À propos de l’œuvreIsabelle Hautbout

Stello

Leçon politique

Une gradation est perceptible entre les trois nouvelles puisque, dans la première, le pouvoir laisse simplement mourir Gilbert sans lui venir en aide, alors que dans la deuxième, Chatterton semble mis à mort par le mépris du Lord-Maire ; exécution du poète qui devient effective dans le troisième récit quand la guillotine tranche la tête d’André Chénier. Le Docteur noir présente ces récits comme exemplaires et renforce la charge dans ses commentaires : son dénigrement ne se limite pas aux dirigeants d’époques décadentes mais frappe les régimes eux-mêmes, l’inévitable imperfection des institutions humaines et l’exercice corrupteur du pouvoir.
D’où l’ordonnance finale : le poète doit rester autonome – « Seul et libre » – pour préserver une indépendance et une dignité précieuses entre tout. Sa fonction, dépassant le niveau de la cité, est celle d’un créateur de pensée, contribuant à l’éveil des consciences et accompagnant l’existence humaine.
 

 

Joies de la création

Comme le suggère le dispositif même de l’œuvre – deux alter ego de l’écrivain échangeant des mots qui constituent une sorte de cure – la création littéraire est du reste assez enrichissante pour se suffire à elle-même. C’est encore ce que montre l’art du conteur (principal et secondaire), multipliant des facéties – parodie, interruptions, jeux avec les mots et les références culturelles – qui évoquent, avec certaines œuvres de Sterne ou Nodier, la vogue du roman excentrique, de manière à prouver les ressources de l’esprit pour apprivoiser les souffrances de la condition du poète et, au-delà, de l’existence humaine.
 

Une œuvre mal comprise

Si quelques lecteurs ont bien reconnu cette veine, peu l’ont toutefois appréciée et comprise. Stello est souvent loué pour son style, commenté (et critiqué !) pour ses idées, mais rarement abordé comme un spécimen surprenant d’un roman, dont l’originalité tient justement « au mélange d’ironie et de sensibilité », selon la caractérisation même de Vigny. Cette œuvre si pleine de paradoxes – à la fois tragique et comique, et se donnant comme un dialogue de soi à soi tout en prétendant défendre une thèse… de désengagement – déroute ses lecteurs.