La mise en récit d’une théorie du rêve

Deuxième partie, Chapitre VIII

Aurélia

À la fin de la nouvelle, qui coïncide avec l’annonce de la guérison du personnage, le narrateur revient sur l’origine et les enjeux de son entreprise. Il esquisse à cette occasion une théorie du rêve qui semble préfigurer les recherches plus tardives sur le psychisme, si l’on excepte la dimension mystique. Mais cette création d’un univers fictionnel riche et complexe fait surtout d’Aurélia une œuvre littéraire dont la modernité frappe encore aujourd’hui.
 
C’est ainsi que je m’encourageais à une audacieuse tentative. Je résolus de fixer le rêve et d’en connaître le secret. — Pourquoi, me dis-je, ne point enfin forcer ces portes mystiques, armé de toute ma volonté, et dominer mes sensations au lieu de les subir ? N’est-il pas possible de dompter cette chimère attrayante et redoutable, d’imposer une règle à ces esprits des nuits qui se jouent de notre raison ? Le sommeil occupe le tiers de notre vie. Il est la consolation des peines de nos journées ou la peine de leurs plaisirs ; mais je n’ai jamais éprouvé que le sommeil fût un repos. Après un engourdissement de quelques minutes, une vie nouvelle commence, affranchie des conditions du temps et de l’espace, et pareille sans doute à celle qui nous attend après la mort. Qui sait s’il n’existe pas un lien entre ces deux existences et s’il n’est pas possible à l’âme de le nouer dès à présent ?
Dès ce moment, je m’appliquai à chercher le sens de mes rêves, et cette inquiétude influa sur mes réflexions de l’état de veille. Je crus comprendre qu’il existait entre le monde externe et le monde interne un lien ; que l’inattention ou le désordre d’esprit en faussaient seuls les rapports apparents, — et qu’ainsi s’expliquait la bizarrerie de certains tableaux semblables à ces reflets grimaçants d’objets réels qui s’agitent sur l’eau troublée.
 
 
Gérard de Nerval, Aurélia, 1855.
> Texte intégral dans Gallica : Paris, Lachenal et Ritter, 1985