’Ami du Peuple, taché du sang même de son auteur.
 

Le Vieux Cordelier

Camille Desmoulins (1760-1794) est devenu une célébrité du Paris révolutionnaire dès juillet 1789. Journaliste reconnu des Révolutions de France et de Brabant, il est aussi un actif militant qui fréquente les clubs des cordeliers et des jacobins. Proche de Danton dont il sera, avec Fabre d’Églantine, le secrétaire au ministère de la Justice, il est élu député à la Convention. Le 5 décembre 1793, il publie le premier numéro du Vieux Cordelier dans lequel il s’attaque d’abord à la surenchère prônée par Hébert et les cordeliers. Six numéros paraissent en moins de deux mois et rencontrent un énorme succès. Dénonçant la Terreur, Desmoulins est vite amené à mettre en cause la politique du Comité de salut public menée par Robespierre et Barère. Deves clubistnu suspect aux yeux dees, bientôt abandonné par son ami Robespierre qui l’a longtemps défendu, englobé dans le discrédit que Fabre jette sur les amis de Danton, il est guillotiné avec eux le 5 avril 1794. Entre-temps, le n° 7 du Vieux Cordelier a été saisi ; il revient au libraire Desenne, qui a gardé les épreuves corrigées par Desmoulins, de le publier en juin 1795. Desmoulins, qui en avait remplacé le titre « Le pour et le contre » par « Sur la liberté de la presse », y faisait l’éloge de la liberté de parole anglaise que garantissait l’habeas corpus et de la liberté de la presse comme le meilleur rempart des peuples libres contre les invasions du despotisme : « La liberté politique n’a point de meilleur arsenal que la presse. »
 

Le Tribun du peuple

Le Tribun du peuple, ou le Défenseur des droits de l’homme est la continuation du Journal de la liberté de la presse que François-Noël Babeuf, dit Gracchus (1760-1797), profitant de la liberté qui suit la chute de Robespierre, a lancé le 3 septembre 1794 et dont il change le titre le 5 octobre à partir du n° 23. Le Tribun, que Babeuf rédige seul, est tiré à deux mille exemplaires et compte près de six cents abonnés. Pour cet ancien feudiste que scandalise la répartition inégale de la propriété, le rôle du journaliste est non seulement de « tout dire au peuple » mais aussi d’organiser son combat dans la guerre « perpétuelle » des riches contre les pauvres. Ce n°34 marque la reprise de la publication du journal qu’avait interrompue l’emprisonnement de Babeuf, arrêté le 7 février 1795 après la saisie de son n°33 jamais publié. Babeuf poursuivra sa publication jusqu’au n°43 du 24 avril 1796, mais dans la clandestinité dès le n°38. Arrêté de nouveau le 10 mai 1796, il est traduit devant la Haute Cour de justice avec ses complices de la Conjuration des Égaux et guillotiné le 27 mai 1797.

EN SAVOIR PLUS
> La Déclaration des droits de l'homme (1789)
> Hébert, Je suis le véritable père Duchesne, foutre, Paris, De l'imprimerie de Tremblay 1790 
> Marat, Exemplaires de l'Ami du Peuple tachés du sang de Marat, Paris, 1791 
> Desmoulins, Le vieux cordelier, Paris, Desenne, 1793 
> Babeuf, Tribun du peuple à ses concitoyens, Paris, impr. de Franklin, 1796