Littérature et photographie par Érika Wicky
Dès l’annonce de l’invention du procédé en 1839, la photographie n’a cessé de se développer, bénéficiant à la fois d’une série d’innovations techniques et d’un important succès commercial. L’image photographique, relativement accessible, s’est diffusée essentiellement sous la forme de portraits et de reproductions d’œuvres art, mais aussi de paysages, de natures mortes, de photographies de voyage, etc. Elle a ainsi pris une place importante dans la société du XIXe siècle et a noué des liens étroits avec les arts, les sciences et la littérature.
Le portrait d’écrivain est un des premiers fruits de la relation entre littérature et photographie. Déjà répandus grâce à la gravure, les portraits d’écrivains ont été largement démocratisés par la photographie. Il était à la mode de collectionner dans des albums ces portraits généralement commercialisés en petit format. De nombreux photographes tels Carjat, les frères Bisson, Disdéri, Petit, mais surtout, le plus célèbre d’entre eux, Nadar ont ainsi contribué à faire connaître et parvenir jusqu’à nous les visages de Balzac, Hugo, Baudelaire, Sand et bien d’autres. Rares sont les écrivains qui, comme Flaubert, résistent à l’idée de poser dans le studio d’un photographe. Ils étaient représentés soit dans un décor composé des attributs de leur art (livres, plumes, etc.), soit devant un fond neutre comme chez Nadar, soit, enfin, dans leur propre cabinet de travail, ce que la technique photographique ne permettra qu’à la fin du siècle. Si ces portraits d’écrivains sont réalisés par des professionnels, les progrès techniques de la photographie permettent de développer aussi sa pratique parmi les amateurs, comme Zola qui s’est adonné à ce loisir dès 1895.
Les relations entre la photographie et les écrivains n’ont cependant pas toujours été parfaitement harmonieuses, car beaucoup d’auteurs, en particulier parmi les critiques d’art, ont participé aux débats sur la qualité de l’image photographique et sa valeur artistique. Certains, comme Théophile Gautier, se montrent plutôt favorables à la photographie tandis que d’autres fustigent le nouveau médium, comme Baudelaire qui écrivit que la photographie, en raison de son caractère mécanique, devait rester l’« humble servante » des arts. Placé au cœur de la réflexion sur la photographie, son caractère très détaillé motive aussi des comparaisons qui permettent aux critiques de condamner le réalisme ou de louer l’exactitude d’une description.
Bien que le procédé fasse l’objet de polémiques, l’image photographique, en revanche, se répand non seulement dans la vie quotidienne, mais aussi dans les romans où des photographies sont de plus en plus souvent amenées à jouer un rôle dans l’intrigue. À la fin du siècle, apparaissent les romans illustrés de photographies, tels que Bruges-la-Morte de Rodenbach (1892), qui inaugurent un nouveau type de rapport entre littérature et photographie.
Charles Baudelaire, « Le public moderne et la photographie »
Première publication dans la livraison du 20 juin 1859 de la Revue française (vol. XVII, p. 262-266), sous le titre : « Lettre à M. le Directeur de la Revue française sur le Salon de 1859 » avant d'être repris dans les Curiosités esthétiques, Salon de 1859, 1868.
> Texte intégral : Paris, Michel Lévy frères, 1868-1870.
Paul-Louis Roubert, La critique de la photographie ou la genèse du discours photographique dans la critique d’art, 1839-1859, 2016.
> Texte intégral sur Cairn.info [https://doi.org/10.3917/sr.040.0201].