Un idéal de beauté androgyne

Chapitre IX

 

Depuis le Christ on n’a plus fait une seule statue d’homme où la beauté adolescente fût idéalisée et rendue avec ce soin qui caractérise les anciens sculpteurs. – La femme est devenue le symbole de la beauté morale et physique : l’homme est réellement déchu du jour où le petit enfant est né à Bethléem. La femme est la reine de la création ; les étoiles se joignent en couronne sur sa tête, le croissant de la lune se fait une gloire de s’arrondir sous son pied, le soleil cède son or le plus pur pour lui en faire des joyaux, les peintres qui veulent flatter les anges leur donnent des figures de femmes, et certes ce n’est pas moi qui les en blâmerai. – Avant le doux et galant conteur de paraboles, c’était tout le contraire ; on ne féminisait pas les dieux ou les héros que l’on voulait faire séduisants ; ils avaient leur type, vigoureux et délicat en même temps, mais toujours mâle, si amoureux que fussent leurs contours, si polis et si dénués de muscles et de veines que l’ouvrier eût fait leurs jambes et leurs bras divins. On faisait plus volontiers revenir à ce caractère la beauté spéciale de la femme. On élargissait les épaules, on atténuait les hanches, on donnait peu de saillie à la gorge, on accentuait plus robustement les attaches des bras et des cuisses. – Il n’y a presque pas de différence entre Paris et Hélène. Aussi l’hermaphrodite est-il une des chimères les plus ardemment caressées de l’antiquité idolâtre.
 C’est en effet une des plus suaves créations du génie païen que ce fils d’Hermès et d’Aphrodite. Il ne se peut rien imaginer de plus ravissant au monde que ces deux corps tous deux parfaits, harmonieusement fondus ensemble, que ces deux beautés si égales et si différentes qui n’en forment plus qu’une supérieure à toutes deux, parce qu’elles se tempèrent et se font valoir réciproquement : pour un adorateur exclusif de la forme, y a-t-il une incertitude plus aimable que celle où vous jette la vue de ce dos, de ces reins douteux, et de ces jambes si fines et si fortes que l’on ne sait si l’on doit les attribuer à Mercure prêt à s’envoler ou à Diane sortant du bain ? Le torse est un composé des monstruosités les plus charmantes : sur la poitrine potelée et pleine de l’éphèbe s’arrondit avec une grâce étrange la gorge d’une jeune vierge. Sous les flancs bien enveloppés et d’une mollesse toute féminine, on devine les dentelés et les côtes, comme aux flancs d’un jeune garçon ; le ventre est un peu plat pour une femme, un peu rond pour un homme, et toute l’habitude du corps a quelque chose de nuageux et d’indécis qu’il est impossible de rendre, et dont l’attrait est tout particulier. – Théodore serait à coup sûr un excellent modèle de ce genre de beauté ; cependant je trouve que la portion féminine l’emporte chez lui, et qu’il lui est plus resté de Salmacis qu’à l’Hermaphrodite des Métamorphoses.
 

Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin, 1835-1836.
Texte intégral dans Gallica : Paris, Charpentier, 1878