Esthétique de la contradictionThierry Bodin

Comment ! l'abbé, lui-dis-je, vous présidez ?

« La tête d'un Langrois est sur ses épaules comme un coq d'église au haut d'un clocher », écrivait Diderot à Sophie Volland (10 août 1759). Caractère instable, rationaliste « extrêmement sensible », déterministe, ivre de liberté, Diderot est l'homme des contradictions, jusque dans sa vie intime : « J'avais en une journée cent physionomies diverses, selon la chose dont j'étais affecté » (Salon de 1767).

L’œuvre aussi reflète cette diversité. Homme complet et contradictoire, Diderot s'intéressera à tout avec le même enthousiasme et dans la même exubérance. Dirigeant avec ardeur L’Encyclopédie, « dictionnaire raisonné » des sciences et des techniques, auteur de Mémoires sur différents sujets de mathématiques (1748) ; amateur d'art, il assurera pour la Correspondance littéraire la critique des Salons de 1759 à 1781, et rédigera deux traités techniques sur la peinture ; dramaturge novateur dans ses « drames bourgeois » dont le style larmoyant nous semble aujourd'hui insupportable, il inaugurera une réflexion moderne sur le théâtre avec le Paradoxe sur le comédien ; il s'intéressera à la musique, à l'économie, à la politique, etc.
 
Œuvre diverse et multiple certes, marquée comme nulle autre par ce qu'on peut appeler une esthétique de la contradiction, Diderot n'est jamais si grand que quand il peut manier le paradoxe, s'adresser à un interlocuteur, soit sous forme de lettre, soit principalement par le dialogue dont il sait jouer à merveille (Le Neveu de Rameau, Entretien entre d'Alembert et Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, etc.). Cette forme dialoguée permet à Diderot les plus grandes audaces, souvent réparties entre plusieurs interlocuteurs, mais sur le papier et pour lui-même seulement : ne voulant pas risquer la prison, bien des œuvres resteront dans ses cartons et ne verront le jour qu'après sa mort.