Le mariage est signé
Acte IV, scène 8
BARTHOLO, UN ALCADE, DES ALGUAZILS,
DES VALETS avec des flambeaux, et LES ACTEURS PRÉCÉDENTS
BARTHOLO voit le comte baiser la main de Rosine, et Figaro qui embrasse grotesquement don Bazile ; il crie en prenant le notaire à la gorge. Rosine avec ces fripons ! Arrêtez tout le monde. J’en tiens un au collet.
LE NOTAIRE. C’est Votre notaire.
BAZILE. C’est Votre notaire. Vous moquez-Vous ?
BARTHOLO. Ah ! don Bazile, et comment êtes-Vous ici ?
BAZILE. Mais plutôt Vous, comment n’y êtes-Vous pas ?
L’ALCADE, montrant Figaro. Un moment ! je connais celui-ci.
Que viens-tu faire en cette maison, à des heures indues ?
FIGARO. Heure indue ? Monsieur voit bien qu’il est aussi près du matin que du soir. D’ailleurs, je suis de la compagnie de Son Excellence monseigneur le comte Almaviva.
BARTHOLO. Almaviva !
L’ALCADE. Ce ne sont donc pas des Voleurs ?
BARTHOLO. Laissons cela. — Partout ailleurs, monsieur le comte, je suis le serviteur de Votre Excellence ; mais vous sentez que la supériorité du rang est ici sans force. Ayez, s’il vous plaît, la bonté de vous retirer.
LE COMTE. Oui, le rang doit être ici sans force ; mais ce qui en a beaucoup est la préférence que Mademoiselle vient de m’accorder sur vous en se donnant à moi volontairement.
BARTHOLO. Que dit-il, Rosine ?
ROSINE. il dit vrai. D’où naît votre étonnement ? Ne devais-je pas, cette nuit même, être vengée d’un trompeur ? Je le suis.
BAZILE. Quand je vous disais que c’était le comte lui-même, docteur ?
BARTHOLO. Que m’importe à moi ? Plaisant mariage ! Où sont les témoins ?
LE NOTAIRE. il n’y manque rien. Je suis assisté de ces deux messieurs.
BARTHOLO. Comment, Bazile ! vous avez signé ?
BAZILE. Que voulez-vous ? ce diable d’homme a toujours ses poches pleines d’arguments irrésistibles.
BARTHOLO. Je me moque de ses arguments. J’userai de mon autorité.
LE COMTE. Vous l’avez perdue en en abusant.
BARTHOLO. La demoiselle est mineure.
FIGARO. Elle vient de s’émanciper.
BARTHOLO. Qui te parle à toi, maître fripon ?
LE COMTE. Mademoiselle est noble et belle ; je suis homme de qualité, jeune et riche ; elle est ma femme : à ce titre, qui nous honore également, prétend-on me la disputer ?
BARTHOLO. Jamais on ne l’ôtera de mes mains.
LE COMTE. Elle n’est plus en votre pouvoir. Je la mets sous l’autorité des lois ; et Monsieur, que vous avez amené vous-même, la protégera contre la violence que vous voulez lui faire. Les vrais magistrats sont les soutiens de tous ceux qu’on opprime.
L’ALCADE. Certainement. Et cette inutile résistance au plus honorable mariage indique assez sa frayeur sur la mauvaise administration des biens de sa pupille, dont il faudra qu’il rende compte.
LE COMTE. Ah ! qu’il consente à tout, et je ne lui demande rien.
FIGARO… que la quittance de mes cent écus ; ne perdons pas la tête.
BARTHOLO, irrité. ils étaient tous contre moi ; je me suis fourré la tête dans un guêpier.
BAZILE. Quel guêpier ? Ne pouvant avoir la femme, calculez, docteur, que l’argent vous reste ; eh oui, vous reste !
BARTHOLO. Ah ! laissez-moi donc en repos, Bazile ! Vous ne songez qu’à l’argent. Je me soucie bien de l’argent, moi ! A la bonne heure, je le garde ; mais croyez-vous que ce soit le motif qui me détermine ?
Il signe.
FIGARO, riant. Ah, ah, ah, Monseigneur ! ils sont de la même famille.
LE NOTAIRE. Mais, Messieurs, je n’y comprends plus rien. Est-ce qu’elles ne sont pas deux demoiselles qui portent le même nom ?
FIGARO. Non, Monsieur, elles ne sont qu’une.
BARTHOLO, se désolant. Et moi qui leur ai enlevé l’échelle, pour que le mariage fût plus sûr ! Ah ! je me suis perdu faute de, soins.
FIGARO. Faute de sens. Mais soyons vrais, docteur : quand la jeunesse et l’amour sont d’accord pour tromper un vieillard, tout ce qu’il fait pour l’empêcher peut bien s’appeler à bon droit La Précaution inutile.
Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1799), Le Barbier de Séville, 1775.
> Texte intégral : Paris, Laplace, Sanchez et Cie, 1876