À propos de l'œuvreRoger Musnik

L’Isle Brulante

Entre 1746 et 1759, l’abbé Prévost publie un ensemble imposant, l’Histoire générale des voyages, ou Nouvelle collection de toutes les relations de voyages par mer et par terre qui ont été publiées jusqu'à présent dans les différentes langues. Au départ, il s’agit de la traduction d’une compilation anglaise de John Green, A new general collection of voyages and travels. Mais Prévost va plus loin : il supprime des passages qu’il juge inutiles, fait refaire les cartes et les gravures et rajoute des « liaisons historiques qui ont été négligées ». L’œuvre de Green s’arrêtant faute de financement, Prévost décide de la continuer : il ajoute d’autres chroniques de voyageurs et modifie considérablement la méthode, afin d’avoir une vision aussi complète que possible du monde tel qu’il est, à la fois historique, géographique, anthropologique, etc. Ce ne sera plus une simple juxtaposition de récits, mais un travail profond d’élagage, de réajustements et d’harmonisation, tout en faisant à l’occasion une critique des sources : « Ce plan, aussi simple qu’agréable, consiste à réduire toutes les relations en un seul corps, qui formera une histoire suivie ; en rejetant dans les notes ce qui est personnel aux voyageurs, et tout ce qui paraîtra digne d’être conservé. » Cet effort considérable va ralentir le plan de publication, jusqu’à ce que Prévost abandonne au volume 15. Il y aura passé treize ans. D’autres prendront sa succession, le vingtième et dernier tome paraissant seulement en 1802.
Le texte, unifié par le style de l’abbé, forme un récit vivant et descriptif. L’éclatement des différentes narrations donne au lecteur une vision synthétique de chaque région et ce procédé que Prévost appelle « réduction » crée un véritable système où tout se répond. L’Histoire des Voyages est utile au pouvoir politique, car il participe de l’effort commercial et colonial de la France en permettant une représentation fidèle du monde nécessitée par les progrès du commerce. D’où l’aide non négligeable du ministre de la Marine de l’époque, Maurepas. Cette authentique bibliothèque de l’homme cultivé du dix-huitième siècle, reflet de la manière dont l’Europe voyait alors les autres civilisations, correspond également au goût des contemporains pour les récits de voyage, d’où le succès de l’entreprise. Le siècle suivant verra plusieurs éditions abrégées de cet ouvrage, emblématique de l’époque des Lumières et de l’Encyclopédie.