Le portrait de la comtesse

Acte I, scène 2

 

FRONTIN, LA BARONNE, MARINE.

FRONTIN. - Je viens de la part de mon maître et de la mienne, Madame, vous donner le bonjour.
LA BARONNE, d'un air froid. Je vous en suis obligée, Frontin.
FRONTIN. - Et Mademoiselle Marine veut bien aussi qu'on prenne la liberté de la saluer.
MARINE, d'un air brusque. - Bonjour et bon an.
FRONTIN, présentant un billet à la Baronne. - Ce billet que Monsieur le Chevalier vous écrit, vous instruira, Madame, de certaine aventure...
MARINE, bas à la Baronne.- Ne le recevez pas.
LA BARONNE, prenant le billet. - Cela n'engage à rien. Marine, voyons, voyons ce qu'il me demande.
MARINE. - Sotte curiosité !
LA BARONNE, lit. - Je viens de recevoir le portrait d'une comtesse, je vous l'envoie et vous le sacrifie. Mais vous ne devez point me tenir compte de ce sacrifice, ma chère Baronne. Je suis si occupé, si possédé de vos charmes, que je n'ai pas la liberté de vous être infidèle. Pardonnez, mon adorable, si je ne vous en dis pas davantage, j'ai l'esprit dans un accablement mortel. J'ai perdu cette nuit tout mon argent, et Frontin vous dira le reste.
Le Chevalier.
MARINE. - Puisqu'il a perdu tout son argent, je ne vois pas qu'il y ait du reste à cela.
FRONTIN. - Pardonnez-moi ; outre les deux cents pistoles que Madame eut la bonté de lui prêter hier, et le peu d'argent qu'il avait d'ailleurs, il a encore perdu mille écus sur sa parole : voilà le reste. Oh diable il n'y a pas un mot inutile dans les billets de mon maître.
LA BARONNE. - Où est le portrait?
FRONTIN, donnant le portrait. - Le voici.
LA BARONNE. - Il ne m'a point parlé de cette comtesse-là, Frontin.
FRONTIN. - C'est une conquête, Madame, que nous avons faite sans y penser. Nous rencontrâmes l'autre jour cette comtesse dans un lansquenet.
MARINE. - Une comtesse de lansquenet.
FRONTIN. - Elle agaça mon maître, il répondit pour rire à ses minauderies. Elle, qui aime le sérieux, a pris la chose fort sérieusement. Elle nous a ce matin envoyé son portrait. Nous ne savons pas seulement son nom.
MARINE. - Je vais parier que cette comtesse-là est quelque dame normande. Toute sa famille bourgeoise se cotise pour lui faire tenir à Paris une petite pension, que les caprices du jeu augmentent ou diminuent.
FRONTIN. - C'est ce que nous ignorons.
MARINE. - Ho que non ! Vous ne l'ignorez pas. Peste, vous n'êtes pas gens à faire sottement des sacrifices. Vous en connaissez bien le prix.
FRONTIN. - Savez-vous bien, Madame, que cette dernière nuit a pensé être une nuit éternelle pour Monsieur le Chevalier ? En arrivant au logis, il se jette dans un fauteuil, il commence par se rappeler les plus malheureux coups du jeu, assaisonnant ses réflexions d'épithètes et d'apostrophes énergiques.
LA BARONNE, regardant le portrait. - Tu as vu cette comtesse, Frontin ? N'est-elle pas plus belle que son portrait ?