À propos de l’auteurRoger Musnik

Portrait d'Alain-René Lesage

Alain-René Lesage n’a pas connu une existence spectaculaire comme Voltaire ou Rousseau. Sa vie fut banale, quelconque, mais difficile pour un homme hors de toute coterie et sans aucune fortune personnelle. Il fut pourtant le grand romancier de la Régence, à une époque où le roman était considéré au mieux comme un genre très mineur, et sa pièce Turcaret est toujours jouée de nos jours.
 
Il naît à Sarzeau (Morbihan) le 13 décembre 1668, d’un notaire et greffier royal. Sa mère décède en 1677, suivie par son père cinq ans plus tard. Alain-René se retrouve orphelin à quatorze ans. Son oncle s’empare de l’héritage qu’il va vite dilapider. Il envoie son neveu au collège des Jésuites de Vannes. En 1690, Lesage quitte la Bretagne pour n’y jamais plus revenir.
 
À Paris, il suit des études de droit, il est à un moment donné clerc de notaire, mais ne semble pas avoir eu de clients. Après son mariage en 1694 avec une demoiselle Huyard qui lui donnera quatre enfants, il commence une carrière littéraire. Ayant sympathisé avec l’abbé de Lyonne, fils d’un ambassadeur à Madrid, celui-ci l’initie à la littérature espagnole et l’encourage à en apprendre la langue. Il lui verse aussi une pension annuelle de six cents livres, ce qui permet à Lesage de survivre.
 

Des débuts au théâtre

Ses premiers travaux sont des traductions et adaptations de pièces ibériques, qui n’ont aucun succès. Puis en 1707, avec la comédie Crispin rival de son maître et surtout un roman, Le Diable boiteux, librement adapté d’un texte espagnol, Lesage devient un auteur reconnu. Deux ans plus tard, il publie Turcaret, critique acerbe du monde de l’argent. C’est un scandale, et la pièce, malgré l’appui du pouvoir, est rapidement retirée de l’affiche. Brouillé alors avec les Comédiens-Français, il continue d’écrire pour le théâtre, mais uniquement des saynètes destinées au Théâtre de la Foire, où priment pantomimes, chansons et références à l’actualité, à destination d’un public très populaire. En collaboration avec D’Orneval et Fuzelier, il produit plus d’une centaine de textes entre 1712 et 1730. Le théâtre de Boulevard qui naît au siècle suivant en reprendra les principales structures et thèmes.
 

Une carrière de romancier

En 1715, il écrit Gil Blas de Santillane, là encore adapté d’un roman espagnol. Ce roman picaresque, plus français qu’ibérique sous sa plume, l’établit définitivement comme un écrivain majeur de la littérature française. Le droit d’auteur n’existant pas à l’époque, il doit écrire encore et toujours pour subsister. Suit alors une période de publications nombreuses où il utilise à satiété tous les procédés qui ont fait sa renommée. Mais ses écrits vont en s’affadissant : L’Histoire de Don Guzman d’Alfarache (1732), Les Aventures de Robert Chevalier dit de Beauchesne (1732), Le Bachelier de Salamanque ou La Valise trouvée (entre 1736 et 1738).
 
Lesage est le maillon entre le classicisme du Grand Siècle et le modernisme du XVIIIe. Au premier, il emprunte l’aspect satirique, à l’instar d’un La Bruyère, moquant l’avidité des grands de ce monde, mais sans proposer quelques chose de neuf comme le feront les Lumières. Par contre, il introduit une verve, une thématique sociale et des formules choc dans ses pièces, ce dont se souviendra Beaumarchais, et qui font que Crispin et Turcaret soient toujours applaudis de nos jours.
 
Par-dessus tout, il fait du genre romanesque une littérature importante aux yeux de ses contemporains. Ce n’est certes pas encore l’étude psychologique des hommes telle que la pratiqueront Prévost ou Laclos. Car les personnages de Lesage n’évoluent pas, leur caractère reste statique : il servent de guides au lecteur pour pénétrer un monde qui reflète, de façon joyeuse et ironique, la société française. Le style est alerte, rapide, le roman d’aventures joue à plein : enlèvements, emprisonnements, passions, brigands, cachots, avec des protagonistes derrière lesquels les lecteurs reconnaissent des célébrités du temps. La structure narrative semble très lâche : c’est une succession de péripéties arrivant sans ordre apparent dans des histoires gigognes. Lesage introduit également le réalisme : description de lieux, de métiers divers, de sensations. Il concilie le sérieux de la trame (souvent un récit d’ascension sociale) à un côté parodique : la plupart de ses protagonistes sont des fripons.
 

Un homme retiré de la société

Lesage est un écrivain qui se veut indépendant. Il refuse de postuler à l’Académie Française : « Content de voir mes ouvrages en quelque estime dans le monde, je borne ma gloire à pouvoir conserver ma petite réputation. » Il rédige chez lui, dans le quartier Saint-Jacques. Deux de ses fils deviennent acteurs, métier qu’il abhorre depuis l’affaire Turcaret. L’un d’eux devient célèbre sous le nom de Montmesnil (Diderot en fait l’éloge dans son Paradoxe sur le comédien), Lesage se réconcilie avec lui le jour où il joue dans une de ses pièces. Sa mort brutale en 1643 va porter un coup au vieil écrivain, qui quitte Paris pour se réfugier chez un autre de ses fils, chanoine à Boulogne-sur-Mer. C’est là qu’il meurt, presque sourd, probablement sénile, le 17 novembre 1747.