L'imaginaire utopique des Lumières
C'est au XVIIIe siècle en quelque sorte que le terme « utopie » entre au dictionnaire des noms communs. Cette reconnaissance témoigne du foisonnement d'œuvres, aux formes variées, qui traitent des sociétés idéales : voyages imaginaires, pièces de théâtre, fables, roman par lettres…
À la différence des siècles antérieurs, marqués par des chefs-d'œuvre du genre – Utopia, de Thomas More ; Cité du soleil, de Campanella… – le Siècle des lumières ne condense pas en une pièce majeure son aspiration à l'utopie. Au contraire, il la disperse, parfois même au sein de textes aux ambitions plus larges, dans de petits récits fermés, comme l'idylle de Clarens dans La Nouvelle Héloïse, l'évocation de l'Eldorado dans Candide. Cependant, une œuvre émerge à la fin du siècle, annonciatrice d'une autre modalité de l'imaginaire utopique : L'An 2440, de Louis Sébastien Mercier. L'auteur inaugure ainsi ce que l'on a appelé l' « uchronie » en projetant un monde « fortuné » non plus dans l'espace mais dans le temps. Ainsi, c'est le Paris des Lumières qui se rêve au futur.
L'utopie ne contraint plus au voyage mais au surplace. Mais elle conserve le même objectif, mettre au point, dans des récits imaginaires, des simulations qui permettent de tester, idéalement, la compatibilité d'une société avec les principes inspirés par les Lumières : est-il possible de faire vivre des communautés humaines sur le principe de la république des Égaux de Babeuf ? Est-il possible de concevoir des sociétés – comme Tahiti, découvert par Bougainville – où l'éros soit communautaire ? Dans la plupart des cas, cependant, le territoire de l'utopie n'est pas la cité, mais la campagne. L'Arcadie, la société pastorale, est le cadre le plus fréquent de la rêverie utopique. Seul le plan de la ville de Chaux, de Claude Nicolas Ledoux, concentre le projet utopique sur la construction d'une cité.
EN SAVOIR PLUS
> Thomas More, Utopia, Paris, Paulin, 1842
> Mercier, L'an 2440, 1771
> Ledoux (1736-1806)