À propos de l’œuvreMarie-Clémence Régnier

« El Desdichado »

Si le recueil des Filles du feu est placé sous le signe de figures féminines qui lui assurent une cohérence certaine, il n’en demeure pas moins que l’œuvre, résultant de multiples opérations de rapiéçage et pratiquant volontiers le mélange des genres et des registres, revêt une dimension kaléïdoscopique propre à dérouter. La préface donne d’emblée le ton : elle constitue une réponse savamment composée à un article d’Alexandre Dumas dans lequel l’ami de l’écrivain rapportait l’état inquiétant du malade du Docteur Blanche. Le recueil des Filles du Feu est présenté par l’auteur comme un élément du dossier constitué par ses proches que le lecteur, la critique et la postérité auront à instruire à charge ou à décharge.  
 
L’œuvre composite s’apparente par ailleurs à un parcours initiatique aux allures de voyage dans le temps et dans l’espace : la nouvelle inaugurale, « Angélique », rapporte les amours interdites d’une dame au temps du roi Louis XIII. Elle constitue le cycle français du recueil avec « Sylvie » (inspiré par le XVIIIe siècle des pastorales et des scènes de genre), les « Chansons et légendes du Valois » (inspirées de la littérature médiévale, renaissante et vernaculaire), en marge de la nouvelle finale « Émilie », située dans l’Alsace des troubles révolutionnaires du tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Enchâssés dans ce cadre, les cycles américain (« Jemmy »), italien (« Octavie » et « Corilla ») et égyptien (« Isis ») promènent le lecteur des lointaines contrées d’une Amérique opposant Indiens et conquérants entre lesquels s’interpose la charismatique Jemmy, aux côtes napolitaines. Entre Antiquité et période contemporaine, récit de voyage, récit amoureux et saynète théâtrale, « Octavie » et « Corilla » partagent une veine amoureuse teintée de mélancolie et de légèreté. Les jeux d’échos et de références d’une figure féminine à l’autre, ou encore d’un motif à l’autre (rose ou temple antique, par exemple), s’intensifient pour culminer dans « Isis » qui retrace la passion archéologique de Nerval pour les ruines antiques et les religions orientales.

 
Ruines de l'abbaye de La Victoire
Sylvie, chez la tante
Isis
Émilie

Le recueil des Chimères complète la galerie des « filles » et des « fils » du feu au travers de deux cycles distincts : un cycle antique et païen (« Delfica », « Horus », « Myrtho », « Artémis », « Antéros » et « Vers dorés ») et un cycle chrétien. Ce dernier comprend un poème inaugural, le très célèbre « El Desdichado » et un ensemble mystique de cinq sonnets, « Le Christ aux Oliviers ». Dans ces poèmes qui empruntent leur forme à l’art du sonnet que Nerval bouscule allègrement en bon romantique qu’il est, le poète convoque des références mythologiques, légendaires, autobiographiques et historiques hétérogènes, dont la fusion, opérée au travers d’un symbolisme virtuose, brouille ingénieusement les contours du sens. Poussant l’exercice de l’écriture cryptée et onirique dans ses ultimes retranchements par rapport aux nouvelles qui fournissent quelques clefs de lecture, le recueil offre une réponse fulgurante aux critiques du génie nervalien trop rapidement renvoyé aux limites stériles de sa folie.