À propos de l’oeuvreMathilde Labbé

L’Enlèvement de Rebecca

D’abord intitulé Bric-à-brac esthétique, Le Miroir de l’art, Le Cabinet esthétique, le recueil trouve son titre définitif en 1857. Ces Curiosités esthétiques ont en effet été pensées comme un recueil par Baudelaire lui-même, mais c’est Charles Asselineau et Théodore de Banville qui se chargent de les rassembler et de les éditer après sa mort, en 1868.
 

La recherche de la beauté particulière de la vie moderne

Ces comptes rendus de salons ou d’expositions (Salon de 1845, Salon de 1846, Le musée classique du bazar Bonne-Nouvelle, Exposition universelle de 1855, Salon de 1859) et ces études (De l’essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques, 1855, Quelques caricaturistes français, 1857, Quelques caricaturistes étrangers, 1857) prennent parfois la dimension de véritables traités esthétiques au sein desquels se développent à la fois une philosophie de l’art et une méthode critique. Précieuse sa dimension théorique – on trouve dans Curiosités esthétiques des pages cruciales pour la compréhension de l’esthétique de Baudelaire –, cette part de l’œuvre a aussi une valeur documentaire : Baudelaire évoque des artistes qui nous sont parfois inconnus.
L’admiration de Baudelaire pour Delacroix, l’intérêt pour les coloristes en général et l’attrait pour le monstrueux s’affirment ici à travers un style virulent qui séduit dès les premiers salons. Baudelaire déplore le manque d’imagination – « reine des facultés » – de certains peintres, et recherche l’œuvre qui saura rendre compte de la beauté particulière de la vie moderne : « Celui-là sera le peintre, le vrai peintre, qui saura arracher à la vie actuelle son côté épique, et nous faire voir et comprendre, avec de la couleur ou du dessin, combien nous sommes grands et poétiques dans nos cravates et nos bottes vernies. – Puissent les vrais chercheurs nous donner l’année prochaine cette joie singulière de célébrer l’avénement du neuf ! » (Salon de 1845).

 

La critique d’art comme œuvre littéraire

Mais la critique d’art de Baudelaire contribue plus largement à la définition et au renouvellement du genre. Le poète s’en prend à la platitude péremptoire d’une critique qui manque d’indépendance et contre laquelle il forge la sienne : « Je crois sincèrement que la meilleure critique est celle qui est amusante et poétique ; non pas celle-ci, froide et algébrique, qui, sous prétexte de tout expliquer, n’a ni haine ni amour, et se dépouille volontairement de toute espèce de tempérament ; mais, – un beau tableau étant la nature réfléchie par un artiste, – celle qui sera ce tableau réfléchi par un esprit intelligent et sensible. Ainsi le meilleur compte rendu d’un tableau pourra être un sonnet ou une élégie » (« À quoi bon la critique ? », Salon de 1846). Fidèle à la tradition qu’il hérite de Diderot, il conçoit en effet sa critique d’art comme une œuvre littéraire.
La réception de ces ouvrages puis de ce volume est tardive. La critique d’art de Baudelaire, certes remarquée pour l’originalité de sa méthode, reste longtemps dans l’ombre de ses poèmes. Cependant, l’institutionnalisation de l’œuvre dans son ensemble a conduit à la distinction de plusieurs moments et, ainsi, à l’identification des écrits esthétiques en tant que tels. Le poète en vient même à passer, au moment de son intégration au canon littéraire, pour l’inventeur du genre de la critique d’art, alors qu’il était contemporain de critiques influents comme Étienne-Jean Delécluze, Gustave Planche ou Théophile Thoré-Burger.
Notons cependant que Curiosités esthétiques n’est pas le seul ouvrage d’esthétique de Baudelaire : L’Art romantique (posthume) propose de nouveaux développements sur ces sujets et sur la littérature. Tous ces écrits ont d’ailleurs fait l’objet d’éditions thématiques séparant la critique d’art de la critique littéraire ainsi que de la critique musicale et inscrivant par exemple L’œuvre et la vie d’Eugène Delacroix (1863) ou Le Peintre de la vie moderne (1863) dans la continuité des textes qui nous intéressent ici.