L’Aveugle

Dans "Poésies antiques"

Combat d'un guerrier contre deux centaures

Enfin l’Ossa, l’Olympe et les bois du Pénée
Voyaient ensanglanter les banquets d’hyménée,
Quand Thésée, au milieu de la joie et du vin,
La nuit où son ami reçut à son festin
Le peuple monstrueux des enfants de la nue,
Fut contraint d’arracher l’épouse demi-nue
Au bras ivre et nerveux du sauvage Eurytus.
Soudain, le glaive en main, l’ardent Pirithoüs :
« Attends ; il faut ici que mon affront s’expie,
Traître ! » Mais avant lui, sur le centaure impie
Dryas a fait tomber, avec tous ses rameaux,
Un long arbre de fer hérissé de flambeaux.
L’insolent quadrupède en vain s’écrie ; il tombe,
Et son pied bat le sol qui doit être sa tombe.
Sous l’effort de Nessus, la table du repas
Roule, écrase Cymèle, Évagre, Périphas.
Pirithoüs égorge Antimaque et Pétrée,
Et Cyllare aux pieds blancs, et le noir Macarée,
Qui de trois fiers lions, dépouillés par sa main,
Couvrait ses quatre flancs, armait son double sein.
Courbé, levant un roc choisi pour leur vengeance,
Tout à coup, sous l’airain d’un vase antique, immense,
L’imprudent Bianor, par Hercule surpris,
Sent de sa tête énorme éclater les débris.
Hercule et la massue entassent en trophée
Clanis, Démoléon, Lycotas, et Riphée
Qui portait sur ses crins, de taches colorés,
L’héréditaire éclat des nuages dorés.
Mais d’un double combat Eurynome est avide,
Car ses pieds, agités en un cercle rapide,
Battent à coups pressés l’armure de Nestor ;
Le quadrupède Hélops fuit ; l’agile Crantor,
Le bras levé, l’atteint ; Eurynome l’arrête ;
D’un érable noueux il va fendre sa tête,
Lorsque le fils d’Égée, invincible, sanglant,
L’aperçoit, à l’autel prend un chêne brûlant,
Sur sa croupe indomptée, avec un cri terrible,
S’élance, va saisir sa chevelure horrible,
L’entraîne, et, quand sa bouche, ouverte avec effort,
Crie, il y plonge ensemble et la flamme et la mort.
L’autel est dépouillé. Tous vont s’armer de flamme,
Et le bois porte au loin des hurlements de femme,
L’ongle frappant la terre, et les guerriers meurtris,
Et les vases brisés, et l’injure, et les cris. 

 

André Chénier (1762-1794), Les Bucoliques, 1788.
> Texte intégral : Paris, Librairie des bibliophiles, 1884