Paris, Babylone moderneVoltaire, Candide 1759

Candide malade à Paris

Ne faut-il pas, une fois encore, laisser le dernier mot à Voltaire ? A travers tant de sottises et de crimes qui jalonnent l'histoire des peuples, l'auteur de l'Essai sur les mœurs a cru déceler un certain progrès historique. Le travail des Lumières naissantes aurait-il significativement tiré l'histoire humaine du côté de la raison et de la justice ? Or, voilà qu'en ce milieu du siècle Paris est devenue la « Babylone moderne ». Loin d'y trouver le lieu d'une réflexion sereine sur le meilleur gouvernement, Candide et Martin, au retour d'Eldorado, n'y rencontrent que laideur, escroquerie, mesquinerie, fade galanterie, mondanité creuse et superficielle. Et la bonne humeur ne rachète pas cette méchanceté des Parisiens, elle l'ag­grave :

Est-ce qu'on rit toujours à Paris ? dit Candide. - Oui, dit l'abbé, mais c'est en enrageant : car on s'y plaint de tout avec de grands éclats de rire ; même on y fait en riant les actions les plus détestables. […] Le souper fut comme la plupart des soupers de Paris, d’abord du silence, ensuite un bruit de paroles qu’on ne distingue point, puis des plaisanteries dont la plupart sont insipides, de fausses nouvelles, de mauvais raisonnements, un peu de politique, et beaucoup de médisance : on parla même de livres nouveaux.
(Candide, chap. XXII.)

Tout est en place pour que Jean-Jacques Rousseau vienne jeter, comme des pavés dans la mare, deux de ses principaux paradoxes, complémentaires : c'est la civilisation qui est intrinsèquement perverse et qui pervertit tout ; le peuple est la couche de la société où se sont le moins délitées les valeurs de l'humanité. On voit que La Bruyère est vraiment très loin ! Encore que Les Caractères ne soient pas sans porter, en creux, la menace d'une telle lecture : la littérature, ou l'art de remplir les creux.
 

> Voltaire, Candide, 1759
> Édition enrichie
> Texte intégral : Paris, Garnier frères, 1877