Un billet de votre main

À madame de Grignan, 8 août 1677

Françoise Marguerite de Sévigné, Comtesse de Grignan (1646-1705)

La proposition de m'envoyer un billet de votre main est une belle chose ; il ne tiendrait qu'à moi, ma bonne, de m'en offenser ; vous le feriez bien si vous étiez en ma place. Je vous prie aussi « de ne point monter aux nues », ni me contraindre sur certaines choses. Laissez-moi la liberté de faire quelquefois ce que je veux ; je souffre assez toute ma vie en ne vous donnant pas ce que je voudrais ; quand j'ai rangé de certaines choses, c'est me blesser le cœur que de s'y opposer si vivement ; il y a sur cela une hauteur qui déplaît et qui n'est point tendre. Je ne vous donne pas souvent sujet de vous fâcher ; mais laissez-moi du moins la liberté de croire que je pourrais contenter mes désirs là-dessus, si j'étais assez heureuse pour le pouvoir faire. Vous ne faites point connaître si les avis que je vous donne quelquefois sur votre dépense, vous déplaisent ou non ; vous devriez m'en dire un mot. En attendant, je vous dirai, ma bonne, que j'admire que M. de Grignan et vous, n'aimant point Laporte, lui vous servant très mal, il ait reçu une fois cinquante fouis, qu'il ait été sur le point de s'en aller, et que vous n'ayez pas été ravie de vous en défaire. Quel bizarre raccommodement ! A quoi vous sert-il ? quelle faiblesse ! Vous avez Pomier qui vous donne la main, et l'autre vous morgue et vous gagne votre argent assez mal. Où aviez-vous mis votre bon esprit ? Je crois, ma bonne, que l'amitié que j'ai pour vous, et l'intérêt que je prends à tout ce qui vous touche, vous doit faire recevoir agréablement ce que je vous dis ; mandez-moi si je me trompe.

 

Marquise de Sévigné, Lettres, 1696.
> Texte intégral : Paris, L. Hachette, 1862