À propos de l’auteurChristine Genin
Le jeune Flaubert
Issu d’une famille de la petite bourgeoisie catholique, Gustave Flaubert est le deuxième enfant d’Achille Cléophas Flaubert (1784-1846), chirurgien-chef très occupé à l'Hôtel-Dieu de Rouen, et de son épouse, Anne Justine Caroline Fleuriot (1793-1872), fille d’un médecin de Pont-L'Évêque. Né le 12 décembre 1821 dans l’hôpital où la famille est logée, l’enfant y passe ses dix premières années. Il raconte comment il aimait grimper enfant avec sa sœur cadette de trois ans, Caroline, dont il est très proche, à la fenêtre de l’amphithéâtre de dissection. Son frère ainé, Achille, brillant élève admiré par la famille, suivra les traces de son père et sera aussi chirurgien en chef à l'Hôtel-Dieu. Gustave est moins brillant : au lycée de Rouen, où il est interne de 1831 à 1839, c’est un bel adolescent aux exaltations romantiques, doué mais extravagant. Il est renvoyé en décembre 1839 pour indiscipline et passe seul le baccalauréat en 1840. Durant l'été 1836, il a rencontré à Trouville Élisa Schlésinger, objet d'une passion durable et sans retour, transposée dans L'Éducation sentimentale. Déjà attiré par l'écriture, il fonde avec Ernest Chevalier en 1834 Art et Progrès, un journal manuscrit où publier ses premiers textes.
Après son baccalauréat, il annonce sans succès son intention de devenir écrivain. Son père le destinant à la carrière d’avocat, il entreprend sans conviction, en 1841, des études de droit à Paris, où il mène une vie de bohème agitée. Il y rencontre des personnalités des arts (James Pradier) et de la littérature (Victor Hugo ou Maxime Du Camp qui devient son ami). Ses premiers textes sont des contes fantastiques et philosophiques fortement inspirés par les thématiques du romantisme noir (Smarh) puis des récits plus autobiographiques (Mémoires d'un fou, Novembre). En 1843, il échoue à son examen de deuxième année, et rentre à Rouen, bien décidé à faire admettre son intention de se consacrer à la littérature. C’est le moment où il décide de se retirer hors du monde, pour se conformer à une morale personnelle qui mêle insatisfaction et refus des règles de la société, de l’action, des passions et de l’ambition matérielle, dans une volonté farouche d’indépendance : « J’ai dit à la vie pratique un irrévocable adieu » (13 mai 1845).
L’ermite de Croisset
La maladie lui fournit un excellent prétexte. En janvier 1844, Gustave est brusquement terrassé par une crise nerveuse difficile à identifier, diagnostiquée comme crise épileptique ou « épileptiforme ». D'autres attaques se produisent au cours des semaines suivantes, et le jeune malade est astreint à un régime très sévère pendant de longs mois. Il n'est alors enfin plus question d'étudier le droit. Pour sa convalescence, son père achète à Croisset, en aval de Rouen, une grande demeure du XVIIIe siècle au bord de la Seine, où il s’installe en juin et où, à partir de ce moment il vivra le plus souvent seul avec sa mère. En 1845, Flaubert y termine sa première Éducation sentimentale, commencée avant sa maladie, puis il accompagne sa jeune sœur Caroline pour son voyage de noces en Italie. À Gènes il remarque La Tentation de saint Antoine de Bruegel qui lui inspire l’idée d’une pièce de théâtre, qu’il se met à écrire à son retour. En janvier 1846, son père meurt brutalement, lui laissant un héritage qui lui permet désormais de vivre de ses rentes. En mars, c'est sa sœur Caroline, alors âgée de vingt-deux ans, qui est emportée par une fièvre, deux mois après avoir mis au monde une fille (Caroline) qui sera élevée à Croisset par son oncle et sa grand-mère.
C'est également au printemps de cette année 1846 que commence sa liaison houleuse et intermittente avec Louise Colet, femme de lettres à la mode. Jusqu'à leur rupture, il entretient avec elle une correspondance considérable dans laquelle il développe notamment son point de vue sur le travail de l'écrivain et sur les rapports entre hommes et femmes. En 1847, il écrit avec Maxime Du Camp Par les champs et les grèves, journal d’une randonnée en Touraine et en Bretagne, qu’ils renoncent à publier. En février 1848, il accourt à Paris avec son ami Louis Bouilhet pour assister, avec intérêt critique et curiosité, à la Révolution, puis se replonge bien vite dans le travail. Entre mai 1848 et septembre 1849, il reprend la première version de La Tentation de saint Antoine, projet pour lequel il a multiplié les recherches depuis 1846. Après seize mois de rédaction, l'œuvre est achevée, mais ses amis Du Camp et Bouilhet qui la jugent ratée, impubliable, à brûler. Pour Gustave, c'est « un coup affreux ». Il s’embarque presque aussitôt pour un grand voyage en Orient en compagnie de Du Camp. Cette coupure de dix-huit mois, où il fait pour la première fois l'expérience d'une liberté complète, va lui donner le recul nécessaire pour méditer son « système littéraire ». De novembre 1849 à juin 1851, il s'emplit les yeux et la mémoire des merveilles de l'Égypte, de la Palestine, du Liban et de la Syrie. Il revient par Constantinople, Athènes et Rome. Les expériences et impressions de ce voyage, consignées dans un carnet de voyage où il fait le pari de « tout dire », jusqu'à sa fréquentation des bordels, nourriront ses écrits ultérieurs.
À son retour il est bien décidé à s'isoler pour longtemps à consacrer sa vie à la « sacro-sainte littérature » : sa biographie reste dès lors indissociable de son métier d’écrivain, auquel elle est toute entière vouée. Certes, sa liaison avec Louise Colet renaît de 1851 à 1854 mais il la maintient à distance : « Pour moi l’amour n’est pas et ne doit pas être au premier plan de la vie » (30 avril 1847). On ne lui connait ensuite que quelques autres liaisons, desquelles il se protège tout autant, par exemple avec Julie Herbert, professeur d’anglais de sa nièce, qui demeure à Croisset de 1854 à 1857. Leur liaison, faite de rencontres épisodiques à Londres ou à Paris, se poursuit au moins jusqu’en 1877. Il a sans doute eu aussi assez largement recours à des relations tarifées ou sans lendemain. On a pu lui prêter davantage d’attirance pour les hommes que pour les femmes, mais son peu de goût pour « l’Hâmour » est probablement dû avant tout la volonté d’être tranquille pour écrire.
Un écrivain reconnu
Le 19 septembre 1851, Flaubert commence Madame Bovary. Il a choisi, sur les conseils de ses amis, un sujet aussi éloigné que possible de la Tentation : une histoire banale ayant pour cadre le décor quotidien de la Normandie contemporaine. Le roman, achevé en avril 1856 après 56 mois d’un travail acharné, est publié en octobre dans la Revue de Paris, puis sort en librairie en avril 1857. Il connaît un grand succès largement dû au procès pour « atteinte aux bonnes mœurs et à la religion » dont il a fait l’objet. Après son acquittement, Flaubert est devenu un auteur célèbre, mais sur un malentendu. Après avoir retravaillé et raccourci La Tentation, puis renoncé à nouveau à la publier, il se décide en mars 1857 pour un projet ressemblant à un défi : « Un roman dont l’action se passera trois siècles avant Jésus-Christ ». Le 1er septembre 1857, Flaubert entame la rédaction de Salammbô, qui est l’occasion de mettre en scène un univers d’obsessions personnelles (souvenirs d’Orient, étrangeté des cultes primitifs, cruautés et vertiges confondus du désir érotique et du fantasme religieux) en les soumettant à l’exigence du « vrai » historique et narratif : « fixer un mirage en appliquant à l’Antiquité les procédés du roman moderne » (23 septembre 1862). Flaubert découvre aussi les exigences d’une nouvelle « méthode » et de l’immense détour par l’érudition et les archives : deux mois de repérages en Tunisie entre avril et juin 1848, des centaines d’ouvrages mis en fiches, près de 2 000 folios de brouillons, 59 mois de travail. Le roman, paru en novembre 1862, rencontre un succès mondain amplifié par une polémique avec Sainte-Beuve et l’archéologie Frœhner.
Flaubert fait de fréquents séjours de travail à Paris et en profite pour consacrer un peu de temps à la vie mondaine et nouer quelques relations avec les écrivains de son temps. Il fréquente épisodiquement les salons parisiens les plus influents du Second Empire, comme le salon de la princesse Mathilde ou celui de Madame de Loynes, et côtoie les frères Goncourt, Daudet, Sainte-Beuve, Baudelaire, Zola, Théophile Gautier. Il devient un habitué des dîners Magny où il se lie avec Renan, Tourgueniev et George Sand. Après Salammbô, Flaubert écrit une féérie, Le Château des cœurs (1863), esquisse plusieurs projets dont le plan initial de Bouvard et Pécuchet (sous le titre Les Deux Cloportes) puis opte pour un roman d’amour, Madame Moreau, qui se transforme en vaste fresque historique. Le 1er septembre 1864, Flaubert entreprend la rédaction de la deuxième version de L'Éducation sentimentale, roman de formation marqué par l'échec et l'ironie avec des éléments autobiographiques et sur fond de fresque historique. Le roman, publié en novembre 1869, essuie les sarcasmes unanimes de la critique et disparaît dans le naufrage du Second Empire : il n'en vend que quelques centaines d'exemplaires. Cet échec marque le début d’une période personnelle très difficile.
Les dernières années
En juillet 1869, Flaubert a été très affecté par la mort de son ami Louis Bouilhet. Ses dernières années sont assombries par les circonstances historiques, la disparition de ses amis, les difficultés financières et des problèmes de santé. Durant l'hiver 1870, les Prussiens occupant la Normandie, Flaubert se réfugie chez sa nièce à Rouen. Sa mère meurt le 6 avril 1872. Après l'échec de sa pièce de théâtre Le Candidat en mars 1873, il achève et publie en avril 1874 la troisième version de La Tentation de saint Antoine. Cette œuvre aujourd’hui encore inclassable, entre théâtre, récit et poème en prose, qualifiée par Baudelaire en 1857 de « capharnaüm pandémoniaque de la solitude », est éreintée par la critique. En 1875, l’horizon s’obscurcit encore : pour éviter la faillite à sa nièce Caroline et son mari Ernest Commanville, il doit sacrifier toute sa fortune et se retrouve ruiné. En 1876, s’ajoutent deux nouveaux deuils qui l’affectent beaucoup, la mort de Louise Colet en mars et celle de George Sand en juin.
En avril 1877, son recueil des Trois contes est enfin bien accueilli par la critique, mais sur un contresens : il est salué par la critique bien-pensante comme un signe d’assagissement après trop d’œuvres incompréhensibles ou immorales. De 1877 à 1880, il poursuit la rédaction de Bouvard et Pécuchet, qu'il avait entamée en 1872-1874. Mais cette œuvre ultime pour laquelle il avait réuni une documentation immense restera inachevée : elle sera publiée en 1881, un an après sa mort, provoquant une consternation presque unanime.
Dans ses dernières années, Flaubert est très proche du jeune Guy de Maupassant, fils de la sœur de son ami d'enfance, Alfred Le Poittevin, qui le considère comme un père spirituel. Quelques semaines avant de mourir, il a le plaisir de le voir triompher avec Boule de suif. Gustave Flaubert meurt subitement le 8 mai 1880, à Croisset, foudroyé à sa table de travail par une hémorragie cérébrale. Son enterrement au cimetière monumental de Rouen se déroule le 11 mai 1880, en présence de nombreux écrivains qui le reconnaissent comme leur maître : Zola, Daudet, Goncourt, Banville ou Maupassant.